26- Une étrange apparition
C'était un matin hivernal, à l'aube. De la buée recouvrait la vitre de ma fenêtre, présente dans ma chambre, une petite pièce étroite qui se trouvait être mon refuge, mon repère secret. La pièce était très sombre et la décoration assez simple : une petite table en bois à côté de mon lit avec une vieille lampe, un cadre photo et un livre, une armoire à la peinture écaillée et un simple bureau. Au mur, des photos de ma vie. De mon lit, où je me blottissais sous ma couverture en fourrure pour me protéger du froid, je pouvais apercevoir des flocons de neige tomber du ciel nuageux.
J'habitais dans la montagne avec mon grand-père maternel, moi étant orpheline depuis mes trois ans. A la mort de mes parents, après cet accident d'avion qui me traumatisa des transports, je fus envoyé chez mon grand-père, un homme de la Montagne, avec sa longue barbe grisonnante, ses airs de solitaire et ses grandes connaissances sur la vie en montagne. Il n'avait pas demandé ma présence mais après quelques semaines où ce fut aussi dur pour lui que pour moi, nous finîmes par nous entendre et, à présent, tout comme dans Heidi, mon histoire et dessin animé favori qui ressemble clairement à ma propre histoire, je n'aurai voulu quitter cet endroit pour rien au monde.
J'ai 13 ans, maintenant. Mes traits enfantins ont définitivement disparu. J'ai de longs cheveux châtains foncés qui bouclent et encadrent mon visage, des yeux très clairs que j'ai hérité de ma mère, qui elle-même en avait hérité de mon grand-père. Avec le temps, mes traits se sont allongés, plus affirmés. Grand-Père dit de moi que je suis une belle jeune fille à présent. J'avoue que ça me rend fière à l'idée d'être plus grande, et de pouvoir aider Grand-Père dans la vie de tous les jours. Il a pris soin de moi, et a essayé de m'éduquer le plus normalement possible, en m'apprenant à lire, écrire, compter, et les conditions pour survivre ici. Ici, le plus proche village n'est pas à moins d'une cinquantaine de kilomètres, et sans ses connaissances, nous aurions été perdus depuis longtemps. Je lui dois beaucoup pour tout ce qu'il a fait pour moi.
Je pose deux pieds au sol le plus légèrement possible. Mon lit devant dater d'un siècle, le bois grince quand je me lève, et je grimace à l'entente du bruit. M'efforçant de rester discrète, je m'habille en silence, me chausse de bottes fourrées puis sort de ma chambre.
A pas de loup, je gagne le séjour et m'approche de la porte d'entrée.
- Où vas-tu comme ça ?
Je sursaute violemment et me cogne à un coin de table. Grand-Père, appuyé contre le mur, me fixe les bras croisés. Malgré son air sévère, je devine une lueur amusée dans son regard.
- Ne t'avais-je pas dis de ne pas sortir sans me prévenir ?
Je me mords la lèvre, légèrement honteuse.
- Je ne vais pas loin, le rassurai-je, je voulais juste aller voir la neige.
Il me jette un regard malicieux, qui redevient très vite sérieux.
- Tu as raison, c'est la première neige de la saison. Mais ne tarde pas trop. Je prépare le petit-déjeuner.
Le petit-déjeuner consiste en un bol de lait de chèvre. Ce n'est pas beaucoup, mais le lait épais est très consistant. Souriante, je hoche la tête et sors dehors.
- Tes gants !
Mais j'ai déjà fermé la porte derrière moi.
La neige tombe à gros flocons. J'en sens se poser sur mes cheveux sombres et mon pull en laine. Je ne suis pas très couverte, mais le froid ne me dérange pas vraiment.
Je tends une main et un flocon se pose sur ma paume de main. Je souris. Je suis tant heureuse ici. Pas loin, j'entends un loup hurler, puis un autre lui répondre. Beaucoup de gens considèrent les loups comme des dangers pour l'Homme. Grand-Père n'est pas d'accord, moi non plus. Les loups nous respectent, à conditions de les respecter aussi. C'est comme tout. Les choses doivent aller dans les deux sens, au risque d'en subir les conséquences.
