25- Un livre mystérieux


Il était une fois...

Natasha referma le conte d'un geste sec, ferma les yeux et inspira longuement. Non. Pas ce soir. Pourtant, ce livre l'attirait tellement... Comme une lumière à un moustique.

- Mais il faut que je sois raisonnable... se murmura t-elle à elle-même

Elle était seule dans sa chambre, sous sa couette brodée, sa lampe de chevet éclairant faiblement ce beau livre à la couverture Bordeaux et aux lettres entrecroisés dorés formant les mots « Livre Unique ». Sa belle-mère le lui avait donné avant-hier. « Voici un ouvrage unique, Natasha. Je te le confie car je pense que tu dois en hériter. Mais fais bien attention . Ne l'ouvre que quand le moment sera venu, que quand le moment sera opportun. Que quand ce livre pourra t'apporter quelque chose. .. » lui avait-elle dit, mots pour mots. La jeune fille lui avais posé pleins de questions auxquelles on avait refusé de répondre. Puis après un regard montrant qu'elle prenait cela très au sérieux et un sourire mystérieux, sa belle-mère l'avait planté dans le couloir, la laissant seule avec le livre.

Le conte.

Natasha est quasiment sûre à présent qu'il s'agit d'un conte, après avoir lu les quatre premiers mots.

- Je n'aurai pas dû les voir, se murmura t-elle, à nouveau à elle-même

Mais la curiosité la dévorait. Pourquoi lui avoir donné ? Et quel est ce « moment opportun » ? En quoi ce livre pourrait-il lui apporter quelque chose ? Pourquoi tant de mystère ?

Sa famille descendait d'une ancienne lignée d'aristocrates, ce qui faisait de Natasha une jeune préadolescente vivant dans la richesse. Enfant unique et habitant dans une vaste demeure, elle prenait des cours privés à domicile, et ne sortait jamais dehors. Elle n'avait presque jamais vu d'enfants de son âge. Ses parents étaient très religieux, et pensaient que le monde extérieur n'attirait que des ennuis. Quand sa mère fut décédée, alors que la jeune fille avait 5 ans, son père sombra dans la dépression, mais finit par se remarier, trois ans plus tard, avec une femme élégante et modeste aux airs de comtesse, Evelyn. Malgré ses grands airs, Evelyn se révéla être une femme adorant les enfants et se montrant particulièrement bienveillante envers sa belle-fille. Elle essaya longtemps de convaincre son père pour lui donner une « éducation normale», comme elle avait dit, mais Natasha atteint les 12 ans et fut toujours un peu isolée du reste de la ville, son père ne cédant jamais. Quelque part, elle aurait aimé avoir des amis et rencontrer de nouvelles personnes, mais Evelyn se montrait si gentille avec elle qu'elle la considérait parfois comme son amie. Elle jouait, se confiait à elle, et sa belle-mère lui racontait des tonnes d'anecdotes sur le monde extérieur. Que ce soit des histoires inventées ou réelles, Natasha l'avait toujours écouté avec de grands yeux ébahis, suspendue à ses lèvres.

Sa belle-mère était sa confidente. Son amie. Natasha se sentait mille fois plus proche d'elle que de sa propre mère. Elle considérait Evelyn, parfois comme une fille de son âge avec qui elle pouvait s'amuser, parfois comme sa seule et unique maman. Mais ce dont elle était bien sûre, c'est qu'Evelyn lui avait toujours dit pleins de choses ; elle ne s'était jamais montrer si brève, si mystérieuse que quand elle lui avait donné ce livre étrange. Et la jeune fille devait bien le reconnaître : elle était partagée entre l'idée d'attendre ou de découvrir immédiatement les secrets de cet ouvrage. Ce livre qui occupait ses pensées depuis deux jours. Deux longs jours.

Natasha n'avait jamais été bien patiente. Surtout que, comme Evelyn, elle était passionnée de lecture, et ce n'était pas dans ses habitudes de devoir laisser un livre fermé. Sa belle-mère le savait . Pourquoi lui avoir confié un écrit si c'était pour ne pas pouvoir l'ouvrir ?

Dévorée de curiosité, Natasha caressa du bout des doigts le cuir fin, puis les lettres dorés en relief. Elle fut en admiration devant cette couverture si simple, si sobre, et pourtant si belle. La reliure était remarquable, on aurait pu parier que ce livre était neuf, et pourtant la préadolescente était convaincue qu'il était ancien. Après tout, Evelyn avait utilisé le mot « hériter ». Depuis qu'elle l'avait eu entre les mains, Natasha y avait mis une grande délicatesse, persuadé qu'il était précieux et qu'elle devait en prendre soin.

« De quoi ai-je besoin ? se demanda la jeune fille. De quoi ai-je besoin pour pouvoir ouvrir ce livre ? »

Elle n'avait besoin de rien d'important : elle vivait dans la richesse, ne manquait de rien...sauf de nouveautés. Natasha avait toujours lu les récits d'aventures avec passion, rêvant que ça lui arrive à elle-aussi. Sa vie était aisée, mais depuis quelques semaines, la préadolescente s'ennuyait. Elle ne lisait ces derniers temps plus que des textes fantastiques et remplis d'action, s'imaginant diverses histoires qui pourraient lui arriver, toutes la sortant de sa vie qu'elle trouvait tant monotone.

Des nouveautés. Voilà ce dont elle avait besoin. Alors qu'elle n'avait jamais voulu absolument voir le monde extérieur, les récits d'Evelyn lui suffisant amplement, cela lui paru soudainement comme ce dont elle avait besoin. Une autre vie, en dehors de cette demeure. Un frisson d'excitation la parcourut à cette pensée. C'était un monde qu'elle ne connaissait pas, un monde parfaitement inconnu, mais étais-ce sûrement pour ça que ça lui semblait si fascinant.

