Ma secrétaire, Mlle Grimm II
Cette histoire est pour un public averti.
Cela faisait désormais une demie heure que nous étions coincés dans cet ascenseur. Il faisait froid et la lumière s'éteignait sans aucune raison de temps en temps. Personne ne semblait avoir encore remarqué son dysfonctionnement. Ou bien, tout le monde s'activait à le remettre en marche sans résultat.
Nous étions tous les deux assis sur le sol sale et glacé en attendant le moment où l'on viendra enfin nous libérer. Quelques fois, nous restions silencieux plusieurs minutes puis on reparlait de cette situation plus qu'étrange.
Je commençais à m'impatienter de rester dans cette cage à température basse sans aucun signe d'amélioration. Je sortis de ma poche mon paquet de Philip Morris pour piocher dedans. Je remarque le coup d'œil de la brune et le lui tend d'un air interrogateur.
- Vous ne devriez pas fumer ici. On ne sait pas si l'endroit est bien ventilé.
- Tu en veux une ou non? Répondis-je seulement.
- Je ne dois pas sentir la cigarette, fit-elle en détournant la tête.
- A cause de ce connard? Qu'il aille se faire foutre! Rétorquais-je. Tu es adulte à ce que je sache. Et puis, il est hors de question que tu rentres chez toi ce soir.
Elle me lança un regard introspectif pendant que j'éloignais le paquet. Elle bougea frénétiquement la main pour me voler une cigarette au passage.
J'avais envie de lui rétorquer que c'était assez rhétorique qu'elle fume après ce que ses parents lui faisait mais je pouvais qu'imaginer sa douleur et son stress au point de prendre n'importe quoi pour s'apaiser.
- Ton amie reste en Angleterre combien de temps?
- Elle rentre demain, souffla-t-elle amèrement. Elle n'a pas assez d'argent pour rester. C'est une étudiante.
- Merde... Et t'as personne d'autres?
- Dans ce pays? Non. Et je me suis fait peu d'amies dans mon enfance. Je n'étais pas la fille la plus extravertie de l'école. Seule Iris a toujours été à mes côtés, même si elle ne sait pas tout de ma vie, elle se doute. Après mon mariage expéditif avec Tyler, il m'a emmené en Angleterre et m'a fait couper tout lien avec elle. Elle a réussi à retrouver ma trace grâce à son frère et quelques moyens illégaux.
- Tu devrais repartir en Allemagne avec elle.
- Tyler la connait. Mes parents également. Il ne lui faudrait même pas trois jours pour me retrouver. Et je n'ai pas d'argent, je vous rappelle.
- Tes parents approuvaient ce mariage? Demandais-je surpris.
- Je n'en sais rien. Je ne les ai pas revus depuis deux ans et je m'en porte bien. Mais je suppose qu'ils n'en ont pas fini avec moi si je remet le pied dans mon pays natal. Tyler me menace sans cesse de leur envoyer notre adresse...
Il se plongea dans un silence pensif alors qu'elle finissait lentement sa cigarette. J'avais envie de la secouer et lui donner mille et une raisons de fuir cet endroit mais elle avait réponse à tout, et des réponses assez frustrantes. J'avais envie de lui dire qu'elle s'enfonçait dans ses problèmes mais cette fille subit des violences depuis son jeune âge alors il y a sûrement une sorte de résilience et d'accoutumance qui dormait en elle. Quelque chose comme le syndrome de la femme battue, que je ne connais que trop bien avec ma mère qui restait avec des enfoirés violents.
Elle avait sûrement développé une paranoïa qui ne lui offrait aucune solution, à part celle qu'elle s'était fixée en prenant ce travail. Mais pour combien de temps, aurait-elle dû à rester ma secrétaire? Avant de pouvoir vivre de ses propres moyens et débuter ses études? Elle était prête à sacrifier autant d'années de sa vie. Elle avait besoin de repos et de tranquillité alors qu'elle est si jeune.
Je remarquai qu'elle grelottait depuis tout à l'heure. Je retirai ma veste pour la déposer sur ses épaules et les frotter. Elle me remercia timidement.
- Violet... Tu ne rentreras pas chez toi, ce soir.
Elle releva la tête vers moi. Nous étions proches l'un de l'autre. Je ne l'avais même pas remarqué. Elle essayait peut-être de chercher un peu de chaleur mais c'était peine perdue avec moi.
- Je te l'interdis, continuais-je.
Elle fronça les sourcils. Peut-être mal à l'aise que je tourne mon affirmation par un ordre. Je claquai ma langue, pestant contre moi-même de garder mon attitude autoritaire dans cette situation.
- C'est trop dangereux pour toi. Je ne veux pas que tu y retournes. Je...
Mes pensées troubles stoppèrent le début de ma phrase. Elle se détendit légèrement entre mes mains qui frottaient toujours ses bras.
- Je n'ai pas envie de rentrer chez moi et m'inquiéter sur le fait qu'il puisse t'arriver quelque chose, avouais-je.
Son expression se décrispa et elle hocha légèrement la tête.
- Vous savez, c'est un soir comme un autre. Il ne m'arrivera rien.
- Non. Violet, tu ne comprends pas. Ça me rend malade d'imaginer ce type te toucher et te faire du mal.
Un grand bruit venant des portes en métal nous interrompit. Nous nous stoppèrent net pour entendre des gens s'activer derrière. Nous comprîmes aussitôt que quelqu'un semblait avoir remarqué le dysfonctionnement. J'écartai un peu Violet de la porte qui avait sursauté au bruit puis la lumière des couloirs apparut tant les portes s'ouvraient difficilement.
- M. Ackerman!
Je remarquai plusieurs employés et Hanji qui semblaient inquiets en inspectant l'intérieur.
- Tch... C'est pas trop tôt, bordel! On crevait de froid à l'intérieur de ce machin. Apportez une couverture pour Violet! Ordonnais-je.
On sortit de l'ascenseur sous le regard de la moitié de l'entreprise, j'en avais bien peur. Oh... je sentais déjà les gens jaser pendant des semaines et les rumeurs de merde se propager comme une envie de chier. Je lançai un regard noir à l'assembler avant de rétorquer de nous laisser de l'air. Violet était silencieuse, la tête basse pendant qu'on marchait dans les couloirs, ma veste encore sur ses épaules. Hanji lui tendit une couverture:
- Ça va? T'as besoin d'un peu d'eau ou quelque chose d'autre? Un café?
- Lâche lui les pompes, Hanji, soufflais-je! On est resté dans cet ascenseur que trente minutes.
- Non, Livai... Cela fait deux heures qu'on vous cherche et qu'on essaye de décoincer les portes.
- Un café, s'il vous plait, murmura la brune encore livide.
- Deux heures?
