Muffin aux myrtilles

Cette histoire parle d'une aventure extra-conjugale, donc si vous n'êtes pas à l'aise avec l'infidélité, je ne vous conseille pas de la lire.


Mes parents m'ont appelée Violet. Le fait est que je n'ai jamais vu le visage de mon père et celui de ma mère, je l'ai oublié. Mais malgré ça, je les remercie de m'avoir donné ce beau prénom qui est assez rare. Dans le langage des fleurs, la violette symbolise la modestie, la discrétion et la pudeur. Elle peut aussi rappeler un amour caché.
Quand je me suis penchée sur cette signification, une fois adulte, j'ai trouvé que ce nom m'allait en fait à la perfection. Il y a plusieurs raisons à ça mais il faudrait que je vous explique toute mon existence et je pense que ce serait un peu long.

On devrait simplement commencé par ma vie d'adulte. Quoique, il y a trop de raccourci. Parlons simplement de l'essentiel.

Ma famille est brisée et je ne peux m'empêcher d'imaginer que c'est à cause de moi. Mon père a mis les voiles quelques jours après ma naissance, laissant ma mère avec deux garçons en bas âge et un bébé.
Quelques années plus tard, je n'étais qu'une petite fille quand elle nous a laissés à mes grands-parents ou dirais-je plutôt "abandonnés". J'ai grandi avec mes deux frères qui, avec leur grande personnalité, m'ont beaucoup fait d'ombre. C'est ainsi que je suis devenue très discrète. Quand mon grand-père est mort, je suis sûre qu'il n'avait toujours pas compris qui j'étais réellement.

Je n'étais pas malheureuse mais j'avais un gros manque affectif. Que mes amis ont réussi à combler quand je les ai rencontré au fil des années, malgré ma personnalité effacée. Je montrai peu mes sentiments les plus profonds et il leur a fallu des années avant que je leur dise que j'étais orpheline. Ce n'était pas de leur faute.

Je n'avais pas vraiment d'objectif personnel alors mes notes étaient moyennes. Mais j'avais une excellente mémoire. Je savais que si je travaillais, je réussirais forcément. Cela ne m'inquiétait pas plus que ça... Je ne sentais aucune ambition en moi au lycée. Je rêvais d'une vie simple, avoir une maison, un mari et un chien. Et pourquoi pas une véranda... Je ne sais pas pourquoi, je les ai toujours adorés.

Pour ce qui est du mari, on était bien loin. Depuis le début de mon adolescence, j'enchaînais les déceptions amoureuses. Ou plutôt, je souffrais de ce besoin d'être comblé et cherchais quelqu'un à tout prix. J'étais un vrai cœur d'artichaut mais c'était très souvent à sens unique. Cela pouvait aller d'un camarade de classe, d'un collègue à une personne que je croisais dans un bus. J'adorais me créer mille et un scénario en fantasmant simplement sur le fait de rencontrer le bon.

Peut-être que c'était mon manque de patience qui m'avait rendu si immorale. Honnêtement, si l'adolescente que j'étais voyais l'adulte que je suis devenue, elle serait déçue d'elle-même. Parce la maison, le mari, la véranda... Tout était si loin.

En 1999, à mes vingt ans, je vivais toujours dans la même ville où mes parents m'ont laissé. J'habitais chez ma grand-mère qui se faisait vieille avec un de mes frères, l'autre étant parti à Berlin pour ses études.

Je travaillais dans un café restaurant la journée en tant que serveuse. J'étais assez bien rémunérée et je m'entendais bien avec la manager. Les pourboires n'auraient même pas pu me permettre d'acheter un roman par mois. L'autre métier, que je détestais, était de nuit dans un vidéo club. Oui, certains de ces magasins étaient ouverts la nuit et je n'y croisais pas les meilleurs personnes. Heureusement que ce magasin n'avait pas de cassettes de charme. Les pires pervers seraient venus les chercher en pleine nuit.
Bref, il me faudra beaucoup de temps avant que je puisse me payer cette maison avec véranda que j'espérais tant.

Mes économies ne me permettaient même pas de pouvoir au moins adopter mon chien, les soins vétérinaires allant griller mon travail acharné.

En bref, ma vie n'avait rien du conte de fée espéré. Je pouvais en vouloir à mes parents de nous avoir laissé dans cette misère, mais je pense que c'est inutile vu qu'ils doivent être aussi malheureux dans leurs petits problèmes excusant qu'ils abandonnent leur trois enfants. Ils le mériteraient.

J'avais au moins quelqu'un pour me remonter le moral. Je l'ai rencontré lors de mon service exceptionnel du soir. Il était de sorti avec ses collègues. Comme tous les bars de la ville étaient soit remplis soit fermé, il avait fini dans mon café. Parmi tous les salarimans qui braillaient alcoolisés, il était calme, assis à siroter sa bière en regardant sa montre. Il était élégant, beau et avait des yeux hypnotisant. C'était un curieux hasard que nous nous croisions cette soirée là. Je ne devais pas travailler et tous les bars les avaient chassé.

Evidemment, fidèle à moi-même, je l'ai simplement remarqué et imaginé un tas de scénario impossible. Mais je n'aurai pas pu penser qu'il aurait simplement dû que j'aille prendre ma pause à l'extérieur pour lui parler. Il grillait une simple cigarette alors que j'étais dans l'arrière boutique. Il m'a fait une remarque sur mon prénom, épinglé à mon uniforme.

Il m'a avoué qu'il pensait qu'il était un faux, comme si toute les serveuses s'en inventaient un. Je lui ai lâché sous le ton de l'humour qu'il n'était pas dans un club de strip-tease mais que celui-ci était un peu plus loin. Ca l'a fait soufflé du nez. Et j'ai renchéri, quand il m'a donné son prénom, que le sien n'était pas si commun non plus.

Livai Ackerman... je me demande s'il m'a donné son vrai nom. Je ne pense pas qu'à ce moment, il s'était dit que j'allais devenir sa maîtresse et qu'il devait garder sa vie privée. Sinon cet homme vit avec une assurance arrogante. Mais il n'aurait pas eu faux, il n'a pas fallu longtemps pour que je sois séduite.

Il est revenu un autre jour au hasard, seul.

C'était un cercle vicieux car je culpabilisais de ne ressentir aucun remords.

Son alliance, je l'avais remarqué le soir même. Et il n'a rien dis à ce sujet. Mais c'était comme si je l'avais effacé de ma mémoire à l'instant même.
En fait, il ne m'a jamais rien dis à son sujet, même pour son travail j'étais incertaine. Je n'avais que son numéro de portable et sa voiture, qui venait me chercher à la fin de mon service. On ne se voyait que quelques fois dans le mois et il était très calme à chaque fois. Parfois, nous ne faisions que parler puis il me ramenait chez moi.

Je n'aurai jamais cru que ma première histoire d'amour soit si amère. Car c'était évidemment une relation sans avenir, Livai n'était pas l'homme qui vivrait avec moi dans ma véranda.

J'ai pensé que c'était à cause de mon prénom ce qu'il m'arrivait. Quoique je ne peux pas vraiment dire si c'était un amour caché... c'était une connerie, une grosse. C'était si stupide que je n'arrivais même pas à en pleurer.

___

- Les cours d'art à la fac sont incroyables! Je ne regrette tellement pas d'avoir abandonné le droit pour y aller, s'exclame Bene en fouillant dans le menu.

- Je pensais que ce n'était qu'une bouée de secours en attendant que tu retrouves un nouvel objectif. Un milkshake à la framboise, s'il te plait!

- Elle aurait pu travailler, si ce n'était que ça, murmurais-je en tapotant mon crayon à mon calepin.

- Non, je trouve ça cool que tu ais trouvé un autre domaine qui te plait autant. C'est pas si facile après avoir été dans l'économie et le droit pendant des années, explique Iris. Comme d'habitude, s'il te plait.

- Ha mais tu n'as pas compris! C'est incroyable parce qu'on n'a rien à y foutre. C'est d'une facilité et d'un ennui sans nom! Grâce à ça, ça me fait une année tranquille à rien faire et à valider facilement puis je trouve autre chose. Et puis... ma mère arrêtera de me dire que je me la coulerai douce alors que j'ai quand même fait du droit pendant deux ans avec succès!

- Je pense qu'elle digère mal que tu ne veuilles plus être avocate. Tu nous bassines sur ça depuis tellement d'année.

- Bon, Bene! Tu commandes ou je repasse plus tard? Tu n'es pas la seule cliente ici.

- Oh, c'est bon, rouspète la rouquine. Je ne vais rien prendre, je suis au régime.

- Comment tu peux dire autant de mal sur ma fac d'art? Cela ne fait qu'une semaine que tes cours ont commencé, s'exclame Iris vexée! Tu vas voir dans un mois. Tu auras tellement de projets que tu couleras sans mon aide.

