La montre (8)

Cela fait maintenant deux mois que nous sommes ici. Si, au début, tout se passait plutôt relativement bien, ce n'est maintenant plus le cas.

Nos santés faiblissent peu à peu et nous sommes de plus en plus faibles. Nous nous entendons tous bien, et Cody s'est finalement avéré être un élément précieux de notre équipe. Il se cache derrière sa bonne humeur mais finalement, est sans doute le plus solide d'entre nous. Il nous tient tous à bout de bras, tentant comme il peut de nous remonter le moral.

Il est un ami des plus précieux.

Sohan, quand à lui, n'a plus rien du jeune homme fort qu'il était et n'est plus que l'ombre de lui même. Il est celui que la montre épuise le plus, comptant sans doute sur son physique pour le garder en forme et oubliant par la même occasion qu'il est le plus jeune de nous tous.

Oscar et moi nous soutenons mutuellement l'un l'autre. Nous dormons ensembles toutes les nuits, et dans une étreinte, nous échangeons parfois un baiser. Ce n'est pas de l'amour, loin de là. Nous noyons simplement notre malheur l'un avec l'autre. Lorsque nous nous sentons désespérés, un baiser nous permet d'oublier, durant quelques secondes, que nous sommes destinés à mourir tels les pions que nous sommes. Si Cody et Sohan sont au courant, ils ne font aucun commentaire sur notre arrangement.

-Bonjour Naëlle.

La montre semble s'être pris d'attachement pour moi, et parfois, il me rend visite. Nous discutons, puis, j'écourte la discussion, ou il décide de lui même de repartir. Je n'en ai pas parlé aux autres. Les prévenir n'est pas ma priorité.

-Bonjour, répondis-je d'une voix éreintée.

Presque à chaque fois que je suis seule au salon, il vient me rendre visite. Si d'habitude, je ne le fais pas exprès, aujourd'hui, j'ai provoqué cette rencontre, plus faible que jamais.

-Quel est votre objectif ? Demandé-je sans attendre, assise sur le sofa.

Tenir longtemps debout est compliqué. Il hésite, semblant peser le pour et le contre.

-Vous pouvez me le dire, je vais sans doute mourir de toute façon.

Il acquiesce, scellant d'autant plus mon sort.

-Je... J'ai une peur panique de la mort. Durant des années, je n'ai plus supporté mon reflet dans le miroir. J'en étais réellement effrayé. Dans mon village, on me surnommait "le vieux fou" parce que j'essayais tous types de mixtures afin de conserver ma jeunesse. Son regard brille tout d'abord de tristesse, puis de détermination. Un jour, j'ai eu une révélation. Si je ne pouvais pas puiser ma jeunesse en moi-même, alors je la prendrais chez les autres.

Je l'écoute bouche bée. Son projet n'en est absolument pas un, ce n'est qu'une peur égoïste contre laquelle il n'arrive pas à lutter.

-J'ai fais des recherches, et ensuite j'ai trouvé. Les oeufs dans lesquels vous allez, tous les deux jours, me permettent d'arracher votre jeunesse. Je la stocke, et ensuite me la réapproprie. Si elle ne me rajeunit pas, elle me permet au moins de conserver cette âge.

Toujours perturbée, bien que la colère prenne à présent une grande place, je réussis tout de même à questionner:

-Quel âge avez vous ?

-Pour mon corps, soixante quinze, mais en réalité, j'ai plus de cent ans.

Est-ce normal de ressentir le besoin de le frapper ? Je pense que oui. Cet homme est réellement odieux. Il se permet d'enlever quatre vies pour conserver uniquement la sienne.

-La première année, je n'ai enlevé qu'une seule personne, mais celle ci n'a pas survécu longtemps, et j'ai dû recommencer rapidement. Le chiffre quatre s'est rapidement avéré être l'idéal.

-Alors vous préférez voler la jeunesse des autres, plutôt que d'affronter la réalité ? Vous êtes extrêmement lâche, retoqué-je, amère.

Il affiche un air vexé.

-Ce n'est pas ça.

-Si ! C'est absolument ça ! M'ecrié-je. Vous pensez réellement que la mort ne vous attendra pas au tournant ? Vous la défiez depuis des années et vous espérez vous en sortir indemne ? Laissez moi rire.

Si je n'avais pas conscience que pour lui soutirer des informations, il fallait que je reste calme, je lui aurais sans doute sauté dessus.

-Pourquoi prendre des gens avec des talents.

Surpris par mon changement de sujet, il bredouille, l'oeil réellement éteint:

-Je pensais que tu arriverais à me comprendre. Je prends...

-Je peux vous comprendre, le coupé-je, mais entre comprendre, et être d'accord, il y a un grand pas.

Il penche la tête sur le côté, comme un enfant qui ne comprend pas quelque chose.

-Ce n'est pas parce que je comprends que je vous pardonne. Vous avez endeuillé des dizaines de familles alors que vous... Qui vous pleurera si vous disparaissez hein ? Absolument personne. Au contraire, on fêtera votre mort.

