Le Philtre d'amour
⇢ steampunk, satire, romance — taekook
Steampunk : courant inspiré de l'industrialisation et de l'époque victorienne. Les écrits de steampunk questionnent la place de l'Homme au sein du mécanisme et de l'automatisation croissante. (Exemple d'œuvres : His dark materials ou À la croisée des mondes, les jeux du professeur Layton, les ambiances à la Jules Vernes, Sherlock Holmes...)
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Ici, on voguait sur la ville, près des nuages. On apercevait les dames, les chapeliers et les commerçants courir à tout va, en bas, comme des petites figurines animées. C'était bien ravissant. Penché contre le bastingage de l'immense structure boisée du dirigeable, Jungkook contemplait ce joli monde effervescent, aussi effervescent que son excitation. Jamais encore, il n'était venu jusqu'ici.
Amentia.
La Terre entière parlait de cet endroit comme d'un magnifique tas de ferraille et de soie. Depuis moult années, la technologie de cette cité ne cessait de surprendre par ses avancées. L'architecture complexe, faite de tuyauteries et d'élégantes arabesques donnait aux hommes d'ici des inventions toutes plus fantastiques les unes que les autres : horloges, dirigeables, fiacres automatiques, machines à imprimer, sonographes. Tout cela faisait rêver les petits. D'ailleurs, certains d'entre eux se bousculaient au portillon de la grande ville, aspirant à une vie meilleure. En réalité, ils finissaient tous à l'usine, dans de grandes tours qui enfumaient le paysage urbain, et par la même occasion leurs esprits trop naïfs.
Mais quand on est petit et qu'on arrive à Amentia, on ne voit pas la misère agglutinée dans les faubourgs et les ruelles malfamées, noyées dans la brume et la rouille. Quand on est petit et qu'on rêve d'Amentia, on n'a d'yeux que pour les grandes allées pavées, bordées de fleurs, de marchands de glaces et de vitrines somptueuses, aux objets rutilants, qui claquètent et cliquètent joyeusement.
Ici, on se perdait dans une abondante mécanique.
En ce jour, cette sorte d'innocence ingénue, celle des premiers venus, se retranscrivait parfaitement sur le visage de Jungkook : un émerveillement si pur, si évident, parce qu'Amentia ne ressemblait en rien à Busan, ou n'importe quel autre endroit qu'il aurait déjà visité.
Enfin, il allait réaliser son rêve.
Pour profiter d'une meilleure vue, le jeune homme se suréleva contre le bastingage en prenant soin de caler ses pieds dans un petit renfoncement de la coque. Puis, ainsi offert au monde, il ferma les yeux, déjà ivre de ce vent particulier, car chargé de senteurs inédites. Ses narines, déjà très sollicitées, prenaient toutefois plaisir à déchiffrer la partition. Vapeur, chaux, jasmin, étoffe venue de Chine, suie : autant de nuances que de secrets enfermés ici. La bise s'engouffrait joyeusement dans ses mèches d'encre, elle baptisait sa venue, l'accueillait avec délicatesse.
Mais l'accalmie fut de courte durée car une violente bourrasque de vapeur chaude frappa soudain son visage, chassant toutes les odeurs qui l'enveloppaient. Étourdi par ces mille et uns autres parfums, le jeune homme frémit légèrement avant d'ouvrir les yeux. Plissant du nez, il redescendit de son promontoire pour renouer avec le bois du sol. Ses mains s'enroulèrent sur la rambarde du bastingage, puis il rentra la tête, la secouant légèrement vers le bas avant d'éternuer contre sa main tremblante.
– Oh...
En relevant les yeux, Jungkook découvrit un autre dirigeable, entièrement fermé, qui venait de les dépasser à vive allure. La poupe de ce dernier, sur laquelle on pouvait voir une gravure en forme d'hélice, venait tout bonnement de projeter un gigantesque amas de fumée grise sur tous les passagers, qui toussotaient d'un air indigné.
— Bande de sagouins ! cria une femme, à la droite du noiraud. La compagnie de l'Hélice est bien l'une des pires !
Ses longs cheveux auburn flottaient autour d'elle comme des flammes. Jungkook, plutôt impressionné, recula légèrement. Mais la rousse, apparemment trop échauffée, ne sembla pas le remarquer, jetant à ses pieds le journal qu'elle feuilletait vaguement depuis une heure. Quand elle se retourna pour s'en aller, les poings serrés, le papier fut balayé par l'amas froufrouteux de sa robe, et ses pas claquèrent comme le son d'un métronome furieux.
Jungkook déglutit. Les gens d'ici semblaient avoir leur petit caractère et ces façons d'être le mettaient mal à l'aise. Un brouhaha monta discrètement. De plus en plus de monde quittait le pont pour rejoindre les compartiments inférieurs. L'atterrissage n'allait pas tarder. Le noiraud s'apprêtait donc à suivre la petite foule, mais son regard tomba soudain sur la une du journal échoué sur le pont. Sa surprise fut alors si grande, qu'il en oublia tout ce qui l'entourait et s'approcha doucement, les yeux légèrement écarquillés. Il s'agissait de Beaux Jours, la presse quotidienne référente de la cité. Jungkook avait beaucoup entendu parler de ce journal, sans pour autant l'avoir jamais lu. Ce jour-là, le mercredi 25 mars 1863, aucun début d'article ne figurait en une. Il n'y avait qu'un grand portrait noir et blanc qui fixait l'objectif d'un air insondable et supérieur. Jungkook se sentir fasciné par ces yeux de nuit. Ils respiraient d'un magnétisme terrassant.
— Kim Taehyung... souffla-t-il tandis que son index venait caresser le titre de l'article principal.
IL A TROUVÉ LE PHILTRE D'AMOUR !
Suspicieux, le noiraud fronça les sourcils. Le philtre d'amour... ?
Alors, pris d'une vive curiosité, il s'empara du journal qu'il feuilleta prestement, à la recherche de la page de l'article. Son émotion était si grande, si inattendue, que son cœur battait à tout rompre.
En vérité, cette exaltation n'avait rien de surprenant.
Jeune prodige d'Amentia, Kim Taehyung était une figure que Jungkook connaissait et admirait, sans doute parce que son histoire incarnait le rêve à l'état pur.
À vingt-et-un ans, Taehyung avait quitté son village coréen, Daegu, afin de devenir tailleur à Amentia. Ambitieux et volontaire, il avait commencé dans l'atelier d'un maître, un certain Len Bringe, qui concevait des vêtements pour les bourgeois de la capitale. Mais le nom de ce dernier importait peu. Rapidement, Taehyung avait été déçu de ce milieu, étonnamment très enfermé et peu audacieux. Aucune nouvelle étoffe, aucun nouveau patron, aucune matière ne venaient satisfaire les envies des clients, qui appréciaient la monotonie de leurs vêtements. Le désenchantement fut lent mais bel et bien réel. Il dura un an.
Puis, comme il l'avait déjà raconté à de multiples reprises, Taehyung se découvrit soudain une véritable curiosité pour l'art du parfum. Son intérêt devint alors talent, puis obsession, si bien qu'il en quitta l'atelier de Bringe pour rejoindre la plus grande maison de parfumerie : Essencia. À cette période, ce milieu était – a contrario de la mode – en pleine agitation, grâce aux nouvelles découvertes d'apothicaires, de savants explorateurs et d'aromaticiens. En effet, on découvrait de nouvelles plantes, venues du monde entier, et, par extension, d'autres formules et combinaisons qui offraient soudain des possibilités presque infinies de senteurs. Toute cette nouveauté et cette fraîcheur eurent tôt fait de ravir le cœur désabusé du jeune homme.
Taehyung avait bien souvent témoigné de ses amours naissantes pour le domaine, d'autant que la course au succès commençait à peine pour lui. De toute évidence, ce jeune homme avait beaucoup de talent à revendre, et il le montra très rapidement au monde entier. Quelques mois après avoir intégré Essencia, il créa sa propre maison, baptisée Kim, recruta un proche associé, quelques chimistes, et commença son ascension. Très vite, la maison Kim éclipsa toutes les autres qui peinaient déjà à s'élever près d'Essencia. Le glas de cette dernière sonna quelque temps plus tard, lors de la sortie du parfum Stigma, une combinaison étonnante de santal, de vétiver et de jasmin. Jungkook se souvenait encore de l'éclat incarnat comme un sang artificiel, ou un jus de groseille. C'était le premier parfum que lui avait offert sa mère, grâce à ses économies.
La consécration fut ensuite évidente avec Singularity. Jamais Jungkook n'avait senti ce parfum, mais on parlait de lui comme d'un trésor. Ce qui faisait tout le charme de Singularity était l'incapacité de chacun à reconnaître la formule complète du parfum : les odeurs mêlées formaient certes un délicieux équilibre, elles s'entrelaçaient de la plus belle des manières, mais demeuraient indiscernables, même pour les plus grands nez d'Amentia.
Avec un tel parfum, tout s'était accéléré. On ne cessait de louer le génie de Kim Taehyung, on l'invitait à toutes les fêtes possibles et imaginables, on le voulait partout avec soi, comme un de ces accessoires qui attire la convoitise.
Kim Taehyung. Le roi de la parfumerie.
Amentia était déjà tombée pour lui.
Jungkook, lui, ne pouvait nier le talent de son aîné. Il avait même passé des nuits à rêver d'être lui, à se jouer le conte de cette vie admirable. Et sans jamais l'avoir rencontré, le noiraud se sentait si proche de lui, si semblable. Aujourd'hui, il avait l'âge de Taehyung lors de sa première venue à Amentia, trois ans plus tôt.
Un cri résonna soudain sur le pont. Papillonnant des yeux, Jungkook fut ainsi tiré de ses pensées. Il lui sembla alors qu'il s'agissait d'un employé de la compagnie Express, autrement dit de son dirigeable.
— On arrive, jeune homme.
Toujours accroupi sur le pont, le journal entre les mains, le jeune homme leva les yeux, un peu hagard. Il reconnut alors l'assistant du capitaine en train de lui sourire poliment.
— Oh ? dit-il en se relevant enfin, enfonçant maladroitement le journal dans la poche de son pantalon court, qui laissait voir ses chevilles blanches.
— Nous demandons aux passagers de quitter le pont pour l'arrivée.
Le jeune homme acquiesça calmement.
— Je vois.
Naturellement, il adressa un petit sourire timide à l'homme, vêtu d'un costume pourpre, avant de suivre la direction indiquée par ce dernier, vers la poupe du navire. En effet, le dirigeable ralentissait considérablement et semblait perdre en altitude. Jungkook regagna l'intérieur par un escalier de bois qui menait aux compartiments les moins fortunés du dirigeable. Avant de descendre, il contempla une dernière fois le grand ballon d'air chaud qui surplombait toute la structure, souffla vivement pour chasser une mèche rebelle sur son visage, puis rejoignit le reste des passagers.
Maintenant qu'ils atterrissaient enfin, son périple allait commencer.
Nerveusement, il serra le bout de journal qui dépassait de sa poche.
Son cœur battait déjà à cent à l'heure.
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— Ça vous fera six rouages, s'il vous plaît.
Jungkook écarquilla les yeux.
— Tant que ça... ? souffla-t-il un peu ahuri.
La gérante de l'hôtel, une femme acariâtre à l'habit sombre, leva les yeux au ciel avant de soupirer. Elle ôta ses lunettes à écailles et se pencha sur le comptoir, levant un sourcil dédaigneux à la vue de la tenue de son client. Son pantalon, visiblement trop court, ne lui donnait pas fière allure, de même que son veston rapiécé.
— Bienvenue à la capitale, ricana-t-elle et se reculant. Mon prix est déjà très bas pour les chambres que j'ai.
— Et vous n'auriez pas... je ne sais pas... besoin d'aide à la plonge ? Pour compenser.
— Le Réticule n'a pas de restaurant, répondit la vieille du tac au tac.
— Ou peut-être une aide au ménage ?
Remettant ses lunettes sur son nez, la gérante souffla du nez.
— C'est six rouages, pas un de moins. Vous les avez ?
— Oui, oui, maugréa le noiraud les joues toutes rouges de honte.
Jungkook plongea une main dans sa sacoche, à la recherche de sa bourse. Une fois trouvée, il ouvrit cette dernière et compta les rouages. Il n'en avait que trente. De quoi passer cinq nuits sans manger...
— Voilà.
Il offrit les pièces à la gérante qui s'en alla dans une petite loge privée, juste derrière son comptoir.
— Chambre soixante-treize, annonça-t-elle d'un air lugubre en revenant, posant la clef sur le comptoir.
Jungkook déglutit, la prit sans un mot et s'en alla vers les escaliers. À en croire le chiffre annoncé, il demeurerait au septième étage. Heureusement, sa valise n'était pas bien lourde, tout juste remplie de quelques tenues de journée et de son carnet de notes.
Quand il parvint au septième, essoufflé comme un buffle, le jeune homme s'essuya le front, brillant de sueur. Il franchit le couloir à pas feutrés, soucieux de se faire discret comme une ombre. Heureusement, pas un bruit ne lui parvint. La porte soixante-treize était juste au bout du couloir, assez éloignée des escaliers.
Jungkook déposa sa petite valise sur le sol, puis enfonça sa clef dans la serrure, qui résista à peine. Quand la porte s'ouvrit, il découvrit une petite chambre au mobilier simple et vétuste, composé d'un lit, une table de chevet, une commode et une chaise.
— Six rouages pour ça, souffla-t-il, la voix teintée de désespoir.
Il n'y avait même pas de nécessaire à toilette. Cependant, l'endroit était propre.
Les épaules un peu défaites, le noiraud posa sa valise sur la commode, interrompant son geste quand le meuble craqua bruyamment sous le poids de ses affaires. Mais rien ne s'effondra, aussi put-il s'éloigner vers la chaise. Là, il retira son épais veston, révélant une fine chemise beige assez large qui dissimulait bien les traits éminemment gracieux de son buste. Il défit ensuite son pantalon qui tombait bas sur ses hanches. L'habit, trop court et trop large, ne lui allait vraiment pas. Jungkook passa une main dans ses cheveux d'encre noire. Il s'approcha de la petite fenêtre ronde, non loin du lit une place. Puis, le nez enfin collé contre la vitre froide, il laissa ses prunelles brunes vagabonder sur la ville, mémorisant chaque trait, chaque forme impromptue de bâtiment, de fiacre, de grille et de silhouette. La vue d'ici était définitivement imprenable, et valait peut-être bien le prix de l'habitacle. Les grandes usines piquetaient l'harmonie de l'endroit avec leurs longues traînées de fumée noire, elles salissaient le ciel qui se faisait plus orangé. Le soleil n'allait pas tarder à se coucher.
