"Et si..." : Partie 3 - L'aurore du crépuscule

Bonjour à tous! J'espère que votre déconfinement se passe bien et que vos proches se portent bien. Je reviens aujourd'hui avec la dernière partie de ce long bonus. D'ailleurs, cette partie est la plus longue.  J'ai adoré l'écrire et j'espère que vous aurez autant de plaisir à la lire.

Petit instant pub et recommandation avant de commencer ! Je vous encourage à aller découvrir la nouvelle fanfiction de PtiteCitrouille sur Minerva McGonagall. En plus d'être bien écrite, elle est originale et passionnante.  Elle retracera toute la vie de a célèbre professeur de métamorphose et j'ai adoré la découvrir en avant-première. Elle arrive enfin sur Wattpad donc ne loupez pas l'occasion, foncez la lire ! (Et si vous aimez le fandom de Percy Jackson, PtiteCitrouille a aussi écrit une super mini-fanfiction dessus donc même conseil n'hésitez pas, je recommande sans hésitation). 

Bonne lecture ! 

Le corps douloureux, Regulus émergea des ténèbres. Ou du moins en partie. Il n'arrivait pas à ouvrir les yeux, l'esprit brumeux et fatigué. La seule sensation qu'il percevait avec acuité était la douleur, particulièrement au niveau de son avant-bras. Il pensa à la Marque et un instant il fut persuadé que le Seigneur des Ténèbres l'avait retrouvé. Des centaines de Doloris expliqueraient son état. Pourtant, les voix qui lui parvenaient n'étaient pas celles des mangemorts ni de leur maître. C'était celle de James Potter.

- ... ne sais pas, Lily, disait-il. Ça va faire faire deux jours et il n'est toujours pas réveillé. La griffure d'Inferi a peut-être fait plus de dégât que Dumbledore ne le pense...

- Ne dis surtout pas ça en face de Sirius ou Marlène ! J'ai déjà eu autant de mal à les persuader d'aller dormir que si j'avais dû convaincre Slughorn de renoncer aux ananas confits. Et puis, trois jours ce n'est pas tant que ça, vu ce que son corps a enduré. Si ce que Sirius a raconté est vrai, il a besoin de repos.

- Quoi ? Tu crois que Sirius a menti ?

- Ne me regarde pas comme ça, je n'ai pas dit ça !

- Mais tu lui en veux toujours ? Devina Potter, agacé.

- Evidemment, James ! A quoi il pensait en partant comme ça ? En libérant Regulus ? C'était dangereux et irresponsable, par Merlin ! Tu imagines tout ce qui aurait pu mal tourné ? Et s'il s'était échappé, hum ? Qu'est-ce qu'on aurait dit à Maugrey et Dumbledore ?

Potter ne répondit pas immédiatement. Emprisonné dans sa douleur, Regulus se concentra pour entendre le reste de la conversation en espérant que son esprit serait distrait, même si ses yeux restaient résolument clos.

- L'interrogatoire qu'on lui a fait subir à lui et à Marlène suffit, grommela Potter. Ils se sont expliqués. (Il soupira). Comme si l'un des deux pouvait nous trahir.

- James... murmura Evans à voix basse. Je sais que tu ne veux pas l'entendre mais... On ne peut pas se voiler la face. Ça fait des mois que les mangemorts arrivent à obtenir des informations confidentielles sur nous...

- N'importe quoi, Sir...

- Je n'ai jamais dit que Sirius était impliqué ! Coupa-t-elle vertement. Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit ! Je ne soupçonne pas plus Marlène. Regulus est peut-être une exception pour elle, mais pas la règle. Elle n'aurait jamais collaboré avec les forces du mal.

Si Regulus avait pu, il aurait ri. Evans se trompait légèrement. Il n'était pas une exception à tous les égards. Marlène ne l'aurait jamais aidé s'il n'avait pas tourné le dos au Seigneur des Ténèbres. Elle ne l'aurait jamais rejoint, ni n'aurait montré la moindre complaisance envers lui s'il ne lui avait pas exposé son repenti dans sa lettre.

- Tu arrives à le croire, toi ? Reprit finalement Potter d'un ton neutre. A sa rédemption ? A cette histoire de caverne et d'objet mystérieux dont Dumbledore refuse de nous parler ?