Nous arrivâmes à mon bureau. Violet s'assit aussitôt sur sa chaise et s'enroulait de la couverture qu'on venait de lui donner. Elle me retendit la veste que je lui avais prêté tantôt. Je jetai un œil menaçant à tout le personnel qui nous avait suivi par curiosité, leur ordonnant de déguerpir.
Hanji revint avec une tasse fumante et une bouteille d'eau. Violet s'empressa de la prendre avidement. Elle avait véritable une addiction à la caféine.
- Merci, Mlle Zoé, fit-il avec un sourire que mon ami lui rendit.
- Eh ben, vous en tirez des tronches! Je ne sais pas ce qui s'est passé dans cet ascenseur mais cela devait être loin des clichés de films romantiques.
J'envoie chier la brune pendant que Violet s'était crispée contre le siège, les yeux arrondis. Elle dissipa sa gêne en buvant une grande gorgée du café brûlant. Je suppose qu'elle avait une certaine accoutumance.
Hanji fila au bout d'un moment pour nous laisser seuls. La nuit était déjà tombée car nous étions en hiver. Sans que je m'en aperçoive, la brune, qui était plongée dans un silence de mort, avait déjà fini son café. Elle reposa la tasse fébrilement et se releva pour ramasser ses affaires.
Peut-être qu'elle réalisait tout ce qu'elle m'avait avoué et qu'elle s'en mordait les doigts. Elle semblait complètement désorientée.
- Bon... Hem... Je vais rentrer chez moi, bafoue-t-elle en tentant de faire rentrer une pochette dans son sac.
- T'as pas entendu ce que je t'ai dis tout à l'heure, râlais-je en m'approchant d'elle? Tu ne rentreras pas chez toi.
- Ne soyez... pas ridicule, souffla-t-elle seulement.
J'attrapai son bras alors qu'elle essayait déjà de s'enfuir. Je ne voulais pas être brusque pour la braquer encore plus mais je n'avais pas d'autre moyen pour la retenir dans mon bureau. Elle fit volte face et je ne compris pas son expression.
On aurait dit... qu'elle n'attendait que ça.
Comme si une immense force l'obligeait à faire toutes ces choses insensées et plonger la tête la première dans la gueule du loup. Qu'elle avait conscience du danger et les erreurs qu'elle encourait, mais qu'elle était ensorcelée, maudite... forcée à agir sans penser à elle-même.
Sous emprise...
L'expression que je comprenais enfin sur son visage: c'était du soulagement. Il semblait qu'elle avait besoin qu'on la secoue, qu'on la ramène sur Terre.
Elle avait besoin de réaliser que tout était sérieux. Je n'avais pas l'intention de la laisser.
- Livai...
Mon prénom presque imploré sonna comme une alarme dans ma tête. Je me rapprochai pour enfin pouvoir la lâcher et savoir qu'elle n'allait plus s'enfuir. De toute façon, elle restait immobile.
- Je peux te payer un hôtel, si tu veux...
- U...un hôtel, répéta-t-elle? Rien ne sera résolu en une nuit. Au contraire, si je m'absente sans explication, tout sera pire! Et je ne vais pas... Non. Il faut que je garde mon objectif en vu.
Ça y est, elle repartait dans sa désillusion. Elle recommença à me déballer tous ses contre-arguments qui m'irritèrent. Sa voix tremblait rien qu'en imaginant devoir disparaître une simple nuit. Ce n'était pas forcément faux: elle n'allait pas rester dans un hôtel sans savoir exactement quelle allait être la suite du plan.
Elle se stoppa net quand ma main vint relever son menton. Son regard chocolat entouré de tâches de rousseurs me scruta, perturbé.
- Et si... je te propose de venir chez moi? Aussi longtemps que tu le voudras. Tu y seras en sécurité.
Je repensais aussitôt à cette phrase qu'elle m'a sorti après que je l'ai embrassé sur le balcon. Elle aussi car elle semblait réfléchir profondément sans quitter mes yeux.
"Je ne suis pas venue ici pour me retrouver piéger avec un autre homme."
Violet avait donné sa confiance dans le passé à un homme pour se libérer des chaînes de sa famille. Une confiance presqu'aveugle qui lui valait tout cet enfer. Elle n'était pas à blâmer. Cet enfoiré mériterait toutes les accusations du monde.
Mais je suppose qu'elle a appris à ne plus baisser sa garde et qu'elle avait décidé de rester seule dans cette histoire. Mais elle avait peur. Peut-on réellement s'en sortir seul dans ce genre de situation?
Ses craintes me semblaient légitimes. Elle ne me connaissait pas tant que ça. Cela ne faisait même pas un an que nous nous connaissions et principalement dans un cadre professionnel. Nous avions eu des discussion profondes ensembles, certes mais cela s'arrêtait là. Elle restait la plupart du temps ma secrétaire.
C'est ce que j'essayais de me convaincre.
Je n'étais pas qu'une simple aide. Une personne qui voulait la protéger afin de faire une bonne action. Mon jugement et ma proposition étaient altérés par des sentiments purement humains et incontrôlables. Je ne supportais pas l'idée qu'elle retourne chez elle et que ce type pose sa main sur elle. La pensée qu'elle était déjà mariée me rendait inconfortable mais que quelqu'un la fasse souffrir me faisait oublier le bon sens et la logique éthique.
Violet semblait se demander... si elle avait le droit de baisser sa garde face à moi. Elle avait déjà commencé, en me racontant son histoire dans l'ascenseur et elle devait juger si c'était encore une de ses erreurs.
Le silence devenait long. Elle restait figée comme une poupée de porcelaine, même ses yeux ne flanchaient plus. Je n'arrivais pas savoir quelle était sa conclusion. J'insistai:
- Je ne ferais rien qui te fasse sentir mal. Je te donne ma parole.
Pas de réaction.
- Et si à tout instant, tu te sentais mal à l'aise. Je suis sûr qu'Hanji accepterait que tu viennes chez elle. Tu connais son numéro.
Elle cligna plusieurs fois des yeux puis, lentement, se détendit.
- C'est si soudain, dit-elle enfin. Je n'ai absolument aucune affaire et... je...
- Ce connard ne saura pas où tu es. Comment le pourrait-il? Mon appartement est sécurisé et il y a des caméras partout dans l'immeuble. Il ne pourra jamais t'atteindre. Je resterais avec toi.
Il n'en fallut pas plus pour qu'elle cède enfin. Pour m'assurer qu'elle se sente complètement en sécurité, j'ai prévenu Hanji de sa venue chez moi. Elle m'a tendue le bout de papier qui devait contenir le numéro de son amie allemande. Je l'ai laissé l'appeler et je n'ai rien compris à la conversation. Seul son état pouvait être déchiffré, elle avait la voix tremblante et elle se retint tout le long de l'appel de pleurer.
La secrétaire froide que j'avais connu semblait s'être brisée.
