Honte

J'essuie rageusement les larmes qui perlent le long de mes joues alors que le mantra de mon père me vient à l'esprit: "soit fort, mon fils. Un homme ne pleure pas".

J'ai envie de fuir, comme si cette place n'avait jamais été la mienne. Et quelque part, c'est un peu le cas.

J'ai envie de hurler, pour exprimer toute la rage que je ressens. Laisser enfin s'exprimer tous les sentiments qui me traversent l'esprit.

J'ai envie de courir, parce que quelque part, c'est mon exutoire. L'air qui siffle sur mon visage est curieusement apaisant.

Mais je ne fais rien de tout cela. Je reste simplement assis, les bras croisés sur mon torse, alors que mon père, assis en face de moi, me fixe comme s'il ne me connaissait plus. L'envie de fuir, déjà bien présente dans ma poitrine s'accentue au fil des minutes qui passent mais je résiste tant bien que mal à la tentation en remuant les légumes présents dans mon assiette.

-Les cours se passent bien ? Interroge mon père.

Ma soeur, sachant que je ne répondrai pas, mène la conversation d'une telle main de maître qu'il ne retente plus de me faire parler. Elle l'occupe, le temps que je reprenne le masque d'impassibilité qui me définit en ce moment et lorsque je reprends contenance, le repas est quasiment terminé. Elle se lève, allant chercher le dessert dans la cuisine et laissant ainsi la voie libre à mon géniteur.

Je tape intérieurement du poing alors que nous nous retrouvons seuls avec mon père.

En ce moment, les repas de "famille"se déroulent tous de façon similaires. On dîne, calmement, comme des inconnus, puis chacun va se coucher. Et, quelque part, j'aurais aimé que le schéma s'applique aujourd'hui.

-Je veux que tu ailles faire tes valises.

Mes yeux, fixés jusqu'à maintenant aux légumes, se relèvent d'un coup et je le fixe, attendant la suite des évenements que je connais déjà.

-Tu partiras ce soir, par le train de dix heure et demi. Je ne veux plus te voir ici. Je t'ai inscris dans un établissement qui te plaira sans doute. Je te verserai assez d'argent pour que tu survives, jusqu'à ta majorité. Ensuite, tu te débrouillera, et je ne veux plus que tu aies de contact avec ta soeur.

C'est sans doute la plus longue phrase qu'il m'adresse depuis qu'il a découvert le pot aux roses. Et je n'en suis pas pour autant soulagé. Je suis en train de me faire virer de chez moi et même si je ne ressens plus rien pour le connard qui m'a conçu, il n'en reste pas moins que demain, je serai seul et en plein inconnu. Sans le droit de contact avec ma soeur.

Celle ci rentre justement dans la pièce et je baisse les yeux devant le sourire rayonnant qu'elle m'adresse, semblant apprécier cette communication naissante.

Si seulement elle savait...

Que ressentira-t-elle, demain, lorsque j'aurai disparu ? Qu'elle ne me verra pas descendre de ma chambre et qu'elle se rendra compte que mes affaires ont disparues ? Et que lui dira-t-il ? Sûrement pas la vérité.

-Je n'ai pas très faim. Je vais monter me coucher, annonçé-je en regardant mon géniteur puis en embrassant ma soeur sur le front. Je ferme légèrement les yeux, appréciant ce moment qui est peut être le dernier que j'aurais avec elle, puis me relève et monte dans ma chambre.

Mes affaires mises à la va-vite dans une valise, mon portable, quelques souvenirs d'ici ou là et une photo avec ma soeur, voilà tout ce que j'emmène. Le dos apputé contre la porte et un oeil sur la chambre désormais impersonnelle qui a abrité l'humanoïde que je suis durant quinze ans, je me remémore quelques souvenirs. Le lit parfaitement fait, sans un quelconque objet qui dépasse de ça ou là, j'aurais presque le sentiment que ce n'est pas ma chambre. Il manque ma personnalité entière, à présent entassée dans la ridiculement petite valise derrière moi.

-On y va.

Mon père n'a même pas daigné ouvrir la porte et je ne m'en étonne pas. Encore une fois, son comportement est tellement prévisible que ça en deviendrait absurde.

-J'arrive...

j'écris rapidement un message à ma soeur, les seuls mots que j'ai envie de lui dire et attend que mon géniteur descende afin qu'il ne me voie pas le glisser sous sa porte.

Alors que je le fais glisser, les mots d'accrochent à mes rétines:

"Désolé, je t'aime."

