Le vieux monsieur du couloir, au 4eme

Comme d'habitude, le vieux monsieur était là.
Devant le palier de son appartement, dans le couloir du 4eme, comme à chaque fois que je rentrais de l'école.

- Monsieur le vieux monsieur ! Raconte moi une histoire !

Monsieur le vieux monsieur racontait toujours des histoires en souriant.
Monsieur le vieux monsieur avait vécu beaucoup de choses, alors il racontait beaucoup de choses, et grâce à lui, on savait vraiment tout pleins de trucs.
Par exemple, Monsieur le vieux monsieur nous avait appris à compter jusqu'à l'infini.

- Quelle histoire, petit Titouan ?

- Comment tu as perdu ton pied gauche et qu'il est devenu un petit bâton tout raide, cria Marjane tout excitée. Elle est super trop bien !

Le vieux monsieur rigola doucement, et se leva, prenant une pose héroïque.

- J'étais jeune, a cette époque.

- Alors on devait vous appeler Monsieur le jeune monsieur, dit Raphaël.

- Oui, dit Monsieur le vieux monsieur en riant. Moi, a cette époque, j'étais Monsieur le jeune monsieur. J'aimais bien les aventures ! Comme toi, Titouan, dit il en me souriant.

Sourire que je lui rendis.

- Alors, je suis allé voir des pirates, reprit il. Et les pirates m'ont emmené en quête d'un très grand trésor !

- Et c'était quoi le grand trésor ? interrompit Marjane.

- Nous allions chercher le coffre aux diamants.

- Les diamants à l'infini, souffla Raphaël les yeux écarquillés, comme tu nous a appris à compter ?

- Oui, dit Monsieur le vieux monsieur. Les diamants à l'infini.

Sous les "Oooooh" admiratifs de Marjane et les cris de terreur de Raphaël, Monsieur le vieux monsieur nous raconta qu'un jour, lors d'une expédition dans la jungle, un pirate crocodile sanguinaire avait mangé sa jambe.
Moi, je l'écoutais, et je pense qu'on pouvait voir dans mes yeux les petites étoiles à l'infini. Cette histoire était vraiment la meilleure des histoires.

- Allez, dit Monsieur le vieux monsieur. Rentrez chez vous maintenant. Vos maman vont s'inquièter ! En CP, il faut faire très attention !

- Mais moi je suis grand ! Je peux partir dans toutes les missions super dangereuses, m'écriai-je, comme toi !

Le vieil homme rit.

- Monsieur le vieux monsieur, fit Marjane d'un ai sceptique, tu es invincible ?

- Oui, petite Marjane.

- Ah ! et rien ne peut te toucher ?

- Rien du tout !

Il nous serra tous dans ses bras.

"Même... Que je serais toujours là pour vous protéger. C'est une promesse."

Nous sourîmes, heureux. Puis Marjane se mit à courir vers le 3eme, Raphaël redescendit au 2eme, et moi, sautillant, je parti vers le 7eme. L'étage des rêves. Tout en haut, avec les fenêtres où on voit tout. Tout, même l'école !
Ou Monsieur le vieux monsieur, sur son balcon en dessous, qui "jardine", comme dit maman. Elle dit aussi qu'il arrose des fleurs appelées "tulipes" mais moi, je sais très bien que ce sont les quatre plantes carnivores qui lui ont sauvé la vie dans la forêt amazonienne. 

Je poussai la porte d'entrée, qui partie se fracasser contre le mur, puis courrai vers la télé. Maman me fit les gros yeux. Elle me dit que je ferais mieux d'apprendre mes leçons, ce que je ne fis bien sûr pas. Je pris la télécommande, et pressai le gros bouton rouge. Le poste s'alluma sur mon programme préféré, et je m'assis sur le sol, les yeux rivés sur l'écran. Le héros de cette série, c'était sans aucun doutes Monsieur le vieux monsieur. J'étais persuadé d'avoir en face de moi la vie de cette homme étalée. J'en apprenais plus sur lui à chaque épisode ! Il avait combattu le terrifiant Kraken, mangé du dragon lors d'une raclette organisée avec les chevaliers de la table ronde... 

***

- Monsieur le vieux monsieur, cria Raphaël, on est là ! On est là ! 

Le vieil homme ne tarda pas à ouvrir la porte, poussant l'habituel soupire du conteur qu'il était. Il s'assit sur son perron, et nous invita à prendre notre place habituelle. 

- C'était il y a des années de ça, murmura-t-il tout en regardant le plafond comme pour se souvenir. J'escaladais l'Everest avec ma troupe d'aventuriers, quand soudainement, mon pied a glissé. 

Raphaël posa une main sur sa bouche, effrayé. 