- On parie?

Je ramasse les menus en levant les yeux ciel pendant que mes deux amies se tapent dans la main.

- Et au fait Bene, si tu commences à faire un régime, tu vas juste disparaître. Même si ça nous ferait des vacances, qui reprendra de rôle de la bonnasse intelligente? Lâchais-je avant de m'éloigner de la table.

- Ce que Violet veut dire, c'est que t'en a vraiment pas besoin, entendis-je.

J'arrivais à la caisse pour commencer à préparer leur commande. En soit, il n'y a pas vraiment beaucoup de clients à cet horaire mais j'en avais marre d'entendre Bene et ses histoires d'orientation. Je suis peut-être un peu jalouse car ses parents ont les moyens de lui payer n'importe quelle fac. Et que Bene joue les incertaines à slalomer entre les filières.

- Bonjour, Violet, fit une voix familière.

Je me retourne pour voir Jane derrière la caisse, toujours aussi belle et souriante. Ce doit être une de nos clientes les plus fidèles. Elle vient plusieurs fois par semaine car elle dit être complètement accros à nos muffins aux myrtilles. On a pris l'habitude de lui en préparer un spécialement pour elle. En plus, ses pourboires sont généreux donc autant avoir l'air proche d'elle. Je suppose qu'elle ait assez seule pour venir presque tous les jours faire la causette à des serveuses.

- Bonjour Jane, votre muffin est mis de côté, comme d'habitude!

Cette fois, elle était accompagnée d'une blonde plutôt petite.

- Oh, bonjour, m'empressais-je de dire en la remarquant! Vous voulez commander quelque chose?

- Je vous présente Petra, nous sommes amis de notre cours de yoga. Je lui ai parlé de vos muffins et elle était curieuse, explique Jane avec délicatesse.

- Ha? Dans ce cas, je vous en prépare un tout de suite!

Dans un sens, je trouvais ça un peu triste. Je voyais ces deux femmes comme des personnes assez seule. Sûrement des femmes au foyer qui ont épousé des hommes riches qui ne sont jamais à la maison. Cela existe encore beaucoup. Ma mère était l'une d'elle. Après tout, peut-être qu'elle est partie pour aller épouser un de ces hommes plein aux as. J'espère qu'elle est malheureuse.

Je dépose les deux sacs devant le comptoir et Jane fouilla dans son portefeuille, parmi ses nombreuses cartes de crédit. C'était sûr pour moi qu'elle était riche, toujours avec des sacs sous les bras avec des habits qu'elle mettra la prochaine fois.

Je jette un oeil à mes copines un peu plus loin qui semblaient se chamailler, pas pressées d'avoir leur boisson.

Jane me lança un dernier sourire avant de s'éloigner avec cette amie du yoga. Je soupire et étire mon dos avant de me tourner pour prendre les boissons de mes copines. Cette journée me fatigue déjà.

- Oh, je vous en pris, rouspète Iris! Ce n'est pas la fin du monde! Je ne vous en ai pas parlé parce que je savais que vous alliez en faire toute une histoire.

- Non mais attends, tu sais bien que je suis allée à l'université de cette ville pour qu'on reste ensemble. J'étais prise ailleurs, je te signale, enchaîne la rouquine.

- Wow, quelle marque de générosité Bene... C'est rare venant de toi. Et si je me rappelle bien, c'était surtout parce que ton mec y allait également et oh... c'est vrai, il a changé de cursus, comme toi!

- Espèce de...

- Hé, mais qu'est-ce qu'il se passe?! Soupirais-je en posant leur commande. Parlez moins forts, toute la salle vous regarde.

- Désolé, Violet, me fit Iris avec un air coupable.

- Tu sais, c'est quoi la meilleure? Iris vient de nous apprendre qu'elle allait se barrer à Berlin! Sans nous prévenir!

- C'est ce que je viens de faire...

- Quoi? Pourquoi? Fis-je inquiète.

- Une meilleure opportunité là bas.

- Mais... l'année vient juste de commencer. Tu ne peux pas tout plaquer comme ça.

- En fait, j'avais demandé cette fac l'année dernière et je viens juste d'être acceptée. C'est un peu tardif mais je peux faire un changement même en cours d'année. Il faut que je me trouve un appartement rapidement.

- A...alors, c'est fini? Tu t'en vas, fis-je d'une voix blanche.

- Hé! Le dessin, c'est toute ma vie! Et cette fac, c'est une opportunité de dingue! Vous devriez être heureuses pour moi, les filles. Et puis, Berlin ce n'est pas si loin. Je reviendrai pour les vacances.

Le ton s'apaisa un peu à la table mais moi, je n'étais pas plus rassurée. J'étais même peinée de savoir que ma meilleure amie allait partir comme ça du jour au lendemain dans une autre ville. Je la connais depuis presque dix ans. Cette ville ne sera pas la même sans elle.

Franchement, je commence à détester cette journée.

___

La nuit tombée, les derniers clients partis, j'étais de fermeture du café. J'étais épuisée et la nuit ne faisait que commencer. Fermer signifiait que je devais ranger et nettoyer la salle. Cela m'occupait en attendant d'aller au vidéo club.

Je passais la serpille dans toute la pièce avec le poste allumée sur une chaîne de musique pop. Je remuais légèrement en rythme et fredonnais dès que je connaissais la chanson.

- T'as raté une tâche, là!

Je sursaute de peur avant de me retourner, serpillère en main. Mon amant était juste devant la porte du café que j'avais laissé ouverte par mégarde. Il fouillait dans sa veste, une cigarette à la main.

- L...Livai! Tu m'as flanquée une peur bleue.

- J'ai vu ça. Tu n'aurais pas été bien loin avec ça. Sérieusement, elle est vraiment en état? Soupira-t-il en s'avançant.

- Parce que tu t'y connais en ménage? J'aimerai bien t'y voir.

- Plus que tu ne l'imagines... souffla-t-il calmement.

J'avale ma salive pendant le silence qui s'en suivit. La musique sortait toujours du poste et la serpillère faisait une petite flaque sur le carrelage. Je me tourne, mal à l'aise.

- Je... Tu ne m'a pas envoyé de textos pour ce soir?

- Ah, oui? Alors, pourquoi la porte était ouverte? Tu attendais désespérément que je vienne?

Je dirais plutôt que c'est toi qui doit être désespéré pour tromper sa femme avec une serveuse. Mais je gardais cette réflexion pour moi. Cela faisait des mois que je fréquentais Livai donc j'ai vite compris que l'irriter n'était une chose à souhaiter, même pour mon pire ennemi.

- Tu pourrais fumer à l'extérieur, sil te plait. Je ne lave pas pour qu'il y ait une odeur de tabac dans la salle.

- Tu es libre ce soir? M'ignora-t-il.

- Non, visiblement. J'adore passer mes nuits à nettoyer le sol.

- Ok, excuse moi de t'avoir fait peur. Ca te va?

Je fus étonnée qu'il ne riposte pas à ma remarque. J'arrête mon activité pour réfléchir un instant. Il avait décidé de ne pas m'écouter car il continuait de griller sa cigarette juste devant mon nez. C'était limite s'il ne me soufflait pas la fumée dans la figure.

- Je dois aller au vidéo club à trois heures du matin.

- Tch... Donc tu voudrais aller dormir? Si tu veux, je peux te payer l'hôtel.

Je lève un sourcil. A quoi bon me payer l'hôtel? J'ai une maison et il le sait. J'aurai eu plusieurs interrogations à cette proposition mais je n'aurai pas aimé les réponses donc j'ai simplement acceptée, trop curieuse.

Il m'a accompagné dans un silence de plomb vers sa voiture. C'était toujours le même hôtel et souvent la même personne à l'accueil. Elle ne disait rien même si elle savait. Elle semblait nous connaître, mais pas Livai indépendamment. Elle l'a rencontré en même temps que moi, ce qui voulait dire que j'étais la seule femme qu'il fréquentait ou alors, il allait dans un autre hôtel.

Encore des questions où je ne veux pas de réponses.

Il a défait son costume pendant que je me suis assise sur le lit.

- Tu veux prendre une douche? Demanda-t-il en fouillant dans sa serviette.

- J'en ai pris une avant de partir.

On avait 4 heures à tuer dans cet hôtel. Je le regardais alterner entre la salle de bain et la chambre. Puis son regard se posa sur moi, toujours assise en tailleur entre les draps.

- Pourquoi tu dors pas?

- Hem... heu... Je ne comprend pas, bégayais-je.

- Si je t'ai pris cette chambre, c'est bien pour que tu dormes.

- Ah... Et tu vas partir?

- Pourquoi? Je vais te manquer?