- C'est précisément parce que Dumbledore refuse de nous en parler et prend tout ça avec autant de sérieux que j'y crois, répondit-elle. Sirius ne t'a rien dit ? Je veux dire, il ne t'a dit de plus ?

Regulus ne le voyait pas, mais il supposait que Potter venait de secouer la tête.

- Non... Mais je crois que Dumbledore lui a jeté un sort de Langue-de-Plomb. Il devait savoir que... enfin...

- Que toi et Sirius êtes incapables de garder quelque chose pour vous sans le dire à l'autre ?

- Ouais sûrement... avoua-t-il, penaud. Mais ça doit vraiment être sérieux pour en arriver là...

- Je pense qu'il ne serait pas revenu dans cet état si ça ne l'était pas, oui, confirma Evans.

Au moment même où elle disait ça, le bras de Regulus fut traversé par un éclair de douleur. Il aurait voulu hurler tant la brûlure était profonde. Les voix de Potter et Evans s'évanouirent. Il dû en faire de même car il n'entendit pas la suite de leur conversation. Son esprit l'absorba et sa conscience dériva. Il avait presque l'impression de flotter, comme s'il était toujours dans le lac, au fond de la caverne. Peut-être que c'était le cas. Peut-être qu'il ne faisait qu'imaginer les voix de Potter et de Evans, peut-être que les cadavres aux yeux vides avaient réussi à l'entraîner avec eux.

A cette simple idée, sa respiration se bloqua. Il avait l'impression d'être plongé sous l'eau, qu'une masse le tirait inexorablement, et il ne savait plus distinguer le fond de la surface. Ses poumons étaient en feu, son corps était glacé. Il n'arrivait pas à respirer...

- Reg ! Respire !

Son esprit bascula à nouveau, mais ce n'étaient pas Evans et Potter qu'il entendait cette fois-ci. C'était son frère. Tout lui paraissait embrouillé, comme s'il avait encore plus de mal à saisir ce qui se passait, et il comprit avec un temps de retard qu'il se souvenait.

***

-Reg ! Respire !

Regulus roula sur lui-même. La tête lui tournait violemment et il toussa, la gorge obstruée et un goût de vase dans la bouche. Il mit une seconde à réaliser qu'une douleur sourde pulsait au niveau de son avant-bras et il émit un bruit à mi-chemin entre cri étranglé et un gémissement désespéré.

- Calme-toi... ça va aller... Respire.

- Sirius...

- Je suis là. Ils sont... ils sont parti. Kreattur a réussi à... invoquer un mur de feu. Ils sont retournés dans le lac.

Difficilement, Regulus se retourna mais, incapable de se redresser, il resta étendu sur le dos, le souffle court. Au ton de son frère, il devina qu'il était abasourdi par la puissance magique de l'elfe. Comme beaucoup de sorciers, dont leurs parents, il n'avait jamais dû se poser la question. Regulus lui-même ignorait l'étendu de la magie elfique, mais Kreattur l'avait surpris à plusieurs reprises.

Il prit soudain conscience que les cheveux de Sirius, d'ordinaire savamment coiffés, étaient plaqués contre son visage. Le noir ébène de ses mèches tranchait avec la pâleur de sa peau.

- Pourquoi... ?

- Kreattur a fait apparaître le feu... Je suis allé te chercher, expliqua-t-il, les lèvres tremblantes.

- Mais...

- Plus tard. Faut qu'on se tire d'ici.

Sans lui laisser le temps de protester, il le tira sur ses pieds. Regulus s'affaissa presque complètement contre lui, ses jambes incapables de supporter son poids, et il serra les mâchoires pour s'empêcher de crier à nouveau. Debout, il réalisa qu'ils étaient de l'autre côté de la rive. Ils avaient dû retraverser en bateau quand il était encore inconscient. Au milieu du lac, l'île se détachait à peine dans l'obscurité. La lumière verte qui émanait du bassin à leur arrivée avait désormais disparue.

- Le médaillon... ? Articula-t-il.

- Dans ma poche, le rassura Sirius. Kreattur ! Dès que tu peux nous faire transplaner hors d'ici, dis-le-nous.

- Le traître s'adresse à Kreattur...