Natasha soupira. Son père ne la laisserait jamais sortir, et Evelyn ne pourrait en rien le faire changer d'avis. De plus, les portes de sortie étaient gardés par des serviteurs fidèles à son paternel. La jeune fille balaya sa chambre du regard. Rien, pas une fenêtre. Les moindres ouvertures avaient été il y a longtemps toutes condamnées. Natasha en aurait oublié la couleur du soleil ou de l'herbe si les livres n'offraient pas des illustrations diverses montrant des endroits du monde entier que la préadolescente regardait en boucle sans jamais s'en lasser.

Evelyn se montrerait compatissante envers elle si Natasha lui confiait son idée, mais jamais elle la ferait sortir en cachette. Non. Personne. Natasha n'avait personne. Même sa belle-mère n'osait pas désobéir à son père.

Il ne lui restait que ce livre, si mystérieux.

« Comme si un livre pouvait m'apporter la liberté... » songea Natasha sans conviction

Mais après tout, que risquait-elle ? Qu'elle l'ouvrait maintenant ou dans trois mois, que cela changeait-il ? Sa belle-mère ne le saurait pas, Natasha le nierait si Evelyn lui demanderait. Si ça se trouvait, ce livre contenait de magnifiques images de l'extérieur que la jeune fille pourrait contempler pour assouvir un peu son envie de s'enfuir...

N'y tenant plus, elle ouvrit le livre d'un geste délicat, avec une prudence mêlée d'excitation, comme à chaque fois qu'elle ouvrait un livre pour la première fois.

L'écriture était belle, écrite à l'encre noire, même pas délavée avec le temps. Les lettres s'entrecroisaient comme sur la couverture. C'était si élégant. Si beau. Les pages étaient dans un papier ni trop fin ni trop épais, d'un blanc immaculé. Natasha n'avait jamais vu un tel ouvrage : si beau, si pur, si parfait. Impatiente, elle commença sa lecture, essayant d'en savourer chaque mot, et les lisant pas dans sa tête mais à voix basse, comme elle l'avait toujours fait.

L'histoire était d'une beauté à couper le souffle. Mais surtout ce qui effara et déconcerta le plus la jeune fille, c'est que le texte reflétait noir sur blanc ce qu'elle venait de souhaiter juste avant d'ouvrir le livre. Ca racontait les souhaits d'une fille de son âge, qui rêvait de découvrir l'extérieur, et qui se retrouvait soudainement hors de chez elle. Libre. Ce dont rêvait Natasha. Elle rêvait de liberté, d'aventure, d'un monde nouveau. Parfaitement comme la fille de l'histoire.

- Ce n'est pas possible... murmura t-elle, stupéfaite

Elle s'aperçut alors qu'elle avait interrompu sa lecture, à la cinquantième page. Elle n'avait même pas remarqué qu'elle avait lu autant. Alors qu'elle allait reprendre, le livre lui échappa des mains avec une force invisible, et des pages se dégagea une vive lumière.

Déboussolée, Natasha ne put qu'observer la scène : les pages se mirent à tourner, de plus en plus vite, avant de s'immobiliser brusquement. La jeune fille allait tendre une main hésitante vers l'ouvrage quand elle se sentir aspirée vers les pages. Terrifiée, elle se mit à se débattre, trop apeurée pour émettre le moindre son de détresse, mais ce fut inutile.

Les pages l'aspirèrent complètement.

Ce que vit Natasha en premier fut de l'herbe verdoyante à perte de vue. Elle cligna des yeux, éblouie par la lumière aveuglante que dégageait les rayons du soleil. La lumière du jour, si naturelle. Elle ne put s'empêcher un sourire béat couvrir son visage.

Elle tourna lentement sur elle-même, regardant ses mains, son corps, pour voir si tout était pareil, puis le paysage étranger autour d'elle. Elle portait toujours la tenue qu'elle avait dans son lit : une chemise de nuit blanche brodée de dentelle sur les manches, pieds-nus, et ses cheveux bouclés d'un noir d'encre tombant sur ses épaules. Elle était entourée de nature. Pas un mur la bloquant, elle était totalement libre de ses mouvements. Natasha ne vit que de l'herbe, un ruisseau à une vingtaine de mètres serpentant entre les fleurs puis disparaissant à travers une forêt, puis plusieurs maisons au loin. Elle tendit l'oreille et balaya l'herbe verte du regard, puis entendit bientôt des grattements, des bruits de pattes, et vit alors un papillon tout près, un lapin détalant plus loin, une biche près de la forêt...

Natasha ne s'était jamais senti si heureuse. Et si libre.

Alors elle comprit, bien que cela fusse incroyable et si improbable qu'elle avait encore du mal à le croire. Il fallait avoir besoin de quelques chose, d'un vœu très cher, puis ouvrir le livre. Cet ouvrage magique qui écrivait notre souhait qu'on venait de formuler dans notre tête. Alors, on le lisait et on était transporté. Transporté dans le livre, dans un monde où notre rêve devenait réalité .

Natasha n'arrivait pas à le croire. Mais ce rêve, combien de temps durera t-il ? Elle savait que ce ne serait pas définitif, et que ce ne pouvait être vraiment la réalité. C'était seulement un rêve. Une illusion. Elle décida cependant de ne pas réfléchir à l'idée de retrouver les murs de sa chambre, puis respira avec bonheur l'air naturel autour d'elle. Ensuite alors elle se mit à courir.

Elle se mit à courir comme jamais elle n'avait pu courir, ses cheveux volant derrière elle, ses pieds nus sentant l'herbe douce, les bras écartés et un sourire radieux illuminer son visage...

Si libre...


-Novembre 2018-

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