Je gonfle mes joues et décide de ne pas lui répondre en m'engouffrant dans les draps. Enfin, cet homme est venu s'asseoir à côté de moi pour embrasser mon front.

Il est un imbécile...

Je suis censée ne pas m'attacher à lui.

___

Il m'a laissé à trois heures devant mon travail, comme convenu. Il ne s'est rien passé d'autre mise à part le fait que j'ai pu me reposer. Il est venu s'allonger un moment à côté de moi sans dormir pour autant. Il est insomniaque.

Je n'ai pas compris ce moment.

Au petit matin, je suis rentrée chez moi où j'y ai trouvé mon frère devant la télé. Je n'ai même pas prêté attention aux bouteilles au bord du canapé pour aller voir ma grand-mère dans son lit. Son état s'est aggravé ces derniers temps. J'ai dû piocher dans mes économies pour payer ses soins.

J'ai l'impression d'essayer de porter cette famille à bout de bras alors que je suis la plus jeune. On dirait que les Fiducia ne sont pas fait pour briller. Même moi, je n'ai pas à me vanter. Je fricote avec un homme marié depuis presque un an alors que mes copines réalisent leur rêve. Iris va partir à Berlin, Kiama est toujours dans ses études et Bene a les moyens de trouver sa voie.

Si ça se trouve, dans cinq ans, je serais toujours dans ce fichu café à passer mes nuits dans un hôtel.

C'est à cet instant, allongé sur mon lit en train de m'endormir que je me suis demandée si je ne devais pas arrêter de forcer ma vie dans cette ville. Peut-être qu'il serait temps que je parte aussi.

___

- Attends, ce n'est pas parce que je m'en vais que tu dois en faire de même. Et la fac de médecine? Je trouvais que c'était un projet intéressant et tu as toujours aimé les sciences...

Je lance un regard lourd à Iris pendant que je remplissais la machine à café.

- Facile à dire. Je n'ai pas l'argent et quand bien même, comment allier une filière aussi compliqué avec deux boulots. Et puis... médecine, ce n'était qu'une hypothèse. Je voulais juste quelque chose qui gagne bien.

- Et tu penses que tout ira mieux à Berlin? Et ta grand-mère? Elle va mieux?

Je m'arrête un instant en réalisant qu'elle avait raison. Mon amie me lança un sourire convaincu derrière le comptoir.

- Je n'en peux plus, chuchotais-je...

- Quoi?

- Rien! Tu as raison. C'était une idée folle. N'en parlons plus.

En me tournant, je tombais sur Petra à côté d'Iris.

- Oh, bonjour! Vous désirez?

- Deux de vos délicieux muffins et un cappuccino.

- Bien sûr!

- Bientôt, il faudra peut-être que vous mettiez de côté pour moi aussi.

- Et pourquoi pas, ricanais-je? J'aime la régularité!

- Oh, vous êtes comme mon mari. En quelque sorte, je pense qu'il déteint sur moi. Je voulais lui faire goûter tellement j'ai insisté sur votre pâtisserie.

Tellement d'enthousiasme pour un muffin? Ce n'est plus de la solitude à ce niveau là, c'est de la passion malsaine. Même au regard d'Iris, je compris qu'elle aussi trouvait son comportement bizarre.

- Jane n'est pas avec vous, demandais-je en faisant semblant de m'intéresser?

- Non... Elle n'était là aujourd'hui. Je ne sais pas ce qu'elle a. Je vais la voir juste après. Oh mais j'y pense, je devrais lui en rapporter un aussi! Ca lui ferait certainement plaisir si elle est chagrinée.

Quelle commère! J'acquiesce juste en la servant mais je levais les yeux ciel dès que j'étais dos à elle. Jamais il ne me viendrait à l'idée d'aller raconter ma vie à une inconnue. Pendant que Petra s'en allait, mon téléphone sonna dans ma poche.

- Pour en revenir à notre discussion, je comprend ton idée de changement. Après tout, ça fait vingt ans que tu es dans cette ville. Même si elle est grande, on y a vite fait le tour. Et puis... ton frère sera toujours là pour ta grand-mère.

- Mon frère est un con qui ne sait pas garder un boulot plus de deux mois! Si je pars, je lui donne une semaine avant de mettre le feu à la maison et ma grand-mère ne me le pardonnera jamais. Hier, j'ai pris une décision égoïste car j'étais triste. Cette femme s'est occupée de moi comme si j'étais sa fille. Je ne vais pas la laisser livrée à elle-même.

- Violet... Hem... Tu n'aurais pas... un problème avec l'abandon?

Le texto, c'était Livai. C'était bien la première fois qu'il me demandait de se voir deux jours d'affilés.

___

- Tu es bien silencieuse ce soir, murmura Livai en tapant mon pied sous l'eau.

Je rassemble le peu de mousse qu'il reste dans le bain pour la mettre devant moi. Le noiraud tendit la main pour s'allumer une cigarette.

- Parce que tu es quelqu'un de causant, peut-être?

- Je dis juste que d'habitude, c'est toi qui anime la soirée, mais tu es muette depuis qu'on est rentré dans ce bain.

- Je réfléchis.

- Hum hum...

Il y eu un nouveau silence. Il approcha le cendrier du bord et tira quelques taffes en évitant mon regard. J'enfonce mon menton sous l'eau et éloigne mes jambes du centre de la baignoire. Elle était assez grande pour nous deux. Je louche sur ses épaules qui n'ont pas vraiment l'allure d'un salariman ordinaire. J'ai presque des doutes sur son travail.

- Il s'est passé quelque chose?

Je lève le regard vers l'homme qui me fixait lourdement.

Il savait quelques brides de ma vie. Que j'étais orpheline et que je vivais chez ma grand-mère. Que mes deux boulots étaient pour me faire des économies. Et quelques trucs dans le genre...

Alors que lui, je n'avais que son prénom (peut-être faux) et son âge à coller sur son visage. Ca et les habitudes que j'ai remarqué chez lui à force de le voir. Cette manie de fumer n'importe où. Il ne parle jamais quand il juge que ce n'est pas nécessaire. Il ne sourit et ne rigole pas. Sa conduite est un peu brusque. Il commande toujours du thé noir sans sucre et sans lait et il n'aime pas les gâteaux. Il est brusque dans ses propos mais n'est pas méchant.

En fait, c'est même l'une des personnes les plus attentionnées que je connais, à sa manière. Mon cœur d'artichaut ne le supporte pas.

Je sors de mes pensées:

- Oui, en quelque sorte.

- C'est-à-dire?

- Ma meilleure amie va bientôt partir à Berlin.

- Ah...

Je souris, mal à l'aise. Je savais que cela allait être un non évènement pour lui. Le départ de quelqu'un n'est pas si dramatique. Enfin... mon ton devint plus monotone pendant que je regardais les dernières bulles disparaître.

- En fait, à cause de ça, j'ai eu l'idée stupide de vouloir la suivre. Et... elle m'a dit que... j'avais certainement un problème avec l'abandon.

- Pourquoi?

- Je... Peut-être parce que mon père est parti quand je suis née et que ma mère nous a abandonné quelques années après. Je n'ai jamais réussi à leur pardonner.

Il y eut encore un silence. Livai écrasa sa cigarette en soufflant le reste du fumée. Je me sentais idiote de dévoiler cette partie de moi.

- Elle a pas tord, cingla-t-il en tranchant le silence.

- A...ah bon? Je pensais que tu allais trouver ça ridicule.

- Quand il t'arrive des merdes gamins, tu t'en souviens toujours une fois adulte. Ce qu'a fait ta mère est dégueulasse. Certes, ton mari s'est barré mais c'est pas une raison pour abandonner tes gosses.

- Tu penses ça? Je croyais que j'étais trop égoïste à ne pas essayer de la comprendre. Tout le monde me rabâchait qu'elle avait certainement ses raisons et que je n'avais pas à être aussi mauvaise!

- Comment on peut te sortir ça? On parle d'un abandon! Elle t'a laissé à ses parents qui auraient pu l'aider. Je ne lui vois pas d'excuses.

J'acquiesce légèrement. Mes jambes s'allongèrent de nouveau et son pied les caressa un peu. Je soupire:

- Iris a peut-être raison. J'ai dû mal à certainement lâcher les gens que j'aime car je ne veux pas revivre la même chose. Même si elle ne fait que partir... ça m'a blessé.

Livai me fit signe d'approcher avec un coup de main. Je m'exécute en glissant dans l'eau jusqu'à lui. Je me retrouve sur ses cuisses alors qu'il passa une main dans mon dos.

- Et toi, tu vas faire quoi quand tu auras assez d'argent?

- Je n'en sais rien. Il y a encore quelques heures, je me voyais partir à Berlin donc je pense que je suis juste paumée.

Ses lèvres embrassèrent les miennes rapidement et je rougis.