- Le traître va t'envoyer rejoindre les créatures au fond du lac en t'attachant à une pierre si tu n'obéis pas !

- Sirius... protesta-t-il.

- Toi, garde tes forces. Pour une fois, si je dois revendiquer mon sang Black, je le ferai. Je suis encore l'héritier de cette foutue famille et il va m'obéir, ne serait-ce que pour te sauver la vie ! Tu m'entends ?

La panique mal contenue dans la voix de son frère se répercuta en Regulus. Trop fatigué, et obnubilé par sa douleur, il n'avait pas pensé à ce qu'il venait de vivre. Ni à quoi la scène avait dû ressembler de l'extérieur.

Il se souvenait vaguement des premières gorgées de la potion, puis des images terribles envahirent son esprit. Il retint un haut le cœur alors que Sirius le traînait pratiquement à ses côtés. Il se souvenait de ses entrailles en feu, de la sécheresse de sa gorge. De son reflet dans le lac. Il revoyait son visage : les traits tirés, le teint blafard, les yeux hantés, les cheveux noirs accrochés à son front. Il ressemblait à un mort, pas si différent de ceux qui étaient sortis des eaux. Plus que tout, il se souvenait des doigts glacés qui se reformaient sur lui et de sa chute dans le lac.

Un frisson violent le traversa au point de le déséquilibrer et Sirius passa un bras autour de ses épaules pour le soutenir et le faire avancer.

- Allez, encore un petit effort... L'arcade est juste là...

- Il nous faut du sang...

- Kreattur peut s'en charger, jeune maître, s'empressa de dire l'elfe. Le jeune maître n'est pas en état !

- Non... commença-t-il.

- Laisse-le faire.

De sa main libre, Sirius sortit le couteau en argent de sa poche et le tendit à Kreattur.

- Je peux m'occuper de l'entaille si tu ne t'en pas capable, proposa-t-il sur un ton de fausse mansuétude.

- Sirius !

- J'essaye d'être aimable...

Pas dupe, Regulus tenta de lui envoyer un regard noir de reproche, mais l'effet devait être loin de ce qu'il espérait. Au lieu de ça, Sirius raffermit sa prise autour de lui, et dès que Kreattur ouvrit l'arcade ; ils s'engouffrèrent hors de la caverne. Le claquement des vagues résonnait contre les parois en pierre.

A nouveau, une vive douleur irradia dans le bras de Regulus et il ne put réprimer le cri qui lui monta aux lèvres. Son corps s'effondra.

- Reg !

- Mon bras... Haleta-t-il.

Sirius pâlit.

- C'est la marque ? Il sait qu'on est là ?

- Non... Je ne crois pas. Il faudrait détruire l'Horcruxe pour qu'il s'en rende compte... C'est la créature, elle m'a agrippé par le bras...

A la mention des créatures, Kreattur s'agita, nerveux. Doucement, Sirius remonta sa manche pour évaluer les dégâts.

- Oh Merlin...

Regulus baissa les yeux vers son bras. Son estomac se retourna. Juste en dessous de la Marque des Ténèbres, sa peau violacée ressortait vivement. De profondes griffures formaient des traits sanguinolents en travers de son poignet, mais le sang s'était mêlé à l'eau, formant une tâche rougeâtre sur plusieurs centimètres. Les bords de la blessure semblaient se noircir, comme si la magie noire qui avait animé les cadavres s'infiltraient en lui.

- Sirius... s'étrangla-t-il, terrifié.

- Des Inferi... C'étaient des Inferi. Il faut qu'on t'emmène à Sainte-Mangouste !

- Non... non ! Ils vont me retrouver !

- Reg, est-ce que tu as vu... ?

- Je t'en prie, pas St-Mangouste !

Sirius parut déchiré plusieurs secondes et contempla la blessure avec horreur. Puis il se tourna vers Kreattur qui attendait toujours.

- Kreattur, ramène-nous à Square Grimmaurd. Maintenant.