Soudain, il se souvint de la raison pour laquelle il était venu ici. Et comme cette même raison se trouvait liée, en quelque sorte, à Kim Taehyung, il repensa à l'édition matinale de Beaux Jours, toujours dans sa poche.
Alors, abandonnant le paysage urbain, Jungkook se précipita vers le lit. Il s'assit sur la couche, constata que celle-ci n'avait rien de confortable, mais peu lui importait pourvu qu'il trouvât l'article sur le parfumeur. Et quand ce fut le cas, enfin, ses yeux se jetèrent sur les mots.
IL A TROUVÉ LE PHILTRE D'AMOUR !
L'amour a-t-il un parfum ? Peut-être bien. La récente déclaration de Kim Taehyung laisse tout à croire qu'un vent amoureux soufflera bientôt sur la capitale... Ses parfums vous font perdre la tête ? Le prochain va vous briser le cœur.
Coup de tonnerre sur Amentia. Depuis maintenant trois jours, le grand parfumeur Kim Taehyung a annoncé la sortie prochaine de sa nouvelle merveille : Philtre d'amour. Cette fois, c'est sûr, l'homme est persuadé d'avoir trouvé son élixir le plus précieux, celui qu'on sait à la hauteur de son propre génie, capable d'éclipser Singularity.
Plus que son odeur, ce sont les effets provoqués par ce parfum qui le rendraient plus incroyable que tous les autres. Car Philtre d'amour aurait la capacité de vous « rendre amoureux », aux dires de son créateur ! Simple métaphore ou véritable promesse ? Pour le moment, la maison Kim se targue d'en garder le secret. Mais les curieux furètent, et parmi eux la princesse Violène Bergold. Hier, lors d'une déclaration officielle, Miss Bergold a publiquement convié notre prodige à sa fête d'anniversaire, qui se tiendra le samedi 4 avril, dans sa demeure personnelle, à Blessingie. La soirée n'accueillera qu'une poignée d'Amentiens et sera l'occasion parfaite de présenter le Philtre. Ce matin même, Kim Taehyung a accepté l'invitation et annoncé qu'il viendrait avec sa nouvelle création. Qui tombera le premier ?
Reste à savoir quand le parfum sera commercialisé. Pour le moment, aucune communication n'a été...
Fébrile, Jungkook interrompit sa lecture.
— Ça alors... murmura-t-il rêveusement. Un Philtre d'amour...
La tête embrumée de pensées fugaces, le jeune homme se laissa tomber sur le dos. Ses yeux réfugiés sur le plafond écaillé, il ne cessait cependant de réfléchir à ce qu'il avait lu. Les mots s'emmêlaient dans un joyeux désordre qu'il peinait à réarranger. Qu'était ce parfum... ?
— Kim Taehyung...
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La nuit n'avait guère été reposante. Entre la finesse des murs et de la fenêtre, l'odeur persistante de la suie (certainement celle de ce quartier de la ville) et l'inconfort de son lit, Jungkook avait à peine dormi. Bien sûr, l'article de journal sur le Philtre avait aussi contribué à le maintenir éveillé. Au matin, l'excitation le rongeait toujours.
À huit heures, il dévora une pomme qu'il avait dérobée la veille, sur le dirigeable de la compagnie Express, enfila son pantalon trop court, sa fine chemise ample et son veston, prit sa sacoche usée et regagna la ville. Le printemps était agréable au dehors, mais le soleil ne perçait que trop peu la brume bien épaisse qui recouvrait les lieux. Les vapeurs et les fumées noires des usines s'embrassaient tout autour, noyant le paysage.
Jungkook devait se rendre à une adresse précise, une adresse notée sur un bout de papier enfoncé dans la poche de son veston. Un peu nerveux, il n'osa pas demander son chemin aux passants qu'il croisait, intimidé par leur attitude froide et hautaine. Les gens d'ici ne s'accordaient que peu d'attention, ils n'échangeaient pas de regard, préférant sans doute se concentrer sur leur destination ou leurs pensées. De même, leurs vêtements étaient très élégants, ce qui n'aidait pas. Les femmes portaient des jupes en taffetas épais, des longs manteaux, des capelines, des chapeaux, des sacs et toutes sortes d'autres accessoires. Les hommes, eux, se trouvaient affublés de manteaux, de vestons, de jabots, de lavallières, de broches, de ceintures et de cannes. Alors, naturellement, avec sa piètre tenue, Jungkook se sentait comme une sorte de roturier échappé d'une campagne. Il lui semblait évident que ces gens-là ne s'arrêteraient pas pour lui.
Rapidement cependant, le jeune homme se rendit compte qu'Amentia était immense. Il avait facilement perdu deux bonnes heures à arpenter des rues toutes plus différentes et semblables à la fois. Puis, à force d'aller, il s'était retrouvé plongé dans des faubourgs malpropres, aux individus cette fois très différents des premiers. Ceux-ci étaient des ouvriers. L'échine courbée, ils ressemblaient à des automates, déambulant sur les trottoirs avec une régularité effrayante. On aurait dit qu'ils ne ressentaient rien. Ni l'empreinte de la suie sur leur peau, ni les bourrasques, ni la fatigue ou la tristesse, la joie, la colère ou la peur. Leurs yeux étaient vides. Et bien qu'il se sentît plus proche d'eux par l'apparence physique, car eux aussi se trouvaient pauvrement vêtus, Jungkook n'eut pas plus le courage de les interpeller. Leur respiration se faisait si discrète. Étaient-ils bien réels ?
Quand il sembla que midi était passé, Jungkook essaya de revenir sur ses pas, comprenant qu'il s'était trop éloigné du cœur de la ville. Or, il savait que son adresse ne se situait pas dans un quartier populaire. Parvenu dans une zone moins défavorisée et plus bourgeoise, le noiraud prit sur lui pour demander sa route. Il s'approcha de deux jeunes femmes en train de discuter devant un immeuble. C'était bien les premiers humains qu'il voyait en pleine interaction depuis ce matin.
— Excusez-moi... commença-t-il arrêté à bonne distance d'elle.
Les femmes s'interrompirent brusquement. Leur regard se fit curieux, bien qu'extrêmement détaché, comme si elles ne le voyaient pas vraiment. Spectacle assez déconcertant.
— Vous... sauriez m'indiquer une adresse, s'il vous plaît ? C'est le six, rue du Mausolée.
La plus grande des deux se racla la gorge avant de détourner le regard, comme si elle n'avait rien vu, rien entendu tandis que l'autre, visiblement plus jeune, réfléchissait le nez levé.
— C'est dans le quartier du Trèfle, dit-elle les yeux toujours en l'air. Il regroupe les grands et les petits magasins. Là, vous êtes à la Bélière, le quartier des affaires d'Amentia.
Jungkook acquiesça, bien qu'aucune des femmes ne le regardait.
— Le quartier du Trèfle est à moins d'une lieue. Remontez cette rue vers le bâtiment surmonté d'une coupole puis continuez tout droit derrière. Vous trouverez rapidement l'endroit. La rue du Mausolée est une grande allée marchande. C'est difficile de la rater.
Jungkook s'inclina respectueusement.
— Merci beaucoup !
Son sourire s'agrandit, quoiqu'il portât une douleur contrainte quand les deux femmes jetèrent à ses pieds deux rouages chacune, toujours sans le regarder.
Au moins, il pourrait s'acheter de quoi manger.
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Du pain, du fromage et de la marmelade. C'était le met le moins cher qu'il avait trouvé à la Bélière. Et c'était délicieux. De toute manière, les estomacs les plus affamés ne faisaient jamais la fine bouche. Jungkook marchait donc tranquillement, suivant scrupuleusement la route que lui avait décrite la jeune femme rencontrée plus tôt. Cet endroit était envahi d'individus de haute naissance et de fiacres automatiques.
Les fiacres, habituellement, étaient tirés par des chevaux. Mais quelques grandes personnalités d'Amentia s'étaient désormais pourvues de voitures automatiques. Incroyable. Jungkook avait passé bien dix minutes à observer ces étranges choses fouler les pavés comme si de rien n'était.
Et en fait, rien n'était. C'était lui qui était.
Il pensait flou.
Jungkook sentit que l'air changeait quand il se trouva plongé dans des rues plus peuplées. Les gens, ici, semblaient venir de tous horizons : des bourgeois, quelques roturiers et dames élégantes... Un quartier commerçant. Son but approchait. Et quelle ne fut pas sa joie de trouver la devanture du Sentinelle dans l'une de ces allées !
Satisfait, le jeune homme esquissa un petit sourire avant de s'engouffrer dans la boutique, faisant tinter une petite cloche. L'officine était vide de toute présence, mais très charmante, car petite et très lumineuse. Jungkook découvrit des étals chargés de fioles bien alignées et étiquetées. La couleur des liquides qu'elles contenaient variait considérablement, offrant là une mosaïque aussi étincelante que bariolée. Intrigué, le noiraud s'approcha. Par précaution, cependant, il vérifia que personne ne venait, remarquant alors un petit balcon en haut d'un escalier qui surplombait l'endroit et offrait une vue de sa personne. Le propriétaire devait pour sûr loger à l'étage.
Satisfait de la tranquillité de l'endroit, Jungkook s'empara donc d'une fiole. La lumière glycine du liquide qui se trouvait à l'intérieur l'avait en effet attiré.
— Doux sommeil, lut-il à voix basse.
Cette concoction devait certainement faire office de somnifère. Alors qu'il allait déboucher le flacon, car plein de curiosité, le jeune homme fut interrompu.
— Jungkook ?
Et cette voix, grave et douce, le tira quelques années en arrière, éveillant en lui un profond sentiment de nostalgie. Aussitôt, le noiraud posa le petit récipient, le cœur soudain éveillé, pris d'une sorte de fougue, la fougue des retrouvailles. Et quand il se retourna, sa joie ne pouvait être plus évidente.
— Mon oncle ! cria-t-il en se jetant dans les bras de l'homme, arrachant à ce dernier un rire attendri.
L'oncle en question était un homme à la haute et fine stature. Ses cheveux poivre et sel, parfaitement coiffés, encadraient un visage doux aux petits yeux noirs brillants d'une malice à peine contenue. La joie de retrouver son neveu, sans doute. Il portait un pantalon noir à bretelles et une chemise de couleur bistre, retroussée jusqu'aux coudes. Sa figure, elle, n'avait rien d'austère, elle détenait une sorte de bienveillance qui traduisait son caractère débonnaire.
Le frère du père de Jungkook s'appelait Chulmoo. Son officine, le Sentinelle, modestement connue, possédait une clientèle régulière, grâce aux connaissances scientifiques de son propriétaire, précisément sur l'effet des plantes sur l'organisme humain et animal. Il avait acquis ces dernières lors de ses nombreux voyages à travers le monde.
Quand Jungkook quitta l'étreinte pour se reculer, Chulmoo enserra de ses mains la figure de son neveu pour l'observer.
— Que tu es mignon !
Un peu embarrassé, Jungkook leva les yeux au ciel en détournant le regard. Il n'était pas très à l'aise avec les observations physionomiques, ce que son oncle parut comprendre, car il relâcha ses joues tendres et s'éloigna un peu.
— Alors, montre-moi ton talent ! s'exclama-t-il, changeant si vite de sujet que le noiraud en fut déstabilisé.
Et comme il n'avait pas l'air de comprendre, Chulmoo lui montra la fiole qu'il venait de reposer.
— Dis-moi ce que tu sens, précisa-t-il.
— Oh ! comprit enfin le plus jeune.
Alors il reprit le petit flacon de verre et le déboucha sans plus attendre pour s'en approcher. Là, il sentit religieusement. Ses narines frémirent légèrement avant qu'il ne déclare rapidement :
— Lavande, marjolaine... et sauge. Très efficace pour le sommeil, en effet. N'y aurait-il pas une pointe de basilic ?
L'apothicaire acquiesça vivement, très fier de ce qu'il voyait.
Quelques mois plus tôt, son frère l'avait contacté pour lui parler des talents de son cadet. En effet, Jungkook possédait un nez très fin, extrêmement sensible, capable de percevoir chaque détail d'une fragrance. Durant sa tendre enfance, cette hypersensibilité lui provoquait souvent d'affreuses migraines. Puis, à force d'être constamment saturé par des odeurs agressives et discrètes, son nez s'était accoutumé. Finalement, les maux de tête avaient peu à peu disparu. À son adolescence, Jungkook commença à apprivoiser cette faculté pour créer des odeurs uniques et exceptionnelles. Mêler le miel aux épices, aux résines et aux fleurs lui provoquait une joie profonde et sincère.
Mais si le village de Busan saluait ses petits parfums, le jeune homme qu'il devenait en voulait plus. Son cœur battait déjà pour Amentia. Après moult discussions houleuses avec ses parents, il avait été convenu qu'il irait à la capitale pour assister son oncle, dans un premier temps.
Jungkook n'avait rien aujourd'hui, sinon du talent et de l'envie. Mais ça lui suffisait.
— Allons parler un peu ! Comment vont tes parents ? Tu as trouvé un bon endroit où dormir ? Et ton frère, toujours marié ?
Tandis que les questions sortaient de sa bouche, l'homme s'était précipité vers la porte des visiteurs pour baisser le store et retourner le panneau « OUVERT ». Il verrouilla ensuite la serrure et invita son neveu à monter dans ses appartements personnels.
Intérieurement, Jungkook se sentit rassuré par cette présence chaleureuse. L'espace d'une journée, il avait vraiment cru qu'Amentia était vide de toute émotion.
