Duel (Partie 1)

Pourquoi me regarde-t-il ainsi ?

Je me détourne, pour la troisième fois en quinze minutes, et fixe le professeur qui sera notre pépé, comme j'aime à les appeler, jusqu'à la fin de cette année scolaire. De manière plus protocolaire, pépé, des initiales PP, signifie professeur principal.

Monsieur Desfougère, avec ses lunettes rondes, ses cheveux bruns et ses yeux clairs, ressemble vaguement à une version vieillie de vingt ans d'Harry Potter. Sa chemise bleue et son veston marron accompagnent avec harmonie un pantalon de costume de la même couleur. Sans pour autant le rajeunir, cette tenue apporte une prestance plutôt impressionnante à son petit mètre soixante.

Je suis plutôt surprise de tomber sur un professeur qui s'habille aussi bien, mais j'espère pour lui que ce n'est qu'une manière de nous souhaiter la bienvenue, car le lendemain, des températures caniculaires seraient de rigueur. Il serait dommage qu'il fasse un malaise en plein milieu d'une phrase dont le début ressemblerait sans aucun doute à "l'offre et la demande. Oui, je sais, vous avez déjà étudié ceci l'an dernier, mais les..." et dont la fin aurait ressemblé s'il avait porté un t-shirt à "vacances font toujours du mal aux élèves, une remise à niveau me semblait nécessaire".

-Cette année, j'aimerais instaurer un lien de confiance avec vous, ne pas être seulement l'un des nombreux professeurs que vous croiserez durant votre scolarité ici. J'aimerais que lorsque vous venez dans cette classe, vous vous y sentiez bien, à l'aise, et non oppressé ou empressé de vous en aller. J'aimerais que si chacun de vous a un quelconque problème, et même s'il lui paraît impensable d'en parler, qu'il vienne en discuter avec moi et qu'ensemble nous trouvions une solution.

Monsieur Desfougère semble être le professeur cool mais ferme avec les élèves et la manière dont il s'exprime prouve qu'il est passionné par son métier. Un sourire illumine son visage et sans l'avoir décidé, je souris aussi.

Je ne craignais pas pour ma rentrée au lycée, contrairement à d'autres, même si pour moi, elle signifiait un déménagement. Mon père a été muté, et d'un seul coup, j'ai dû dire au revoir à mes amis, mon collège et ma vie. Nous sommes passés d'un bord à l'autre du pays en deux mois et nous ne connaissons personne, mais étrangement, ça ne m'angoisse pas. La sociabilité et moi avons toujours été amies et je ne crains absolument pas de me retrouver seule.

La sensation d'un regard me brûle la nuque, mais je décide de ne pas m'attarder dessus et de me concentrer de nouveau sur le professeur, au risque de m'énerver et d'aller demander des explications à ce garçon qui dans la classe, est placé une rangée dernière et bien plus à droite que moi.

-Pour commencer, j'aimerais beaucoup apprendre à vous connaître, de manière plus intelligente que le fait que vous ayez écrit vos noms sur un simple bout de papier. Il lève les mains devant lui, signe d'innocence. Oui, je sais que tous les élèves détestent cet exercice, alors je vais commencer, histoire de lancer la machine.

Il nous sourit encore plus, et ses yeux pétillent de malice:

-Je m'appelle Mickaël Desfougère, j'ai trente-six ans, et j'enseigne les SES ici depuis maintenant huit ans. Je suis l'heureux papa de deux petites filles. Mon fruit préféré est la mangue et je déteste les bandes dessinées. Vous voyez, il n'y a rien de compliqué dans une présentation. À vous maintenant, nous encourage-t-il.

Un garçon prend la parole. Il s'appelle Vincent et a redoublé son année de CE1. Je ne fais pas réellement attention à la suite, trop préoccupé du garçon qui continue de me fixer. Désireuse de réponses, je me tourne vers lui et lui rend son regard. S'il semble tout d'abord surpris de mon geste, il se ressaisit bien vite et m'adresse un sourire narquois, visiblement fière de lui.

Une fille se présente.

Le garçon a le visage étrangement rond pour notre âge. Il semble ne pas encore avoir perdu les formes de l'enfance, pourtant, cela n'enlève rien à son charme. Ses yeux légèrement en amande gris sont accordés à une bouche presque trop pulpeuse pour un garçon. J'en serais presque jalouse. Des cheveux châtains encadrent le tout. Je hausse les sourcils, le défiant de baisser les yeux. Il sourit de nouveau et révèle le menton, signifiant qu'il n'arrêterait pas.

Il faudra définitivement que je lui parle à la fin du cours.  Ce mec est étrange.

-Xavier, peux-tu nous faire l'honneur de ton attention ? Plaisante le professeur.

Mon adversaire détourne la tête et je soupire de soulagement. J'espère qu'après cela, il ne prendra plus la peine de me fixer. Le professeur reprend:

-Tu peux d'ailleurs te présenter.

Mon adversaire soupire puis acquiesce:

-Je m'appelle Xavier Berdugo, ma couleur préférée est le gris. J'adore les films Marvel et la bouffe italienne.

