Plume I - La Couronne Vermeille
Londres, 20 Février 1865
À ma tendre Esther
D'abord, permettez-moi de vous offrir mes plus belles et mes plus sincères salutations. Je me suis levé de bon matin et j'ai pensé de suite à vous écrire. Ma plume frissonne à l'idée de vous témoigner toute ma sympathie et j'ignore encore si j'aurai assez d'encres pour relater toutes les pensées que j'aimerai vous transmettre. J'essaierai néanmoins d'être bref et concis pour ne pas vous endormir.
Comment vous portez-vous? Et votre famille? Et vos amis? Je prie pour que la santé et la joie de vivre coulent en abondance dans votre demeure car ce que je vais vous raconter n'a rien de bien heureux.
Il y'a quelques jours de cela, Mister Elias et moi avions arpenté les rues éclairées et modernes de Londres pour changer de la monotonie de ma vie dans le manoir. Mon père, Lord Allen, était en mission pour la reine tandis que ma bien-aimée mère souffrait d'une grave maladie qui pouvait l'emporter à tout moment. Comme vous pouvez le constater, my Lady, ce n'est pas la gaieté dans mon quotidien et c'est la raison pour laquelle mes missives peinaient à vous parvenir. J'espère que vous pardonnerez mon manque de régularité. Dans deux ans à peine, j'aurai atteint la majorité. Il me reviendra de droit et de devoir de guider le manoir Allen vers la gloire et la prospérité, comme l'avait fait mon père durant toute sa vie. On se hâte dans mon éducation, on m'inculque les valeurs et notions essentiels pour devenir un seigneur respectable. Je tiendrai bon et je survivrai. Dans deux années, je serai en mesure de vous épouser et j'ose espérer que vous me soulagerez de cette vie ennuyeuse qui m'incombe. Comme je vous le disais un peu plus tôt, j'ai entrepris une ballade avec Mister Elias. Il m'a montré des endroits fascinants que j'ignorais jusque-là. La ville avait bien changé depuis mes 8 ans. Et oui, c'était la deuxième fois de ma douloureuse existence que je la découvrais. Nous avons visité les boutiques, les restaurants chics ainsi que les théâtres où je ne cotoyais que mes semblables. Et pour finir cette journée, j'ai demandé à Mister Elias de nous amener dans une boutique de jouets. Je voulais vous faire un présent digne de votre prestance. À peine avais-je franchi le seuil qu'une magnifique poupée en laine donnait l'impression de me fixer. Elle était solitaire et isolée. Ses cheveux noirs de jais et sa robe écarlate lui conféraient un charme unique auquel j'ai succombé inévitablement. Nous demandâmes son prix au gérant qui s'empressa de nous l'offrir gratuitement. Il avait l'air heureux, comme si un poids venait de lui être enlevé. Nous prîmes la poupée et retournâmes au manoir. Je me hâtai de rejoindra ma chambre et de me jeter sur le lit. La fatigue m'avait gagnée. Je mis la poupée près de mon oreiller et me laissai bercer par sa douceur, cette douceur qui lui a valu le nom «Esther». C'est lors de cette soirée que ma vie prit un tournant dramatique. J'ai fait un rêve, un drôle de rêve qui plus est. Je me suis retrouvé dans une plantation de fraises où une ombre écarlate dansait gracieusement et avec beaucoup d'innocence. Il s'agissait de Esther... De la Dame Vermeille... C'est ainsi que le gérant du magasin à jouets l'avait baptisée... Je me mis à avancer dans ce paysage singulier pour me rapprocher de Esther mais elle s'éloignait, me narguait et m'incitait à la suivre. Dès cet instant, j'étais devenu son esclave. Je suivais aveuglément ses pas au milieu de ces fraises mais plus j'avançais, et plus elle disparaissait. Alors je me mis à courir, encore et encore... Plus je courais, et moins je ressentais de la fatigue. Le parfum des fraises était si délicat, si exaltant que je me sentais invincible, insaisissable, inépuisable. Je courais, sans répit, sans m'arrêter, sans sourciller. Et cette course m'a semblé durer des années, des siècles, une éternité. Soudain, mes pas se mirent à ralentir. L'atmosphère devenait pesant et le ciel commençait à se teinter d'un rouge répugnant. Un sentiment de malaise permanent perturbait mes sens, et la Dame Vermeille s'évaporait mystérieusement. Je suffoquai et mon cœur était au bord de l'implosion. L'odeur du sang ennivrait mes narines. En tournant mon regard à gauche, je vis quelque chose d'invraisemblable. Les fraises, elles s'étaient mises à saigner. Une pluie pourpre s'abattit sur toute la végétation. Apeuré, je me mis à courir à nouveau même si mes membres devinrent