- C'aurait été dommage que tu partes.

J'écarquille les yeux pendant qu'il m'embrasse de nouveau. Lorsqu'il m'enlaça entièrement, un sentiment doux amer me traversa. Le même que je ressens quand je le vois arriver en voiture.

Même en me répétant que tout est éphémère en ce qui concerne Livai, dès qu'il pose ses lèvres sur mon corps, j'espère au fond de moi que ce sera pour toute la vie.

Est-ce que je vais bientôt commencer à en souffrir? Je ne sais pas. Après tout, si Iris a raison, j'aurai mal au cœur quand Livai sortira de ma vie.

___

Quatre mois s'étaient écoulés depuis qu'Iris était parti à Berlin. Rien n'avait changé de mon côté, je travaillais, je dormais et ça pendant des semaines et des semaines, toujours aussi fatiguée. Benedict croulait sous les projets scolaires et Iris se moquait bien d'elle par téléphone pendant que la rouquine pleurnichait. Mon frère a trouvé un job dans une supérette. A combien de temps avant qu'il redevienne kleptomane?

L'état de ma grand-mère s'était stabilisé. J'avais l'impression de lui donner toute ma force car j'étais un peu plus fatiguée chaque jour. Le médecin de ma famille m'a gentiment prescrit un traitement et m'a proposé de vérifier si j'étais anémique. Ce sera juste un problème de plus, même si je savais que c'était l'accumulation de travail qui m'épuisait.

Je me demande si mon corps tiendra encore longtemps. Je suis loin d'avoir assez d'argent pour vivre de quelque chose. Pourquoi je vis dans une ville aussi chère?!

- Vous allez bien, Violet?

Je réalise que je faisais déborder le café de Jane. Je me redresse et essuie vivement les tâches laissée.

- Excusez moi! Vous voulez que je change votre verre?

- Non, ce n'est pas grave. Vous avez l'air un peu pâle. Vous êtes sûre que tout va bien?

- Oh oui, m'exclamais-je ne voulant pas étaler ma vie à ma cliente! Juste un conseil, ne soyez pas serveuse.

- Oh oui, je ne pourrais pas. Jamais je ne serais capable de faire d'aussi bons muffins!

Mais bon sang, qu'est-ce qu'ils ont, ces muffins, pour lui paraître si extraordinaire?! Je les ai mangé... Ce sont des simples muffins quoi? Et puis... ce n'est même pas moi qui les fais, je me contente de les servir. Mais bref... cette Jane semble dans son monde parfait.

Une fois la commande donnée, elle ne sembla pas bouger immédiatement donc je dus renchérir:

- Hum... Votre amie hum... Petra n'est pas là?

Elles avaient pris l'habitude de venir ensemble comme de vraies copines. Même si quand je les voyais séparément, Jane semblait moins affectée par l'absence de Petra.

- C'est sans importance. Elle a dû passer chez le toiletteur pour son chien. Un caniche... ouh! Je les déteste.

- Ah... bon?

- Mon mari a essayé de me refiler un chien une fois. Je l'ai ramené vite fait bien fait au chenil. Ces animaux sentent mauvais et laissent des poils partout, surtout sur mes beaux canapé en cachemire.

Cachemire? Son mari doit définitivement être très riche. Rien qu'un vêtement avec ce tissu me couterait un mois de salaire alors un meuble! Je n'ose l'imaginer...

- J'aime bien les chiens, avouais-je. Je rêve d'en avoir un, un jour.

J'ai réussi à écourter la conversation et Jane est partie toute guillerette, laissant place à Benedict que je n'avais même pas vu entrer. Elle sirotait déjà un jus de pomme en barquette, des cernes aussi grande que la pochette remplie de dessins sous son bras. Malgré ça, elle semblait plus dépitée par ma propre mine au bord de l'endormissement.

Elle finit lentement son jus de pomme avant de prendre la parole, un léger sourire espiègle:

- Il est tant que tu te trouves un copain. Ou tu vas finir par vraiment faire amie amie avec cette Marie-Jane je ne sais quoi qui semble vraiment bien seule.

- Oh crois moi, cette femme est seule mais riche. Je l'envirais presque. Je pourrais dormir toute la journée.

- Un luxe que j'aimerai bien avoir également. Le droit me manquerait presque. Travailler cinq heures sur un projet pour obtenir un sept me donne des envie de corde au cou. Un café, je t'en supplie. Plus vite il sera fait, plus gros sera ton pourboire.

- Pas de pourboire, on a dit! Et je prendrais le temps que je veux.

- Iris est revenue aujourd'hui. Je pensais que ça allait te redonner la pêche. On va aller au bar après ça. J'ai bien envie d'oublier les trois exposés et le mémoire que je dois rendre avant les vacances.

- Cela fait une éternité que je n'ai pas bu, remarquais-je. Avec mon train de vie, ce n'est plus vraiment possible. Je vais faire une impasse ce soir car demain, c'est dimanche.

- La dernière fois que tu étais bourrée, tu as énuméré tous les hommes qui t'ont fait pleurer. Tu n'arrêtais pas de donner des détails bidons et de finir par les insulter de ne pas t'avoir remarqué. C'était très amusant, jusqu'à ce que tu te mettes à pleurer... C'est drôle mais tu ne nous parles plus vraiment de ça en ce moment. Toi, le cœur d'artichaut... Tu ne te serais pas trouvé quelqu'un?

Encore une fois, le café a failli couler. J'affiche une mine décontractée en lui tendant.

" Oui, bien sûr Bene! Je sors le soir avec un homme marié dont je ne sais rien. "

- Non.

- Trop violent comme réponse, ricane la rouquine. Normalement, tu m'aurais traité d'imbécile avec une tête déconfite et frustrée de savoir que j'ai raison. Tu me caches quelque chose, ma petite Violet. Et j'arriverai à le trouver.

Elle but plusieurs gorgée avant que ses yeux étincelles.

- Oh... Imagine, comme Iris, tu joues dans l'autre cours. Et en fait, tu te tapes la Marie-Jane Richos en secret. C'est pour ça qu'elle te fait la causette tous les jours. Vous vous voyez en secret?

- C'est débile... Où est-ce que tu vas chercher des scénarios pareil?

- Pour en savoir plus sur cette histoire cochonne, rendez-vous ce soir au bar! S'exclame Bene en s'éloignant pour laisse le mystère planer.

Il n'en fut rien. Quand je suis arrivée après mon service, les filles avaient déjà commencé à boire et Benedict avait complètement oubliée cette histoire, concentrée à nous raconter sa rencontre avec "un bel artiste aux pommettes délicieuses".

Ce n'est pas moi qui ait inventé ce surnom, je vous rassure. Même si j'aime dire que Livai a un regard envoutant, cela n'a rien a voir.

Bref, c'était une soirée de retrouvailles avec Iris qui n'avait pas tant changé que ça. Elle s'était juste laissé pousser les cheveux. On a bien rigolé et ça m'a fait bien de sortir un peu. Surtout que quand je suis rentrée chez moi, j'ai dû m'occuper de la maison avant de m'écrouler pour subir mon dimanche. Le soir, j'ai reçu un texto de Livai, très rare car nous n'étions pas en semaine mais j'ai décliné, pas du tout d'humeur.

Les vacances commençaient par... du travail. Seul Iris était en vacances réellement. Alors que je sers quotidiennement des cafés, elle aura son premier diplôme en fin d'année pour espérer une meilleure école, toujours à Berlin.

- C'est la cuite de samedi qui t'a rendu aussi léthargique? Demanda ma meilleure amie.

- Non. Je fais très certainement de l'anémie. Même si j'ai vraiment eu la gerbe. J'ai bu trop de bière. Je ne pensais pas que je vieillirais aussi vite au point de ne plus supporter l'alcool à vingt ans.

- A qui le dis-tu? J'ai dormi quinze heures hier. Je me suis simplement réveillée pour manger.

- Je suis contente que tu sois revenue, avouais-je avec un sourire.

Dès que j'ai vu Jane et Petra entrer dans la café, je me suis retournée pour prendre leur commande. Je n'ai aucune envie de devoir discuter des heures avec elle.

- Bonjour! Vous boirez quelque chose avec ça?

- Je dirai un cappuccino et un thé noir, s'il vous plait.

- Et moi, un café.

Après que me soit tourné vers le distributeur, Jane enchaîna:

- Oh, et je vais prendre un autre muffin, s'il vous plaît. C'est pour mon mari.

J'avais fait part, hier, des deux femmes à la fascination étrange pour les muffins. On a bien rigolé dessus pendant une demi heure, leur inventant une vie bien burlesque. Maintenant qu'Iris les avait en face d'elle, elle se contenta de m'échanger un regard plein de sous-entendus.