L'elfe n'hésita pas. Il ne chercha même pas à protester l'ordre de Sirius. Il se saisit des deux frères et transplana. L'expérience fut la pire de sa vie. Il ne savait pas si c'était à cause de sa blessure, mais il ressentit le transplanage comme un écartèlement. Des points noirs et des éclats blancs dansèrent devant ses yeux, puis ils réapparurent dans le hall de Square Grimmaurd. Regulus se laissa tomber sur le parquet qui grinça sous son poids, épuisé. Son estomac se retourna une nouvelle fois et il rendit le petit déjeuner qu'il avait pris il y a plusieurs heures, le bras en feu. Il ne sentait même plus son poignet.

- Le jeune maître va mal ! Le jeune maître est mourant ! S'affola Kreattur. Kreattur a tué le jeune maître !

- Tais-toi ! Arrête de crier !

- Le traître crie sur Kreattur !

- Parce que tu cries aussi !

Regulus ne savait pas si se hurler dessus aidaient Kreattur et Sirius à ne pas sombrer dans la panique, mais leurs voix lui transperçaient le crâne et il gémit. Ils se turent immédiatement.

- Kreattur, va me chercher toutes les fioles d'antidotes et les bocaux de plantes guérisseuses dans le laboratoire de ma mère... Maintenant !

L'ordre de Sirius claqua une fois de plus. Il devait être sacrément perturbé pour appeler Walburga « ma mère ». Kreattur s'exécuta tandis qu'il se baissait pour être à la hauteur de Regulus, toujours étendu sur l'antique parquet du hall.

- Dès que Kreattur revient, on transplane au QG, promit-il. Dumbledore va arranger ça...

- Non ! Paniqua-t-il. Pas de transplanage...

- Reg, tu commences à rendre la situation compliquée ! Arrête de protester, Merlin !

- Non, tu ne comprends pas... Le transplanage... la douleur...

Au fond de son esprit, il avait vaguement conscience de ne plus être cohérent, mais il voulait faire comprendre à Sirius la torture que représentait le transplanage. Il secoua la tête si fort qu'il s'en cogna contre le sol. Les mains de Sirius l'attrapèrent par les épaules pour l'immobiliser.

- Ca ne durera que quelques secondes, rassura-t-il. Calme-toi.

- Non ! Non ! Je t'en prie !

- Reg...

- Laisse-moi mourir ici...

- Ne dis pas ça, tu ne vas pas mourir. Arrête de bouger, bon sang ! Reg !

Mais la douleur paraissait maintenant se diffuser dans ses veines comme un poison. Alertés par ses cris, plusieurs tableaux s'agitaient dans leur cadre et commentaient le spectacle qu'ils devaient offrir, tous les deux prostrés sur le sol. La tante Belvina, avec ses lourdes boucles d'oreille en or en forme de serpent, s'exclama d'une voix haut perchée :

- Pauvre petit... J'ai toujours su que son frère finirait par le tuer...

- La ferme ! Rugit Sirius par-dessus son épaule.

- Quelle insolence, s'insurgea Arcturus premier du nom.

Regulus entendait à peine ce qu'ils disaient, le sang lui battant les oreilles dans un bourdonnement incessant. Mais une pensée s'imposa pourtant à lui à travers la douleur.

- Il ne faut pas qu'ils racontent... souffla-t-il. Sirius, fais-les jurer de ne rien dire...

- Ils ne m'obéiront pas !

- Tu es l'héritier...

- Et Orion est encore le Maître des lieux. Je ne fais pas le poids.

- S'ils rapportent ce qu'ils ont vu...

- On s'en occupera plus tard... Contente-toi de respirer, ça va aller. Kreattur ! Hurla-t-il brusquement, le faisant tressaillir. Dépêche-toi ! Tu transportes le chaudron avec toi ou quoi ?!

Aussitôt, l'elfe se matérialisa à côté d'eux. Il tenait un sac en toile noir dans ses bras et les fioles à l'intérieur tintèrent quand Sirius s'en saisit précipitamment.

- Très bien, on y va. Kreattur, tu restes ici et tu nettoies toutes les traces de notre passage. Tu n'as rien vu, rien entendu. Tu ne répètes rien à personne. C'est compris ?

- Oui...

L'absence de formule de politesse exagérée montrait que Kreattur répugnait à obéir, mais ne pouvait pas faire autrement.

- Merveilleux, ton enthousiasme me va droit au cœur, railla Sirius. Dernière chose : tu peux faire taire les tableaux aussi ?

