Le mal (partie 1)
-Le mal s'étend. L'année dernière, il se trouvait à la frontière du pays, pourtant, il est à présent à une dizaine de kilomètres d'ici, scanda un homme positionné en haut d'une estrade.
Habillé d'un costard flamboyant, rose et jaune, il détonnait atrocement. C'était un envoyé du gouvernement venu dans notre petit village miséreux, sans aucun doute à contre gré, afin de passer une annonce. Ici, tout n'était que misère: les masures semblaient prêtes à s'effondrer au moindre coup de vent et on ne mangeait pas à notre faim. Pourtant, la plupart d'entre nous étions heureux. Le mal se trouvait hors d'atteinte, et c'était le principal.
L'homme reprit, devant tout notre village, d'une voix forte:
- Voici pourquoi nous avons décidé d'une évacuation en bonne et due forme de toute la région.
Ahurie, je fixais mon petit frère, âgé de quinze ans. Il avait un an de moins que moi.
-On va devoir s'en aller ! S'écria Lihanna, ma petite soeur.
Je m'accroupissais près d'elle, et la rassurais durant quelques minutes. Ma soeur n'avait que onze ans et elle n'avait pas connu notre père. Il était mort quelques semaines après sa naissance, dévastant ainsi ma mère de chagrin. Nazerl et moi en avions quelques vagues souvenirs, mais trop peu pour qu'il nous manque réellement. La santé de maman était après cela devenue réellement fragile, ainsi, elle tombait souvent malade et était obligée de garder le lit quelques jours. À chaque fois, c'était source d'inquiétude pour nous, alors qu'elle, trop habituée, ne s'en souciait guère.
-Vous n'aurez le droit d'emporter avec vous qu'un sac. Chacun devra porter ses propres bagages alors ne vous chargez pas trop, la marche sera longue.
Cette phrase me parut extrêmement ironique. L'homme nous prévenait sur la longueur de la route alors que lui devait l'avoir effectuée tranquillement, assis dans une voiture, tel le privilégié qu'il était, pour ne pas salir son extravagant costume.
-Afin d'éviter les mouvements de foules, seuls un adulte de la famille sera autorisé à rentrer chez vous. Il préparera la totalité des affaires et retrouvera leurs familles ici même.
Je regardais mon frère avec horreur. Maman était à la maison, dans l'un de ses épisodes maladif, et nous étions venus seuls au rassemblement du village. Les conditions énoncées annonçaient clairement qu'aucun d'entre nous ne pouvait quitter cette place. Je fermais les yeux, alarmée. Le problème des bagages n'était pas le seul, ni le principal. Dans les conditions actuelles, notre mère ne pouvait pas faire le voyage. Pourtant, si nous ne partions pas, notre destin serait scellé et notre mort quasi assurée.
Nazerl semblait en être arrivé au mêmes conditions que moi, car son visage palit. Il rapprocha Lihanna de lui, avant de me dire:
-Meïly, il faut qu'on trouve maman.
-Vous n'êtes pas obligés de venir, clama l'homme au costard bariolé, mais un logement vous sera offert par le roi Donatien à Aetrino, capitale de notre pays. Bien sûr, il ne sera pas luxueux, mais cela ne devrait pas changer énormément d'ici. Son regard dédaigneux envers le paysage n'échappa à personne. Si vous ne venez pas, vous serez livrés à vous même. Plus aucune livraison ne s'effectuera dans la zone afin d'éviter tout risque de contamination et d'ici l'été prochain, le mal vous aura sûrement tués.
L'horreur ne s'agrandit que plus. Il fallait absolument qu'ils partent s'ils voulaient rester en vie.
-Nous partons dans deux heures. Il faudra que chaque famille inscrive son nom sur le registre ainsi que le nombre afin que nous sachions précisément combien partirons. Merci de m'avoir écouté.
Il descendit de l'estrade après avoir été vaguement applaudi par l'assistance. Le cerveau en ébullition, je réfléchissais au meilleur moyen de pouvoir partir d'ici. J'avais deux heures devant moi.
-Nazerl, tu peux t'occuper de Lihanna s'il te plaît ? Restez ici, je vous retrouverai avec maman avant l'heure du départ. Et inscris nous sur le registre.