___
Lorsque la jeune femme rentra dans mon appartement, elle resta une bonne minute dans l'entrée, son sac serré contre sa poitrine. Je ne l'ai remarqué que quand je me suis senti seul dans le séjour. Elle ne m'avait pas suivi.
Elle se baissa pour retirer ses chaussures et les ranger soigneusement à côtés des miennes. Elle connaissait mon goût pour l'ordre. Puis fixa mon porte manteau où était aligné mes vestes et mes manteaux en laine.
- Tu veux prendre racine sur mon paillasson?
Elle arriva timidement dans le séjour, ses yeux traversaient vivement chaque recoin de la pièce. Mon appartement était largement assez grand pour deux personnes, voir trop pour une seule. J'ai vécu pauvre toute mon enfance alors un peu de luxe ne me faisait pas de mal.
J'étais dans ma cuisine ouverte à faire bouillir de l'eau. Elle fuit le carrelage froid à cause de ses collants pour le tapis du salon. Elle continuait d'observer la pièce, silencieuse et un peu curieuse. Elle avait son sac toujours serré contre elle, comme si elle avait peur de salir l'endroit.
- Thé, demandais-je?
- Non, merci...
J'haussai légèrement les épaules et me retournai pour chercher ma théière dans mes placards.
- Vous vivez seul?
- Tch... Évidemment.
- C'était un peu comme ça que j'imaginais chez vous, avoua-t-elle.
- Comment ça?
- Impersonnel...
Je me retournai vers elle mais aucune expression ne traversait son visage. Elle semblait juste fatiguée. Je soupirais et allais vers l'eau bouillante pour la stopper et la verser dans ma théière.
- Il y a une chambre d'amis vers la droite. Tu peux y poser tes affaires et vas prendre une douche.
Je l'entendis souffler du nez et elle s'éloigna pour ouvrir la porte que je lui avais indiqué. Au bout de quelques minutes, j'entendais l'eau couler depuis la salle de bain. Je sors pour aller à mon balcon me fumer une cigarette et boire tranquillement mon thé. Il faisait froid, à se demander s'il allait neiger.
Cela faisait bien des années que je n'avais pas emmené quelqu'un à mon appartement, autre qu'Hanji. Enfin, je veux dire une femme. J'avais arrêté toutes ces conneries pour vivre seul et sereinement. Comme j'ai toujours aimé ma vie jusqu'à présent.
Ce n'était pas la même chose, après tout, c'était un cas de force majeure.
Lorsque je revins dans l'appartement, la porte de la salle de bain s'ouvrit et la tête de Violet sortit timidement de l'entrebâillement. Une serviette était enroulée autour de sa tête. Elle me chercha du regard quelques instants.
- Livai... Vous... Hem, vous n'auriez pas des habits à me prêter, s'il vous plait?
La brune est un peu plus petite que moi, cela ne devait pas être gênant. Je remarquai, alors que je me dirigeais vers ma chambre, qu'elle avait une serviette autour de la poitrine qu'elle tenait d'une main. Ma mâchoire se serra en voyant tous les hématomes qu'elle avait aux bras et aux jambes, en plus des brûlures de cigarettes. Je restais de marbre en lui tendant un sweat, un tee-shirt et jogging gris pâle.
Lorsqu'elle referma la porte, je pouvais enfin laisser ma colère envahir mon visage. J'étais putain d'énervé. Si elle me l'aurait permis, j'aurais déjà fait son compte à cet enfoiré depuis des lustres. Comment peut-on frapper une fille aussi... douce?
- Tu veux qu'on commande à manger, demandais-je une fois qu'elle était sortie de la salle de bain? Indien ou japonais?
Elle avait enfilé les vêtements que je lui avais donné. Les manches du gilets étaient légèrement trop longues. Mais le jogging lui allait parfaitement, serrant un peu ses cuisses. Ses cheveux goutaient dans son dos, mouillant le tissus et ses quelques mèches devant son visage.
J'attendais sa réponse avec mon portable en main, m'empêchant de trop la détailler. Elle grimpa doucement sur le canapé, évitant mon regard et vint se blottir contre moi.
- Merci, souffla-t-elle son visage enfoui dans mon épaule.
Je restais interdit. Elle était toujours aussi chaude, voir même plus avec la douche. Ses mains entouraient mon ventre et je sentais son souffle contre mon cou. Au bout d'un moment qui sembla durer une éternité, ma main passa sur sa tête et tapota le haut de celle-ci.
Je ne savais pas quoi lui répondre.
Nous sommes restés tellement longtemps dans cette position qu'elle a fini par s'endormir contre moi. Elle devait être exténuée. Je l'ai porté non sans trop de difficulté vers son lit. Sa respiration était apaisée, comme l'expression de son visage. Je l'ai recouvert d'une couverture et l'ai regardé quelques instants, avant de me juger étrange et partir.
Je suis insomniaque et il était beaucoup trop tôt pour que je m'endorme. Je me suis finalement contenté d'un sandwich devant un film policier.
___
Je sentis une main caresser mon visage. J'ai cru que cela venait d'un rêve. Je râlai un peu en dégageant la main et ouvris les yeux pour croiser un visage un peu trop près du mien. Il me fallut un temps pour analyser la scène. La brune était assise sur le sol, l'air désolé. J'étais dans mon salon. J'ai dû m'endormir sur mon canapé.
- Pardon, je ne voulais pas vous réveiller, murmura-t-elle. Vous... vous étiez...
Je la vis mordre sa joue et elle garda le fond de ses pensées pour elle. Je levais la tête pour constater qu'il faisait encore nuit à travers mes bais vitrées. La télévision tournait toujours même si elle avait dû éteindre le son.
- Q...quelle heure est-il?
- Cinq heures, répondit-elle en se posant complètement sur le sol.
Je me frottai les yeux. C'était elle, la main que j'ai repoussé.
- Pourquoi tu ne dors pas, soufflais-je en bayant?
- Je... Je dors assez peu. Je dois toujours me réveiller tôt car... hum...
Encore une fois, elle n'a pas fini sa phrase. Elle détourna la tête pour regarder la vue qu'on voyait depuis le haut de mon immeuble. Elle avait retiré le gilet pour garder le tee-shirt noir où les manches lui arrivaient à mis bras. Un énorme bleu à son coude gauche me chauffa le sang. Elle ne semblait même plus préoccupé à les cacher.
Je n'arrivais même pas à être énervé contre elle, même si elle m'avait grignoté mon temps de sommeil.
- Vous devriez aller dormir dans votre lit, fit-elle en se levant. Sinon vous allez avoir une raison de plus d'avoir mal au dos.