- Bonne journée, mesdames, fis-je avec un grand sourire quand elles quittèrent les lieux.

- Oh mais il est midi! Je vais m'installer à une table s'il en reste...

- Tu veux manger quoi?

- Un hamburger. Prends ta pause avec moi!

- Non... Je n'ai pas très faim. J'ai l'impression d'avoir encore de la bière dans le sang et que je peux dégobiller à tout instant.

- Charmant!

___

En sortant du café, la nuit tombée, le froid de l'hiver m'a glacé les joues et j'ai juré d'avoir mis une robe aujourd'hui. Il neigeait. Pendant que je me dépattais avec la neige qui s'était entassée dans mes cheveux, les fars d'une voiture illumina aussitôt la rue.

Je la reconnus aussitôt, surtout quand elle s'arrêta juste à côté de moi. La vitre s'abaissa et le visage de Livai apparut.

- Ca ne te dit pas monter plutôt que de rester dans le froid?

Je regarde des deux côtés pour constater que la rue était vide avant de monter dans sa voiture. Je frotte mes jambes gelées, insuffisamment protégée par mon collant.

- Qu'est-ce que tu fais là? J'ai décliné hier...

- Hier, c'était hier.

J'acquiesce seulement de la tête, songeuse. Il avait la même attitude décontracté que d'habitude, roulant calmement vers l'hôtel. Sa main droite tenait le volant pendant que l'autre soutenait négligemment sa tête. Sa mâchoire, elle avait quelque chose de tranchant. Elle était si définie que je la sentais dès que je venais l'embrasser.

Ce que j'aime, c'est que j'ai l'impression d'être une autre fille quand je le rencontre. Celle que j'ai toujours voulu être. Plus confiante et heureuse, qui s'imagine plus rien car elle a déjà l'homme dans ses bras.

Ou... peut-être que c'est une excuse pour me dédouaner de cette situation.

C'était en hiver, alors qu'il neigeait, qu'il m'a rejoint dehors pour la première fois. Cela voulait dire que nous nous connaissions depuis un an déjà. Je n'aurai jamais imaginé que cela dure aussi longtemps. Ce simple instant, cette simple nuit où j'oublie tout pour être dans ses bras.

- J'ai quelque chose sur le visage, fit Livai en tournant un oeil vers moi.

Je fais mine de me rapprocher. Je n'allais pas accepter le fait que je l'observais depuis tout à l'heure. Dès que sa voiture s'arrêta, je déposais un baiser sur cette mâchoire qui me donnait tant envie.

- Non, rien, susurrais-je en m'éloignant...

Il n'a pas réagi de suite. Mais quand on tomba sur un feu rouge, il détacha sa ceinture pour fondre sur moi. Sa main pressa ma hanche et l'autre mes cheveux pendant que sa présence m'enveloppa toute entière. C'était si soudain que j'ai oublié de fermer les yeux au début. Mon être se réchauffa tout en entier pendant que ses baisers se répétaient. Ma main agrippa son beau manteau en laine. Mon ventre bouillonnait et...

Il s'éloigna, interloqué. En fait, je n'étais pas excitée: j'avais faim. Mon ventre gargouillait. Je me sentis bien idiote tout à coup mais Livai souffla simplement du nez:

- T'as pas mangé?

- N...non, je n'avais pas très faim ce midi.

Comment interrompre un moment pareil? Je remet mes cheveux en ordre car il a la sale habitude de toujours y mêler ses mains.

- Tiens, mange ça.

Il fouilla à l'arrière de sa voiture pour me donner un gâteau un peu écrasé. Hum... ce n'est mieux que rien. Livai redémarra au feu vert mais je n'avais pas bougé d'un cil. Je continuais de scruter ce qu'il venait de me donner.

Un muffin à la myrtille... Pourquoi cela semble si ironique?

Je mord dedans et mon sang se glace. J'avais à peine fini de le mastiquer que je bafouais:

- Où tu l'as eu?

- Quoi? C'est un muffin, rien de plus.

- S'il te plaît!

- Hein, heu... J'en sais rien. Ma femme me l'a donné aujourd'hui mais elle ne retient pas que j'aime pas les gâteaux, explique-t-il nerveusement.

Sa femme... mange des muffins de mon café... Si cela se trouve, je l'ai déjà servi plusieurs fois! Livai alterna entre la route et moi, voyant que je restais figée, un bout du gâteaux encore en bouche.

- Ca va? Si c'est pas bon, t'es pas obligé de le manger.

Je détourne la tête, dégoûtée.

- Si, c'est bon... murmurais-je. C'est même le putain de meilleur muffin que j'ai goûté de ma vie!

Livai n'ajouta rien à ma remarque mais je savais qu'il ne comprenait pas mon attitude. Je n'avais pas envie de lui expliquer.

Je n'avais pas envie d'expliquer à qui que ce soit la gêne et le malaise immense que je ressentais. Etre la maitresse de Livai était déjà quelque chose de mal. Mais n'avoir jamais vu cette femme me permettait de me sentir moins coupable. Je n'avais pas de visage à donner à cette pauvre femme.

Mais là, la donne avait changé. Je la connaissais. Je l'avais déjà vu au moins une fois si elle était passée dans mon café. Elle se serait présentée en face de moi sans savoir que je voyais son mari. Elle pourrait être déjà n'importe qui. Elle lui a donné un de ces stupides muffins pour lui faire plaisir! Elle doit l'aimer sincèrement et c'est moi qui suis dans sa voiture ce soir.

Il faut que ça s'arrête!

- Livai, je...

- On est arrivé.

Je lève le regard et vois, à travers les essuie glace qui chassent la neige, ma maison. Il ne m'emmenait pas du tout à l'hôtel. Je reste perplexe quelques secondes.

- Je... Si c'était pour me ramener chez moi. J'aurai pu le faire toute seule, m'exclamais-je!

- Ouais mais il faisait froid ce soir. Et les bus ne circulaient pas.

- Evidemment! On est en hiver!

Ne cherche pas des excuses comme ça, ça te rend encore plus attachant.

Dès qu'il m'enlaça une dernière fois, j'étais devenue muette. Plus aucun son ne sortit de ma bouche. Je voyais juste ce misérable muffin dans ma main, entrain de nous juger.

Il est vraiment un imbécile...

___

Je note machinalement le mot "D cap" sur mon calepin pendant que Benedict nous raconta sa dernière aventure palpitante avec son artiste. Elle semblait tellement passionnée et mes amies également qu'elles n'ont pas remarqué tout de suite ma mine dépérie. En fait, elles se sont contentés de parler jusqu'à ce que je m'éloigne de leur table pour prendre une autre commande.

Même si cela avait souvent été des catastrophes, les histoires d'amour de Bene sont saines. Par le simple fait qu'aucun des deux ne soient engagées. Je n'ai connu que ça moi. Livai est le seul homme que j'ai eu dans ma vie. J'aimerai savoir ce que ça fait de pouvoir simplement se tenir la main dans la rue ou s'embrasser sans se cacher. Et je sais comment j'y arriverai et c'est en quittant cet homme.

J'arrivais à la caisse où ma collègue prenait les commandes. J'avais réussi à éviter ça aujourd'hui pour servir la salle qui n'était pas fréquentée à ce moment de la journée. Un peu de répit ne fait pas de mal. J'ai reçu un texto me disant que mes examens pour l'anémie devaient être arrivés. Je lance un regard à mes amies toujours en grande discussion, me disant que leur commande peuvent attendre.

Je pique l'ordi du travail quelques secondes pour récupérer mes résultats.

- Alors Violet, on n'a pas les moyens de se payer un ordi, ricana ma manager?

- Désolée Rico, je viens de finir de l'emprunter.

- Je te trouve vraiment fatiguée en ce moment. Si t'as besoin de cognées, tu peux me le demander. Tu n'en as pas pris pendant Noël.

- Oui, je sais, murmurais-je en fouillant dans mes dossiers. Mais je n'en avais pas vraiment besoin. J'en prendrais sûrement lors de mon anniversaire.

- C'est quand?

Je ne lui répondis pas tout de suite car je lisais vite mon résultat sans n'y rien comprendre, à décrire toutes les choses dans mon sang.

- En mars...

- Dans ce cas, tu n'y échapperas pas cette fois, ricane Rico en tapant mon dos. Je te mettrais à la porte s'il le faut.

Mais je n'ai pas ri. Alors qu'elle s'éloigna pour retourner dans la cuisine, je suis restée figée sur mon portable comme si le temps s'était arrêté. Je m'accoude au bar en lisant encore et encore ces deux mots qui m'expliquaient la conclusion de mes analyses sanguines.

"Grossesse confirmée"

- Oh bonjour, Mme. Ackerman!