Mon frère semblait sceptique quant à mon affirmation. Il connaissait la réalité, tout comme moi, mais au moins, mes paroles eurent le mérite de rassurer Lihanna. Au fond, je priais pour que maman aille mieux que quand nous l'avions quittée et qu'elle m'annonce qu'elle était prête à faire ce voyage éprouvant. Parfois, ces maladies duraient quelques heures, parfois des jours. Aujourd'hui, cela faisait deux jours. Alors, quelque part, il y avait une chance.
Non ?
J'enlaçais doucement ma fratrie avant de les quitter. Tout simplement, je tentais d'abord ma chance par la rue, prenant la direction de chez moi. Malheureusement, un soldat venu de la capitale arrêta ma progression, à peine fus-je sortie de la place.
-Où allez vous comme ça mademoiselle ?
Décidant que l'honnêteté était ma meilleure alliée, je lui expliquais la situation. Alors que j'eus terminé, sa réponse fut sans appel. Il ne me laisserait pas passer. Mon histoire avait beau tenir debout, il n'avait aucune preuve de mon honnêteté, et risquait gros à me laisser sortir. Il m'expliqua qu'il fallait que j'aille directement dans la tente de l'homme qui avait parlé tout à l'heure si je souhaitais une autorisation.
Je le remerciais rapidement avant de m'élancer au pas de course dans la direction indiquée. Il n'y avait pas de temps à perdre.
Arrivée devant la tente, je ne pris pas la peine de m'annoncer et entrais directement, faisant face à l'homme au costard. Surpris, il leva la tête vers moi et plissa les yeux, semblant mécontent.
-Comment es-tu rentrée ?
-Bonjour monsieur. Par la porte. Je viens vous demander une faveur.
L'homme au regard aussi sévère que son costume était extravagant se leva, et me fit ensuite signe qu'il m'écoutait.
Alors, de nouveau, je racontais mon problème.
Et la réponse ne changea pas.
Cette fois, je m'énervais. Tant pis pour les bonnes manières:
-Mais pourquoi ! Hein, pourquoi ! Qu'est-ce que ça peut vous faire que je parte pour une heure, le temps de rassembler les affaires de ma famille !
-Calmez vous, s'il vous plaît mademoiselle.
Je sortis de mes gonds, au grand damne de cet homme qui n'avait rien demandé :
-Vous êtes un égoïste ! Vous ne savez pas ce que c'est que d'être dans le besoin. Vous êtes un privilégié qui ne se soucie pas le moins du monde de nous !
-Mais... Voyons.... Bredouilla-t-il. C'est seulement le règlement. Même si je le voulais, nous ne pourrions pas...
-Et pourquoi ne pourrions nous pas ? Interrompit une voix grave qui me fit frissonner.
Je me retournais et écarquillais les yeux. Devant moi se tenait le plus bel adolescent que je n'avais jamais vu. Semblant légèrement plus vieux que moi, ses yeux gris brillaient d'intelligence, ses cheveux en bataille ne faisant que rajouter à son charme. Il était vêtu simplement d'un tee-shirt et d'un jean mais avait une prestance telle qu'elle m'empêcha de parler. Je restais bouche bée devant ce bel inconnu tandis que lui me détaillait avec la même attention que je ne l'avais fais.
Il est vrai qu'en face de lui, je faisais pâle figure. Mes yeux noisettes et mes cheveux blonds ne sortaient en rien de l'ordinaire, pourtant, une étincelle sembla s'allumer dans son regard.
-Je... Voyons, nous... Enfin... L'homme bariolé semblait aussi décontenancé que moi par la présence de ce bel inconnu. Il marmonna quelques paroles inintelligibles avant de décider de se taire, de nouveau.
Puis, une idée lui vint en tête, et il questionna:
-Pourquoi êtes vous venu ?
-De charmants cris m'ont attirés. Il me fit un clin d'oeil accompagné d'un adorable sourire et je sentis mes jambes trembloter.
Mais enfin, que se passait-il ?
-Je vais donc proposer à la jeune fille de passer à côté, avec moi, afin qu'elle m'explique son problème. Puis, il fixa l'homme et reprit: restes là.