Je la regardai traverser la pièce pour se poser devant les vitres et regarder la lune qui était à son dernier quart. Je frottai mon visage, encore à moitié endormi et massai ma nuque tendue. La brune resta silencieuse à s'asseoir en tailleur sur le sol. La pièce était sombre, simplement illuminer par les lumières de la ville. Nous étions si éloignés que je ne l'ai pas entendu reprendre la parole immédiatement:
- Quelques fois... quand j'étais petite... comme pour m'enfuir, je passais par la lucarne du grenier pour monter sur le toit. C'était dangereux et interdit mais cela me semblait anodin étant enfant. Je regardais les étoiles pendants des heures. C'était le seul endroit où je me sentais bien, en sécurité. Personne ne viendrait me chercher là, je me disais. Peut-être que j'avais peur un jour de ne plus les voir. Ma mère s'en ait rendu compte et a condamné la lucarne, parce qu'elle savait que faire ça me rendrait malheureuse. Je n'ai plus vu les étoiles avant des années.
- Bordel, c'était quoi leur problème, râlais-je?
La jeune femme ne me répondit pas. Elle haussa simplement les épaules en ne quittant pas des yeux le ciel. Sa résilience m'effrayait. Il n'y avait pas plus effrayant de savoir qu'elle s'y était simplement habituée.
- Je pensais sans cesse... au jour où je pourrais enfin partir de cette maison. Ça me bouffait. Vous ne pouvez imaginer à quel point j'étais anéantie lorsque Tyler m'a porté le premier coup. Voir les étoiles... cela ne suffisait plus. J'étouffais même lorsque j'étais dehors.
Sa voix a déraillé. Ma gorge se serra à l'entente de son sanglot. Mais elle se ravisa dans sa confession et renifla.
- Vous avez déjà été amoureux, Livai?
Le changement de discussion me grisa. Ses émotions virent tellement vite que c'est assez déroutant, comme dans l'ascenseur. J'imaginais que c'était le bazar complet dans sa tête.
Je me levai enfin pour venir à sa rencontre, me plantant à côté d'elle
- Non, répondis-je.
Elle fredonna d'entêtement. Puis elle lâcha son contact visuel pour se tourner vers moi. La pièce était trop sombre pour que je vois son expression. Mais ses paroles brisèrent le silence:
- Dans un sens, vous êtes un peu mes nouvelles étoiles.
Je compris enfin son sourire. Je fléchis mes jambes pour m'accroupir à son niveau. Elle me fixait avec ses grands yeux marrons, que je pensais déchiffrer comme un livre ouvert. Son expression était la même que lorsque nous étions sur le balcon ou dans l'ascenseur. Je devinais son visage rougi par sa révélation.
Mon doigt pressa l'une de ses pommettes chaudes. Elle frémit. J'ai mal jaugé sa réaction en m'éloignant. Ma main se dégagea de son visage et je m'excusai doucement.
Avec vivacité, des bras entourèrent mes épaules et me firent tomber au sol. Au dessus de moi, planait Violet qui me regardait avec un tendre sourire.
- Vous n'avez pas besoin de vous retenir, Livai. Ni de vous excuser...
- Je le ferais toujours.
Son sourire s'agrandit et ses yeux se fermèrent légèrement. J'y ai quand même entrevu dans la tristesse. Elle aurait certainement voulu qu'on lui prononce ces mots plus tôt lors de son existence.
Lorsqu'elle tomba sur moi, nos lèvres s'effleurèrent timidement. Ses mains encadraient mon visage et ses cheveux recouvraient mes joues et mon front. Son corps s'affaissa contre le mien. Je fermais lentement les yeux.
Rien à voir avec tous les autres que nous nous étions échangés, ce baiser n'avait aucun hâte, aucune gêne, aucun agressivité ni hésitation.
Et... pour la première fois de mon existence, il me fit ressentir quelque chose au creux de mon estomac. Ce genre de merde que l'on appelle les papillons. Savoir que Violet joignait nos lèvres tendrement me donnait envie de la serrer contre moi.
Mais il y avait cette barrière, ce frein qui m'empêchait d'agir vers elle. Je ne voulais pas paraître pour un enfoiré profiteur. Et même lorsqu'elle faisait le premier pas, je restais incertain.
- Enlacez moi, Livai, quémanda-t-elle contre mes lèvres.
Mon regard croisa le sien qui était flouté par notre proximité. Elle devait sentir un froid comme si elle était la seule enchantée par cet échange. Je n'avais pas bougé d'un cil. J'avais l'impression que mes membres pesaient une montagne. D'un geste, je dégageai les cheveux entre nos lèvres pour les mettre derrière son oreille. Mon autre main frôla ses côtes et remonta le long de sa colonne vertébrale.
Elle huma un peu et son corps frissonna. Son pouce pressait ma tempe. Elle devait découvrir le rythme de mon pouls. Je l'enlaçais tout entière et sa propre chaleur corporelle m'envahit.
Dieu seul sait ce qu'il se passait dans mon esprit, à sentir cette femme au-dessus de moi. Je pouvais prêter attention à chacune de ses réactions. Je comprenais qu'elle ne voulait pas me lâcher, qu'elle pouvait rester des heures dans cette position à m'embrasser.
Ce n'était pas pour me déplaire mais...
Mes mains remontèrent à ses épaules pour l'éloigner. Je rencontrai ses yeux interrogateurs et un peu brumeux.
- Attends... un peu. J'ai besoin d'une pause.
Lorsqu'elle se releva légèrement, ses yeux s'écarquillèrent et son regard tomba vers le bas: elle avait comprit.
- Oh...
Elle s'éloigna sur ma demande, roulant sur le côté pour s'allonger à côté de moi. J'étais un peu mal à l'aise mais elle, elle ne semblait pas plus gênée. Sa tête cogna mon épaule et elle souffla du nez:
- Vous n'êtes pas infaillible.
- Je reste un homme malgré tout, soupirais-je en sentant ses doigts dans le creux de ma main.
Pourquoi y avait-il cette tendresse soudaine? Et... pourquoi n'était-elle pas plus inquiète à mes côtés? J'avais trop de questions en tête et pas assez de temps pour y réfléchir.
Il faisait encore nuit noire et le début du week-end nous permettait de nous réveiller tard. Je trouvais ça assez ridicule que l'on reste sur le sol froid de mon séjour jusqu'au petit matin.
- On devrait retourner dormir.
- Peut-être...
Elle a sûrement mal interprété mes paroles car elle s'est levée presque immédiatement. Le ton n'était sûrement pas le bon. Cela s'est confirmé quand elle s'est dirigée vers sa chambre.
- Qu'est-ce que tu fous, cinglais-je?
Encore une fois, j'avais été trop brusque. Elle s'arrêta net et me toisa en essayant de comprendre ce que je voulais à la fin. Je m'approchai d'elle, juste assez pour que l'odeur de mon gel douche me submerge.
- Viens dormir avec moi, demandais-je.
Ses yeux se mirent à briller. Elle resta une tombe à vouloir comprendre plus en détails mes intentions. J'hochai la tête pour éloigner ses craintes.
