4. Mon plus grand voyage
Je fixai la petite valise vide posée sur mon lit, ouverte, dans l'attente de trouver le courage de la remplir. Un petit bagage, c'était assez pour ce que je voulais emporter avec moi. Le premier objet à frôler le doux tissu qui entourait l'intérieur de cette malle fut une peluche, un mouton à la laine usée, à la peau rapiécé, au visage bruni par la saleté, par l'âge. Il n'était pas agréable à regarder, mais pour moi, il était plaisant d'y penser. Imaginer ma réaction la première fois que je l'avais vu, probablement quand je n'étais encore qu'un bébé, un souvenir lointain, perdu, duquel on ne pouvait seulement rêver. Ma mère me l'avait offert, sûrement, qui d'autre aurait pu me faire un tel présent ?
Je sortis de ma contemplation. Ces derniers temps, la moindre action me faisait divaguer, laissait mon esprit s'évader loin dans le temps, nostalgique. Je jetai un coup d'œil à ma montre, qui m'indiquait quatre heures du matin. J'avais encore le temps, trois heures environ, avant qu'on vienne me chercher. Il ne fallait pas traîner pour autant.
Mon regard se balada dans ma chambre, à la recherche d'objets ayant une valeur suffisante pour finir dans mon bagage. C'était un exercice difficile, que j'avais sous-estimé, m'y prenant, comme à chaque fois que j'entreprenais quelque chose, à la dernière minute. Mais mon départ n'était pas un choix pris à la va vite, c'était une décision mûrement réfléchie, même si le laps de temps nécessaire à envisager cette option s'était avéré très court.
Mes doigts tapotaient sur mon bureau, duquel je m'étais inconsciemment approché. Ma main agrippa un bibelot, seule décoration du meuble. C'était une statuette bleue, représentant un oiseau, le bec en l'air, comme s'il allait entamer une chanson. Je l'avais aperçu un jour dans une boutique et il m'avait inspiré. Ses yeux peints m'avaient hypnotisé, il y avait dans sa position quelque chose de vif, comme s'il pouvait s'envoler à tout instant. Il me semblait vivant, parfois je m'attendais presque à ce qu'il piaille quand je m'asseyais sur ma chaise. Convaincu, je le posai dans ma valise, à côté du vieux mouton, sans prendre la peine de le protéger. Il ne se casserait pas, et même si c'était le cas, ce ne serait pas grave, plus maintenant.
Sur une commode, un peu plus loin, se trouvait un tableau, posé sur un chevalet comme une œuvre d'art. C'était en réalité une toile remplie de couleurs qui se mélangeaient sans logique, formant un tourbillon chaotique multicolore pas très harmonieux. Mais avant d'être un tableau, c'était avant tout un souvenir, celui d'une après-midi pluvieuse en compagnie de ma mère.
Je revins brusquement dans le présent, je devais arrêter de trop penser. J'arrachai la toile de son chevalet et la jetai dans mon bagage, sur le mouton, sur l'oiseau, et quittai ma chambre.
Sur la pointe des pieds, je traversai le couloir, il ne fallait pas réveiller ma tante. Malgré son célibat et bien qu'elle n'ait pas d'enfants, son instinct maternel était élevé, le moindre bruit suffirait à la sortir de son sommeil léger, brisant tous mes espoirs de pouvoir partir. Mais j'avais vraiment besoin de me rendre dans la partie opposée de la maison.
J'arrivai enfin dans le salon sombre, seulement éclairé par la légère lueur de l'aube. Même dans la pénombre, je n'eut aucun mal à trouver l'objet que je cherchais. J'écartai les bougies éteintes qui l'entouraient et empoignai un cadre photo. Je plissai les yeux pour mieux le distinguer. Une femme aux cheveux blonds, dont j'avais hérité, m'y souriait, un petit sourire, gracieux, simple, assorti au fin visage de ma mère. Je serrai le cadre contre mon cœur, retenant quelques larmes qui attendaient sagement la moindre faille pour pouvoir dégringoler le long de mes joues.
Je traversai à nouveau le couloir, m'arrêtant cette fois devant une autre porte. Dans la salle de bain, dans laquelle régnait le noir complet, je baladai mes mains sur un meuble, à la recherche du porte bijoux. Mes doigts effleurèrent enfin ce long tronc plein de branches vides, à l'exception d'une seule, sur laquelle pendait un collier. Je sentis glisser sur ma paume cette chaînette au pendentif en forme de cœur, qu'on pouvait ouvrir pour dévoiler une image. Cette photo, je la connaissais déjà, c'était un cliché de moi enfant, souriant, dévoilant mes dents de lait. Ce souvenir d'il y a une dizaine d'années était touchant, mais c'était surtout le collier qui m'intéressait.
J'enfilai le bijou autour de mon poignet et glissai l'autre plus loin, le long du meuble, avant de heurter une trousse de maquillage. J'y plongeai ma main et ressortit un tube, son seul rouge à lèvre, un rose délicat qui s'alliait à merveille avec ses traits fins et son teint délicat. J'empoignai également au passage un flacon de parfum, qui dégageait des effluves fleuries et légères, que maman portait tous les jours.
Ce parfum familier me suivit durant le retour à ma chambre, et quatre nouveaux objets finirent dans ma valise. Je regardai la mallette, satisfait, j'avais tout ce qu'il nous fallait. Je la refermai, sécurisant l'ouverture par un bouton et la pris dans ma main. Sans un regard en arrière, j'ouvris la fenêtre et sortit dans le jardin. Une fois dehors, je contournai la maison et m'engageai dans un chemin, le cœur léger. Le petit mot sur mon oreiller se chargerait du reste.
Je ne saurais dire ce qu'il s'est passé entre mon départ et l'arrivée à ma destination. Alors que j'atteignais la rivière, je ne me souvenais plus que d'un profond sentiment de liberté, de la fraîcheur de l'air et le ciel rosé devant moi. L'endroit était paisible, dérangé uniquement par le bruit de l'eau qui coulait une dizaine de mètres sous le pont sur lequel je me trouvais. J'enjambai la barrière et plongeai mon regard dans le vide, sur les torrents d'eau et les quelques rochers qui émergeaient. Je serrais fort contre moi ma mallette.
— J'arrive, maman.
Je fis un dernier pas, emportant tout avec moi, mes biens les plus précieux, mes souvenirs, ma vie.
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Voilà une petite nouvelle pour le concours de PlumeDuMonde51 ! Une nouvelle à chute triste, comme d'habitude. Le thème était les bagages, tout simplement ! D'ailleurs, n'hésitez pas à vous inscrire si ça vous intéresse, le délai est jusqu'au 15 août ! Il y aura d'autres thèmes par la suite et le concours semble bien organisé, il vaut le détour !
N'hésitez pas à me faire des retours sur cette nouvelle !
Update : j'ai eu la première place !
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