3. un café amer

Maman avait quelque chose de brut, d'authentique. Des traits marqués et deux yeux d'un brun profond, une couleur chaude qui pourtant renvoyait un regard froid, sec. Elle était comme la boisson qu'elle buvait chaque matin avant de partir, forte de caractère, sans artifices, pas de sucre, pas de lait. Elle s'oubliait parfois, pensant aux autres plutôt qu'à soi, se laissant refroidir, ses besoins délaissés sur le coin d'une table, comme son café qu'elle abandonnait de plus en plus fréquemment.

Mais je l'aimais, je l'aimais comme elle était, sans sucre ni lait, froide même si je préférais sa douceur, quand notre amour était encore chaud, quand elle avait encore du temps. Mes amis m'enviaient, maman était notre sujet de discussion favori, on ne parlait que d'elle quand je sortais. On me disait que j'avais de la chance d'avoir une mère, quelqu'un qui m'aimait, qui prenait soin de moi, qu'il fallait que je profite avant qu'elle s'en aille, comme la leur qui les avait quittés. Mais maman ne s'en irait pas, je le savais, elle tenait trop à moi.

On se voyait peu, le matin et le soir, elle ne parlait pas beaucoup, mais quand elle le faisait, on s'asseyait sur le canapé, elle caressait ma tête, et je l'écoutais, blotti dans ses bras. Elle me faisait part de ses problèmes, que je ne comprenais jamais, mais j'étais là pour elle, sur ses genoux, dans son cœur.

Cette vie me convenait, mais apparemment, ce n'était pas le cas pour elle. Elle commença à mettre du sucre dans son café, et dans sa vie. Elle ne partait plus le matin, elle restait avec moi toute la journée, à jouer ou à parler, elle me laissait me reposer dans son lit l'après-midi, pendant qu'elle était sur son ordinateur, un sourire sucré sur les lèvres, bien qu'on devinait son cœur amer.

— J'ai plus de travail, on pourra passer plus de temps ensemble.

Plus de travail, ça me semblait génial, pourtant ses yeux bruns étaient tristes, même si ses mots ne le disaient pas. Elle était souvent sur son ordinateur ou au téléphone, le visage crispé, mais détendu quand elle revenait de nouveau à moi. Elle n'oubliait plus son café, qu'elle buvait chaud tous les matins, elle avait plus de temps pour elle et pour moi, elle invitait ses amies chez nous, elles aussi elles m'aimaient, presque autant que maman.

Bientôt, elle mit du lait dans son café et parfois dans mon bol quand on se réveillait. Je mangeais moins qu'avant, elle aussi, et du papier s'entassait sur la commode à côté de la porte, courrier qu'elle n'ouvrait jamais. Mais elle avait gagné en douceur, elle me disait qu'elle allait bientôt retrouver du travail, que tout allait bien, mais je savais que quelque chose n'allait pas, car son teint était aussi clair que le lait qu'elle mettait dans son café. Peut-être qu'elle était triste, qu'elle ne voulait pas trouver du travail pour toujours rester avec moi, car elle m'aimait.

Mais maman recommença à sortir, d'abord le soir, puis aussi dans la journée, elle devait avoir trouvé du travail, car elle revenait fatiguée, différente, parfois elle ne tenait plus debout. Elle était épuisée, elle ne se réveillait plus le matin pour faire son café et bientôt cette odeur rassurante et familière disparut de notre appartement, en même temps que le lait, en même temps que le sucre, et en même temps que le café. Ses yeux bruns n'étaient plus chauds, ni même froids, ils se contentaient d'être troubles et de se balader dans la maison, sans même me voir. Elle ne me parlait plus de ses problèmes, peut-être qu'ils avaient disparu. Elle ne me voyait plus, parfois je devais lui rappeler de me nourrir car elle commençait à oublier, de plus en plus fréquemment. Mais je savais quand même qu'elle m'aimait et qu'elle était là pour moi, qu'elle le serait toujours.

Moi aussi, je sortais plus souvent qu'avant, je passais dans les rues, dans lesquelles les passants m'offraient quelques fois de quoi manger, ou j'allais voir mes amis, qui me disaient qu'ils avaient vécu la même chose et que bientôt, je serais comme eux, abandonné, sans amour, sans maman. Mais c'était impossible, je le savais, elle m'aimait trop pour ça, elle me le disait, ou elle me l'avait dit, avant que tout ça ne commence. On me disait que ce n'était qu'une illusion, qu'on ne pouvait se rattacher aux apparences plutôt qu'aux preuves, et ils étaient la preuve, que je ne voulais pas voir.

L'appartement puait, parfois je traînais pour ne pas rentrer et rencontrer cette odeur forte et rance et maman avachie sur un canapé ou débitant des paroles absurdes sur un ton aussi aigre que le parfum qui embaumait la pièce. Elle avait changé. Elle n'était plus comme avant, stimulante, chaude, toujours là pour moi. Je ne la comprenais plus, elle était mystérieuse, mais je l'aimais quand même et je ne pouvais m'en empêcher. La gorgée de café s'était transformée en une grande goulée d'alcool.

Un jour, maman était plus triste que d'habitude, mais étonnement, le temps d'une journée, elle était à nouveau comme avant. J'avais eu le droit à une grande ration de croquettes, elle avait passé la journée à jouer avec moi, à me parler, à me dire qu'elle m'aimait, et je l'ai cru. Le soir, elle m'avait mis dans une cage, puis dans sa petite voiture, après m'avoir pris dans ses bras plus longtemps que d'habitude. J'avais peur, ce n'était jamais une bonne nouvelle de se retrouver dans une cage. Elle a roulé, depuis le coffre je ne voyais rien, j'étais couché sur le plastique froid et regardait le mouvement doux de ma queue rousse qui se balançait de part et d'autre.

La voiture s'est arrêtée, elle m'a soulevé, a prononcé une phrase et est partie.

— Désolée, Mimi, je peux plus.

Cette phrase résonna dans ma tête pendant plusieurs heures. Elle résonna lorsque la gentille dame m'a mis dans une autre cage, quand on m'a donné à manger, quand j'ai réalisé que j'étais devenu un chat abandonné.

Mes amis avaient raison, on ne peut pas se fier aux apparences. Peut-être qu'au fond, ma maîtresse ne m'aimait pas, ce qu'elle m'avait montré n'était qu'une illusion.

××××

Voila une petite nouvelle assez triste, écrite pour le concours de DarkLight2112. Il fallait écrire une nouvelle sur du café qui se transforme en une autre boisson au goût opposé, mais sans réellement les citer, ce que j'ai un peu foiré j'ai l'impression, mais en même temps ça cadre bien dans l'histoire et je n'avais pas vraiment d'inspiration pour faire autrement, j'espère que ça passe quand même ou alors que je perdrais pas trop de points... Il fallait aussi que la morale soit qu'il ne faut pas se fier aux apparences en 1000 mots minimum.

Update : l'organisatrice m'a dit qu'il y avait une chose à améliorer/accentuer et une que je pourrais potentiellement améliorer, est-ce que vous avez des pistes d'amélioration pour mieux rentrer dans les critères du concours ?

Il fallait une cover ou une image, que je mets ici (parce que ça spoil un peu l'histoire) :

J'espère que la nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à me faire des retours et à voter si l'histoire vous a plu ! Et n'hésitez pas non plus à participer à son concours, qui est original et semble très bien organisé.


Update : j'ai eu la 4ème/5ème place ex-aequo !

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