- Je ne ferais rien que tu ne voudrais pas.
Son visage s'adoucit. Elle acquiesça doucement de la tête et je pus prendre sa main pour l'emmener dans ma chambre. Elle découvrit la pièce qui n'était pas si différente des autres de mon appartement. La seule touche personnelle étant une photo dans un cadre, celle de ma mère avec un bébé dans ses bras. Je remarquais Violet s'attarder un instant dessus mais je n'avais spécialement envie de discuter de mon passé.
Elle esquissa un sourire en comprenant sûrement qu'il s'agissait de moi. Mais ne posa pas de questions. Après tout, pour elle, c'était juste une banale photo de famille.
Lorsqu'elle s'engouffra sous les draps, elle vint aussitôt se blottir contre moi. Je me retrouvais envahi de ses cheveux et le poids de sa jambe contre les miennes. Elle expira longuement, comme pour se détendre. Je ne la pensais pas aussi tactile et avide de contact, celle qui m'a évité comme la peste pendant des mois.
Je pensais qu'avoir quelqu'un dans mes bras allait m'empêcher de fermer l'œil. Etant insomniaque, la moindre chose pouvait être une excuse pour que mon cerveau n'accepte pas de s'éteindre. J'écoutais sa respiration calme et sentais la chaleur de son corps m'envahir. J'ai enfoui quelque instants mon nez dans ses cheveux et...
Je me suis endormie dans un sommeil de plomb.
Rien ne m'a réveillé jusqu'à ce que les éclaircies illuminent ma chambre. J'avais omis de fermer mes rideaux. Il n'y avait plus Violet sur moi et mais je sentais que la circulation de mon bras gauche était coupée. Je vis sa silhouette de dos lorsque je me tournais, la vue encore troublée. Sa cage thoracique se levait au rythme de sa respiration.
Elle semblait s'être endormie profondément, serrant un bout de mon tee-shirt dans sa main. Je ne voulais pas la réveiller mais mon bras me faisait mal. Je tentais de l'extirper de sous son corps. Dès que je le bougeai, Violet sursauta aussitôt et se releva d'un coup du lit.
Je l'avais effrayé.
Comme si elle ne dormait que d'un œil, elle me regarda longuement en reprenant son souffle, pressant son poing contre sa poitrine.
- Livai, souffla-t-elle pour sûrement vérifier qu'il s'agissait bien de moi.
- E...excuse moi, je ne voulais pas te réveiller.
Elle se racla la gorge. Mon bras me picotait affreusement et je le remuais pour calmer les fourmillements. Violet se rallongea à côté de moi sans dire un mot de plus. Sa respiration se calma petit à petit.
- Me réveiller... Oh, ce n'est pas grave, expliqua-t-elle évasivement.
J'haussai un sourcil. Elle fixait le plafond, sûrement en train de se remémorer la veille et la soirée d'hier.
- Oh... J'ai merdé... soupira-t-elle en se levant.
- Pardon, cinglais-je pendant qu'elle traversait la pièce.
Elle avait déjà disparu de la pièce et parlait depuis le séjour. Je me suis retrouvé comme un idiot, seul dans mon lit.
- Je... Je n'aurai jamais dû... Tyler doit être en train de me chercher partout.
- On s'en fout parce que tu ne reverras plus jamais ce type! Et tu ne crains rien ici.
Physiquement, je n'étais pas vraiment en état de me lever mais ses pas s'éloignaient si vite que je n'avais d'autres choix que de la suivre. Elle criait désormais, la voix tremblante:
- Livai, il sait où je travaille! Il ne tardera pas à se pointer là bas, pour ensuite me suivre et me récupérer, ou quelque chose dans le genre!
Je me levai, agacé, pour rejoindre la brune, enroulant frénétiquement mon sweat autour de la taille.
- Alors, quoi? Tu vas repartir chez lui? Tu rêves...
Elle ne m'écoutait plus. Je la vis faire des grands pas dans le séjour pour entrer dans la chambre d'amis.
Qu'est-ce qu'elle me fait? Une remise en question? Une crise existentiel? Je pensais avoir été assez clair hier. Elle était d'accord en plus de ça pour rester ici. Pourquoi elle revenait irrémédiablement à vouloir retourner chez elle?
J'essayais de reprendre mon calme et m'épaulais à l'encadrement de la porte. Elle tournait dans la chambre sans faire grand chose, à regarder par la fenêtre et revenir à son sac à main.
- Hé, Violet... On peut partir d'ici.
Elle tourna la tête vers moi, le dos courbé et redressa ses cheveux. Elle avait un air interloqué, mélangé à sa panique étrange.
- Pardon?
- Si tu as si peur de cette ville, de cet endroit. Si l'esprit de cet homme plane sur toi, partons ailleurs. Divorce et disparais.
- Livai, la situation n'est pas si simple qu'il n'y parait. J...je ne comprend pas... Je ne sais plus.
- Je vais t'expliquer une chose que tu ne sembles pas encore avoir compris, c'est que je ne compte pas t'abandonner. J'ai largement assez d'argent pour faire une nouvelle vie ailleurs.
- Faire une vie ailleurs? Livai, vous vous entendez parler?
- Oui.
Ma réponse si simple la fit tressaillir.
- Tu penses que je ferais tout ça avec n'importe qui? Aller... laisse couler. On en rediscutera mais il faut que tu te calmes. Je suis désolé de t'avoir fait peur tout à l'heure.
Elle resta interdite plusieurs secondes.
- Je n'arrive jamais à comprendre le fond de vos pensées, pesta-t-elle.
- Parce que tu crois que tu vaux mieux que ça?
Elle esquissa un léger sourire. Elle se releva lentement pour jeter un regard à son sac.
- Mais... Tyler...
- Stop! Je ne veux plus que tu prononces ce nom jusqu'à ce qu'on ait bouffé! Tu aimes les œufs brouillés au bacon?
Elle fit tomber la jupe qu'elle avait plié sur le lit et ce geste m'indiqua qu'elle abandonnait son idée folle. Je me détend enfin et fis craquer mon dos comme je le faisais habituellement après m'être levé.
- J'aime faire des œufs brouillés, renchérit-elle en me dépassant pour sortir de ma chambre. Pour être honnête, je déteste en général vos petits déjeuners anglais mais je raffole de vos œufs.
- Parce que vous pensez faire mieux en Allemagne, soufflais-je en la voyant fouiller dans mon frigo?
Elle ne me répondit pas en sortant ma boîte d'œufs et quatre tranches de lard.
Je comprenais de moins en moins cette femme qui pouvait oublier ce qu'elle faisait en quelques minutes. Était-ce une manière pour elle de se protéger? Se voiler la face et quelques fois, elle voyait la vérité qui la fait paniquer?
Je n'étais clairement pas habilité à gérer une psyché pareille...