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Jungkook travaillait pour le Sentinelle depuis maintenant quatre jours. Son oncle l'avait autorisé à venir faire sa toilette tous les matins et le soir, avant de regagner sa petite chambre d'hôtel. Le salaire n'avait rien de mirobolant, mais il suffisait à lui garantir un gîte tous les soirs, et de quoi se nourrir modestement. De toute façon, cette situation n'était pas destinée à durer. Jungkook, en effet, projetait de créer sa propre distillerie de parfums. Mais pour le moment, sa priorité était de gagner de l'argent et de se faire connaître. Alors en attendant, il essayait de donner des conseils avisés aux clients du Sentinelle. Sa dévotion était telle qu'il n'hésitait pas à faire quelques heures supplémentaires, notamment pour créer de nouveaux médicaments naturels, des combinaisons auxquelles son oncle n'aurait peut-être pas pensé.
Malheureusement, les gens d'ici semblaient inaccessibles. Ils raisonnaient parfaitement, avec une lucidité impressionnante, un attachement indéniable pour la mécanique, mais aucune émotion n'habitait leurs regards. C'était comme si leurs personnes elles-mêmes devenaient matérielles. Cette impression ne quittait pas Jungkook.
Un soir qu'il avait sortait de la boutique de Chulmoo, les cheveux encore humides car il les avait lavés, le jeune homme se permit de flâner dans les rues du Trèfle. Pourvues de lampadaires, la dernière invention en vogue – des piquets métalliques qui éclairaient les lieux – ces lumières étaient fort agréables. Bien vite cependant, ses pas le portèrent plus loin, dans des allées résidentielles et non plus marchandes. Or, ce qui caractérisait le Trèfle était bien ces dernières.
Haussant les épaules, Jungkook décida de rebrousser chemin. Ce n'était pas l'heure de se perdre. La nuit coulait déjà comme de la suie bien épaisse par ici. Il fut alors tiré de ses pensées vagabondes, à l'image de sa personne, par un cri aigu.
— Arrêtez-le... ! Voleur, voleur !
Les pas claquaient contre le sol avec une violence inouïe tandis qu'un souffle saccadé s'approchait.
Jungkook, la tête baissée vers le trottoir, n'eut même pas le temps de comprendre qu'il se fit brutalement bousculer par une silhouette noire encapuchonnée, lancée à vive allure. Légèrement sonné, adossé contre un mur, le noiraud cligna rapidement des yeux avant de remarquer un petit blond courir à vive allure derrière le fuyard, sur la route.
— Non !! cria-il en s'arrêtant, visiblement trop fatigué pour poursuivre son agresseur.
Et cette fêlure dans la voix appela en Jungkook quelque chose de pur : l'envie d'aider. Alors, sans réfléchir plus longtemps, il se lança à la poursuite de l'autre. Ses longues jambes lui permettraient sans doute de rattraper l'homme.
— Vous ! cria le noiraud en apostrophant celui qu'il apercevait tourner à l'angle d'une rue, bousculant quelques passants.
Jungkook les contourna en s'excusant.
Il ne connaissait rien d'ici, aussi ignorait-il vers où il allait, mais il sentait qu'il s'enfonçait dans les tréfonds les moins recommandables de la ville. Les rues devenaient plus étroites, plus sales et noires, dépourvues de lampadaires. Il voyait certes moins distinctement, mais la silhouette de l'homme demeurait bien éclatante pour ses iris alertes.
— Hey ! insista-t-il.
Mais bien sûr, c'était stupide de croire que l'autre allait interrompre sa course sous ses ordres.
— Merde... susurra-t-il difficilement.
Jungkook renâcla vivement, tira sur les muscles de ses jambes, trébuchant presque sur les pavés maladroitement enfoncés dans le sol. Sa respiration sifflait sous la douleur de ses poumons qui se contractaient vivement. L'effort puisait dans toutes ses maigres réserves, mais il remarqua que la silhouette du fugitif se rapprochait. Alors, dans un dernier élan, plutôt désespéré, il se jeta contre lui et le ceintura de toutes ses forces, enserrant le buste épais comme il put. Grâce à ses jambes écartées, bien ancrées sur le sol, il bénéficia d'un équilibre parfait, quoique fugace. Ainsi, Jungkook eut tout juste le temps d'arracher l'objet dérobé des mains du voleur avant que celui-ci ne prenne à nouveau la fuite vers des faubourgs encore plus noirs. Dans le mouvement, cependant, il avait aperçu une sorte de tatouage sur le poignet du malfaiteur : une hélice. Ce dessin lui sembla étrangement familier...
Une fois seul, Jungkook expira par saccades avant de faire demi-tour, les jambes un peu tremblantes. Les rues d'ici étaient véritablement désertes et sombres. Il observa ce qu'il détenait entre les mains : un épais carnet noir. Surpris, il fronça les sourcils, résistant à la tentation de l'ouvrir. Visiblement, l'homme s'était donné beaucoup de mal pour le ravir. Pensif, il rebroussa chemin, essayant de revenir sur ses pas.
Le silence fut soudain troublé par quelques pas et une voix claire.
— Oh, ciel ! Vous !
Jungkook reconnut la voix du petit blond qui criait au voleur plus tôt, le propriétaire du carnet. Vêtu d'un pantalon gris perle et d'une veste en queue-de-pie, le jeune homme était fort élégant. Son visage apparut enfin distinctement et le noiraud constata l'origine sans doute coréenne de ce dernier.
— Je... Merci infiniment. Si vous saviez comme vous m'avez sauvé la vie, souffla-t-il avec reconnaissance.
En guise de réponse, Jungkook lui offrit un sourire timide avant de lui rendre son bien.
— Que puis-je faire pour vous remercier ? J'ai de quoi payer... !
Pris de panique, le plus petit fouilla dans les poches de son pantalon.
— Oh... Je n'ai que trois rouages, pardon...
Jungkook agita les mains devant sa figure.
— Je ne veux pas d'argent, laissez, laissez ! s'exclama-t-il, un peu offensé qu'on le prenne pour un pauvre, ce qu'il était pourtant, en réalité.
Puis il reprit sa route, un peu hésitant. Cependant, le blondinet le rattrapa vite, essayant de suivre son allure.
— Dites-moi ce qui vous ferait plaisir ! insista-t-il.
Jungkook ignora cette remarque, inclinant simplement la tête. Mais l'autre ne s'arrêta pas pour autant. Alors, face à tant de ténacité, le noiraud sourit, un peu attendri et s'arrêta finalement. Ce carnet devait être bien précieux.
— Honnêtement ? Je suis un peu perdu, admit-il. Pourriez-vous m'indiquer le quartier du Trèfle ?
— Bien sûr ! se réjouit le blond. J'ai mon chauffeur, pas très loin. Je vous raccompagne. Avez-vous une adresse particulière ?
Jungkook se mordit la lèvre, pensif. Il hésitait à donner l'adresse de son hôtel, mais se méfiait toutefois de ce jeune homme.
— C'est au six, rue du Mausolée.
— L'apothicaire ? Jeon Chulmoo ?
Jungkook acquiesça, étonné que le jeune homme ait fait ce rapprochement. Certains clients brillaient certes par leur position de bourgeois, mais peu de grandes fortunes foulaient l'entrée du Sentinelle. Or, ce blondinet, ne ressemblait en rien à un simple bourgeois. Il se dégageait de lui une aura bien plus princière.
— Venez, nous ne sommes pas si loin !
Tous deux se mirent en route. Après quelques minutes silencieuses bien qu'empressées, les deux parvinrent enfin jusqu'à un fiacre stationné près d'un immeuble fort élégant bien que très original. Il s'agissait en effet d'une haute tour à la façade très exubérante, composée de matériaux métalliques : cuivre, étain, fer, bronze, titane... Jungkook en fut si impressionné qu'il s'arrêta un vague instant devant l'éminente structure.
— Vous venez ? l'interpella le blondinet.
Rêveusement, le noiraud opina du chef avant de rejoindre le fiacre.
— Oh... souffla-t-il en constatant soudain l'absence de chevaux. Il est automatique ?
— Tout à fait ! Montez.
En s'engouffrant dans l'habitacle, Jungkook fut assailli par une forte odeur de cuir, provenant de la banquette. Plissant légèrement du nez, il s'installa confortablement. Quand le blondinet fut à son tour assis, juste à la droite de son sauveur, il enjoignit le chauffeur à les conduire jusqu'au Sentinelle.
— D'où venez-vous ? dit-il quand le fiacre démarra. Non, en fait, peu importe la réponse, j'imagine que vous ne connaissez pas encore cette fantastique invention qu'est l'électricité !
— L'électri... cité ? répéta Jungkook maladroitement.
— Je pourrais vous bassiner pendant des heures sur la chose, mais retenez simplement que c'est une nouvelle énergie à peine découverte à la capitale. Les premiers lampadaires et ce type de voiture fonctionnent grâce à elle.
Cela devait être plus compliqué que ça, mais cette explication convenait parfaitement au noiraud qui se sentait exténué. Alors, bercé par le silence soudain, il lança son regard au dehors, se repaissant du paysage défilant. Il était cependant très obscur, aussi peinait-il à reconnaître les lieux.
— Je ne me suis pas présenté ! Park Jimin.
— Enchanté. Jeon Jungkook.
En se retournant, Jungkook remarqua qu'une étrange lumière fila dans le regard de Jimin. Comme s'il s'attendait à autre chose. Mais quoi ?
— Oh, vous êtes le fils de Jeon Chulmoo ?
— Son neveu, rectifia Jungkook avec un petit sourire. J'ai vingt-et-un ans
— Je vois. J'en ai vingt-quatre. Je peux te tutoyer ? Tu viens de Corée, toi aussi ?
— Busan, un village près de la mer, au sud.
— Oh... souffla rêveusement le blondinet en levant son nez en l'air.
Dans cette posture, il avait un petit air charmant et guilleret.
— Vraiment... reprit-il après un long silence, uniquement troublé par le bruit du fiacre qui roulait, je me sens très redevable... N'y a-t-il rien que je puisse faire pour te remercier ?
— Je n'en suis pas certain, répondit Jungkook avec un air désolé. À moins que vous ne fassiez partie des individus les plus renommés de cette ville...
Le silence fut terriblement pesant avant que Jimin n'éclate d'un grand rire. Le plus jeune, lui, fronça les sourcils, honnêtement perplexe. Mais le blondinet ignora cette réserve puisqu'il reprit joyeusement.
— Tutoie-moi, voyons ! Et tu serais bien surpris de ce que je peux faire pour toi. Dis-moi !
Jungkook soupira.
— Je... En fait... Il y a une fête à laquelle j'aurais souhaité aller, mais je... Il faut une invitation, et je ne connais personne... D'autant que je ne suis pas de haute naissance, je n'ai rien de-
— De quelle fête s'agit-il ? coupa Jimin.
— C'est un anniversaire. Une princesse, Violène Bergold... marmonna le noiraud un peu embarrassé.
Alors Jimin eut une réaction très surprenante : il s'esclaffa de nouveau.
Mais qu'avait-il, soudainement ? Quelque peu offensé et blessé par ce qui semblait être une moquerie récurrente, Jungkook se renfrogna légèrement.
— Pourquoi souhaites-tu venir ? lança Jimin une fois calmé.
S'il ne s'attendait pas à une telle question, le noiraud n'en montra rien, cependant. Il se contenta de répondre avec honnêteté.
— J'aimerais assister à la présentation du Philtre d'amour de Kim Taehyung.
À quoi bon nier ses intentions ? Depuis l'annonce dans Beaux Jours, Kim Taehyung s'était sans doute approprié toute la célébrité de l'événement, éclipsant totalement l'anniversaire de la jeune Bergold.
— Je vois, répondit calmement Jimin.
Il ne cessait cependant de dévisager Jungkook, comme s'il était foncièrement surpris.
— Bien. Tu viendras dans ce cas, Jungkook. Je te ferai parvenir le carton d'invitation avec l'adresse et un fiacre samedi à dix-huit heures devant la boutique de ton oncle.
Ahuri, le noiraud papillonna des yeux, les yeux plongés dans ceux, bienheureux, du blondinet. Les choses fonctionnaient-elles aussi simplement ?
— Oh, euh, merci, enfin, vous, euh, tu... tu es sûr que tu peux m'introduire de la sorte ? Je ne voudrais pas te causer de l'embarras... souffla-t-il les joues roses, tandis qu'une de ses mains se réfugiait derrière sa nuque.
Jimin laissa échapper un petit rire d'oiseau.
— Ne t'inquiète pas, Jungkook. Merci encore du fond du cœur !
Et il se jeta dans les bras du plus jeune.
— À très vite, chuchota-t-il contre l'oreille de son cadet.
Incapable de proférer autre chose qu'un remerciement, Jungkook descendit du fiacre, un peu étourdi par cette familiarité soudaine. Cet individu semblait si joyeux, animé d'une incroyable énergie chaleureuse. Quand, il rentra à pied jusqu'à son hôtel, Jungkook ne pouvait se défaire du souvenir de ce rire, cette lumière dans le regard, l'enthousiasme dans chacun de ses mouvements. Une fois dans son lit, il comprit pourquoi le blondinet retenait tant son attention.
Jimin ne ressemblait pas aux autres Amentiens.
❦
Dix-huit heures cinq.
Jungkook attendait. Vêtu des habits que son oncle lui avait gracieusement prêtés, il ne cessait de faire des allées et venues entre les étals du Sentinelle. Sa nervosité allait croissant. Pour sûr, on allait le remarquer, le reluquer comme une sorte de stupide freluquet, un idiot de première, tout ça à cause de ses vêtements.
En effet, deux jours plus tôt, Jungkook avait osé demander de l'aide à son oncle, afin qu'il lui prête une tenue distinguée. Aussitôt, Chulmoo l'avait taquiné sur son adorable minois capable de séduire la moitié de la ville, ce qui avait, bien évidemment, exaspéré le plus jeune. Jungkook l'avait ensuite informé sur la nature de l'évènement. Alors, son oncle avait soudain arboré une mine très sérieuse. Trop sérieuse. Mais Jungkook n'avait pas relevé.
Puis, ce matin même, Chulmoo avait déposé sur le comptoir une tenue « à la française », ramenée vingt ans plus tôt d'un voyage dans l'hexagone.
— Je dois avouer que les Français m'ont laissé une impression tenace, s'était-il confié. Les habits là-bas sont d'une élégance autre. Très modernes.