anormalement lourds. Je courais, je me devais de courir car derrière moi, des pas sinistres se rapprochaient. Quelque chose de bien singulier me suivait de près, je ne devais pas me retourner, sinon je mourrai. Une étrange comptine commençait légèrement à titiller mon ouïe. Et cette mélodie gagnait en ampleur au fil des secondes. Elle était là, juste derrière moi. L'origine de ce requiem funeste, cette voix suave qui caressait mon cœur de verre, elle était là . Soudain, par mégarde et par audace, je tournai la tête pour voir l'identité de la chose qui me suivait mais une main difforme saisit brutalement mon visage et je me réveillai en sueur sur mon lit. Il s'agissait d'un cauchemar, un cauchemar inédit qui s'est ancré dans ma réalité. Le lendemain, la Dame Vermeille entreprit des manœuvres. Une plantation de fraises avait inexplicablement émergé derrière la maison. Mister Elias et moi décidâmes de l'explorer pour voir de quoi il en retournait. C'est alors que j'ai senti cet odeur nostalgique, leur parfum était identique à celui de mon escapade nocturne, ce qui me glaça le sang davantage. Mister Elias a demandé à tous nos serviteurs de garder le secret sur ce mystère car si cela se savait, notre famille serait entachée de la réputation d'hérétiques et d'adeptes de sorcellerie. Je retournai alors dans ma chambre et scrutai avec attention Esther. Elle était maléfique. J'ai songé à m'en débarrasser mais un petit caprice juvénile m'incitait à la garder. La nuit arriva, terrifié par les événements de la journée, je ne réussis point à fermer à l'œil. Minuit avait résonné et les ténèbres avaient repris leurs droits. Alors que je regardai le plafond pour faire taire mes maux, je l'entendis une nouvelle fois. L'étrange comptine de mon cauchemar se mit à bercer les murs du manoir. Mon cœur s'accélérait et mon corps gelait. Je tremblais, j'avais peur mais je pris mon courage à deux mains et me dirigeai vers la fenêtre de ma chambre qui donnait sur l'arrière de la maison. C'est alors que j'aperçus l'ombre de la Dame Vermeille qui chantait et dansait entre les fraises. Elle était belle. Elle était magnifique. Elle était unique. Je l'observais, je la contemplais comme si, l'amour entravait mon être. Et sans m'en rendre compte, je l'avais guetté jusqu'au lever du jour. Épuisé, je retournai vers mon lit et dormai profondément. Un sourire apaisé décorait mon visage. Je l'aimais. J'aime la Dame Vermeille mais d'un amour différent, d'un amour malsain. La journée suivante ne tarda pas à virer au drame. Un de mes servants, Mister Georges avait été retrouvé mort dans le jardin à fraises. On lui avait littéralement arraché le cœur dans sa poitrine. Selon les médecins, il ne s'agissait d'aucun objet contondant mais bien d'une main vengeresse. La panique commençait à s'emparer de ma demeure et mes servants partirent les uns après les autres en nous abandonnant à notre peine. Le manoir des Allen était dorénavant le manoir du Diable. Toutefois, de fidèles courageux restèrent à notre service malgré le mal qui résidait entre nos murs. Jour après jour, la comptine résonnait et ils moururent les uns après les autres. 13 jours se sont écoulés depuis, et 13 personnes, ma mère comprise, ont péri de la même manière. On leur avait tous arraché le cœur mais plus le temps suivait son cours, plus ma peur se dissipait et plus mon amour pour Esther grandissait. Il ne reste plus que moi dans ce manoir sombre rempli de fantômes. Le jardin à fraises, quant à lui, avait beaucoup gagné en espace. Il entourait tout le manoir dorénavant et la Dame Vermeille se faisait de plus en plus régulière. Cette tendre mélancolie qui rythme ma vie attise un plaisir atypique et sensationnel.
Ma bien-aimée Esther, le printemps se rapproche petit à petit et j'ose espérer le passer en votre compagnie. Venez, n'ayez crainte, je vous montrerai la beauté des fraises, une élégance rare qui ferait pâlir votre charme.
Amoureusement,
L'homme de vos passions.
Viktor Allen.
-----------------------------------------------------------
Printemps 1865,
L'héritier de la grande famille Allen, Viktor Allen, est accusé de meurtres sur ses 12 servants, sa mère Kate Allen ainsi que sur sa fiancée Esther Collins. L'accusé est sujette à des crises de démence et de paranoïa. Les victimes ont tous eu le cœur arraché et disséminé dans le jardin à l'arrière de la maison en forme de couronne.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top