Je sursaute après ce que ma collègue venait de dire. Je fais tomber mon portable au sol sous le coup de la surprise et me retourne, une sueur au front. Je devais être blanche comme un linge, en croisant ce regard si familier.

Le visage de Jane devint flou à mesure que je la découvrais, en fait, tout devenait flou. Puis noir, comme si j'étais tombée au fond d'un puit et qu'il n'y allait avoir plus personne pour me récupérer.

C'était... comme si tout s'était enchainé pour me punir, me forcer à vivre cette chaîne infernale. Je repassais en boucle cette scène, semblable à un vieux film dramatique. Il avait juste manqué l'intensité musicale pendant que je tombais au sol. Et les mines dépéries de chaque acteur autour de moi.

Mais les acteurs jouaient, ils savaient au fond d'eux ce qu'il se passait, l'enchaînement burlesque que je venais de vivre. Là, personne ne savait ce que je vivais. J'étais seule. Il suffisait d'un seul mot pour couper le jeu et tout s'arrêtait. Quel mot je devrais dire dans cette situation? Pour arrêter ce massacre...

- Ca va. Tout va bien, murmurais-je en prenant le verre d'eau que Bene me tendait.

Toutes ces personnes autour de moi me donnaient mal à la tête. J'étais encore assise au sol, trop fragile pour me relever alors ils étaient tous penchés au dessus de moi. Mes amies, mes collègues et Jane qui m'inspectait avec une sincère inquiétude. Mon cœur se remplit de honte.

Je tourne l'oeil quelques secondes pour voir aussi tous les clients que étaient intéressés par la scène. Je bus une gorgée de l'eau fraîche.

- Non, ça ne va pas, rouspète Iris! Tu aurais pu vraiment te faire beaucoup plus mal en tombant. Heureusement que hem...

- Luisa.

- Luisa t'a rattrapé, finit-elle. Je crois qu'il faudrait t'emmener à l'hôpital.

- C'est juste une chute de tension. C'est la fatigue...

- Tu es restée inconsciente pendant cinq minutes avant de te réveiller pour vomir! Il n'est pas question qu'on te laisse tranquille.

- Ok... D'accord, mais... Vous pouvez me faire sortir d'ici, sanglotais-je. Je voudrais juste respirer un peu.

Iris m'enlaça. C'était normalement pour m'aider à me relever mais l'étreinte me partagea son inquiétude. Encore trop faible et sans mots, je me contente de la serrer un peu plus. Dans la situation où j'étais, c'était toujours ça de prit.

___

L'écran de mon portable est cassée. Cela aurait été embêtant en tant normal mais j'avais une autre chose à laquelle penser. Un portable, ça coute cher mais il marche toujours malgré ça. Il peut vite être remplacé si il ne me convient plus. Il y a des problèmes qui se règlent facilement dans la vie. Et il en a d'autres... qui se promettent d'être tenace.

- Votre grossesse est bien confirmé, m'explique la médecin en me montrant la photo.

Ce n'était rien d'autre que des amas de tâches noires et blanches qui devaient former mon utérus. Mais je ne voyais rien dans tout cela.

- Le petit rond juste ici est la poche et...là, le point noir: c'est votre bébé.

Je reste sans voix pendant qu'elle me montre quelque chose qui n'a aucun sens.

- On considère que le premier jour des dernières règles est la semaine zéro. Vous en êtes donc à la cinquième semaine.

Voyant que je reflétais toujours aucune émotion. Elle arrêta de griffonner sur sa feuille et se tourna vers moi.

- Cette grossesse... était voulue?

- Non, fis-je fébrilement.

- Souhaitez-vous l'interrompre?

Je lève enfin les yeux vers elle. Mon corps est froid, comme s'il était mort. Mais elle m'adressa un sourire chaleureux:

- Vous avez encore du temps pour y réfléchir. Revenez dans deux semaines quand vous aurez les idées plus claires. Si vous décidez d'avorter, le plus tôt sera le meilleur pour votre corps.

Je n'ai rien fait d'autre que d'acquiescer pendant tout le reste du rendez-vous. Je suis ressortie et Iris m'attendait de pied ferme dans sa voiture. J'étais encore trop sous le choc pour lui expliquer la situation donc elle m'a simplement ramenée chez moi et a tout expliqué à ma grand-mère.

J'ai passé les jours d'après à pleurer dans mon lit.

De toutes les punitions que l'on aurait pu me faire, c'était la pire. Comme si j'avais trainé mes pêchés trop longtemps et que le ciel m'envoyait un signe pour me dire que j'étais en train de foutre ma vie en l'air.

Je ne voulais pas d'enfants. Jamais.

Je voulais une maison avec une véranda, un mari et un chien. C'était tout ce que je voulais et j'ai tout gâché. Juste pour vivre dans les draps d'un homme marié quelques misérables nuits.

Je ne pouvais pas le garder. Mais en interrompant la croissance de ce petit être, j'aurais juste l'impression de voir ma mère dans la glace pour le restant de ma vie. J'aurai fait comme elle, abandonner son enfant pour espérer une vie meilleure.

C'était ça, mon châtiment.

Je suis retournée travailler la mort dans l'âme. Iris était reparti à Berlin et Bene et Kiama s'étaient replongées dans leur cours de façon acharnée. J'étais toute seule, coincée derrière cette caisse de ce café où j'avais assez vu la couleur. Et rien ne s'arrangeait quand Jane passa la pas de la porte avant son grand sourire aveuglant.

Je bafoue un bonjour avant de me retourner pour choper sa commande. Je voulais expédier cette rencontre au plus vite, comme si n'importe quel signe allait me tromper.

- Au fait, vous n'étiez plus là ces derniers jours. J'espère que vous allez mieux après votre perte de conscience.

- Oui, juste un peu surmenage, expliquais-je avec un sourire coincé. C'est pour ça que j'ai pris quelques jours de congés.

- Vous devriez prendre soin de vous. Une jolie fille comme vous ne devrait pas autant travailler de la sorte.

Je regardais cette femme que j'avais fréquenté pendant des mois et qui avait toujours été gentille. Je me moquais un peu de sa passion pour nos gâteaux et l'ennui mortel qu'elle devait vivre. Ce n'était pas gênant car je pensais que je ne faisais rien de mal à cette femme.

Mais je me remémorai que dès que Jane me parlait de son mari, il s'agissait en fait de Livai.

J'ai vraiment honte...

- Jane, vous n'avez pas à vous en faire pour moi. Vous...

Je marque un léger temps pendant lequel je mordille ma lèvre.

- Vous me faites réaliser que l'on devrait avoir des bons de fidélités. C'est injuste que vous veniez presque tous les jours sans bénéfice!

Est-ce que je viens vraiment de sortir ça?

- Ma foi, je ne dirais pas non! Cela fera toujours une carte de plus avec toutes les autres. Ce sera mon excuse pour demander un nouveau portefeuille à mon mari.

Je me crispe de nouveau mais garde la tête froide jusqu'à ce qu'elle sorte du café. Pour elle, c'était notre banale rencontre de chaque matin mais... pour moi...

Ma manager m'avait entendu parler des bons de fidélités et se demanda pourquoi nous n'en avions toujours pas. Je ne sais pas pourquoi mais elle a voulu m'intégrer au projet sous excuse que c'était moi qui avait proposé l'idée. Je n'étais pas plus intéressée par le business du café car je ne compte pas y travailler indéfiniment.

J'envoyai un texto à Iris pour lui demander si je pouvais l'appeler après que j'ai quitté le café même s'il était tard. J'avais hésité à tout lui raconter car nous sommes amies depuis tellement longtemps qu'elle connait tout de ma vie et m'a toujours conseillée.

La porte du café s'ouvrit et il passa le pas de la porte, le manteau rempli de neige. Il semblait assez énervé de par ses lèvres serrées et son regard glaçant, plus que d'habitude je veux dire. Il faut dire que j'ignore toute forme de contact avec lui depuis longtemps. Je retardais ce moment...

Je range mon portable alors qu'il se contentait de rester prostrer à l'entrée.

- Je peux savoir ce qui t'arrive? Cingla-t-il.

Je lève un regard sévère sur lui.

- Tu fais la morte et je ne sais pas pourquoi?

- Je ne suis pas une cloche qu'on peut sonner, Livai. Comprend mon silence comme le fait que je ne veux pas te voir ou plutôt... plus te voir.

Il prit un air incrédule et sortit les mains de ses poches pour les écarter.

- Hein? C'est quoi cette histoire? Tu vas me dire à la fin ce qu'il se passe?

- Il se passe que: Jane, l'interrompis-je lourdement!

Son expression se figea. Ses bras retombèrent le long de son corps.

- Quoi?

- Ta femme! Elle vient tous les jours ici! Au même putain d'endroit où t'es en ce moment! J...j...je ne peux pas. Je supporte pas de savoir que depuis tout ce temps je la connais.