Jungkook s'était retenu de remarquer que c'était peut-être très moderne vingt ans plus tôt, mais certainement pas aujourd'hui. Et son instinct ne l'avait guère trompé : cette tenue n'avait rien de celles qu'il apercevait régulièrement à la Bélière, quartier le plus fortuné de la ville.
Il portait donc une veste azurine très courte qui s'arrêtait au niveau de la taille, chose peu courante à la capitale, puisque l'on préférait les longs manteaux. Sa veste, au décolleté marqué, s'ouvrait ensuite sur le haut d'une fine chemise en dentelle blanche. En vérité, le noiraud n'était pas spécialement intéressé par les questions de style et d'apparence. Lui-même ne se trouvait ni beau, ni laid. Son esthétique se rattachait plutôt aux passions, car il estimait que chaque personne s'animait sous l'élan d'un sujet différent. Pour lui, il s'agissait du parfum, pour Jimin, sans doute de l'électricité, et pour Chulmoo, de ses innombrables voyages à l'étranger. Malgré cela, un élément de sa tenue le gênait quelque peu : son pantalon. D'un blanc tout aussi éclatant que sa chemise, il lui collait un peu trop à la peau, soulignant la robustesse de ses cuisses. Jungkook savait que sa silhouette ne ressemblait pas à celle de son oncle, plus osseuse que la sienne.
Se connaissant, il aurait cependant tôt fait d'oublier ce détail. La preuve en était : Jimin avait cinq minutes de retard, et Jungkook angoissait déjà à l'idée que son invitation soit finalement annulée.
— Vas-tu cesser de déambuler comme un taureau ?
Jungkook interrompit sa marche. Reprit ses esprits.
— Mais mon oncle, il est dix-huit heures cinq. Imaginez que je ne puisse plus y aller... Ou que Jimin ait oublié !
Et comme si la providence avait entendu ces paroles, un fiacre s'arrêta juste devant la vitrine du Sentinelle. Jungkook s'approcha, plissa les yeux, et reconnut une petite tête blonde à l'intérieur.
— C'est lui ! s'exclama-t-il.
— Oh ! Bon, sois prudent, et surtout ne bois pas d'alcool ! Les vins d'ici sont très forts...
Jungkook acquiesça, saluant rapidement son oncle avant de claquer la porte.
— Et reste loin de Kim Taehyung.
Mais ce dernier avertissement ne fut guère entendu.
La voiture filait déjà dans la ville.
❦
Le voyage en fiacre fut très agréable. Au bout de quelques minutes seulement, Jungkook remarqua qu'ils s'éloignaient du centre-ville, composé de la Bélière, du Trèfle et du Grain, un quartier résidentiel bourgeois. La plupart des nobles partaient s'établir à la frontière d'Amentia, non pas pour la fuir, lui semblait-il, mais pour mieux l'encercler, à la manière d'une troupe militaire qui attend l'assaut. Et juste devant eux, premières victimes de leur attaque, venaient les faubourgs sordides, inondés d'ouvriers de plus en plus amorphes et fatigués. Le travail les vidait de toute émotion.
— Tu es ravissant ! s'était exclamé Jimin tirant le noiraud de ses pensées moroses.
Le blondinet portait une épaisse pèlerine sur une longue veste en queue-de-pie, toutes deux de couleur noire. Sous ces vêtements, Jungkook apercevait une chemise bordeaux surmontée d'un veston et d'un épais jabot, décoré d'une broche, qui encerclait sa gorge blanche. Son pantalon noir, lui, descendait sur ses jambes fines pour révéler de ravissants souliers blancs, tout vernis. En détaillant les atours de son bienfaiteur, Jungkook déglutit. Il se sentait soudain presque nu.
— Je ne savais pas que tu étais un original, ajouta l'aîné en fixant le torse du noiraud, à peine couvert par cette chemise transparente. Ça devrait plaire à quelqu'un...
Jungkook grommela à voix basse, profondément gêné des fantaisies de son oncle. Mais Jimin n'insista pas, se contentant de rire doucement, comme un parent attendri. Très vite, il s'engagea sur un autre sujet : le progrès des pistons dans les machines à vapeur d'usines de textiles. Étonnamment, le noiraud but chaque parole du plus âgé, qui avait un don plus que certain pour l'éloquence. Et tandis qu'il se perdait dans moult détails sur les ressorts actifs et les couloirs en acier cémenté, le noiraud fut pris d'un sursaut de conscience. Les gens d'ici, n'avaient-ils d'yeux que pour cela ?
❦
Après vingt bonnes minutes de trajet, le fiacre parvint près d'un domaine ravissant : celui de Blessingie, appartenant à la famille Bergold. Les Bergold étaient une famille de riches investisseurs dans le domaine de l'électricité. Ils participaient activement à la création de machines qui s'actionnaient grâce à cette incroyable énergie. Autant dire qu'ils étaient perçus comme de véritables figures de proue d'Amentia.
Quand le fiacre franchit l'entrée du jardin, révélée par un immense portail de fer forgé en arabesques, Jungkook pencha vivement la tête à l'extérieur. L'endroit était sublime, il fallait bien le reconnaître. La bâtisse, très haute et large, possédait deux tours à chaque extrémité. En plissant les yeux, Jungkook admira les briques blanches de la structure, parfaitement alignées. Les fenêtres, nombreuses, étaient pour leur part presque toutes assorties de balcons et d'encadrements qu'on aurait pu croire enluminés, tant les détails semblaient peints à la main. Le jeune homme se sentit noyé par cette abondance, si bien qu'il ne remarqua pas que le fiacre s'était arrêté, et encore moins que Jimin l'avait quitté. Alors, quand sa porte fut ouverte, il sursauta.
Jungkook rejoignit le blondinet, déjà en bas des marches qui menaient jusqu'à l'entrée. Au fur et à mesure qu'il s'élevait, il se sentit de plus en plus nerveux, terriblement craintif. Le bruit de la musique et des voix étouffées lui parvenaient et glaçaient son sang.
Il y a des moments où tout devient un peu flou et étouffé. Tout s'estompe autour de soi. L'entrée de Jungkook dans cette grande demeure fut ainsi. Rapide, un peu nébuleuse, sans véritable accroche.
L'intérieur était splendide. Sertie de dorures et de peintures, la demeure arborait une décoration dégoulinante à souhait, comme le coulis d'un grand gâteau. Au fond de la salle principale, se trouvait un orchestre qui jouait quelques ballades. Les invités, eux, discutaient joyeusement. Jungkook ressentit comme un pincement au cœur. Comment pouvait-on vivre dans pareille demeure quand d'autres peinaient et se noyaient dans le feu des usines allumées jour et nuit ? Il se revit lui-même, dans sa modeste chambre, ses toilettes répétées dans la salle de bains de son oncle, ses pommes, ses poires, ses minuscules morceaux de fromage et son pain comme seuls repas. C'est ainsi qu'une sorte de gêne crût en lui. Elle piquait son cœur d'enfant de petites estafilades.
— N'est-ce pas magnifique ? chanta Jimin à son oreille.
Sans doute que oui, ça l'était. Jungkook fut incapable de répondre, plongé dans une bulle absorbante.
Quelques personnes lui furent présentées, dont un baron, et trois duchesses. Jungkook n'arrivait pas à retenir leur nom. Il cherchait désespérément un invité sans pour autant jamais croiser ses traits. Les gens ici n'avaient rien de très différent de ceux qui arpentaient l'extérieur de la ville, pauvres comme riches. Tous s'actionnaient comme de stupides marionnettes, arborant des sourires factices. Aucune vie n'habitait leurs regards. Jungkook n'en fut même pas étonné.
Et puis Jimin disparut soudain, d'une manière bien trop discrète. C'était certes étrange, mais la solitude ne dérangea pas le noiraud. Pour être honnête, on ne lui portait pas grande attention, ce qui eut tôt fait de le mettre à l'aise. Jungkook goûta différents mets : des viandes fumées, des fruits qu'il n'avait jamais vus, gorgés de jus et de sucre, des gâteaux somptueux, du pain à la farine savoureuse. Il ne s'était jamais autant régalé de toute sa vie.
Le temps fila, il fila sans que Kim Taehyung ne montre le bout de son nez. Viendrait-il réellement ? Jungkook fut pris d'une terrible déception. Peut-être que Beaux Jours se trompait. Tandis qu'il sirotait une boisson aromatisée à la fleur d'oranger, il détailla une énième fois la foule rassemblée et compacte. Ses prunelles sautillaient d'un point à un autre, légères et vaseuses.
Jusqu'à ce qu'elles soient attrapées soudainement, retenues prisonnières par deux yeux de nuit. Des yeux noirs comme des abysses, à l'autre bout de la salle. La distance, pour autant, ne semblait pas affecter leur pouvoir magnétique. Jungkook déglutit.
Kim Taehyung l'observait.
Et son cœur trémulait.
Il avait les cheveux bruns, de la couleur du chocolat, et une peau sableuse, pailletée à des endroits épars. L'équilibre de ce visage ressortait avec tant de perfection que le jeune homme ressentit une drôle d'émotion. Il compara ces orbes à l'onyx, une pierre aussi ténébreuse qu'hypnotisante. Chaque détail, de sa mâchoire aux grains de beauté dispersés sur l'épiderme ensoleillé, le faisait paraître comme...
Comme un bijoux.
La beauté embrassait tout son être, elle baisait chacun de ses traits.
Et qui ne voulait pas faire comme la beauté ?
Jungkook fut incapable de détourner le regard.
Mais le contact fut arraché par le jeune Kim. Il venait en effet d'être sollicité par l'hôte de la soirée, Violène Bergold, se tenant juste à sa droite. Celle-ci portait une longue robe saphir aux couches de satin si épaisses que Jungkook se demanda comment elle parvenait à tenir debout. La princesse invita Taehyung à monter sur une estrade, non loin de l'orchestre qui jouait à présent des sérénades. D'ailleurs, quand la propriétaire des lieux monta à leurs côtés, les musiciens s'interrompirent et un silence profond envahit l'assemblée.
— Venez, invita Violène en tendant la main vers Taehyung.
Alors, ce dernier gravit les quelques marches qui le séparaient de la princesse. Et comme il était bel et bien libéré de l'emprise de son regard charbonneux, Jungkook détailla enfin sa silhouette. Elle était élégante, altière, comme sa personne. Taehyung portait un pantalon noir et une chemise blanche aux détails incroyables, extrêmement fins. La blouse était surmontée d'une lavallière immaculée aux reflets irisés. Enfin, une ceinture métallique enserrait ses hanches délicates.
— Bonsoir !
Jungkook fronça les sourcils. Juste à côté du parfumeur se tenait désormais Jimin, qui venait tout juste de saluer la petite foule.
— Comme vous le savez tous, enchaîna-t-il, Kim Taehyung, mon associé, est venu avec son nouveau parfum : Philtre d'amour. Pour des raisons de déontologie, nous devons vous avertir que ce parfum provoque des effets physiques et mentaux qui peuvent altérer votre perception et vos sensations.
Le silence s'épaissit, laissant au jeune homme le temps de faire une courte pause.
— Par conséquent, pour le respect de chacun, j'invite ceux qui souhaiteraient tester le Philtre à me suivre dans le salon Camélia.
Jungkook papillonna des yeux, tournant la tête à droite et à gauche. Certains des invités n'esquissèrent pas le moindre geste. Taehyung, lui, sans même ouvrir la bouche, quitta l'estrade et rejoignit une pièce annexe, sans doute le fameux salon Camélia. Le silence fut grand, avant qu'une poignée de monde s'avance à la suite du parfumeur, dont la silhouette s'était effacée. Il ne s'était même pas exprimé, laissant le soin à son ami de le faire. Jungkook se sentit étrangement déçu.
Pris de doute, il resta paralysé. Il ne savait que faire, soudain. Car s'il n'était venu que pour ça, une part de lui ressentait une sourde frayeur à l'idée que le parfum provoque de réels effets. De plus, l'attitude grave de Kim Taehyung l'avait considérablement refroidi. Il n'avait pas l'air de rire.
— Bon, alors, serais-tu un dégonflé ?
Jungkook sursauta. Jimin venait de lui entourer la taille pour le tirer à sa suite, vers le salon Camélia.
— Je... Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu étais l'associé de Kim Taehyung ?
À ces mots, ledit associé éclata d'un adorable rire d'enfant.
— J'ai vraiment été étonné que tu n'aies jamais entendu mon nom ou aperçu mon visage... C'était rafraîchissant pour moi de te rencontrer sans t'annoncer ma position derechef.
Soudain, il s'arrêta, ce qui eut pour effet d'immobiliser le noiraud, tout près de lui. Quand Jimin se retourna, leurs visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre.
— Tu vas enfin comprendre l'utilité du Philtre sur les Amentiens.
Jungkook fronça les sourcils, il voulut demander à son nouvel ami de préciser sa pensée, mais ce dernier lui attrapa la main et le tira violemment derrière lui. Quelle poigne !
Le salon Camélia possédait une ambiance bien différente du grand séjour. Quelques lampes électriques, de la dernière génération, étaient disposées de manière aléatoire dans la pièce à l'épaisse moquette. Cependant, leur éclat avait de quoi stupéfier : il était rouge. Sans doute une nouvelle invention. Jungkook délaissa les étranges lumières écarlates, avant de chercher la foule du regard. Celle-ci se composait d'une cinquantaine de personnes, une somme modique au vu du nombre d'invités.
Sans ciller, Jungkook se tint derrière la petite assemblée, plutôt en retrait. Il chercha Taehyung du regard sans jamais vraiment le voir. Puis il remarqua plusieurs tables hautes réparties dans le salon. Sur chacune d'entre elles reposait un flacon élancé.
Un Philtre d'amour.
Grâce à la lumière ténue, les silhouettes brillaient d'un éclat vaporeux et aucun visage n'apparaissait distinctement.
Cependant, chacun eut l'air de savoir ce qu'il y avait à faire car, dans un silence religieux, les premiers volontaires se dirigèrent vers un flacon. Fébrile, Jungkook constata qu'à nouveau, Jimin s'était purement et simplement évaporé. Il était seul.