Désolé d'être ce que je suis et de ne pas pouvoir rester à cause de ça. Désolé de l'abandonner comme un lâche alors qu'elle a besoin de moi. Désolé de ne pas oser passer outre les conditions de mon père. Désolé, parce qu'elle va sans soute me détester d'être parti comme ça.

Mais surtout, désolé de ne pas lui dire au revoir comme elle le mériterait.

Je retiens de justesse mon poing qui allait frapper contre le bâtant de la porte afin de toquer. Si je vais la voir, je sais qu'elle fera tout ce qu'elle peut pour que je ne parte pas. Et même si la serrer dans mes bras me ferait plaisir, je ne sais pas si c'est la bonne décision.

Le cerveau embrouillé, je traîne derrière moi la valise qui contient ma vie entière et rejoins mon père, qui, devant la voiture, commence déjà à s'impatienter.

-Tu en as mis du temps.

Sans répondre, je place ma valise dans le coffre et m'installe à côté de lui. Le paysage bien connu défile sous mon regard et je soupire.

-J'espère pour toi que tu n'as rien dit à Seelie.

En entendant le prénom de ma soeur, je relève les yeux.

-Non. Et toi, que vas-tu lui dire ? Qu'est-ce que tu vas lui dire pour expliquer que je ne suis plus à table le soir ? Que ma chambre a été vidée et ressemble maintenant à celle d'un inconnu ? Sentant apparaître un semblant de courage dans mes entrailles, je continue. Sûrement pas la vérité, n'est-ce pas ? Tu es bien trop lâche pour ça !

Je crache cette dernière phrase alors que je me rends compte que ce que je lui reproche n'est pas seulement pour cette remarque. Il m'éloigne parce qu'il est trop lâche pour essayer de me comprendre et il pense que m'envoyer est le meilleur moyen de protéger Seelie. Il a trop honte de ce que je suis. Et quelque part et même si ça fait un mal de chien de le reconnaître, je crois qu'il a raison de le faire. Nous habitons un petit village et les nouvelles vont vite, alors, peut être que m'en aller est la meilleure solution ...?

-Je ne te permets pas de me parler sur ce ton. La voiture s'immobilise. Tu vas monter dans ce putain de train et ne plus jamais chercher à nous contacter, est-ce clair ? Tu vas t'effacer de nos vies et te démerder sans venir nous voir parce qu'à mes yeux, tu n'es plus mon fils.

Je serre le poing sur la portière que je m'apprêtais à ouvrir et ferme les yeux alors qu'une tristesse sans nom s'empare de mon âme. J'ai beau dire que je ne ressens plus rien pour ce connard, l'entendre dire ça me fait fichtrement mal et ça me fait chier de souffrir autant. Une larme s'échappe de mon oeil alors que je regrette soudain de ne pas être allé embrasser ma petite soeur.

J'ouvre doucement la portière et, alors que j'ai une jambe dehors et que d'autres perles salées ont suivi le chemin de la première, mon père me dit: "soit fort, un homme ne pleure pas". Le "mon fils " manquant me fait si mal que je suis à deux doigts de fondre en larmes sur le siège et le supplier de me garder, mais il ne me lance pas un regard et attend que je sorte de la voiture, le genoux tressautant de plus en plus rapidement signe de son impatience.

Si je ne suis pas près à me séparer de lui, il semblerait que mon géniteur n'attende que ça. Alors, obéissant une dernière fois, je sèche mes larmes et saisis ma valise, le dos droit et le regard devant moi, feignant la détermination. M'attendant à un geste de sa part, je lance un coup d'oeil à la voiture qui démarre en trombe, emportant avec elle les vestiges de vie qu'il me restait.

_____

Coucou tout le monde !

J'espère que vous allez bien 😁 cette nouvelle là est un peu spéciale (déjà parce qu'elle date un peu 😂😂) mais aussi et surtout parce qu'au départ, ce n'est pas une nouvelle. A la base, c'est le prologue d'un livre que je voulais écrire, mais comme j'étais sur un autre projet, je ne l'ai jamais fais (et je ne sais pas si je me lancerai un jour à vrai dire, je verrai 😊).

Je la trouvais plutôt bien écrite, alors je l'ai laissée dans le même état que je l'avais quittée 😁

J'espère que ça vous aura plu 😄

Autre petite chose, je me suis inscrite à plusieurs concours 😊😁 donc mes participations seront aussi publiées ici 😄

À bientôt
Byzzz

écrit le: 3/07/2019
Publié le: 8/05/2021

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