Le regard meurtri, il ne me regarde même pas, conscient que j'ai raison. S'il en a conscience, il semble ne pas prendre réellement l'ampleur de ses méfaits.

-Je prends des gens avec un talents, parce qu'ils ont plus de chances de survivre aux premières épreuves. Et que leur force de vie est souvent plus grande.

Il ferme les yeux, semblant honteux.

-Et puis, ça me divertissait d'observer les adolescents lutter pour leur vie alors qu'en réalité, je n'avais aucune envie de les tuer à ce moment là. 

C'est encore pire que ce que je croyais.

En plus de voler la jeunesse, il rend cela divertissant pour lui même. Il s'amuse de la mort tout en l'évitant lui même. C'est malsain. Avoir peur est une chose, mais s'en amuser en est une autre.

-Vous devriez arrêter tout cela. Et vous confronter à la réalité.

-La montre est notre ennemie.

-Pas du tout ! Le temps qu'il nous reste ne doit pas nous empêcher de vivre. Ça doit justement être le stimulant qui nous encourage à vivre chaque moment de la meilleure manière possible. Et visiblement, vous n'avez pas réussi à le faire, repoussant sans cesse l'inévitable.

Il se braque absolument, et fuit mon regard. Sans répondre, il quitte la pièce soudainement la pièce. Je ne pense pas avoir été trop trop loin. Il a simplement besoin d'un temps seul pour réfléchir à tout ce que je viens de dire. Sans me montrer ses faiblesses, bien entendu.

Le regard dans le vide, je patiente quelques minutes, et  après cette attente, André revient, l'air de quelqu'un qui est perdu.

-La jeunesse est conservée grace à une pierre que je porte constamment autour du cou. Il sort le fameux bijou de son t-shirt en s'asseyant de nouveau à côté de moi, et me le montre. C'est une chaîne en argent, et le pendentif est une simple pierre violette. Je pense que c'est de l'améthyste. Si je la casse, je vous rendrai ce que je vous ai volé, et que je n'ai pas encore absorbé, mais à côté de cela, je dépérirai en quelques minutes.

Je ne sais pas réellement quoi faire face à ces révélation. Et que veut-il que je fasse ? Pourquoi m'avouer cela ? À mon tour de me sentir perdue.

-Je ne suis pas quelqu'un de bien, et malgré ce que j'affirme, tu as raison, je suis lâche, affirme André d'une voix tremblante. Je ne le ferai jamais par moi même.

Ce n'est peut être pas une demande, mais j'ai l'impression qu'il a prit conscience qu'il était allé trop loin.

Il enlève le collier autour de son cou avec une crainte non dissimulée et me le tend, hésitant.

Il n'a pas été spécialement difficile à convaincre, et je pense que quelque part, il avait inconsciemment envie d'arrêter. Il vivait, oui, mais il vivait seul, éloigné de tout. Comment supporter une telle existence ?

Je laisse tomber la pierre par terre, et l'écrase de mon pied. Tout d'abord, il ne se passe rien, je me sens toujours aussi faible, et je me dis qu'il m'a sans doute roulé dans la farine, mais en voyant son visage virer au blanc et sa peau se flétrir doucement, je comprends que ce n'est pas le cas.

-Je vais prendre les années que j'ai raté en quelques minutes, explique-t-il. Puis, difficilement, il rajoute: tu n'es pas obligée de rester si tu ne le souhaites pas.

Il ne le mériterait clairement pas, mais laisser une personne mourir seule n'est pas dans mon éducation. J'attrape sa main, et la serre, signe de soutien.

En quelques minutes, le vieil homme à côté de moi a prit 30 ans, et c'est assez effrayant à voir. Nous je parlons pas réellement, je suis simplement là en soutien moral, pour saluer le courage dont il fait preuve en ce moment. Je me sens reprendre des forces au fur et à mesure, et les garçons semblent être dans le même cas, car j'entends peu à peu des portes s'ouvrir et se fermer, signe qu'ils se cherchent mutuellement

Ils arrivent finalement au salon, et me jettent un regard surpris. Oscar, surtout, car il est le seul au courant de l'identité du vieillard. Je ne leur accorde pas réellement d'importance, occupée avec André.

-Profite bien de ta longue et heureuse vie, Naëlle, murmure-t-il, alors que mes camarades nous fixent.

Il ferme définitivement les yeux, plus faible que jamais. Des larmes m'échappent. Tout d'abord de tristesse, pour ce vieil homme qui n'était que rempli de peurs incontrôlables, et pour tous les enfants qu'il a arraché à leurs familles. Puis de joie: la joie intense de savoir que je vais revoir ma famille et que je vivrai plus que ce que je pensais.

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Coucou tout le monde !

Voici donc le dernier chapitre de la montre, j'avoue avoir un peu peur de vos réactions devant ce dernier chapitre (le fait de sauter deux mois, et de tout révéler d'un coup), j'ai peur de vous décevoir devant quelque chose d'autre rapide, mais je ne voulais pas non plus que ce soit un roman. À partir de maintenant, il ne reste plus que l'épilogue et deux bonus 😄

À bientôt
Byzzz

Écrit le: 16-29-30/05/2021
Publié : 14/06/2021

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