Alors, il imita les autres et se dirigea timidement vers un flacon, sur une table assez retirée, près d'un mur. Une fois qu'il fut certain d'être bien seul à cet endroit, ses doigts glissèrent sur le verre froid de la flasque. Aucune inscription ne figurait sur l'objet. Juste un cœur tracé au pinceau directement gravé sur le verre. Jungkook retira le bouchon, l'approcha puis le porta jusqu'au creux de sa gorge. Alors, le liquide froid s'étala sur son épiderme et une première odeur lui parvint.
Vanille. Un oriental vanillé. Cette famille de parfums, les orientaux, était très complexe, car elle mélangeait un certain nombre d'éléments essentiels : une résine, un baume, et des notes soit florales, soit boisées, soit sucrées... Les possibilités étaient si infinies qu'on pouvait aisément se perdre. Jungkook n'aimait que peu les orientaux. Cependant, il dut reconnaître que ce parfum-là, était très bien dosé et faisait parfaitement honneur à sa famille. Son équilibre était indéniable.
— Du pin... ?
Murmurant dans la semi-pénombre, le noiraud ne s'aperçut que trop tard du changement d'atmosphère, plus lourd et terrassant. Les autres autour de lui s'éventaient déjà à l'aide de leurs mains tandis que leurs joues se fondaient dans la pénombre, comme un éclaté de fraises sur les pommettes.
Il faisait chaud, et moite. L'air se consumait, il se fit lourd, terriblement lourd. Jungkook fut pris d'une torpeur lasse, une sorte d'énergie descendante, une langueur délicieuse et agréable. L'odeur du parfum saturait déjà ses narines, elle pénétrait chacun de ses pores, de même que ses battements de cœur. L'épiderme brûlant, des petites gouttes de sueur perlaient déjà sur ses tempes, elles diamantaient sa peau d'albâtre. Il avait envie de retirer sa veste, mais il ne se sentait pas suffisamment à l'aise pour le faire. Pas encore.
En clignant les yeux plusieurs fois, Jungkook remarqua que le décor ne changeait pas. Ses joues étaient chaudes, elles devaient être rouges aussi, ou rose, ou...
— Qui êtes-vous ?
Cette voix.
Elle avait susurré tout près de son oreille. Une voix grave et puissante, un timbre qui vous glace et vous réchauffe à la fois. Jungkook se sentit fébrile ; il ne trouva même pas la force de se retourner pour affronter ce mystérieux inconnu. Pourtant, même s'il ne pouvait pas le voir, un étrange pressentiment l'assaillit. Serait-ce...?
— C'est la première fois que je vous vois...
Le jeune homme inspira calmement pour essayer de tuer l'insaisissable émotion qui l'envahissait peu à peu. Mais c'était vain : elle possédait déjà tout son être.
— Je suis arrivé il y a peu de temps dans la ville, souffla-t-il sans se retourner, ses yeux parcourant la foule, à la recherche de quelque chose, ou plutôt quelqu'un.
— Combien de temps ? insista la voix.
— Seize jours, je dirais...
Soudain, une main appuya très légèrement sur sa hanche, pour le tirer en arrière, contre le corps de l'inconnu. Jungkook frissonna. Lui qui avait un nez déjà très sensible, il lui sembla que ses autres sens s'étaient aux aguets en même temps qu'endormis. Un brouillard de fable enveloppait son esprit tout entier, il recouvrait même le lustre humide de ses orbes.
— Je vois.
— Vous...
Il ne parvenait pas à formuler le moindre mot.
— Que ressentez-vous ? susurra soudain la voix contre son oreille, les lèvres frôlant son lobe sensible.
Jungkook ferma les yeux, s'abandonnant enfin.
— J'ai... J'ai le vertige... Comme si j'étais ivre, mais je n'ai jamais été ivre de ma vie... Alors, je ne sais pas...
Sa réponse brûlait d'une telle innocence qu'elle sembla consumer l'autre qui posa soudain son menton contre l'épaule relâchée du noiraud. S'il n'était pas soutenu par la haute silhouette, Jungkook serait peut-être tombé sur le sol.
— Et le parfum... Vous aimez ?
— Assez oui. C'est intelligent... L'iris avec la vanille se combine bien... Mais le pin...
L'autre homme se figea légèrement.
— Le pin... ? murmura-t-il tout bas contre la gorge qu'il se retenait de baiser.
— Ce n'est pas un pin... normal...
Jamais Jungkook ne se serait cru capable de proférer de telles paroles. Quelque part, cette désinhibition suscitée par le parfum lui procura un bien immense. Ne lui manquait plus qu'une chose...
— Laissez-moi vous voir...
Alors la prise autour de sa taille disparut, et Jungkook crut qu'on l'abandonnait là. Il tangua légèrement, se soutint contre la haute table, sur laquelle reposait le flacon ouvert. Puis sa silhouette pivota lentement. Et là, juste devant lui...
— K-Kim Taehyung...
Aussitôt, les effets du parfum se décuplèrent, ou peut-être que c'était une sorte de douche froide, mais ses pensées s'embrouillèrent encore plus, ses tremblements s'accentuèrent et ses joues s'enflammèrent brutalement.
— Qui êtes-vous ? répéta le parfumeur.
C'était si grand, si impensable, qu'une sorte de petit sourire envahit les lèvres du cadet.
— Je m'appelle Jeon Jungkook...
Le silence les enveloppa comme une bulle.
— Ce nom me dit quelque chose. Jeon...
— Je travaille au Sentinelle.
Cela sembla faire sens pour le brun qui écarquilla très légèrement les yeux.
— Mon cœur... mon ventre... souffla le noiraud, absent. J'ai des papillons...
— Je sais, souffla Taehyung en se rapprochant, glissant ses doigts autour de la mâchoire pour maintenir le visage juste en face du sien.
Le parfumeur dévisageait Jungkook avec une fascination terrassante, comme on dévisagerait une terre inconnue, ou une magnifique pierre précieuse.
— Vous avez senti le pin.
— J'ai le nez sensible.
Taehyung plissa les yeux avant de relâcher la mâchoire. Pour autant, Jungkook ne recula pas sa figure, fasciné qu'il était. Il avait l'impression que son cœur allait déborder de ses lèvres, de ses oreilles, de ses yeux, de tous les pores de sa peau. Puis il offrit au brun un sourire éblouissant.
Un véritable sourire.
Son tout premier, depuis sa venue à Amentia.
Parce qu'il y avait sourire et sourire.
Depuis sa venue, ici, tout lui semblait fade et faux, surjoué ou pas joué.
— Nous pourrions aller dans votre atelier ? suggéra le noiraud.
L'effet du Philtre le rendait si courageux, presque imprudent. Était-ce cela l'effet de l'amour ?
— Je n'ai jamais été amoureux, confia-t-il ensuite, les joues roses.
L'amour vous rendait-il également trop franc ? Il sautait d'un sujet à un autre, sans même s'accommoder de trouver une transition suffisamment délicate.
— Vous savez, ils servent d'excellents mets ce soir. J'ai adoré le pain. Et les fruits.
Taehyung sourit d'un air attendri avant de caresser la joue rebondie. Puis il s'approcha de la surface de la table et reboucha le flacon.
— Ne vous parfumez plus, c'en est assez, susurra-t-il ensuite au creux de l'oreille du noiraud.
Jungkook, lui, esquissa un petit sourire d'adoration avant de lancer ses mains jusqu'aux épaules de l'aîné pour les enserrer.
— Pourquoi... La note balsamique est un peu forte. Vous ne trouvez pas ? souffla-t-il contre les lèvres du parfumeur.
Ce dernier se figea, sa mâchoire se contracta si fort. La note balsamique correspondait à la résine du parfum, autrement dit, la nature exacte du pin que Jungkook avait senti.
— Qui êtes-vous ? répéta Taehyung, la mine fermée cette fois-ci.
Jungkook rit simplement. Puis, sans proférer le moindre mot, il se pencha pour déposer ses lèvres sur le coin de la bouche de son aîné. Le contact fut si doux, il l'électrisa tout entier. Et c'était si agréable, qu'il répéta son action, de manière plus appuyée cette fois. Un souffle chaud avait pris possession de son corps. Alors, il dévia, et ses lippes baisèrent ensuite le menton, la ligne de la mâchoire, le cou... Le jeune homme soupira, s'abandonna contre cette silhouette tandis qu'une paire de bras vint soudainement ceinturer sa taille pour le coller brusquement contre lui. Jungkook laissa échapper une brusque expiration. Son nez caressait déjà la jugulaire.
Et soudain, quelque chose brisa la petite bulle émergente autour d'eux. Il s'agissait d'un rire, complètement hystérique et strident, si fort et perçant qu'il en briserait des verres, ou des rêves, Jungkook ne savait plus. Il sursauta, se tendit, s'écarta du parfumeur qui avait relâché sa prise, puis tourna la tête vers l'arrière.
Une femme s'était assise sur le sol. La jupe de sa robe éparpillée tout autour d'elle lui donnait l'air d'une enfant laissée là, déchue. L'hilarité qui l'habitait contamina un homme, tout près d'elle, puis une autre femme, plus jeune. Jungkook dévisagea la petite assemblée, malgré la semi-pénombre. Quelques silhouettes s'étreignaient, d'autres riaient, certaines affichaient un courroux évident, l'une pleurait, peut-être, à en croire les quelques reniflements qu'on percevait...
Mais ce qui était tout bonnement remarquable ici, était la liesse générale. Une émotion vivante et indépendante, qui semait sa graine chez qui voulait d'elle.
Alors, ce fut évident.
Des émotions extrêmes. Pour les uns, c'était de la colère, pour d'autres, une joie incomparable, ou une mélancolie accablante. Le délire se dessinait sur tous les visages, les yeux s'animaient enfin, ils se recouvraient d'un feu inextinguible.
Les robots s'éveillaient.
Tout à coup, sans même comprendre ce qu'il faisait, Jungkook retira sa veste, révélant là son torse à peine couvert par la dentelle parfaitement opaline. Sa peau enfin rafraîchie, il soupira d'aise, posa le vêtement bleu sur la table puis repoussa quelques mèches transpirantes.
Soudain, il aperçut une chevelure blonde, à l'autre bout du salon.
— Allons voir Jimin ! s'exclama-t-il en se tournant vers Taehyung.
Ce dernier le dévisageait silencieusement. Il semblait complètement refroidi, voire méfiant.
— Allons-y, accepta-t-il.
Alors Jungkook s'élança sans plus attendre vers la silhouette aperçue.
— Jimin ! cria-t-il.
Ce n'était pas des manières, mais personne ne sembla offusqué de son élan vocal.
— Jungkookie ! répondit le blond, tout heureux.
Une fois face à face, ils s'étreignirent joyeusement, le rire de Jimin caressant le cou du plus jeune.
— Je rêve. Jimin, tu t'es parfumé ? susurra Taehyung en s'emparant du bras de Jungkook pour l'éloigner de son associé.
Un peu étourdi, le noiraud se laissa faire, enfermé dans sa son extase.
— J'adoooore ce parfum, mais le pin... le pin... Je n'aurais pas mis ce pin. Tu en dis quoi Jimin...
Le jeune Kim serra la mâchoire à cette mention.
— Tu penses pouvoir le ramener ?
— Je suis venu avec lui. Tu sais, c'est le garçon du carnet...
Malheureusement pour lui, Jungkook n'accordait aucune attention à l'échange entre les deux associés de la maison Kim. Il préférait examiner les détails d'une lampe émettant un éclat vif et sanguin, posé sur une commode à quelques pas de lui.
Taehyung, lui, arborait à cet instant une mine étonnée, dévisageant soudain Jungkook avec plus d'intérêt, si c'était seulement possible.
— Tu penses qu'il l'a ouvert ? Comment pourrait-il connaître le pin...
— Non, non, du tout, contra le blond. Il est tout naïf et honnête ce gosse.
Le parfumeur fronça les sourcils, son regard glissant sur le sol tandis qu'il semblait réfléchir à toute allure. Il sentit soudain une paire de mains encercler sa taille, un corps tanguant se coller au sien et des lèvres effleurer son lobe.
— Vous ne m'avez pas répondu, tout à l'heure. On peut aller dans votre atelier ? S'il vous plaît, je suis tellement fan de vous, Taehyung, vous êtes mon modèle.
Jimin écarquilla les yeux, puis dissimula son rire nerveux derrière la paume de sa main.
— Honnête. Tu vois ?
La tête du plus jeune s'échoua ensuite sur l'épaule du parfumeur, dans une étreinte abandonnée et intime.
— Ramène-le.
— Bien chef ! rit Jimin. Au fait... Tu en penses quoi ?
Silence. Taehyung glissa une main sur la nuque offerte du noiraud amorphe, effleurant les mèches de nuit, avant de répondre, dans un murmure froid.
— Parfait.
Jimin, lui, acquiesça d'un air satisfait. Il prit ensuite la main du noiraud et l'entraîna derrière lui, vers la sortie du salon Camélia. Sur le chemin, Jungkook réclama sa veste bleue, qu'il devait rendre à Chulmoo, sous peine de finir embroché selon ses dires. Et tandis que Jimin s'en allait récupérer pour lui le vêtement, il fut très attristé de quitter Taehyung. Alors, ému, il se retourna vers la silhouette du parfumeur, qui n'avait pas bougé d'un poil, le fixant avec une intensité extrême. Hermétique à cette attention particulière, Jungkook lui adressa une œillade éplorée.
— Revenez-moi... ! eut-il le culot de s'exclamer au beau milieu de la pièce.
Mais aucun mot ne lui fut retourné. Jimin l'emporta simplement dehors, s'esclaffant de nouveau.
Quand l'air frais caressa sa figure brûlante et que les odeurs du jardin atteignirent ses narines, Jungkook fut peu à peu regagné par la raison. Oh, ciel, quel avait été ce comportement ? Et ce délire communicant de l'assemblée ? Tandis que le fiacre roulait, il ne décrocha pas un mot, les yeux grands ouverts, rivés sur ses mains tremblantes.
Jimin lui-même ne fit pas la moindre remarque. Il semblait perdu dans ses propres pensées, et surtout, terriblement comblé. Que signifiait cette béatitude ?
Jungkook se fit alors la remarque que ce parfum ne pouvait être que l'œuvre d'un fou.
