Titre de la partie

Le navire tanguait au rythme des vagues venant s'écraser contre sa coque.

De sa cabine, il entendait souffler le vent à travers la porte.

À l'extérieur, de gros nuages noirs recouvraient le ciel et surplombaient le bateau. Dehors, c'était la tempête. La houle de la mer était de plus en plus forte. La grande voile claquait violemment contre le mât. Les deux petites avaient été fermées avant le début du déluge et les cordages tapaient le bois du navire. Un éclair zébra le ciel un instant et la pluie s'abattit sur l'équipage.

Le capitaine, à l'abris de l'eau dans sa cabine, regarda une seconde les gouttes ruisseler le long des hublots, avant de se replonger dans ses cartes.

Son tricorne était accroché au dossier de sa chaise qu'il avait repoussée derrière lui quelques instants auparavant. Il avait demandé à ce qu'on rajoute des plumes et trois rouges avaient alors été piquées dedans. Quatre autres chaises étaient placées autour de la grande table et des coussins en lin avaient été posés sur chacune d'elles. Un trio d'hublots de chaque côté de la cabine et une grande porte-fenêtre à l'arrière, qui donnait sur un petit balcon, laissaient entrer le soleil la journée. Le lustre, accroché au centre de la pièce, illuminait la cabine d'une lueur vive. Un grand lit à baldaquins trônait dans le coin droit à côté de la porte. La tenture bleue était tirée et nouée avec des rubans de lin noir. Les draps blancs étaient recouverts d'une étoffe en soie foncée, de même que les trois grands oreillers en haut du lit. Une armoire en bois rouge avait été montée à gauche du lit et un miroir était accroché sur l'une des deux portes. Une étagère se trouvait également dans la pièce, en face de la penderie. Sur le haut, à la vue de tout l'équipage, était alignée toute une collection de petits soldats de plomb. Sur le mur, une carte du monde connu était poinçonnée au-dessus. La pièce était juste assez grande pour le capitaine de bord, mais celle-ci lui suffisait amplement.

La grande table en chêne massif, qui trônait au centre de la pièce, en avait vu passer des chefs de bord, et le bois commençait à se dégrader petit à petit. Elle en avait accueilli des capitaines : des bêtes, des costauds, des faibles, des forts, des grassouillets, des maigrichons, des pervers... et elle en accueillera bien d'autres encore dans les décennies à venir.

Le capitaine, lui, ne rentrait dans aucune case. C'était un fils de l'eau. Un fils de la mer. Un vrai. Et son passé ne pouvait que le confirmer.

Jack n'a pas connu ses parents biologiques et il ne les connaîtra sans doute jamais. Il a été recueilli par un jeune couple alors qu'il n'était qu'un nourrisson de quelques jours. La femme l'avait trouvé dans l'eau, emmailloté avec des algues, alors qu'elle faisait sa lessive à la mer. Il était couché dans les graviers du bord de plage et les vagues venaient lécher le bas du petit paquet emballé. On avait raconté énormément de choses à son sujet quand la femme l'avait ramené chez elle dans son panier à linge, durant toute son enfance les gens avaient continué à chuchoter sur son chemin et ils continuaient de le faire encore aujourd'hui lorsqu'il rentrait sur sa présumée terre natale. De nombreuses rumeurs avaient circulé sur lui pendant des années. Mais la plus récurrente disait qu'il était le fils de la déesse de l'océan qui avait eu une liaison avec le mari de sa sœur. Ceux-ci avaient eu un bébé et pour les punir, la sœur avait pris leur enfant et l'avait déposé dans l'eau. Elle voulait voir s'il était vraiment le fils d'une déesse. Jack n'avait nullement de lien de sang divin. Il était le fils de la mer qui l'avait laissé sur le rivage par amour pour lui. Elle avait épousé un mari violent et voulait juste protéger son enfant. Elle avait eu peur qu'il s'en prenne au bébé, comme il s'en prenait à elle pour un rien, et avait décider de l'abandonner sur la terre des hommes. De voir son fils être recueilli par ce couple comme s'il était le leur lui avait brisé le cœur, mais elle savait que c'était pour son bien. Elle l'avait regardé grandir durant toute sa jeunesse et elle continuait de l'observer encore. Elle veillait sur lui alors qu'il était enfant et qu'il jouait dans l'eau avec les autres garçons de son âge et elle veillait sur lui chaque fois qu'il partait en mer sur son bateau.

Sa barbe noire, d'environ cinq centimètres, lui donnait un air plus sévère. Il avait des sourcils broussailleux et les cheveux foncés comme la nuit. Ils lui arrivaient juste en dessous des épaules et étaient rassemblés en une queue de cheval dans son dos. Ses lèvres charnues appelaient facilement les femmes aux plaisirs charnels. Son nez était bien droit et ses yeux couleur caramel. Il avait une carrure imposante, et son mètre quatre-vingt-dix ne changeait pas la donne. Sa chemise bleue cyan laissait entre apercevoir des muscles entretenus, ainsi que le haut de son torse, grâce aux quatre boutons laissés ouverts. Son pantalon noir était retenu à la taille par une ceinture à laquelle pendait son épée, qui avait un jour appartenu à son père, et à son père avant lui. Ses bottes de cuir brunes étaient usées et avaient quelques trous depuis longtemps. Malheureusement, il n'avait pas l'or pour s'en offrir de nouvelles. Même pour un pirate cela était étonnant. Les dix pièces d'argent, mises il y a quelques semaines dans un petit sac en toile situé au fond d'un des tiroirs de l'étagère, étaient pour son fils. Il les avait gardées spécialement pour son anniversaire dans trois jours, car il voulait un cadeau particulier pour ses dix ans.