L'adolescent m'entraîna à sa suite, une main callée dans le creux de mon dos. À vrai dire, je l'en remerciais. Je n'étais pas sûre que j'aurais pu avancer s'il en avait été autrement. Une fois seuls, il sourit légèrement avant d'annoncer d'une voix chaleureuse:
-Je m'appelle Amaël.
Je souris à mon tour devant ce sourire contagieux et m'asseyais sur un fauteuil qu'il proposa. Ma langue sembla se délier et je répondis rapidement, sentant mes jours chauffer. Détournant le regard, je secouais légèrement la tête, essayant de ne pas me détourner de l'objectif premier.
-Je viens ici pour demander le droit de sortir d'ici. Ma mère est chez nous, souffrante, et je dois préparer les affaires pour mon frère et ma soeur.
M'écoutant avec attention, Amaël questionna tout de même:
-Et ton père ?
-Mort.
Plus d'explications n'étaient pas nécessaires et le temps pressait. Je reprenais, avec une voix légèrement plus assurée qu'auparavant:
-Écoute, je ne veux pas décevoir ma famille. Il faut que je sorte d'ici. Je ne sais pas comment je vais faire mais le temps presse. En à peine une heure et demi, je dois rassembler nos affaires, et trouver un moyen pour que ma mère fasse le déplacement avec nous. Je soupirais, légèrement exaspérée. Je perds un temps fou avec toutes ces démarches.
Osant de nouveau observer Amaël, je décelais une pointe de compréhension dans son regard. Il avait conscience de la gravité de la situation mais semblait tout de même soucieux:
-Je ne peux pas te laisser partir...
-Mais pourquoi ! M'exclamais-je, ne me souciant pas le moins du monde de lui avoir coupé la parole.
Il sourit légèrement, amusé et le regard tendre:
-Laisse moi finir. Je ne peux pas te laisser partir seule. Je viens avec toi. Et, reprit-il alors que j'allais le couper, gênée d'une telle attention, ce n'est pas négociable. Soit ça, soit tu n'y vas pas.
J'acquiesçais avant de sortir de la tente rapidement, sans un mot, Amaël sur les talons. De retour devant le garde de tout à l'heure, la présence de l'adolescent sembla l'étonner, pourtant, il nous laissa passer, sans mot dire. Je ne savais pas réellement quelle place mon compagnon occupait, mais cela semblait être un poste assez important pour que sa simple présence ouvre toutes les portes.
Je l'observais du coin de l'oeil. Il avait une mâchoire carrée, des lèvres plus pulpeuses que toutes celles des garçons de mon village, et sans savoir pourquoi, mon coeur s'emballa à cette pensée. Son corps était svelte et il faisait vingt bons centimètres de plus que moi. Son regard se tourna vers moi, et il rit ouvertement de mon air gêné. Je bougonnais quelques secondes avant que mon amorce de bouderie ne soit avortée par un bras passé naturellement autour de mes épaules.
C'était étrange, cette complicité qui semblait s'instaurer instinctivement entre nous deux. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j'avais l'impression de pouvoir placer une confiance aveugle en ce garçon, et au vu de ses actions, il semblait en osmose avec mes pensées. Nous marchâmes quelques rues dans cette position avant que je n'aperçoive la maison dans laquelle j'habitais, au loin. Je prévenais Amaël et après quelques secondes de silence, il m'interrogea:
-Pour ta mère, c'est grave ?
Surprise, je tournais la tête vers lui, et lui expliquais la situation. Il hocha la tête, compréhensif, avant de timidement déclarer:
-On peut sans doute lui faire une place dans une de nos voitures si elle est incapable de marcher. Mais il ne faut pas que ça s'ébruite, sinon, tout le monde va se mettre à demander.
Je le fixais, ahurie, avant que les conséquences de cette nouvelle n'atteignent mon cerveau. J'allais pouvoir l'emmener, peu importe son état !
C'était un soulagement tel, que je souriais béatement. Je pouvais garder ma famille réunie...
... Oui, je pouvais réussir.
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Le texte est coupé en deux parce que cette partie participe au concours Spring day, semaine 8, de starlightinmysoul-
(Mon esprit s'est légèrement emballé donc j'ai été obligée de couper le texte en deux pour respecter le nombre de mots 😂 et pour la cohérence, j'ai préféré faire de même ici)
Je vous laisse avec la suite 😄
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