Cette attitude pondérée et fermée ,qu'elle avait autrefois, avait complètement disparu et je la regardais presque sautiller dans ma cuisine en préparant le petit déjeuner. C'était pour la première fois, depuis des années, qu'il y avait du mouvement dans mon appartement et que je faisais défaut à ma routine. Je l'observais se pencher devant la poêle et jubiler devant la bonne odeur qui s'en échappait. Peut-être que je ressentais quelque chose de protecteur envers elle...
Lorsqu'elle posa une assiette plus qu'appétissante devant moi, les premiers mots qui me vinrent furent:
- Je vais te payer un avocat.
Elle eut un léger recul puis un sourire assez gêné en hochant la tête. Elle s'assit lentement à côté de moi en jugeant mes paroles.
- Je m'attendais à d'autres remerciements...
- Je suis sérieux. Et je vais aussi t'aider à porter plainte.
Elle soupira en détournant la tête, elle fit face à son assiette fumante sans pour autant montrer une once d'intérêt. Son sourire avait disparu. Je tapotai nerveusement ses doigts contre mon comptoir en pierre foncée.
- Tu ne vas quand même pas le laisser s'en sortir sans conséquences? Il est une véritable menace pour toi.
- Je sais! S'énerve-t-elle. Je ne sais que trop bien de quoi il est capable. Et... c'est non.
- Non, répétais-je abasourdi?!
- Non. Je ne crois plus en la police. Je n'ai plus envie de passer pour la gamine mythomane qui veut briser des vies. Qu'on vienne se moquer de moi alors que je m'efforce d'expliquer mon calvaire.
- Mais tu as des preuves! Des dizaines!
Elle se mura dans le silence, recroquevillée contre sa chaise, déterminée à rester muette face à ses abus. Je claquai ma langue contre mon palais en frottant mes tempes.
Je devais choisir une autre approche, pour ne pas qu'elle se braque aussitôt. Mais les relations humaines, ça n'a jamais été mon fort, encore plus dans une situation aussi délicate. Si l'aide à l'enfance a toujours échoué pour l'aider, il ne faut pas que cela soit le cas une fois adulte. Personne n'a été punis! La seule à souffrir était Violet et elle semblait déterminée à garder le secret dans la tombe. Je ne comprenais pas...
- Violet... Je ne sais plus quoi te dire.
- Je vous en pris! La seule chose que je souhaite, c'est en finir avec tout ça et me sentir libre.
- Je ne suis pas sûr que tu te sentes libre si lui l'est toujours, marmonnais-je.
J'avais marqué un point. Je savais pertinemment que Violet avait désormais une peur bleue de sortir maintenant qu'elle lui avait désobéi et l'avait abandonné pour venir chez moi. A l'heure actuelle, Tyler devait appeler toute la ville pour la retrouver et c'était certain qu'il essayerait à son travail.
- Putain... Je dois me rendre à l'entreprise, aujourd'hui, soupirais-je songeur.
- Vraiment? Ah oui... L'évènement de Noël. J'étais invitée aussi mais j'ai décliné à cause de... vous savez qui.
- Je dois faire un discours important pour la boîte. Je ne pense pas que je pourrais me dérober. Tu te sentirais de rester seule ici?
Son visage inquiet m'indiqua que non. Je soupirai en essayant de songer vite à une solution.
- Et si... on passe par le parking souterrain? Il n'y aurait pas de problèmes. Tu ne sortirais pas à l'extérieur et le bâtiment est sécurisé. Tu te sentirais de le faire?
La brune resta silencieuse un long moment. Nos assiettes avaient dû refroidir depuis le temps mais aucun de nous n'y prêtait attention.
- Mais... je n'ai rien pour l'occasion.
- C'est vraiment ta première préoccupation?
On se regarda dans le blanc des yeux quelques secondes. Je sortis mon portable l'instant d'après.
- Bon, si c'est que ça, je te commande quelques robes pour que tu les essayes. Tu fais du combien?
- Du 38, réfléchit-elle.
- Pardon? Tu te fiches de moi?
- Ah, pardon! C'est vrai qu'en Angleterre, on dit du 12, ricana-t-elle gênée.
- Je préfère ça... Je t'achète un portable aussi. T'en a vraiment besoin...
___
- H...Hanji, je crois que vous m'avez mis du mascara dans l'œil, murmura la petite voix de Violet.
Je levai un regard vers les deux femmes à l'arrière du véhicule depuis mon rétroviseur. Cette espèce de folle qui se prétendait être mon amie essayait d'appliquer un pinceau étrange sur les cils de la brune, qui semblait peu certaine de ses mouvements. J'aurai peut-être dû demander à une autre personne de sexe féminin d'aider Violet à se maquiller. Mais je n'avais qu'elle sous la main et nous avions peu de temps pour trouver quelqu'un d'autre.
- C'est à cause de ce nabot qui conduit, pesta Hanji! Livai, nous sommes plus qu'en avance: ralentis! Je ne suis même pas attachée!
- Pas mon problème, soupirais-je en jetant un œil à la ceinture autour de la taille de Violet.
- Tes cils sont tellement longs, remarqua la binoclarde avec un sourire effrayant. Ça se voit que tu ne leur as jamais fait subir de maquillage. Tu devrais le faire plus souvent. Tu es très jolie comme ça, n'est-ce pas, Livai?
J'évitai le regard plein de sous entendu d'Hanji pour grommeler dans ma main accoudée à la vitre. Lorsque je lui avais envoyé un message peu de temps avant de partir, j'avais été bombardé de questions à propos de la présence de Violet chez moi. Mais étrangement, elle fut très silencieuse lorsqu'elle est rentrée dans la voiture. Comme si elle gardait ses questions sous réserve, pour interroger l'un de nous lorsque l'autre ne sera pas dans les parages. Cela ne risquait pas d'arriver, je ne comptais pas la lâcher d'une semelle.
Mon regard croisa celui de la brune qui me regardait avec introspection silencieusement. Le maquillage lui donnait des grands yeux de biche et une allure de poupée de porcelaine. Je détournai la tête vers la route en tapotant nerveusement le volant.
- On arrive, marmonnais-je.
- Ah, s'exclama Hanji en voyant apparaître le bâtiment de l'entreprise?! En plus de ça, j'ai fini et je n'en suis pas peu fière.
Violet n'osait même pas toucher son visage en regardant le résultat dans le miroir de poche. Elle avait un grand sourire jusqu'aux oreilles qui illuminait son visage. J'entrais dans le parking souterrain.
- Oh, Hanji... Merci beaucoup!
Pour être émerveillé par un maquillage aussi basique, cette fille n'a pas dû vivre une adolescence comme je l'imaginais. Peut-être par manque de moyen ou bien sous le contrôle de quelqu'un qui le lui interdisait.