-  Ne craint rien, petit Raphaël, si je suis ici c'est qu'il ne m'est rien arrivé de bien grave. Bien, reprenons, dit il. Où en étais-je ? Oh oui, je glissais... Oui. Dans ma chute j'ai tenté de me rattraper à toute sorte de chose. Un rebord plus voyant que les autres, un tas de neige, la main que me tendait le yéti... 

- Le yéti ? criai-je effaré.

- Lui même ! Si à cette époque les téléphones avaient existé, je t'aurais montré un selfie. Mais reprenons, tu veux bien ?

Tous les enfants hochèrent joyeusement la tête. Monsieur le vieux monsieur se leva entama la mise en gestes de son récit. 

- Je suis tombé, malheureusement, jusqu'au sol. Sur le dos ! J'avais affreusement mal. Mais je vais bien ! 

- Et c'est pour ça que tu as des problèmes de dos, s'exclama Marjane, et que tu ne peux plus me prendre dans les bras ! 

- Voilà. 

Le vieil homme allait continuer de raconter, quand soudainement il fut pris d'une quinte de toux. Je me levai, paniqué, quand Madame Martin accouru. 

- Allons, Richard, cessez vos enfantillages ! Vous voyez bien que vous n'en avez plus l'âge. 

- Vous savez madame, Monsieur le vieux monsieur il a peut être l'air d'avoir l'infini, mais en fait, il est très jeune pour un monsieur qui a l'infini, dit Raphaël en tirant légèrement sur la manche du chemisier de la voisine. 

La femme se tourna vers mon ami, avec un petit sourire crispé. 

- Oui, Raphaël, bien sûr. Mais voilà, Richard est fatigué, il va aller prendre une bonne tisane et faire une bonne sieste ! 

Monsieur le vieux monsieur protesta, avant d'être emmené de force dans son appartement par madame Martin. Nous restâmes quelques secondes devant la porte à présent close, avant de repartir chacun de notre côté. 

En montant les escalier cet après midi là, je me senti lourd, car j'étais rempli de doutes. Qu'avait Monsieur le vieux monsieur ? Peut être qu'il avait avalé de travers ? Ou peut être qu'il avait mis tout cela en scène pour pouvoir goûter aux fameuses tisanes de sa voisine... Je poussai la porte de mon appartement, mais cette fois ci dans le calme, sans agrandir le petit trou qu'avait fait la poignée à force de rentrer dans le mur. 

- Eh bien mon lapin, m'apostropha ma mère, quelque chose ne va pas ? 

Je lui répondis que tout allait bien, avant d'aller chercher mon goûter à la cuisine. 

***

Aujourd'hui, quand Raphaël, Marjane et moi sommes rentrés de l'école, Monsieur le vieux monsieur n'était pas chez lui. Ou du moins, il ne répondit pas. Déçus, nous rentrâmes chacun de notre côté, mes amis imaginant dans quelle aventure palpitante avait encore pu se lancer notre voisin, moi ruminant de sombres pensées, des question "infinis" parce que je n'en aurais jamais la réponse. 

La plus préoccupante d'entre elles : Où est Monsieur le vieux monsieur ? 

***

En rentrant de l'école  à quatre heures, le vieil homme ne nous ouvrit pas. Je rentrai chez moi, prenant les marches quatre à quatre. Puis au lieu d'aller chercher mes tartines à la cuisine, je me penchai à la fenêtre du salon, celle qui donnait vue sur le balcon de Monsieur le vieux monsieur. 

Les plantes carnivores semblait ne pas avoir bu depuis au moins quelques jours. Et le vieux monsieur ne laisserait pas mourir ses fidèles compagnons sous ses yeux. Je me retournai vers maman. 

- Maman, tu as pas vu Monsieur le vieux monsieur ? 

- Richard ? Non mon poussin, il n'est pas sorti faire ses courses aujourd'hui. Mais au lieu de t'embêter, viens donc manger ! Sinon, Cupcake va manger toute ta confiture, ce coquin de chien ! 

Je ne sourcillai même pas, et restai planté comme un piquet devant ma fenêtre. 

***

Une alarme me réveilla en pleine nuit. C'était le bruit des gyrophares d'une ambulance. je me précipitai à la fenêtre pour voir qui était le malheureux. Lorsque je pu voir passer les hommes, ils avait déjà mis l'homme dans le camion, et refermaient la porte, mais aucun doute possible. Les pieds que j'avais pu voir dépasser du brancard, c'était le pied et la jambe de bois de mon voisin. 

Je couru alors vers les escaliers, dans mon pyjama rayé, ma girafe en peluche sous le bras. J'ouvris la porte de l'immeuble à la volée, et commençai à chercher des yeux l'ambulance ; mais elle était partie. Je me mis à suivre le son de l'ambulance, les larmes aux yeux, haletant. Je tournai au coin de la rue, et j'eu le temps d'apercevoir le véhicule tourner au coin de la rue. 