Xavier a une voix suave, étonnement grave à la fois pour son physique et notre âge, pourtant, elle ne m perturbe pas. Elle semble réellement naturelle. Le professeur acquiesce et se tourne vers moi. Il était sûr qu'il me questionnerait à la suite de mon camarade. Devant son geste encourageant, je débute :

-Je m'appelle Aliz Morelle, et je suis ici après avoir déménagé cet été. Mon acteur préféré est Louis de Funès, et tout comme mon camarade, j'apprécie les films Marvel. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je déteste les pâtes.

Monsieur Desfougère me remercie et passe à une autre personne sans plus de cérémonie.

Sans surprise, Xavier ne s'est pas détournée, il semble même d'autant plus curieux car il me fixe avec une intensité nouvelle.

"Tu veux quoi ?" Articulé-je, sans aucun son de manière exagérée, pour être sûre d'être comprise.

Mon interlocuteur silencieux se borne à un haussement léger des sourcils que j'interprète comme un "devine" et qui m'agace plus que de raison. Après quelques secondes d'un duel de regard qui ne donne aucun vainqueur, je décide de me détourner de nouveau, irritée par ce bougre.

Le cours passe plutôt lentement, même s'il est agréable. Je regarde les secondes, qui s'égrènent lentement sur la pendule.

-Merci d'avoir prêté une telle attention à cette heure. Je vais vous laisser cinq minutes de pause, mais ne vous éloignez pas trop.

Certains élèves se précipitent presque vers la sortie, en totale contradiction avec "l'esprit de confiance et de non fuite" que monsieur Desfougère souhaite instaurer. Je l'entends soupirer et il poursuit:

-À votre retour, nous nous occuperons des carnets de correspondance et de la liste de vos professeurs.

Lorsque je tourne la tête, Xavier a déjà disparu. Je me lève et m'élance dans le couloir. Presque tous mes camarades sont là, même si le début de l'année se fait sentir. Des gens isolés, tous sur leurs téléphones sillonnent le couloir, mis à part un petit groupe de quatre, qui sans nul doute possible, se connaissait avant d'arriver ici. Une fille noire, seule étonnamment grande et brune est une exception, elle se contente de fixer le sol en face d'elle.

Ne voyant pas Xavier, je décide de m'approcher de ladite fille, qui, si mes souvenirs sont exacts, s'appelle Anaïs.

-Salut ! Je m'exclame, et elle semble se ranimer, car ses yeux s'allument. Je m'appelle Aliz.

Elle me sourit et me confirme son prénom. Pour quelqu'un qui n'écoutait pas, je trouve que ma mémoire est excellente.

-Je suis toute seule, et toi aussi, alors je me suis dis que ça pourrait être sympa de venir te parler.

Elle est habillée avec une robe blanche, toute simple, et ses paupières sont lourdement maquillées de couleurs vives. Cette fille respire la joie de vivre. Une sourire solaire illumine son visage:

-Tu as bien fait ! Je suis ravie de te connaître. Tu as dis que tu avais déménagé. C'est pas trop dur ?

Je ris:

-Pour l'instant non, tout va bien. Une moue gênée doit apparaître sur mon visage. Je suis désolée, je ne t'ai absolument pas écouté lorsque nous étions en classe, tu veux bien te présenter de nouveau ?

-Ouuuhh, je suis vexée. Non, plus sérieusement, il faudrait apprendre au prof que les élèves se désintéressent vite, parce que je suis quasi sûre que la moitié de la classe est dans ton cas.

Surprise par ces paroles, je ne réagis pas, et elle poursuit:

-Je suis végétarienne. Pas parce que j'ai des convictions ou quoi, simplement parce que je n'ai jamais aimé la viande. Je suis fan de tout ce qui est série d'hôpital et j'ai une phobie des scarabées.  Et toi, qu'as-tu dis ?

Xavier se matérialise au bout du couloir, et après avoir répondu à Anaïs, je prends congé avant de foncer sur lui. Ne lui laissant pas le choix, je saisis sa manche et l'entraîne à ma suite au bout du couloir.

-Pourquoi tu me fixes ? Demandé-je de but en blanc.

Il hausse les épaules, toujours avec ce même air narquois, et je me rends compte à ce moment là qu'il est bien plus grand que moi.

-Alors ? Le pressé-je.

-Je trouvais ça amusant. Avoue que le cours est passé plus vite lorsque tu étais en face de moi.

Je fronce les sourcils, sceptique devant ce mec qui m'a l'air plutôt dérangé.

-Je trouve que c'est un bon moyen de créer des amitiés. La personne se rend compte que je la fixe, et si elle est comme toi, elle vient me demander des comptes. Et puis, il faut se l'avouer, c'est carrément marrant quand vous vous énervez.

-Tu fais ça souvent ?

Il ricane, pas le moins du monde gêné, puis me détaille de bas en haut comme un prédateur devant une petite souris. C'est comme s'il m'analysait pour mieux me croquer derrière.

-Dès que j'ai envie de m'amuser.

-Eh bien arrête. Avec moi du moins. Tu peux te trouver une autre cyble, fais ce que tu veux, mais moi, ça me saoule.

Il acquiesce, mais son regard déterminé me prouve qu'il n'est pas près d'arrêter. Monsieur Desfougère nous appelle et après lui avoir jeté un dernier regard, tentant de le décourager de continuer, je m'élance dans la classe.

_____

Coucou !

J'espère que vous allez bien 😁

La deuxième partie arrivera mercredi soir 😄

Byzzz

Écrit le : 6-7/08/2021
Publié le: 8/08/2021

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