❦
Cela faisait trois semaines que Philtre d'amour avait été présenté chez la princesse Bergold, et deux semaines qu'il était commercialisé. Comme on pouvait s'y attendre, sa sortie provoqua un retentissement exceptionnel, dans la ville comme dans le monde. Les gens faisaient la queue par centaines devant la boutique officielle de la maison Kim, située dans le quartier de son créateur : la Poulie. Jungkook savait juste que la Poulie se situait après la Bélière. On disait de Kim Taehyung qu'il vivait dans une tour exubérante, dominant la ville comme un trône.
Jungkook, lui, poursuivait sa routine au Sentinelle. Il n'avait rien osé dire à son oncle de cette soirée, mais ne cessait pour autant de se la rejouer, comme un rêve virant au cauchemar. Parfois, des bribes disparaissaient de son esprit puis réapparaissaient. Et quand il y songeait précisément, il se faisait peur. Qu'est-ce qui lui avait pris ? Jamais il ne s'était comporté de la sorte. De quoi ce parfum pouvait-il être composé pour provoquer de tels égarements ?
Et le mot était faible.
La ville se figeait progressivement pour donner la voix à ses habitants. Les ouvriers ne travaillaient presque plus, abandonnant les usines et levant la tête, enfin conscients de ce qui les entourait. Les nobles, eux, souriaient, ou criaient à tout-va. Ils s'écartaient de la norme pour adopter des comportements inattendus et insensés. Les fiacres roulaient de moins en moins, comme s'ils n'avaient jamais existé. On jardinait sur les trottoirs, jetant terreaux et bulbes de tournesols, on se souriait avant de s'embrasser, se passait de veston ou de manteau (impensable !), se frappait volontiers si l'on souhaitait manifester son désaccord.
La retenue s'en était allée.
Alors Jungkook comprit. Le Philtre ne rendait pas amoureux, non. Il insufflait un peu de vie, une vie artificielle, dans ces corps devenus mécaniques. Il créait l'imprévisible.
Étonnamment, et heureusement d'une certaine manière, l'interruption des activités ouvrières avait jeté une clarté sans précédent sur la ville. Maintenant qu'elle n'était plus noyée par la fumée et la suie, Jungkook découvrait enfin sa splendeur. Les bâtiments se découpaient contre le ciel avec une netteté saisissante. Il réalisa alors que cet endroit était véritablement beau.
Pour autant, le jeune homme ne se sentait guère apaisé. Chaque jour, un fragment d'effluve lui parvenait dans un coin de rue, au Sentinelle ou à l'hôtel du Réticule. Vanille, iris, bergamote et pin se mêlaient au vent. Cela devenait insupportable, cette constante ivresse qui dévorait son cœur et sa tête. Il se sentait comme un naufragé, riant pour un rien, ne s'offusquant plus de croiser la démence incarnée par quelques Amentiens, torves et hystériques.
De jour en jour, cependant, sa colère grandit. Il lui semblait qu'aucune autorité de la ville ne s'inquiétait des dérives causées par le Philtre d'amour.
Jungkook devait faire quelque chose.
❦
— Incroyable...
Ainsi, cette grande tour qu'il avait contemplée le soir du vol était la maison Kim ? Jungkook ricana froidement. Décidément, le hasard était bien fait, trop bien fait même. Il franchit la porte principale, un lourd rectangle en laiton forgé. Le hall d'entrée n'était pas très grand. Composé de quelques fauteuils et plantes décoratives, il brillait par son ambiance très froide et impersonnelle. Une femme, installée devant un petit bureau, tapait à la machine d'un air empressé.
— Bonjour, dit Jungkook.
La femme s'arrêta aussitôt. Elle leva les yeux très lentement avant de hausser un sourcil devant la mine du jeune homme, pauvrement vêtu.
— Écoutez, dit-elle. Je n'ai pas d'argent.
Jungkook serra les dents. Il commençait à en avoir assez d'être pris pour un mendiant.
— J'ai rendez-vous avec Kim Taehyung.
On aurait aisément pu croire que le noiraud manquait de courage ou de culot, mais il n'en était rien. Du moins, pas quand on s'attaquait à ce qu'il considérait comme ses valeurs. Jungkook avait en horreur l'injustice. Et sa colère ne le rendait que plus sûr de lui, plus affirmé.
— Alors, ça, si vous permettez, j'en doute, ricana la femme.
— Dites-lui que Jeon Jungkook est ici. Et précisez bien que je déteste attendre.
Muette de stupéfaction, la femme observa le noiraud s'éloigner jusqu'à un fauteuil rouge. Il s'installa face à elle en croisant les bras sur son poitrail d'un air défiant.
❦
Installé derrière un imposant bureau de bois verni, non loin d'un feu de cheminée qui crépitait joyeusement, Taehyung observa Éléonore refermer l'imposante porte de son salon personnel derrière un visiteur pour le moins inattendu : Jeon Jungkook. Ce dernier était vêtu de guenilles, lui conférant l'allure d'un ouvrier, mais n'ôtant rien à sa beauté, aussi délicate que forte. Des orbes rondes et maronnées, de belles joues rebondies, des lèvres tracées au pinceau et un petit menton froncé, le tout sur une peau de neige, troublée de quelques grains de beauté.
Les flammes éclairaient le visage des deux jeunes hommes, elles effleuraient leurs profils offerts, pour se refléter sur le lac sombre de leurs yeux. Tous deux se dévisageaient avec une sorte d'envie foudroyante, celle de se comprendre, de se saisir. Jungkook fut le premier à briser le silence.
— Qui êtes-vous ?
Taehyung haussa les sourcils, légèrement stupéfait. Il ne s'attendait pas à cette question, mais ne manifesta pas davantage sa surprise, se laissant simplement aller dans son grand fauteuil. Caressant de son index son menton, il rétorqua.
— La question devrait plutôt être : qui êtes-vous, pour croire que vous pouvez venir ici à l'improviste ?
Jungkook ricana. Il s'approcha du bureau, sans même y avoir été invité, mais son audace ne sembla pas offusquer le parfumeur, qui ne bougea pas d'un pouce et cessa de le fixer. Alors, conforté dans son aplomb, le noiraud prit la liberté de s'installer sur l'un des sièges qui faisaient face au bureau. Il croisa les jambes avant de sourire froidement.
— Est-ce que vous sortez, fréquemment, dans la ville ?
— Cela m'arrive.
— Alors, peut-être avez-vous constaté l'incroyable succès de votre nouveau parfum ?
— À quelques reprises, oui.
La voix de Taehyung provoquait toujours une sorte de quiétude et d'admiration. Elle appelait au respect. Mais Jungkook ne voulait pas lui offrir cela.
— Qui êtes-vous ? Quel genre de fou peut faire cela ? enchaîna-t-il enfin, sans transition. Vous avez créé une... une œuvre du Diable.
Fonçant les sourcils, le parfumeur se redressa pour se pencher contre la surface du bureau, visiblement attentif aux paroles de son cadet.
— Jungkook...
— Taisez-vous ! Vous devez cesser cela. Retirez le Philtre. Vous ne savez pas ce que vous provoquez dehors ! claqua le noiraud.
Si Jungkook possédait une indéniable part de naïveté, il y avait une chose qu'on ne pouvait lui retirer : son sens de la liberté. Or, il avait l'impression tenace que ce parfum asservissait l'humanité.
Fébrile, les membres tremblants sous l'émotion qui l'écrasait, il se leva brusquement de son siège pour s'approcher de la cheminée, et se tenir face à elle. Les flammes baignèrent toute sa figure pâle.
— Moi-même, je ne me suis plus jamais parfumé depuis cette soirée, confia-t-il soudainement d'une voix éteinte et douloureuse. Et je sens le Philtre, partout, partout autour de moi. Ça me rend différent.
Un peu absent, Jungkook sentit l'aura du brun se rapprocher de lui, dans son dos, avant que sa voix grave n'atteigne ses oreilles alertes.
— Différent comment ?
— Comme quelqu'un d'irritable, de colérique et de faible. Je ris, puis je succombe à l'animosité. Je ne me reconnais plus, personne ne se reconnaît plus...
Cette confession faisait battre son cœur à tout rompre.
— Je ne comprends pas ce qui provoque tout cela, ajouta-t-il. Mais je trouverai.
Mû par cette résolution, il tourna son visage et découvrit les yeux de nuit qui le fixaient fiévreusement.
Taehyung était magnifique ainsi. La moitié de son profil baignait dans l'éclat vacillant du feu tandis que l'autre plongeait dans la nuit. Et ce portrait semblait si puissant, si vrai, parce que Jungkook sentait bien que le parfumeur abritait deux facettes diamétralement opposées. Car comment justifier son apparence à la fois bienveillante et terrifiante ? Insaisissable.
— Pourquoi voulez-vous devenir parfumeur, Jungkook ? demanda soudain Taehyung.
Le noiraud fronça les sourcils. Il se tourna de face au brun. Leurs visages étaient si proches. La chaleur du feu glissait entre leurs cils battants et leurs souffles fragiles.
Comment Taehyung pouvait connaître son dessein ? Jungkook parcourut les traits de son interlocuteur, à la recherche d'une réponse. Mais le brun demeurait parfaitement impassible. Le plus jeune déduisit alors que son aîné avait tout simplement fait des recherches sur lui. Ou qu'il était doté d'un incroyable sens de la déduction.
— Sans doute parce que c'était une évidence. Je sens tout, absolument tout. Longtemps, ça a été insupportable pour moi. Et puis... J'ai pris conscience de tout ce que je pouvais créer. C'est quelque chose d'émouvant le parfum... confia le noiraud.
— Jungkook. Vous aussi, vous souhaitez créer de la vie, avec ces fragrances.
Jungkook éclata d'un rire hargneux.
— Parce que vous pensez que le Philtre rend les gens vivants ? Ce n'est qu'une illusion. Vous êtes un illusionniste, c'est tout. Vous manipulez les gens. Dehors, tout est cauchemar, vous ne comprenez pas...
— Non, c'est vous qui ne comprenez pas ! claqua Taehyung d'un ton extrêmement sec, les traits soudain déformés par une colère froide.
À cet instant, les yeux du brun semblaient imperméables à toute chaleur. Là, son véritable visage se révélait.
— Vous venez à peine d'arriver ici, et vous pensez mieux savoir ce dont cette ville a besoin ? Restez à votre place.
Jungkook se tendit, le menton tremblant de rage.
— C'est peut-être de la folie pour vous, mais la folie vivait ici depuis déjà trop de temps.
Après ces mots, Taehyung contourna le noiraud puis regagna son fauteuil.
— J'aimerais que vous partiez, maintenant.
❦
Huit jours étaient passés, et Jungkook ne décolérait pas. En vérité, plutôt que de l'effrayer ou d'éteindre sa hargne, sa courte discussion avec Taehyung ne l'avait que plus encouragé à percer le mystère du Philtre pour mieux le défaire.
Un après-midi calme au Sentinelle, Jungkook profita du manque de clients pour solliciter son oncle. Adossé au comptoir, ce dernier remplissait le cahier des comptes de son office.
— Vous sauriez distiller un mélange ?
Chulmoo fronça les sourcils, puis leva les yeux vers son neveu. La distillation, qui consistait à séparer les éléments d'un mélange liquide, requérait un matériel particulier.
— Quel mélange ?
— Un parfum.
Sans dire un mot, l'apothicaire referma son cahier avant de soutenir le regard appuyé de son neveu. Il savait que depuis cette fameuse soirée, Jungkook ne cessait de penser au Philtre, le traitant d'abomination et d'horreur. Chulmoo, lui, n'avait jamais exprimé son avis sur la question même si, dans son for intérieur, il avait craint la rencontre entre son neveu et Taehyung, car il savait ce qu'on disait de ce dernier : qu'il était fou, qu'il était passionné, qu'il était dangereux.
— Cela dépend du parfum, déclara l'homme. Est-il complexe ?
Jungkook acquiesça.
— Plutôt oui. Il y a une odeur que je souhaite identifier. C'est une espèce de pin que je n'ai jamais senti. Je pense que vos connaissances seraient très précieuses. Vous avez voyagé et senti bien plus de plantes que moi.
— Certes, acquiesça Chulmoo. C'est donc une odeur résineuse ?
— Oui. Balsamique, précisément.
Le silence les entoura avant que l'apothicaire ne finisse par soupirer, visiblement peu étonné de la demande qui lui avait été faite.
— Tu veux distiller Philtre d'amour ? Dans ce cas, apporte-moi le parfum.
❦
Jungkook avait pratiquement mis tout son salaire dans l'achat du Philtre. Un matin, il s'était levé plus tôt pour se rendre près de la tour de Taehyung, dans le quartier de la Poulie. La boutique officielle de la maison Kim se trouvait dans la même rue. À cette heure-ci, il n'y avait pas grand mande. Mais revoir le flacon et sentir cette fragrance tout autour de lui avait manqué de le faire défaillir. Ses paupières avaient frémi et il avait salivé, en même temps que son rythme cardiaque s'était accéléré. Ces sensations le convainquirent qu'il fallait arrêter Taehyung au plus vite.
Ainsi, il paya les cent-quarante rouages avant de s'en aller, la silhouette fière mais tendue.
Vingt minutes plus tard, il arriva enfin au Sentinelle. Il était à peine dix heures, aussi fut-il rassuré de constater qu'il n'était pas trop en retard. En foulant l'entrée, Jungkook fut secrètement satisfait de constater qu'aucun client n'était là. Chulmoo lisait Beaux Jours sur les escaliers qui menaient à ses appartements personnels.
— Je l'ai, dit simplement Jungkook en s'approchant de son oncle, sans même l'avoir salué au préalable.
Chulmoo, lui, referma son édition du journal, la déposa sur une marche et se leva, la main tendue devant lui. Alors, son neveu déposa le flacon sur la paume ouverte.
— Viens, invita l'homme avant de gravir l'escalier.
Jungkook ne se fit pas prier. Ils passèrent devant la chambre et la cuisine, pièces que le jeune homme connaissait déjà, jusqu'à s'arrêter devant le battant d'une porte noire. Le noiraud l'avait déjà remarquée. Elle était toujours fermée. Cette fois-ci, cependant, Chulmoo sortit une petite clef de sa poche et déverrouilla l'accès.