- Attendez, hurlai-je, attendez moi, stop ! 

Evidemment, les ambulanciers ne s'arrête pas pour un petit garçon voulant monter. Je continuai de courir, d'appeler, de pleurer, de crier. Je tombai sur le béton, trouant mon pantalon. Mais pas le temps de se lamenter ; déjà le son caractéristique du drame s'éloignait, et avec lui, mon voisin. Alors je repris ma course de plus belle. Je ne sentais plus mes jambes, mon cœur n'avait jamais battu aussi vite. 

Lorsque je ne pu plus faire le moindre mouvement tant la fatigue me prenait, j'étais arrivé à bon port. J'entrai en trombe dans l'hôpital frigorifié par la nuit, le visage sillonné de larmes, les joues rouges, et j'appelai encore et encore le vieux monsieur. Une infirmière se précipita vers moi, toute douce, comme une maman. Elle me prit dans ses bras, et me sourit, mais je n'avais de cesse que d'appeler le vieux monsieur. Alors l'infirmière me demanda de le décrire. J'allais m'exécuter, quand j'aperçu quelques mètres plus loin le brancard de Monsieur le vieux monsieur passer. 

Je me débattis, hurlant, pleurant, et je sautai des bras de la jeune femme. Je couru aussitôt en direction de la chambre où j'avais vu mon voisin entrer, essoufflé. Mais quand je voulu ouvrir la porte, je m'aperçu qu'elle était fermée. Alors je frappai la porte de toutes mes forces, désespéré. A présent, tout le personnel était au courant de ma présence. Et j'appelai, toujours plus fort. Personne ne m'ouvrai, ou ne me répondait. Je prononçai une dernière fois son nom, avant de me laisser glisser jusqu'au sol, et de me laisser aller aux sanglots. 

- Petit... Titouan... 

La voix venait de l'intérieur de la pièce. J'entendis la voix d'un deuxième homme, recommandant de ne pas bouger, et ordonnant à Monsieur le vieux monsieur de cesser de m'appeler. Mais il n'en fit rien. 

- Petit Titouan... Petit Titouan... 

Puis il s'adressa aux médecins, entre de quinte de toux, et leur demanda de m'ouvrir. Ce qu'ils refusèrent. Alors je me mis à parler. A ouvrir mon cœur, devant la porte, en bégayant de fatigue. 

- Monsieur le vieux monsieur, tu peux pas partir ! Tu es infini, tu es invincible ! Tu me l'as dis pleins de fois. Je sais que tu vas bien. C'est encore une de tes aventures, hein ? C'est parce que tu as affronté un terrible lion, hein ? Tu vas bien ? Et demain, tu vas nous ouvrir ta porte, et tu vas nous raconter ton combat avec le lion ? Dis moi... 

Pas de réponses. 

- Et tes plantes carnivores, si tu ne les arroses pas, elles ne vont pas pouvoir te protéger ? 

***

Si je devais donner une date, la date à laquelle mon innocence s'est écroulée, je dirais immédiatement "23 avril 2013". Si je devais donner le moment exact ou j'ai compris que Richard n'étais pas l'homme qu'il nous disait être, que ce n'étaient pas ses aventures qui étaient contées dans ma série, que jamais plus rien ne serai comme avant, je dirais que je dois continuer l'histoire que je vous racontais à l'instant. 


Les aides soignants n'ont jamais répondu à mes cris. L'infirmière est revenue me chercher, elle a appelé ma mère, qui a immédiatement accouru et m'a consolé du mieux qu'elle pouvait. Monsieur le vieux monsieur est décédé quelques heures plus tard, d'insuffisance cardiaque. Marjane et Raphaël, quand ils ont appris la nouvelle, ils étaient très triste, évidemment, mais aussi dans l'incompréhension. Ils ont très vite fait leur deuil, et ont continué de mener une existence paisible. Mais moi, non. Richard était tout pour moi. J'ai passé quelques années avec un poids sur la conscience, avant de pouvoir pleinement me libérer. aujourd'hui, en terminal, je me demande ce que je serais devenu si j'avais continué d'écouter chaque soir ses histoires. Je ne sais pas. J'aurais eu une petite enfance tranquille, parsemée de rêves et de fantaisies. Mais malgré tout je ne serais pas le même. Qui sait ? 

L'âge de Monsieur le vieux monsieur n'était peut être pas "infini", mais le souvenir de son rire resonnera à jamais dans mon cœur.


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Hey, c'est Suno ! J'espère que cette petite nouvelle vous a plu <3 (j'avoue qu'une petite part de moi espère que vous avez mouillé les mouchoir nierk nierk)

A la prochaine ! 

(en vrai ça me manque de dire "A la revoyure" ptdr) 


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