Alors qu'elle allait sortir de la voiture, je me tournais vers elle pour l'interpeller:
- Si à un moment ou à un autre, tu te sens mal à l'aise: on peut rentrer.
Son regard s'adoucit. Elle posa sa main sur la mienne qui était retenue par le dossier du passager. Dès qu'elle sourit, ses lèvres brillèrent encore plus.
- Ne vous inquiétez pas pour moi... Et puis, vous m'avez expliquée comment marche mon portable.
Je ne voulais pas faire patienter Hanji dans le parking que devait être gelé alors je décidais d'écourter cette discussion. J'embrassai doucement ses lèvres avant de quitter la voiture, essuyant le rouge à lèvres. La brune piqua un fard en me voyant faire.
On prit l'ascenseur du parking pour monter jusqu'à l'étage de la réception. C'était un endroit qui nous était familier mais Violet semblait nerveusement. C'était peut-être sa robe qui la rendait mal à l'aise. Cette histoire de discours pouvait être vite plié, pour rentrer rapidement à l'appartement.
Les portes s'ouvrirent sur le cinquième étage et elle se crispa aussitôt lorsque les regards se sont tournés vers nous. N'importe qui, qui aurait croisé "Mlle Grimm" dans le passé aurait été stupéfait. Le jeune femme était métamorphosée avec sa robe de soirée bleue marine qui lui donnait une image beaucoup plus élégante et mature que d'habitude.
Elle me suivit silencieusement dans la réception en baissant progressivement le regard. Je supposai qu'elle n'a jamais eu autant d'attention sur elle. J'attrapai, sur le passage, deux coupes de champagne pour lui en tendre une.
- Je ne bois pas d'alcool, remarqua-t-elle.
- Comme tu veux...
A mes mots, elle accepta quand même le verre et je compris aussitôt le sens de sa phrase.
Si elle n'a pas l'habitude de boire, je vais prêter attention à ce qu'elle ne se serve pas toute la soirée. Elle a bu plusieurs petites gorgées avec ses grands yeux inquisiteurs et Hanji l'a taquiné quand elle a crispé son visage. Elles ricanèrent ensemble et je réalisais que Violet ne riait jamais, comme moi. C'était dans ma nature, pas celle de la jeune femme dont le rire était beaucoup trop fort socialement.
- On dirait qu'elle s'amuse bien, m'a chuchoté Hanji une heure plus tard.
Violet discutait avec les autres secrétaires de notre secteur, sûrement en train de colporter des ragots ennuyeux. Sa gestuelle, son sourire et ses yeux pétillants étaient tellement différents. Elle ne dégageait absolument plus la même chose.
- Elle a l'air heureuse, continua mon amie. Je ne l'ai jamais vu autant sourire. Qu'est-ce que tu lui as fait? Aux dernières nouvelles, c'était plutôt tendu depuis que tu l'as embrassé et qu'elle t'a avoué être mariée.
- Tout ça n'a plus d'importance, répondis-je seulement.
Voyant que je n'allais pas développer le fond de mes pensées, Hanji me sourit, devinant le bazar dans ma tête. C'est vrai que mon comportement était étrange ces derniers temps, mais tout était de la faute de cette brunette au regard chocolat qui s'était immiscé dans ma vie.
J'ai réussi à expédier en dix minutes mon discours pour l'entreprise. Personne n'en attendait plus de moi en sachant que ce truc me saoule chaque année. Lorsque je descendis des gradins, le regard embourbé par la lumière des projecteurs, je cherchai ma secrétaire du regard. Le groupe de jeunes femmes semblait s'être séparé et je vis Hanji jacasser avec Moblit, posés contre un mur. Je m'approchai d'eux en balayant la pièce du regard.
Je leur demandai s'il avait vu Violet récemment mais les deux me firent non de la tête. Ils ont supposé qu'elle était partie aux toilettes
Tch... Je lui avais bien dis de ne pas me lâcher de la soirée.
Je commençais à bousculer de plus en plus les invités, énervé et Erd m'interpella. Il était avec Gunther et Auro, des types quasiment au même grade que moi et je devais connaître théoriquement depuis des années même si j'oublie tout ce qu'ils me racontent.
Je savais qu'ils connaissaient tous Violet alors je m'approchais pour demander des informations mais Erd prit la parole en premier.
- Livai, tu savais que Mlle Grimm était mariée?
Je reste interdis, mon corps baissant drastiquement de température. Auro enchaîna, du sang gouttant au coin de ses lèvres...
- Hum... Ce serait madame, si on croit vraiment à ton histoire. Je savais que quelque chose se tramait avec cette fille: elle a toujours refusé de me parler.
Il y eut un silence pendant qu'on toisait le blond qui s'imaginait être le plus bel homme sur cette Terre avant que je me tourne vers les deux autres.
- D'où vous tenez ça? Demandais-je froidement.
- Parce que nous l'avons vu, il y a de ça quelques minutes. Je crois que c'était près des petits fours, ils ont discuté avec entrain. Et d'après Petra, il s'était présenté à elle comme étant le mari de Grimm. Pour un scoop... Même si elle n'était pas la plus belle femme de l'entreprise, pas mal de personne lui tournait autour de part son petit air mystérieux. Nous savons désormais son secret...
- Comment il a fait pour entrer? Pestais-je. La sécurité de ce bâtiment est fiable et ce n'est pas n'importe qui, qui pourrait entrer!
- Hum... Livai, tu sais... Les conjoints sont aussi invités à cette réception. Elle est certainement venue avec lui.
- Ils sont partis par où?
- Ils ont dû rentrer chez eux. Je l'ai vu la traîner vers les couloirs adjacents, répondit Erd.
- Maintenant que j'y pense, je l'ai trouvé assez bizarre. Mais après, ce ne sont pas nos affaires...
Je n'ai pas écouté la fin de sa phrase car je me suis rué vers les couloirs de l'entreprise.
Ce n'est pas croyable d'imaginer qu'il a pu rentrer aussi facilement dans cet endroit. Tout était de ma faute, je n'aurais pas dû emmener Violet ici.
Ce type était un grand malade et il fallait que je la retrouve vite! Mon cœur tambourinait dans ma poitrine et mes tempes sifflaient. J'ouvrais chaque porte frénétiquement sans prendre le temps de les fermer. En même temps de cela, je sortis mon portable pour tenter de l'appeler mais ça sonnait dans le vide. Je m'en doutais. Cela aurait été trop facile...
Je donnais un coup d'épaule à la porte de service. Mon souffle reprit dès que je vis deux silhouettes sur le balcon dans l'espace fumeur. J'ouvris rapidement la porte vitrée, complètement haletant et paniqué. Mon sang ne fit qu'un tour lorsque je vis un blond qui m'était complètement inconnu, les mains enroulées autour des poignets de Violet, lui hurlant dessus alors qu'elle essayait de se débattre. Je n'étais plus maître de moi-même:
- Hé! Lâche la!