Jack et son équipage pillaient les navires marchands appartenant au gouvernement espagnol depuis des années déjà. Mais au contraire des autres pirates de ce monde, ils ne gardaient que l'essentiel nécessaire pour eux. Le reste des butins étaient redistribués aux villageois à la place central de chaque nouvel endroit où ils accostaient. Ils étaient un peu comme Robin des Bois et ses joyeux compagnons ; des bandits au grand cœur.

Dehors, l'orage grondait. Il pleuvait à verses et l'équipage était trempé jusqu'aux os. Les éclairs tombaient de plus en plus proches du navire et ils craignaient de se prendre la foudre d'ici peu. La grande voile claquait contre le grand mât et les deux pirates qui tiraient sur la corde peinaient à la rentrer.

Le capitaine sortit de sa cabine et monta sur le pont. Il dût se retenir à la rambarde quelques secondes afin de ne pas tomber, à cause de la houle déchaînée. On entendait les vagues s'écraser avec fracas contre la coque du navire et le bois grinçait dans le vent.

- Rentrez-moi cette fichue grande voile, bande d'incapables, cria le capitaine.

Ils tirèrent les deux d'un coup sec sur la poulie et la grande voile se rabattit enfin en un claquement sourd. Le navire tanguait de plus en plus sur la mer et le capitaine avait peur que celui-ci finisse par se briser. Il avait été peint en noir de la coque au pont, tout comme la sirène située à la proue. Un éclair illumina le ciel à quelques mètres du navire. Un membre de l'équipage cria quelque chose dans la nuit, mais le capitaine ne le compris pas. Une vague vint se fracasser sur le devant et le beaupré si brisa dans un craquement sinistre avant de sombrer dans les eaux noires.

Les dix pirates faisant partie de l'équipage étaient tous sortis des cabines. Le capitaine grimpa sur le pont supérieur et pris la barre à son second. Jack avait passé la soirée à étudier les cartes, mais c'était inutile et il le savait. C'était juste pour être sûre. Il connaissait ces eaux comme sa poche. Mais en temps de tempête, ce n'était jamais pareil et il en était entièrement conscient. Une grosse vague vint frapper la coque et le navire vira à bâbord. Le coup fut si violent que le pirate qui défaisait les cordes du seul canot passa par-dessus bord. On entendit son cri dans la nuit, puis un grand plouf et plus rien. Les pirates qui étaient tombé dû au choc se relevèrent et se tirent comme ils le pouvaient.

Jack en avait essuyé des tempêtes, mais jamais il n'avait perdu l'un des siens pour une chose si futile que cela. Il savait à quoi s'attendre en cas d'orage. Cependant, celui-ci était particulièrement violent et les éclairs n'arrangeaient rien à la situation.

La foudre frappa droit sur le grand mât en un éclair. On entendit un craquement sinistre et il tomba en balayant les deux autres petits derrière lui, qui s'enfoncèrent dans l'eau et restant accroché au pont. Ils balayaient l'eau comme des rames géantes. Le grand mât emportât deux autres pirates dans sa chute qui tombèrent du navire. Le capitaine poussa un hurlement de rage en se rattrapant au gouvernail. Le choc dans l'eau fut violent et le navire pencha quelques peu sur tribord à cause des trois mâts qui trempaient dans la mer.

- Attention ! cria le second, accroché à la rambarde du pont supérieur.

Il pointait une gigantesque vague qui arrivait droit sur eux. Elle balaya tout ce qui se trouvait sur le pont et le navire se coucha dans l'eau sur le côté en un grand bruit. Le capitaine essaya de se raccrocher à la barre tant bien que mal. Il vit son épée se détacher de sa ceinture et s'enfoncer dans la mer. Il ne restait que lui. Les autres membres de l'équipage n'avaient pas eu le temps de se rattraper.

Il n'en croyait pas ses yeux ; son bateau ne ressemblait plus à rien et était couché à flanc dans la mer. Une autre vague aussi forte que la précédente vint retourner le navire complétement à l'envers. Jack ne la vit pas arriver et le choc dans l'eau fut violent. Il sentit se poumons se remplirent d'eau aussi vite que la vague était arrivée. Il vit son drapeau pirate noir couler à côté de lui. Il essayait de se débattre et de remonter à la surface mais la houle était trop violente et la pression trop forte. Il buvait la tasse et il sentait l'air quitter son corps et ses yeux se fermer. Ses dernières pensées furent par sa femme et son fils qui ne reverraient jamais Jack revenir.

Les dix pièces d'argent coulèrent à côté de lui et la mer reprit enfin ce lui appartenait.

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