Soir de Noël

 Je regardais mon cousin s'éloigner au loin, sous les nuages gris qui pleuraient son départ. Je ne voyais pas son visage, mais je le devinais bien recouvert de larmes, que ce soit celles du ciel ou les siennes, je n'en avais pas la moindre idée. Je regardais dehors, me demandant ce qu'il allait devenir sans pour autant avoir le courage de partir avec lui, vers l'inconnu. Les discussions reprirent, interrompues par des rires sincères, pas le moins du monde influencés par le départ de l'adolescent. Les couverts crissaient, mon père proposait du champagne, ma mère proposait de la dinde. Un repas de noël classique, pourtant, des restes d'une haine incontrôlable gisaient encore dans les yeux de mon oncle et ma tante. Ils essayaient de le camoufler avec des sourires, mais la noirceur de leurs iris témoignait de l'horreur qui avait eu lieu il y a de cela dix minutes.

Comment en étions-nous arrivés là ?

Bien sûr, je le savais pertinemment, car mon cousin, Alex, se confiait à moi. Il me parlait de ses tourments, du dégoût qu'il éprouvait pour lui-même, pour ce qu'il était. J'essayais de le rassurer, de l'aider, de le conseiller; mais rien n'y faisait. Il détestait toujours autant l'intégralité de son être, son corps comme son esprit, sa physiologie comme sa psychologie. Après tout, je n'étais pas psychologue, bien que je fasse des études pour le devenir.

Je me souviens encore de la première fois où il est venu me voir, il était en larmes. Nous étions proches depuis sa naissance, je m'étais occupé de lui depuis lors, comme s'il était mon petit frère. C'était il y a un an, mais je me rappelle encore de sa voix brisée et de la légère hésitation qui transparaissait à l'intérieur quand il a commencé à me raconter.

Chaque fois qu'on lui parlait, il lui semblait qu'on se moquait, qu'on voulait le blesser, arracher chaque partie de son âme pour le rentrer dans le moule, pour le transformer en ce qu'il n'était pas. Certains se moquaient véritablement de lui, certes, mais, ce n'était pas à cela qu'il prêtait attention. Il ne lui importait que peu qu'on veuille lui faire du mal, mais il ne supportait pas quand ce n'était pas volontaire, quand chaque personne qu'il connaissait, de son meilleur ami à sa mère, en passant même par ma personne, le détruisait.

Chacune de ses larmes reflétait ses mots, ses souffrances et leurs dires. Il avait l'impression que c'était lui le fautif, que c'était de sa propre faute s'il souffrait, qu'il devait se punir, et dans un autre sens, il lui semblait que se punir le soulageait d'une masse trop lourde qui pesait sur son cœur. Seulement, je lui ai expliqué que ce qui coulait quand il « s'apaisait » n'était pas ce qui pesait sur son cœur, mais ce qui s'écoulait inlassablement à l'intérieur : son sang.

Il m'avait promis d'arrêter, mais je savais très bien que ce serait compliqué.

Je me souviens encore de la discussion qu'on a eu juste après.

« Bien. Tu me promets de ne plus penser de mal de toi?

– Je le promets.

– Promets-le sur ton nom.

– Moi, Alex Samare, je promets de ne plus penser de mal de moi »

Suite à ça, nous avons rigolé longtemps, ses larmes étaient évaporées et avaient été remplacées par un sourire magnifique.

Mais ce sourire a vite été perdu, il est devenu un rictus de douleur, qu'il portait chaque jour, à cause de sa lèvre ouverte, ou peut-être de son œil au beurre noir. Alors j'ai longuement essayé de lui faire retrouver, mais, à chaque fois que ses lèvres s'étiraient en un semblant de rire, elles se rétractaient dans une grimace de douleur et il saignait. J'ai tenté de savoir qui était à l'origine de ces blessures, mais il refusait d'en dire mot.

J'ai soupçonné du harcèlement, mais il niait, pourtant je savais que j'avais juste, je le savais, car son regard parlait pour sa voix. Ses pupilles tourmentées par un mal envahissant, qui semblait ronger son esprit et son corps. Sa peau devenait bleue par endroits, une fois, j'avais rigolé en disant qu'il se transformait en avatar, il avait rigolé aussi, ses yeux avaient retrouvé une légère lueur de vie, mais pour combien de temps?

Je savais qu'il souffrait, mais je ne savais pas comment régler le problème du harcèlement sans en savoir le pourquoi. Il n'y a pas toujours de raison, mais il y en a souvent une. C'est également souvent des groupes qui suivent une personne qui s'en chargent.

J'ai alors choisi d'aller le récupérer au lycée, je découvrirais bien qui était à l'origine de ses multiples souffrances. Alors que mes pas me guidaient automatiquement vers l'établissement dans lequel j'eus auparavant étudié, je remarquais un attroupement d'élèves qui hurlaient des encouragements ou des insultes. À leur entente, je sus qu'ils savaient ce qu'Alex m'avait dit, et je devinais également que c'était la raison de ce harcèlement.