- Quand tu ne la connaissais pas, cela ne te gênait pas plus que ça, murmura-t-il froidement.

- Je t'emmerde, m'exclamais-je les larmes brodant mes yeux! Oui, j'ai été la reine des salopes! Et j'en prend pour mon grade également. Je ne veux plus que cette histoire vienne merder dans ma vie! J'ai été trop conne.

Je tourne les talons pour attraper mon sac. Livai s'approcha lentement de moi.

- Je crois... qu'il ait temps que je te parle de mon mariage.

- Je m'en fiche! Je ne veux rien savoir! Je n'ai jamais rien voulu savoir!

- Je n'ai aucune sorte d'attachement pour Jane, explique-t-il en m'ignorant.

- Je pense que l'inverse serait encore pire, cinglais-je en essuyant mes larmes.

- La vérité, c'est que je ne l'ai jamais aimé. On s'est marié jeune parce qu'elle est tombée enceinte. Je n'avais pas vraiment le choix.

- T...t'as un enfant, murmurais-je tremblante?

Dès que je me retournais, je constatais que j'étais coincée derrière le comptoir. Livai bloquait la sortie.

- Non. Elle a perdu le bébé. Et je me suis retrouvée avec elle.

- J...je ne comprend pas.

- On ne laisse pas une putain de femme seule en cloque. Tu devrais le comprendre avec ton père. Et mon géniteur, je ne t'en parle même pas.

- Ecoute, Livai. Jane a l'air d'être une femme formidable. Je ne veux pas la faire souffrir. J'ai passé trop de temps en essayant de m'imaginer qu'elle n'existait pas. De plus, cette pauvre femme a perdu un bébé et son mari finit par la tromper avec une idiote.

- Jane n'est pas aussi blanche que tu ne le penses. J'ai compris des années plus tard qu'elle est tombée enceinte pour m'avoir. Elle n'a jamais voulu avoir d'autre enfant et ça lui allait bien de devenir une femme entretenue. Sa petite vie parfaite lui va et je déteste savoir que je suis attachée à cette femme.

- Oh, seigneur... Je vais me sentir mal. Il faut que tu partes.

- Violet, en réalité...

Alors que j'essayais de passer le chemin, il m'enveloppa dans ses bras. J'essayais de me défaire en vain. Peut-être parce que je commençais à perdre de mes forces. Et être dans ses bras est malgré tout un délice. Je faiblis. Il serra mon visage contre sa poitrine.

- C'est de toi dont je suis amoureux.

J'arrêtais tout mouvement pendant qu'il déposa ses lèvres sur les miennes. Oh merde... Je ne devais pas céder. Cela ne dura qu'un instant car je réussis à me dégager de lui à contre cœur car il avait baissé sa garde.

- Non! Il faut que ça s'arrête. On ne doit plus se voir.

Je fond aussitôt en larmes. Je n'aurai jamais cru... que ma première déclaration d'amour allait se faire dans un contexte pareil. Moi, combattant contre mes nausées et Livai venant de ma déballer sa vie conjugale. J'aurai voulu au moins garder ça pour le conte de fée.

Je ne voulais même plus voir son visage, de l'homme que j'ai tant aimé en secret. Et qui en fait, m'aimait en retour.

- Je t'en pris. Tu dois partir...

- Je n'en ai pas envie, souffla Livai.

- Et ben, moi, je ne veux plus être avec toi! Va-t-en! Sors d'ici!

L'instant d'après fut lunaire. Je venais de crier pour la première fois sur Livai. J'ai affronté son regard qui semblait peiné pendant une seconde avant de ne plus tenir et me ruer vers l'évier pour vomir. Le silence pesait en même temps que ces horribles bruits. Livai ne disait rien jusqu'à ce que je sente sa main sur mon dos.

- C'est tout ce que t'as trouvé pour me faire partir?

Mais voyant que je ne me relevais pas de l'évier, il devint plus sérieux.

- T'es malade? Tu veux aller voir un médecin? T'avais pas de nausées avant... Est-ce que...

Mon sang se glace.

- Ne t'inquiète pas, je ne compte pas le garder, sanglotais-je!

- Hein?

Livai se recula aussitôt pendant que je passais de l'eau sur mon visage.

- Rentre chez toi... Ne viens plus ici.

- T'es... enceinte?

Je relève ma tête après avoir rincer l'évier mais reste au dessus au cas où d'autres nausées viendraient.

- C'est le mien? Demanda-t-il en perdant son assurance.

Je me retourne vivement en m'écriant:

- Evidemment que c'est le tien! T'es le seul type avec qui j'ai couché! Je n'ai pas d'explications. Je suis juste désolée de ne jamais avoir voulu prendre la pilule. Mais de toute façon, toute cette histoire sera bientôt finie. Tu n'as pas à t'en faire. Tu n'as aucune responsabilité à avoir.

Je m'éloigne pour passer devant lui et enfin réussir à quitter le comptoir, essuyant toujours mes larmes.

- Et tu comptais m'en parler?

Je m'arrêtais au milieu de la pièce. J'avais le droit à des reproches en plus de ça.

- Tu allais vraiment partir sans rien me dire?

Je pris une grande inspiration, essayant d'avoir les idées claires et pour parler convenablement.

- Livai... Ce qu'il faut savoir sur moi... c'est que je rêve un jour d'avoir une maison avec un grand jardin où mon chien pourra gambader. Et une véranda remplie de plantes, j'y bouquinerais tous les soirs et j'y papoterai avec mes copines. Et je voudrais un mari, épouser quelqu'un. Je n'ai pas envie d'imaginer ma vie autrement: devenir mère aussi jeune et que mon enfant ne connaisse jamais son père parce qu'il était déjà putain de marier. C'est pas ce que j'aurais envie de lui raconter.

- Violet, il doit y avoir un moyen...

- Oui, je l'ai.

- T'es pas obligé de faire ça... Je peux t'aider. Réfléchis un peu avec de prendre cette décision avec notre enfant.

- Hé! J'ai vingt ans! Je voulais avoir une famille, je n'y ai pas eu le droit! Je voulais devenir médecin mais j'avais pas les moyens. Alors je bosse depuis que j'ai dix-huit ans pour espérer un jour obtenir un diplôme. Et quand bien même, je ne veux pas mais absolument pas de ce bébé!
Pendant un an, t'as couché avec moi sans une seule fois sous entendre que tu allais quitter ta femme pour moi. Ca m'allait parce que... il n'y a aucun avenir pour nous deux. Ca s'arrête là!

A la fin de ma phrase, Livai attrapa brusquement une chaise pour la jeter à travers la pièce. Je ne l'ai jamais vu aussi énervé de ma vie. Je suis restée figée, la main sur la poignée.

- Arrête de mentir, ça avait un avenir! Tu m'aimes aussi...

Sans répondre, j'ouvris la porte du café pour sortir. Elle n'a pas claquée derrière moi car Livai l'a attrapé aussitôt. Mon cœur bat la chamade.

- Violet, je comprend que tu ne veuilles pas le garder mais je t'en pris... N'arrêtons pas cette histoire sur ça.

Les rues étaient vides. Mais je pense que dans cette situation, Livai s'en fichait d'être vu. Une fois encore, je me tourne vers lui après qu'il m'ait suivi quelques mètres. Il s'arrêta toujours pour nous mettre de la distance.

Mon cœur battait fort dans ma poitrine. C'était encore une fois une nuit enneigée, comme le jour de notre rencontre. C'était à cet instant que ce petit sentiment à commencer à naître dans mon cœur. Ce sentiment qui m'a fait vivre l'interdit et devenir complètement aveugle sur ce que j'étais devenue. Parce que je suis devenue dingue de cet homme. Dans une autre vie, je lui aurai certainement couru après pour qu'il soit le mari de mes rêves.

Livai Ackerman... Finalement, c'était son vrai nom. Tout était vrai chez lui. Il était presque parfait.

Je lève un doigt vers lui, imprimant son visage dans ma mémoire.

- Arrête de tromper ta femme!

Après ces mots, je me suis retournée et je suis partie. Il n'a rien ajoutée et ne m'a pas suivi. Je l'ai imaginé me regarder partir au loin dans l'obscurité.

C'est la dernière fois que je l'ai vu. J'avais imaginé une séparation plus calme, aussi douce qu'à nos débuts. Je ne sais pas pourquoi mais il a respecté mon choix, il ne m'a jamais recontacté. Je n'ai plus jamais vu sa voiture en sortant du travail. Même si j'avais l'impression que sa présence était toujours près de moi. Après tout, c'est une petite ville.

Il m'est arrivé de revoir Jane même si j'évitais désormais de la croiser. Au bout d'un moment, j'ai juste décidé de quitter ce travail. En fait, l'argent n'était plus vraiment un problème pour moi.