J'aperçois alors une silhouette à la lisière d'une forêt, en contrebas de la montagne où je me situe. C'est une jeune fille, à en juger de sa corpulence mince et de ses longs cheveux. Je la regarde fixement, entre étonnement et envie de m'approcher d'elle. Cela fait si longtemps que je n'ai pas vu quelqu'un à part Grand-Père. Je lève mes bras pour lui faire de grands signes. C'est alors qu'elle recule puis tourne les talons pour partir.
- Attend !
Sans réfléchir, je m'élance à sa poursuite. Mes bottes s'enfoncent dans la poudreuse, je manque de tomber plusieurs fois, mais je dévale la pente avec le sourire. Je me sens à ma place ici, et sentir les flocons me procure tant de plaisir !
L'inconnue fait mine de s'éloigner, mais je la rattrape facilement. Je suis presque choquée de la voir si jeune, si frêle, et si seule...
Elle doit avoir la dizaine, peut-être moins. Elle a la peau très claire, et une longue et épaisse chevelure rousse. Ses yeux sont très grands et d'un beau brun. Elle me regarde, entre peur et espoir, grelottant dans un vieux manteau trop grand pour elle.
- Comment t'appelles-tu ? lui demandai-je, soucieuse
Un mince filet de voix sort de sa gorge.
- Leia, articule t-elle, les lèvres bleuies par le froid
Je lui souris gentiment et lui prend la main. Elle est gelée.
- Viens avec moi, tu dois absolument te réchauffer.
Je ne lui demande pas ce qu'elle fait là. Elle a l'air à bout de force et a besoin de chaleur. Je commence à faire un pas en l'entrainant derrière moi mais elle refuse de bouger.
- Non. Je ne veux pas.
- Pourquoi donc ?
Elle me fixe avec de grands yeux pleins de détresse. Elle me fait tant pitié.
- Je ne veux pas. Je ne peux pas.
- Mais tu ne vas pas survivre si tu restes ici, dis-je, ma voix perçant du désespoir, s'il te plaît...
- Non, fit-elle avec obstination
Elle me regarde avec insistance. Je la regarde avec un regard interrogateur. Je sais que je dois me dépêcher avant que Grand-Père ne s'aperçoive que je me suis éloignée de chez nous, mais il m'est impossible de laisser cette enfant seule à la merci du froid.
- Que se passe t-il ? Pourquoi ne veux-tu pas venir ?
- Je ne peux pas, c'est tout. Pour ton bien et le mien, explique t-elle d'une voix chevrotante où je sens sa détresse et son sérieux. S'il te plaît. Tu dois me promettre de ne parler de moi à personne...
- Leia, je...
- Promets-le, m'ordonne t-elle avec supplication dans sa voix. Je t'en pris...
Je soupire. Hésite. Je sers toujours sa petite main gelée dans la mienne. Elle me voit la regarder et retire sa main. Dans son regard, j'y vois le désespoir, la détresse, et aussi la détermination. Elle ne cèdera pas, je le vois dans ses prunelles brunes.
- Je le promets, soufflai-je avec résignation
Je veux m'approcher d'elle mais elle recule. Puis, sans que j'ai le temps de faire quoi que ce soit, elle tourne les talons et disparaît parmi les sapins enneigés. Je l'appelle mais cela ne sert à rien. Elle a disparu. Comme si tout cela n'avait été qu'une pure hallucination.
Je regagne le chalet mais à contrecoeur. L'image de cette petite fille rousse au regard perdu et décidé à la fois tourne en boucle dans mon esprit. Comment ai-je pu la laisser s'en aller ? Comment pourrait-elle survivre, toute seule ?
Je ne peux m'empêcher de penser aux mots qu'elle m'a dit : « Pour ton bien et le mien. S'il te plaît. Tu dois me promettre de ne parler de moi à personne... » Qui était-elle ? Pourquoi de tels mots ?
Je bois mon lait en silence. Grand-Père me parle mais j'ai l'esprit ailleurs et je ne l'écoute pas. Je remarque à peine le regard inquiet qu'il me lance.
Je ne pense qu'à cette petite fille rousse.
-Décembre 2018-
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