Après m'être approché, je remarquais mon cousin, en boule sur le sol, roué de coups par deux garçons et une fille, qui étaient une représentation clichée des « racailles ». J'écartais les spectateurs d'une voix forte, en essayant d'imiter un surveillant, sachant très bien que je serais plus écoutée ainsi. Tout le monde finit par partir, laissant seulement Alex, au sol, le visage en sang et inconscient. J'appelais une ambulance et il fut rapidement amené aux urgences.

Cela faisait vingt minutes que j'attendais, j'avais appelé mon oncle et ma tante, pour les prévenir de la présence de leur enfant à l'hôpital. Ils allaient venir le plus vite possible, mais ils travaillaient assez loin de l'hôpital.

Quand un médecin sortit de la pièce pâle où était Alex, je me ruais sur lui et demandait.

« Comment il va ? »

Il parut surpris quelques secondes, puis reprit contenance.

« Il va bien, il doit seulement se reposer encore quelques heures, puis il passera d'autres examens. »

Je soupirais de soulagement.

« Je peux le voir ? »

Il acquiesça et j'entrais dans la pièce. Il était là, allongé dans un lit aux draps immaculés, le visage aussi paisible que celui d'un ange, mais amoché. J'entendais sa respiration régulière qui se propageait dans la pièce. Ses parents arrivèrent bien vite et je m'en allais aussitôt.

Quand j'arrivais dans mon appartement, je regardais une photo que j'avais de lui, c'était à Noël, il y a une dizaine d'années. Il portait un sourire candide et un bonnet de père Noël. Il brandissait fièrement un sucre d'orge qu'il venait de recevoir dans une main, et dans l'autre une petite voiture rouge. J'étais à ses côtés, les mains sur ses épaules recouvertes d'un T-shirt Disney. C'était un heureux Noël. Je regardais la date, nous étions le dix-neuf novembre, seulement un mois nous séparait d'une nouvelle fête de fin d'année. J'espérais secrètement qu'il se mette à neiger, pour pouvoir y aller. Je rigolais légèrement à cette pensée, je n'avais pas changé depuis que j'étais enfant.

Les jours défilaient et j'essayais de voir Alex assez souvent, pour essayer de le soutenir, mais je ne pouvais pas le défendre, ni poser de plainte auprès du chef de l'établissement. Je n'étais pas sa mère. Nous étions un jour avant les vacances de Noël, quand il m'annonça simplement :

« Je vais leur dire.

– Tu es sûr ?

– Oui, ils pourront peut-être me soutenir, non ? Là...j'ai juste l'impression qu'ils m'enfoncent involontairement. »

Alors Noël arriva tandis que j'espérais qu'il neige, en vain.

Le repas avait commencé calmement, rires et anecdotes drôles parcourant la pièce. Alex se leva. La pièce se fit calme.

« J'ai quelque chose à vous dire. »

Il tremblait comme une feuille. J'attrapais sa main pour le calmer, mais j'avais aussi peur que lui que ça se passe mal.

Alors il expliqua, calmement, des choses que je savais, d'autres que je ne savais pas, sous le regard sidéré de chacun des membres de la famille. Son père, sa mère, son frère, mais aussi mes parents à moi, et nos grands-parents. Le silence était glacial, la tension était palpable tandis que je présageais le pire. Chacun des sourires s'était affaissé, sa mère s'était mise à pleurer, et son père à s'énerver. À chacune des piques qu'il recevait, Alex restait sûr de lui et répondait calmement.

« Tu n'es plus ma fille !

– En effet. Je suis ton fils »

Je crois que ce fût la réponse de trop, son père se leva, puis ce fut au tour de son poing de faire de même, et il s'abattit sur la pommette de celui qu'il considérait auparavant comme sa fille, et à présent comme un fou, ou une folle, je ne savais pas.

« Pars d'ici. »

Alors Alex, qu'ils appelaient Lila, obéit et se leva, calmement, il me jeta un dernier regard, accompagné d'un sourire emplit de tristesse, puis il sortit. Par la fenêtre j'avais vu scintiller des petites larmes sur son visage, à moins que ce ne soit du sang, ou la pluie. Ce pouvait aussi être les trois. Pourquoi, alors qu'ils allaient avoir l'enfant, le fait que ce soit une fille ou un garçon ne les importaient que peu, alors qu'à présent, à leurs yeux, ce n'était qu'abomination ?

Je regardais mon cousin s'éloigner au loin, sous les nuages gris qui pleuraient son départ. Je ne voyais pas son visage, mais je le devinais bien recouvert de larmes, que ce soit celles du ciel ou les siennes, je n'en avais pas la moindre idée. Je regardais dehors, me demandant ce qu'il allait devenir sans pour autant avoir le courage de partir avec lui, vers l'inconnu. Les discussions reprirent, interrompues par des rires sincères, pas le moins du monde influencés par le départ de l'adolescent. Les couverts crissaient, mon père proposait du champagne, ma mère proposait de la dinde. Un repas de noël classique, pourtant, des restes d'une haine incontrôlable gisaient encore dans les yeux de mon oncle et ma tante. Ils essayaient de le camoufler avec des sourires, mais la noirceur de leurs iris témoignait de l'horreur qui avait eu lieu il y a de cela dix minutes.



Ce one-shot est en lien avec le suivant, c'est le préquel, donc essayez de les lire dans l'ordre.

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