Ma grand-mère est décédée quelques mois plus tard. J'ai appris qu'ils avaient économisés tout le restant de leur vie pour mes frères et moi. Ce n'était pas grand chose mais en revendant la maison, j'ai enfin pu espérer commencer mes études. J'ai décidé de partir aussi à Berlin. C'était un nouveau départ pour moi.

Evidemment, je n'ai jamais mis ce bébé au monde. Et ce n'était même pas volontaire de ma part. Quand je suis revenue à la clinique, on m'a annoncé que le cœur du bébé ne battait pas. Même si j'avais déjà pris ma décision. C'était comme si le monde avait décidé à ma place.

J'ai caché et j'ai menti à moi-même... sur combien cet évènement m'avait peiné. J'ai tellement essayé d'ignorer ce traumatisme que ma dépression en fut plus lourde. Je rêvais inlassablement de ce bébé que je n'ai jamais rencontré. Au fond... peut-être que... je voulais le mettre au monde.

Je n'ai plus aimé qui que ce soit les années qui ont suivi. J'ai préféré donner de ma personne dans ce qui me passionnait pour oublier mon chagrin. C'était fini le cœur d'artichaut. Je n'envisageais même plus ressentir quelque chose de romantique avec quelqu'un. Je recherchais juste... le double parfait de mon ancien amant.

Ma vie d'adulte a filé à une vitesse sans que j'y profite vraiment. J'ai fini par enfin devenir docteure en médecine. Je n'aurai jamais cru y arriver.

En 2010, j'avais trente et un ans. Je n'avais pas de maison, pas de véranda, pas de mari mais un adorable chien que je chouchoutais beaucoup trop. Benedict était professeure et maman depuis peu. Iris est restauratrice de tableaux et Kiama vit la joie du travail en entreprise. Elles vivaient toute dans notre ville natale. J'avais été loin d'elles trop longtemps à cause de mon travail en hôpital.

Mais je suis revenue à mes origines.

- Je trouve que c'est vraiment le destin que ce médecin parte à la retraire à la même période où tu reviens dans cette ville. Tu auras déjà une pelle de patients, soupire Bene en surveillant la route.

- Heureusement, l'argent n'est plus vraiment un problème pour moi maintenant. Finis d'avoir deux boulots ici. Je vais devenir cette vraie folle aux chiens super riche, ricanais-je.

- Maman, je veux une glace!

- Attends, deux minutes, je dépose tata Violet et après on va t'en acheter une.

- Tu penses que le café où je travaillais est toujours ouvert? Demandais-je.

- Il l'est, fit Bene en jetant un oeil à son fils à l'arrière. D'ailleurs, on y va tous les samedi midi. Tu ne vas pas dérober à la règle. Ce sera notre réunion entre filles.

- Hum... Entre vieilles trentenaires, désormais... Encore merci de me déposer, ma voiture a toujours été capricieuse mais j'ai du mal à m'en séparer.

- Hum et ben... Tu ne fais pas les choses à moitié. Ce quartier doit être le plus luxueux de la ville. Toutes ces maisons me rendent vertes de jalousie. Je ne viendrais jamais chez toi.

- J'ai envie de me faire plaisir. Je vais enfin pouvoir avoir ma véranda rien qu'à moi!

- C'est ici! Je te laisse sinon j'en connais un qui va bientôt faire sa crise. Hé, attache ta ceinture. On ne sort pas là!

Je salue Bene qui s'éloigna en grondant avant de me tourner devant la belle maison où elle m'avait déposée. J'étais censée attendre pour la visiter mais j'ai vraiment trop hâte de la voir. Je remarque aussitôt le beau jardin où j'imagine Hank courir partout. L'endroit où je vivais était beaucoup plus petit à Berlin. Je fis discrètement le tour pour voir de derrière.

Je souris bêtement en remarquant à quel point cet endroit semble cosy. J'imaginais déjà toute la décoration que j'allais y mettre et bien sûr, il y avait une véranda. Vraiment grande. Je voyais déjà les plantes grimpantes sur la serre que j'allai mettre. Un vrai petit coin de paradis...

- Hé, il faut pas vous gêner pour rentrer chez les gens, résonna une voix derrière moi.

Je me retourne vivement en bafouant des excuses. Mais je me fige. Je l'ai reconnu tout de suite, je n'ai même pas hésité une seule seconde.

- Merde...

Lui aussi semblait surpris de me voir, il grillait sa cigarette au milieu du jardin. Il n'avait pas vraiment changé, enfin si...je suis hypocrite de dire ça mais à mes yeux, pas vraiment. Son visage était plus ferme, il n'avait pas vraiment de ride et je me demandais son secret contre les cheveux blanc. Alors que cet homme a toujours fumé comme un bœuf.

- Si je m'attendais à ça, souffla-t-il en s'approchant.

- Qu'est-ce que tu fais ici? Murmurais-je en sentant mon cœur battre le chamade.

- C'est ma maison, fit-il en la pointant du doigt.

- Oh... Oh, désolée. Je suis rentrée un peu par effraction. J'étais trop curieuse de la voir. Et tu sais... la véranda.

Un léger sourire dessina son visage avant qu'il porte sa cigarette à sa bouche.

- T'as pas changé... Tu vas l'acheter?

- Hein? Heu... Je n'en sais rien. Pourquoi tu l'as vend? Elle est si belle et majestueuse.

- C'était la maison que j'ai eu avec mon ex-femme. Je n'y vais plus depuis des années donc je me suis décidée de la vendre.

Avec sa main dans sa poche, je n'aurais pas pu deviner son alliance. Je détourne le regard, légèrement mal à l'aise.

- Donc... t'as fini par divorcer...

- T'es en retard. Ca fait dix ans qu'on n'est plus ensemble. On s'est séparé peu de temps après ton départ. En fait, j'ai découvert que Jane me trompait aussi donc on a décidé d'arrêter le massacre. Ca ne menait à rien tout ça.

- Je vois...

C'est drôle... comme des sentiments que je n'avais pas ressenti pendant une décennie, peuvent renaître d'un coup. Sa présence n'a pas changé et me fait toujours le même effet. Il me donne l'impression d'être à nouveau cette jeune amoureuse transit de l'époque alors que je ne crois plus en l'amour depuis longtemps.

- C'est con, j'ai perdu presque vingt ans de ma vie avec cette histoire. Tu reviens dans cette ville, toute belle et prête à faire ta vie de famille, alors que je vais sûrement me barrer loin.

- Non d'abord... explique moi ton secret pour rester le même après tant d'années. La médecine a doublé mon âge et j'ai déjà mes premiers cheveux blancs!

- Docteure? Hum... C'est pas mal...

- T'as pas perdu ta vie, Livai... Il te reste encore beaucoup d'années devant toi avant de devenir tout desséché et ridé.

- Si tu le dis. Bon... on va visiter la maison?

Pendant que je le regardais s'éloigner dans le jardin, je l'observais hésitante. Dix ans à penser à lui et savoir que je ne le reverrais jamais. Et c'était peut-être bientôt encore le cas. Je vais à sa rencontre pour attraper sa manche. Un peu surpris, il se laissa tirer pendant que je déposais mes lèvres contre les siennes. Aussitôt, comme instinctivement, il passa ses mains dans mes cheveux.

J'avais peur qu'il me repousse, qu'il me dise que je l'avais trop fait souffert mais lui non plus ne semblait rien oublier. Il se pencha vers moi passionnément, me forçant à cambrer mon dos. Je soufflais d'aise. Je pourrais rester ainsi pendant des heures, afin de rattraper le temps perdu.

- Désolée, c'était trop tentant, murmurais-je une fois séparés.

- Je ne peux que comprendre. Je ne pensais plus jamais te revoir.

Ses yeux clair s'encrèrent dans les miens, sous mes joues rougies. Il redresse une mèche de cheveux derrière mon oreille. Son toucher, son odeur, son regard envoutant, rien n'avait changé.

- Achète cette putain de maison, je m'en fous mais ne te barre plus comme ça.

J'esquisse un doux sourire avant de l'embrasser de nouveau.

Finalement, je n'ai pas acheté cette maison. Mais j'ai emmené quelque chose qui était dedans.

Quelques fois, il m'arrive d'être songeuse dans ma belle véranda remplie de plantes, après une longue journée de travail dans mon cabinet, en regardant mon chien dans le jardin. Je me dis juste que mon mari et moi, nous nous sommes rencontrés un peu trop tôt.

C'était comme si l'univers avait gaffé, croisant nos chemins au mauvais moment alors qu'il avait déjà prévu que ça soit juste une évidence pour nous. Parce que même dix ans après, on s'est retourné avec cette même passion qui nous a animé lors de cet hiver de mes vingt ans.


Fin de ce one shot

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