— C'est ici que je confectionne mes mélanges.
— Mais je croyais... En bas, derrière la réserve...
— Tu es dans mon laboratoire de recherche. En bas, je ne fais que les formules validées, si l'on peut dire.
Muet d'admiration, Jungkook acquiesça avant de s'avancer dans l'espace. L'agencement était très simple, mais l'espace limité ne permettait pas qu'on y installe plus de mobilier. Une simple grande tablée accueillait un grand ballon de verre à distiller, un thermomètre, une sorte de tube traversant, que son oncle lui présenta comme un réfrigérant, qui menait jusqu'à un autre ballon de verre, plus petit.
— Nous devrions porter un masque. Pour limiter les effets du Philtre, souffla l'apothicaire. Va en chercher sur la commode.
Jungkook acquiesça vivement avant de s'emparer des masques, effectivement posés sur la surface d'une commode. Il enfila le premier et tendit le second à son oncle qui le remercia d'un signe de tête. Puis Chulmoo s'approcha de l'installation. Il s'empara d'une allumette, la fit gratter contre un carton prévu à cet effet, puis alluma un feu sous le grand ballon. Rapidement, il déboucha le flacon du parfum et en fit glisser quelques gouttes à l'intérieur. Puis il referma une petite ouverture du réfrigérant. Tous deux observèrent silencieusement le processus. Au bout de quelques instants, une fumée s'échappa jusqu'à ce que le thermomètre indique 48 °C.
— Les odeurs de conifères supportent bien les hautes températures. Elles dégagent même des fragrances supplémentaires. Peut-être que cela nous aidera à identifier l'espèce.
Nerveux, le noiraud acquiesça vaguement. Quand les premières gouttes coulèrent contre la paroi du second ballon, Chulmoo s'approcha du récipient. Puis, quand il jugea que la quantité était suffisante, il éteignit le feu et déboucha le second flacon.
— Ôtons nos masques.
Jungkook acquiesça faiblement avant de s'exécuter. De concert, ils reniflèrent. L'odeur était très forte, mais ça ne ressemblait pas au pin dont le noiraud se souvenait.
— Ça n'a rien à voir...
— Il faut renouveler les tentatives, jusqu'à trouver la bonne température pour extraire le composant de ce pin.
Durant des nuits, Chulmoo continua ses essais de distillation, appelant régulièrement son neveu pour vérifier la précision des résultats obtenus. Les deux avaient l'impression d'en perdre la tête, tant leurs esprits s'endormaient à cause de l'odeur néfaste. Ils se faisaient l'impression de deux obsédés, hantés par le succès de leurs expériences.
Trois jours plus tard, Jungkook fut appelé par son oncle.
— Je crois que j'ai compris. Cette odeur de conifère que tu as sentie est déjà transformée, alors il est difficile de remonter jusqu'à la source. Cependant, mes distillations m'ont permis d'identifier les éléments que tu m'as déjà cités : la vanille, l'iris, la bergamote, le santal... Et bien évidemment, ce que tu appelais le pin. Ce n'est pas du pin, Jungkook.
— Alors quoi ? exigea le noiraud.
— C'est du thuya, un conifère qu'on trouve en Amérique du Nord. On peut extraire une sorte de composant de cette plante : la thuyone. Trop peu de gens ici connaissent l'existence de cet arbre. Cela m'étonne même que Kim Taehyung connaisse cette espèce.
Attentif, le plus jeune acquiesça.
— Mais Jungkook... la thuyone est une drogue.
❦
Cela faisait bien une semaine désormais que le noiraud savait. Le Philtre contenait de la drogue. En vérité, cela n'avait rien de très étonnant, au vu des effets provoqués. Et rien n'allait mieux. Jungkook ne savait que faire. Il devait en parler à quelqu'un.
Chulmoo, lui, avait défendu son neveu d'avertir qui que ce soit, craignant sans doute des représailles.
— Jungkook, j'ai fait ça pour toi, et c'est tout. Maintenant qu'on sait, on ne va pas plus loin, avait-il déclaré avec sévérité.
Douloureusement, le noiraud avait acquiescé. Un soir cependant, alors qu'il rentrait à son hôtel, une discussion de la gérante avec un client lui parvint :
— La compagnie de l'Hélice recrute en masse. Ils ont de nouveaux dirigeables encore plus performants qu'avant, capables de voyager sur toute la Terre. Même jusqu'aux Pôles.
— Ah oui ? avait susurré la gérante en observant le noiraud passer non loin. On ne fait rien sans argent pourtant. Je me demande bien où ils vont chercher ça.
Alors, sans comprendre pourquoi, ces mots n'avaient cessé de tournoyer dans son esprit torturé.
« La compagnie de l'Hélice est bien l'une des pires ! »
Figé dans les escaliers du Réticule, Jungkook écarquilla ses grands yeux bruns. Une image s'imposa ensuite devant ses prunelles ahuries : celui d'une hélice gravée dans le bois d'une poupe, puis tatouée sur la paume d'une main.
« Voleur, voleur ! »
Une fois les souvenirs ressurgis, le noiraud esquissa un petit sourire satisfait avant de reprendre son ascension.
❦
Deux jours plus tard, la chance lui sourit, sûrement désireuse de tirer au clair toute cette histoire. Ainsi, Jungkook croisa Jimin, à la Bélière, un matin qu'il se rendait au Sentinelle. Cette vision fut si inattendue pour lui, mais si bienvenue, qu'il n'y réfléchit pas à deux fois et se jeta sur l'associé de Taehyung.
— Jimin ?
— Oh, Jungkook ! s'exclama le blondinet.
Ce dernier avait un air étrange, un peu réservé. Mais le noiraud n'en avait que faire. Il lui attrapa durement le bras, toute trace de gentillesse enfuie de sa figure.
— Jimin, je sais tout, dit-il.
Parfois, le désespoir est si fort qu'il nous pousse à tenter le tout pour le tout, jusqu'à mentir effrontément, ou plus exactement, prêcher le faux pour savoir le vrai.
— Quoi ?
— Je sais pour la thuyone et la compagnie de l'Hélice.
L'affirmation n'était qu'à moitié vraie, mais l'associé ne douta même pas de ces paroles.
— Je... Tu... Enfin, ce n'est pas... bafouilla-t-il maladroitement.
— Je suis à l'hôtel du Réticule. Dis à Taehyung que je veux le voir.
Quand il relâcha sa prise, Jungkook reprit son chemin, sans ciller.
Il s'approchait du but, il le sentait.
❦
Six jours filèrent ainsi, en silence, enfermant Jungkook dans la folle monotonie de la capitale. Le Philtre continuait de tout ravager sur son passage. On ne pouvait pas faire un pas dans les rues sans croiser d'errant ou d'individu en plein délire. Certains en venaient même aux mains, où manquaient de s'éclater la tête contre les murs. Il devint vite évident que sans intervention, le sang ne tarderait pas à couleur. Ainsi, la panique gagna enfin quelques Amentiens, et les autorités songèrent à réguler l'utilisation du Philtre. Les premiers jours, solaires et joyeux, demeuraient loin.
Un soir qu'il rentrait au Réticule, le septième jour après son court échange avec Jimin, Jungkook fut interpellé par la gérante.
— Garçon ! Un chauffeur est passé dans la matinée. Il a déposé ceci pour vous.
Elle posa sur le comptoir une simple enveloppe blanche. Jungkook s'approcha, il la défit et découvrit un mot très court.
« Hôtel Rubis, 20 heures. Chambre 409. »
Aucune signature ne figurait sur le carton, mais il était évident que cela provenait de Kim Taehyung.
— Pourriez-vous m'indiquer où se trouve l'hôtel Rubis ?
❦
Depuis ses débuts à la capitale, Jungkook s'était acheté de nouveaux habits, plus adaptés à sa silhouette. Quand il monta dans sa chambre, il enfila un costume de ville assez sobre mais bien moins affreux que ses pauvres loques habituelles.
Vêtu d'un pantalon gris et d'une chemise noire, surmontée d'un veston assorti à son pantalon, il s'empressa de rejoindre l'hôtel Rubis. Ce dernier se trouvait à la frontière de la Bélière et du Grain, à dix minutes à pied. Au vu de l'expression de la gérante du Réticule, il était évident que cette adresse n'accueillait que les individus les plus fortunés de la capitale. Son hypothèse se confirma quand il arriva près de l'immeuble : ce dernier était entièrement éclairé à l'électricité, et non pas aux lampes à huile. D'épais tapis recouvraient le sol parfaitement brillant tandis que de multiples plantes et tableaux habillaient les murs clairs. Les fenêtres, nombreuses, perçaient les cloisons avec harmonie. Enfin, nombre d'employés traversaient régulièrement le hall d'accueil, signifiant leur disponibilité à n'importe quel client. Heureusement que Jungkook avait pris soin de s'habiller convenablement.
— Monsieur ? l'accueillit un homme derrière l'immense comptoir de l'accueil.
— Bonsoir, je suis Jeon Jungkook. On m'attend pour vingt heures dans la chambre quatre-cent-neuf.
L'employé acquiesça poliment.
— Le client nous a prévenus en effet. Merci de prendre place dans le salon bleu. Un garçon va vous accompagner.
Jungkook acquiesça avant de se diriger vers le fameux salon. Quelques individus siégeaient là, lisant le journal ou discutant à voix basse. Mais le noiraud n'eut guère le temps d'en observer davantage, puisqu'on vint le chercher rapidement pour l'emmener en haut. Quand le garçon s'effaça près de la chambre quatre-cent-neuf pour redescendre le grand escalier de bois, Jungkook inspira un grand coup avant de toquer sur le battant.
Silence.
Des pas se firent soudain entendre, étouffés contre la moquette. Le revers de la porte s'ouvrit, pour exposer la magnificence d'un visage sulfureux.
— Bonsoir Jungkook.
— Taehyung.
Quand le brun s'effaça pour le laisser entrer, Jungkook s'avança dans la pièce. Taehyung referma la porte avant de la verrouiller et de dépasser le noiraud, toujours figé dans l'entrée. Ce dernier en profita pour détailler son hôte. Il portait un pantalon gris et une blouse blanche assez ample, quoi qu'elle honorait sa silhouette harmonieuse. La chambre criait l'opulence, avec son riche mobilier, composé de canapés, d'édredons, de fauteuils, de tableaux aux cadres vernis et de bouquets de fleurs dans des vases de porcelaine.
— Vous buvez quelque chose ? invita l'hôte.
Jungkook se retourna, constatant que le brun versait un liquide amarante dans deux verres en cristal.
— Si ça vient de vous, je n'en bois pas.
Ignorant la pique, Taehyung prit une gorgée du breuvage. Il s'installa ensuite sur un fauteuil invitant Jungkook à lui faire face sur le grand canapé. Le noiraud s'exécuta avant d'entamer l'échange verbal.
— Je propose de commencer.
Taehyung s'abreuva une seconde fois sans quitter du regard le noiraud.
— Je sais que le Philtre contient de la thuyone, qui provient du thuya, un conifère d'Amérique du Nord.
Le parfumeur n'esquissa pas un geste, de même qu'il demeura silencieux, dans l'attente.
— Vous droguez les Amentiens avec ce parfum. Voilà ce qui les rend fou.
— Et... ? souffla Taehyung, le regard intimidant.
Il n'avait même pas l'air inquiet ou étonné. Jungkook, cependant, ne perdit pas de sa verve.
— Pourquoi faites-vous cela, Taehyung ? Quel est votre but ? Vous vous permettez de créer ce Philtre d'amour, promettant monts et merveilles-
— Je n'ai jamais promis monts et merveilles, coupa le parfumeur en posant son verre sur la petite table qui se tenait entre eux.
— Si vous le dites. Mais en l'appelant de la sorte, vous instrumentalisez un sentiment comme l'amour pour en faire... une source de délire. Vous salissez l'amour.
Taehyung éclata de rire. Et sa figure pourrait être sublime, mais son hilarité n'avait rien de beau, elle semblait complètement brisée, torve et dégradée.
— Tout est sali ici, Jungkook, claqua-t-il une fois calmé. Les humains sont des instruments. La mécanique triomphe de tout. Les Amentiens ne ressentent rien, ils sont creux, vides et fades. Morts à l'intérieur. Savez-vous ce que ça fait, que d'arriver ici, des rêves et de l'ambition plein la tête, mais de ne rencontrer que des machines humaines ?
Interrompant sa tirade, le brun adressa à son invité un sourire cynique teinté d'une légère mélancolie.
— Et vous, vous arrivez comme un petit Coréen qui se pense mieux que tout le monde, reprocha-t-il.
Muet, le noiraud fixait son aîné d'un air colérique.
— Vous voulez que je vous dise ? Je les ai sauvés. Leur folie était déjà là. Ils ne valent pas mieux qu'une bande d'automates, obsédés par l'électricité et autres progrès stupides, s'inquiétant de faire travailler leurs usines sans interruption. Leur vie ne se résume qu'à la matérialité, parce qu'ils ne vivent plus qu'à travers leurs objets. Dites-moi : est-ce cela, la vie ?
Silence. Taehyung s'empara de son verre avant de le vider d'un coup.
— Moi, je ne crois pas, souffla-t-il les yeux déjà un peu hagards. La véritable folie, c'est de croire qu'on peut survivre ainsi, en se coupant de cette faculté si humaine : celle de ressentir des choses.
Expirant douloureusement, Jungkook se redressa sur le canapé, croisant les mains sur ses jambes fébriles.
— Et la compagnie de l'Hélice ?
Taehyung haussa un sourcil, visiblement surpris, quoique très amusé à en croire son expression.
— Je croyais que vous saviez tout.
Déglutissant, le noiraud se leva pour s'avancer jusqu'à la couche, qui se tenait derrière lui. Le lit était immense, il trônait là comme la pièce maîtresse. Mais le jeune homme s'en détourna bien vite pour se tenir derrière la fenêtre. La lune brillait d'un éclat immaculé, perçant les ténèbres urbaines.
— N'avez-vous donc pas lu le carnet, ce soir-là ? Quand vous avez arrêté le voleur ?
— Non, admit le noiraud. Mais j'aurais dû, visiblement.
Il entendit dans son dos le bruit d'un liquide qui coulait dans un verre. Taehyung continuait de s'enivrer. Deux bonnes minutes passèrent ainsi, silencieuses et pénétrantes.