Je vis la haine que l'homme inspirait quand nos regards se sont croisés. Violet avait l'air complètement effacée et minuscule à ses côtés, réalisant à quel point il la dominait. Elle me regarda également et je vis ses yeux recouverts d'un flot de larmes et surtout, son nez qui pissait le sang. Je serrai les poings en m'approchant d'eux.
- T'es qui, toi? Occupe toi de tes affaires, pesta l'homme!
- Tu vas la lâcher, immédiatement, continuais-je avec rage.
- Livai, n'approchez pas. Il... Il pourrait...
- Ferme ta putain de gueule, rugit Tyler!
La brune gémit de peur et se referma sur elle-même, cessant de se débattre.
- C'est chez lui que t'es allé, continua-t-il? Espèce de salope! Après tout ce que j'ai fait pour toi, tu vas baiser avec le premier venu?
Elle sanglotait juste silencieusement, fermant les yeux pour ne pas affronter son regard. Violet avait tellement l'air frêle en face de lui, comme une poupée de chiffon qu'il s'amusait à secouer. J'essayais de reprendre mon calme afin que la situation ne s'envenime pas, face à l'agressivité et la folie que l'homme dégageait.
- Calme toi! Tout le bâtiment est sécurisé et je donne pas cher de ta peau si tu poses encore ta main sur elle, expliquais-je.
- Violet est ma femme! Tout ce que la concerne, me concerne. Et je refuse qu'elle se barre avec le premier venu alors que je lui ai tout donné. Elle est à moi et à personne d'autre!
Je fulminai mais tempérai mes nerfs. Je refusais qu'elle serve de punshing ball si cela tournait mal. La brune me lança un regard apeuré et me fit un léger non en signe de résilience. Je m'approchai quand même, pesant mes pas et mes paroles.
- C'est fini, Tyler. Tu ne peux pas forcer quelqu'un si cette personne ne veut plus de toi. C'est la cas pour Violet. Elle n'est pas un objet de désir ou de satisfaction. C'est une femme intelligente qui est promis à de grandes choses.
- Ma parole, t'es amoureux ou quoi?! Ricana l'homme en reculant. Rêve pas trop en t'imaginant que cette peste veuille de toi.
Il y eut un léger silence. Mon cœur battait la chamade. J'entendis des pas précipités derrière moi mais je ne voulais pas couper notre contact visuel.
- Oui, je l'aime, soufflais-je. Mais cela n'a pas d'importance. Je me fiche de savoir qui elle a été autrefois. Ou de savoir qu'elle a profité de toi pour s'enfuir. Elle n'a, en aucun cas, mérité le sort que tu lui as réservé. C'est fini... Abandonne.
J'ai échangé un regard sincèrement tendre à la brune dont les yeux s'étaient écarquillés. Malheureusement, elle n'a pas eu le temps de réagir. Personne n'en a eu le temps. Tout s'est produit en une fraction de seconde. J'étais trop loin d'eux mais je m'en voudrais toujours pour le restant de ma vie.
Dès l'instant où Violet a su que je l'aimais, elle a disparu.
Les seuls fragments qui me restent de ce moment, furent le cri de rage que Tyler a fait avant de pousser violemment la brune contre la rembarre. Celle où nous avions si souvent parlé.
Et son hurlement de peur, pendant qu'elle chutait dans le vide. Il m'empêchait désormais de dormir.
Hanji était arrivée à ce moment et elle avait assisté à toute la scène. Elle m'a vu courir vers l'homme pour le jeter à terre et le rouer de coup, comme si le mal n'avait pas déjà été fait. Quand elle m'a tiré pour m'écarter de lui, j'ai titubé vers le balcon qu'elle m'a empêché de voir. Puis tout est devenu flou. Plus rien n'avait d'importance.
Lorsque je suis revenu à moi, dans une chambre d'hôpital, Hanji et des policiers étaient à mes côtés. J'ai été incapable de prononcer un seul mot après avoir su que "Madame Grimm avait succombé à sa chute".
Tout avait été si rapide. Il y a quelques heures auparavant, j'étais avec elle et son beau sourire, celui où ses yeux se plissaient de bonheur. Celui que j'avais eu la chance d'entrevoir lorsqu'elle posait son regard sur moi.
Elle n'était plus là.
Plus rien n'avait de sens désormais. La routine, la tranquillité... Je l'emmerdais du plus profond de mon être. J'étais incapable de rentrer dans mon bureau sans voir ses affaires encore sur le sien, ses cahiers de maths et sa tasse à café. Ses affaires étaient encore chez moi et je n'avais pas la force de m'en défaire. Chaque endroit où j'allais me rappelais quelque chose chez elle.
- Je vais demander à l'accusé et aux jurés de se lever, intima la juge en fouillant dans le dossier.
Mon regard était figé vers le blond qui se leva, un sourire en coin que je lui ferais bien bouffer. Mes poings se serrèrent et je sentis la main de ma meilleure amie sur mon épaule. Nous étions dans les banc des témoins, seulement à quelques mètres de lui alors qu'il ne nous avait pas adressé un seul regard depuis le début du procès.
- Dans l'affaire du féminicide de Violet Grimm, survenu le 23 décembre 1995. Les jurés et moi-même avons jugé Tyler Grimm, le mari de la victime, coupable du meurtre au second degré et condamné à la perpétuité avec une libération possible après 25 ans de réclusion criminel.
Son sourire ne fana pas. Il savait qu'il n'avait plus rien à perdre. Mon souffle était haletant tant je le voyais se lever, escorté par la sécurité pour sortir de la salle. Hanji remua ma main pour me faire réagir mais j'étais incapable de détacher mon regard de l'homme qui avait tué la seule femme que je n'avais jamais aimé.
Je n'ai rencontré qu'une seule personne qui a attiré mon attention, toute ma curiosité et ma raison. Même si elle se rongeait les ongles, somnolait régulièrement et semblait lunatique. Elle avait des grands yeux de biches qui se plissaient lorsqu'elle souriait sincèrement. Elle était sincèrement bienveillante et dévouée malgré que la vie n'ait cessé de vouloir la briser. Et elle m'a avoué qu'elle m'aimait, les joues adorablement rougies.
Dans une autre vie, j'aurai réussi à sauver Violet et elle serait devenue ma femme.
Je ne pouvais m'attacher désormais, qu'à cette simple nuit, ce souvenir de son visage endormi contre moi, paisiblement bordée dans mes bras, s'éloignant enfin de ses angoisses pour un court instant.
Après ça, je n'ai pas cherché une autre secrétaire et mon cœur n'a plus jamais été heureux de croiser le regard de quelqu'un.
Mon nom est Livai Ackerman. Et les choses que j'aime dans la vie sont très simples:
La tranquillité, la solitude et Violet Fiducia.
Fin de ce one shot
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