— Il y a un an, j'ai voyagé jusqu'au Canada, souffla soudain le brun. J'y ai découvert tant de plantes, des fleurs et des arbres que je n'avais jamais vus, jamais sentis, même. Toute cette variété a réveillé mon envie créatrice. Jusqu'à ce que des Amérindiens, des autochtones qui vivaient là, ne me révèlent leur utilisation d'un certain conifère : le thuya. Chauffé à une température très précise, il provoque des effets désinhibiteurs, comme une sorte de drogue. Je ne le nierai pas : j'ai adoré cette découverte. Elle m'avait ôté de l'esprit tout ce qui salissait Amentia : cette mécanique qui prenait possession des humains.
Au fur et à mesure qu'il s'exprimait, Jungkook se retourna pour contempler le parfumeur. Désormais relevé, ce dernier le fixait avec insistance, son verre à la main. Jamais le noiraud n'avait rencontré d'être plus sublime, non pas seulement pour la beauté de ses traits, mais pour son amour envers les parfums.
— Quand je vous ai vu ce soir-là, je vous ai trouvé magnifique, souffla le brun.
Jungkook retint un hoquet de surprise.
— Quoi... ?
— Vous souriiez, animé par un souffle invisible. Je me suis vu en vous.
Stupéfait, le noiraud ne parvenait plus à proférer le moindre mot. Taehyung, lui, reprit le cours de son histoire.
— J'ai voulu extraire des plants de thuya pour les cultiver ici, et reproduire ce que j'avais vu lors de mon voyage. Mais je n'ai pas été assez prudent.
Absorbé, Jungkook s'assit sur le lit, plaçant ses mains sous ses cuisses.
— Je voyageais sur un dirigeable de l'Hélice. Cette compagnie est financée par mon ancienne maison, Essencia. Lorsqu'un employé du dirigeable a surpris une discussion entre Jimin et moi, il a aussitôt prévenu Essencia. Depuis, j'ai été suivi et étroitement surveillé. Essencia a fini par comprendre que mon import de thuyas avait tout à voir avec la sortie du Philtre. Alors, elle a vu là une occasion de me dérober la formule. Formule inscrite sur le carnet que vous avez récupéré.
— Alors... si je n'étais pas intervenu... Philtre d'amour ne serait jamais sorti...
— Bien sûr que si. Mais il aurait été commercialisé par Essencia. Et croyez bien que ces gens sont plus inaccessibles que moi !
Taehyung s'approcha du noiraud, se mit à genoux sur la moquette, juste en face de ce dernier avant de parcourir fiévreusement son visage. Ses longs doigts vinrent ensuite s'emparer de la figure offerte.
— Cette ville pourrissait avant ma venue, Jungkook. Je n'ai jamais voulu la détruire. Ce n'était qu'une démonstration de force. Pour leur montrer à tous ce qu'ils ratent.
En dévisageant son aîné, le noiraud sombra dans océan de sincérité, de tristesse et d'abandon. Alors, il vit Taehyung comme ce qu'il était réellement, et cette vision le bouleversa si profondément qu'il ne put s'empêcher d'enserrer les poignets du parfumeur.
— Longtemps, j'ai rêvé de toi, murmura-t-il les yeux brillants.
Taehyung, lui, écarquilla les siens, surpris par cette confession, ce tutoiement, ce ton sincère.
— Je voulais te devenir. Le plus grand des parfumeurs, celui qui apporte le rêve.
Ses mains glissèrent sur l'épiderme. Il n'avait pas besoin d'en dire plus. Le Philtre l'avait certes fait douter des intentions de son aîné, mais maintenant qu'il le découvrait sous son véritable jour, il souhaitait lui offrir une chance de revivre, quelque part.
— Je connais un endroit où l'on sourit, où il fait beau, où l'on se dit bonjour. La terre est fertile, la mer chante et le ressac des vagues embrasse chaque centimètre carré de notre peau. Les chaumières sont décorées de coquillages et les odeurs sont indescriptibles. Viens là-bas, Taehyung, je t'en prie. C'est... C'est vraiment beau là-bas.
Bercé par ces douces paroles Taehyung se releva avant de pousser son cadet en arrière, sur le lit. Jungkook se laissa faire, rapidement surplombé par le parfumeur qui le contempla silencieusement. Ses traits demeuraient impassibles, mais l'autre lui offrit un sourire sincère avant de le renverser sur le lit, s'installant sur ses cuisses.
— C'est mon village, Taehyung.
Alors, il se pencha, encadrant la figure du brun, puis colla son front contre le sien, déposa un baiser fugace sur son nez. À ce contact intime, un frisson moite courut le long de leurs peaux.
— Où étais-tu ? souffla l'aîné.
Profitant du trouble sur le visage du plus jeune, il le renversa à son tour, noyant ses orbes dans ce doux visage. Il se mit à graver intérieurement chaque trait, comme on mémorise une carte. Les cils, la forme des paupières, les grains de beauté, le front, l'arrondi du nez, adorablement rompu sur le bout, l'arc de cupidon, le menton légèrement froncé, les joues pâles et framboises. Tout n'était que trésor.
— Tout ce temps, où étais-tu...
Après ces mots, Taehyung se pencha vers la bouche rose, qu'il frôla de la sienne, à la manière des ailes d'un tout petit papillon. Brutalement, son cœur se serra tandis qu'une décharge s'élevait à l'intérieur de lui. Tant d'émotions lui traversaient le corps. Et que faire d'elles ?
L'odeur du patchouli, le parfum de Jungkook, l'enivra, tandis que ce dernier découvrait l'arôme du vin sur les lèvres brûlantes qui l'effleuraient.
— Taehyung...
La fièvre se répandit en eux comme une fournaise, elle leur soufflait chaque geste et chaque parole. Quand Taehyung déposa enfin ses lèvres sur celles de Jungkook, les deux hommes se fondirent brutalement l'un contre l'autre.
Le contact avait été délicieux, si délicieux qu'ils expirèrent de concert lorsqu'ils se retirèrent. Aussitôt cependant, ils réitèrent l'acte, pris par l'urgence, assoiffés d'échanger un autre baiser. Leurs souffles se mêlèrent, leurs mains couraient déjà sur la figure de l'autre, caressant des bouts de peaux et quelques mèches folles. Comme c'était bon de s'embrasser ainsi, comme si c'était interdit et que le lendemain se vengerait d'eux.
— Je t'ai attendu... souffla Taehyung contre le nez du noiraud. Je t'ai attendu sans le savoir, je crois.
Puis il se laissa tomber aux côtés de Jungkook pour observer sa figure. On aurait dit que sa confidence l'avait apaisé. Allongés sur le flanc, face à face, les deux hommes se dévisagèrent silencieusement, dérivant plusieurs fois sur ce qu'ils mourraient de dévorer : la chair douce de leurs lèvres. Elles s'appelaient comme des jumelles, désespérées d'être trop loin de l'autre. Jungkook fut le premier à céder, il s'avança vers Taehyung pour lui attraper la lèvre inférieure, qu'il recouvrit de ses lippes.
– Tu es si beau... confia-t-il soudain.
Leurs doigts s'étreignirent, ils dérivèrent sur la joue offerte de l'autre tandis qu'une passion trop intense les animait. Elle débordait de leur cœur et de leurs gestes. Enfin, leurs langues se rencontrèrent. Leurs tailles furent violemment saisies par leurs mains voraces pour s'attirer comme des aimants. Étroitement enserrés, ils offraient ainsi le tableau somptueux de leurs corps envahis par la sensualité.
— Taehyung...
Les baisers devinrent de plus en plus répétés, ils comblaient le silence de la chambre d'une façon terriblement obscène. Puis les vêtements furent ôtés, la pulpe des doigts trémmulants glissa sur la chair enflammée, lunaire pour l'un, solaire pour l'autre.
Quand Jungkook parcourut de son nez la gorge de son aîné, il reconnut l'empreinte du Philtre sur sa peau, et plutôt que de se dérober de l'étreinte, il huma à plein nez la fragrance. Alors, la soif qui l'habitait devint plus grande, elle le posséda tout entier, si profondément qu'il en devint plus brusque, plus empressé et exigeant. Son ardeur s'empara même de Taehyung, qui laissa remonter toute son animalité. Il l'embrassa violemment, sans égards, d'important peu de le blesser et laissant sa folie ressortir. Il voulait vivre dans cette odeur et dans ce goût, dans l'intimité chaude de Jungkook. Toute son intimité. Quand il s'estima satisfait, sa langue glissa sur la bouche dans une lascivité frustrante, comme pour se faire pardonner, ou narguer le plus jeune. Mais dernier mît fin à ce petit jeu en initiant un autre échange fougueux. Alors, ils plongèrent davantage l'un contre l'autre, leurs lèvres scellées, tremblantes de passion. Les gémissements et les soupirs se multiplièrent jusqu'à envahir l'espace, lui conférant une atmosphère des plus graveleuses.
Ils étaient indécents. Terriblement indécents.
Soudain, Jungkook enfouit ses mains sous la chemise Taehyung, découvrant l'épiderme à la douceur affriolante. Il gémit son appréciation puis tira le corps du parfumeur contre lui. Là, il se mit à onduler tout en rejetant la tête en arrière, offrant sa gorge et le tracé net de sa mâchoire. Taehyung redressa son buste sans cesser de suivre les mouvements du noiraud, accompagnant chaque poussée, jusqu'à sentir le sexe éveillé de Jungkook contre le sien. Alors, mû par une sorte d'instinct, il ôta sa chemise, déboutonna le veston du noiraud et tira son dernier vêtement vers le haut. Le ventre nu apparut, lilial et contracté. Taehyung se colla contre lui, savourant l'impact de leurs peaux brûlantes.
— Tu sens... ? susurra-t-il contre le cou de Jungkook qui gémit vaguement pour signifier son accord. Tu sens mon désir pour toi ? Jungkook...
Taehyung mordilla sauvagement la chair, l'embrassa ensuite, la tortura de longues minutes, glissant ses mains dans le pantalon gris qu'il déboutonnait avec un désespoir de plus en plus évident. Ses doigts effleurèrent la chute de rein avant que ses dernières barrières s'effondrent.
Ses prochains mots furent abandonnés au creux de l'oreille.
— Emporte-moi dans ta mémoire.
Alors Jungkook laissa une larme dévaler sa joue ronde.
Taehyung ne viendrait pas à Busan avec lui.
Ce soir-là, ils se laissèrent envahir par une folie doucement ravageuse.
Ce soir-là, ils se donnèrent l'un à l'autre.
❦
PEUT-ON MOURIR D'AMOUR ?
7 juin 1863, et c'est « le suicide de trop ». Après deux décès volontaires, suite à l'utilisation trop répétée de Philtre d'amour, le nouveau parfum de la maison Kim, un troisième suicide s'est produit hier matin, dans le quartier du Grain. La jeune fille, baronne par héritage, s'est jetée du troisième étage de son immeuble. Aujourd'hui, les autorités d'Amentia ont ouvert une enquête sur la composition du Philtre, afin de déterminer la responsabilité de ce dernier dans cette tragédie. En effet, la baronne se portait bien, selon son entourage, et ne manifestait aucun élan suicidaire.
Si la maison Kim a retiré le Philtre de la commercialisation depuis maintenant deux mois, la chasse aux derniers flacons n'a jamais cessé. Les autorités ont déclaré qu'à compter du 25 juin prochain, tout Philtre frauduleusement détenu sera confisqué et son propriétaire se verra puni d'une amende de 450 rouages. Amentiens, si vous lisez ceci, et que vous possédez un Philtre d'amour, rendez-le, par égard pour vous et vos pairs.
❦
Nous étions mercredi. Mercredi 23 juillet 1865. Jungkook venait d'ouvrir les yeux sur une épaisse charpente de bois, celle qui surplombait sa tête précédemment endormie. L'esprit brumeux, ses paupières papillonnèrent sur ses orbes châtains, encore brillants de sommeil. Son cou se tendit puis ses bras s'étirèrent vers l'arrière tandis qu'un bâillement s'échappait de ses lèvres. Le silence était doux, ici.
Jungkook se leva, observa les traits de lumière du petit jour qui perçaient maladroitement le bois usé de ses petits volets bleus. Il enfila un pantalon sous sa grande blouse de nuit en coton blanc, chemina jusqu'à sa petite cuisine qui donnait sur la mer, très loin. Comme tous les matins, ses yeux caressèrent le joli ruban saphir. Puis le noiraud s'approcha enfin de la porte d'entrée de sa petite chaumière. Il l'ouvrit, et découvrit, ravi comme au premier jour, un grand parterre d'herbe, baigné de fleurs. Un vent timide glissa sur son visage et son corps, lui arrachant un délicat sourire, tandis que quelques rayons de soleil l'éblouissaient.
Alors, plaçant l'une de ses mains en visière, il s'avança, les pieds nus dans la terre, vers ses pivoines rouges. Ces fleurs étaient difficiles à cultiver, mais il les adorait. Charmé, il caressa les fins pétales, et laissa une légère bourrasque emporter jusqu'à son nez quémandeur la discrète senteur de ces fleurs. Elles lui serviraient pour la confection de son prochain parfum.
Une ombre recouvrit sa tête. Jungkook fronça les sourcils, gêné par cette fraîcheur soudaine. Puis il se souvint du ciel, qui lui était apparu bleu, quelques minutes plus tôt, exempt de nuages. Il savait que le soleil frappait cette immense partie du champ, qui avait besoin de ses rayons pour croître.
Alors, doucement, le jeune homme releva son visage. À contrejour, une silhouette humaine lui faisait face, elle le surplombait entièrement. Quand Jungkook reconnut ces traits, ces traits divins, son cœur s'affola.
Sa voix ne fut qu'un bris léger, une petite fêlure amoureuse.
— Taehyung ?
Alors, une bise, un fragment d'alizé sans doute, tira de la tige quelques pétales fragiles jusqu'à leurs silhouettes, l'une debout, l'autre accroupie.
— Je suis là.
— • — ❦ — • —
Si vous avez survécu à cet OS de presque 17 000 mots, chapeau :'(
(Je crains mdrrrrrr)
Forlasas
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