- Kreattur peut faire de la magie sur les personnages des peintures, admit l'elfe. Mais la magie de Kreattur peut être altérée.

- Ca fera l'affaire pour l'instant. Réduis-les au silence, tous. Particulièrement elle, ajouta-t-il en désignant la tante Belvina qui eut un hoquet d'indignation. Et si tu peux les décrocher et tous les brûler, surtout ne t'en prive pas.

- Je t'interdis, répliqua immédiatement Regulus d'une voix faible en donnant un coup de pied tout aussi faible à son frère. Kreattur, si tu me préfères, alors je t'interdis.

Sirius laissa échapper un rire étouffé et le remit en position assise, le soutenant de tout son poids alors que son bras pendait contre lui, immobile. Il faisait preuve d'une douceur étonnante qui ne suffit pas à endiguer la pointe de douleur qui le traversa à nouveau.

- Evidemment qu'il te préfère, dit-il. Regulus, le petit dernier admiré de tous. Tu faisais fondre Andromeda bébé.

- J'ai toujours été plus beau que toi, c'est pour ça, affirma-t-il en roulant des yeux.

- Dans tes rêves... Attention, 3, 2, 1... Accroche-toi.

- Non...

Sa protestation, à peine un souffle, se perdit dans le vide. Il croisa une dernière fois le regard inquiet de Kreattur, puis la sensation familière d'écrasement et d'étouffement s'abattit sur lui. Il ne savait pas s'il criait tant le monde tourbillonnait, les couleurs se brouillant comme le sang, l'eau et l'encre s'étaient mêlés sur son bras. Puis son corps chuta brutalement. Il n'était plus sur le parquet de Square Grimmaurd, mais sur l'herbe fraîche de la campagne anglaise.

Il s'effondra.

- Reg ! Allez, encore un effort ! Le QG est là-bas !

- Je pense...

- Arrête, ça n'a jamais été ton fort ! Debout, viens !

-... que je vais mourir...

La phrase, à peine plus haute qu'un murmure, figea Sirius. Regulus lui-même n'avait pas vraiment conscience de l'avoir prononcé. Tout lui semblait flou, le monde tanguait autour de lui, et le poison s'infiltrait inexorablement dans ses veines. Il avait froid...

- Dis pas ça... Reg, dis pas ça. On a réussi. Allez.

Mais Sirius lui-même était épuisé. Il le sentait dans ses gestes désordonnés, dans son incapacité à se servir de la magie pour ne serait-ce que le faire léviter. Tous les deux écroulés dans l'herbe, à bout de force... ils devaient offrir le spectacle vivant de la déchéance des Black. Regulus sentit ses yeux devenir lourds et sa tête bascula en arrière.

- Reste éveillé, ordonna Sirius d'une voix sourde. Tu m'entends ? Reg ?

- Sirius...

- Je suis là, je ne bouge pas. Je ne pars plus, Reg, plus jamais, tu m'entends ?

- Sirius... Ce que j'ai dit à Marlène dans la lettre...

- Aucune importance.

- J'ai écrit... j'ai dit... qu'à la fin, j'ai fait ce que tu aurais fait... Et c'est vrai...

Un bruit proche du sanglot s'arracha de la gorge de son frère. Il ne l'entendit que de loin. Puis, soudain, il le sentit se tendre et se redresser légèrement. Des bruits de pas précipités leur parvinrent, signe que l'Ordre avait enfin pris conscience de leur échouage sur leur pelouse.

- On a besoin d'aide ! Cria Sirius. James ! Va chercher de l'aide !

Regulus ne vit pas si Potter avait obtempéré. A nouveau, les ténèbres l'engloutirent.

**

*

Quand il émergea cette fois-ci, il réussit à entrouvrir les yeux. Le plafond dansa dans son champ de vision un instant avant de se stabiliser. Sa gorge était toujours aussi sèche, comme s'il avait avalé du papier de verre. Il avait aussi toujours la nausée et l'impression qu'on avait entaillé son bras d'un coup de couteau sur toute la longueur, mais il était en vie. Rien que ce fait constituait un miracle.

Un son guttural et rauque lui échappa.

- Reg ? Fit une voix sur sa droite. Tu es réveillé ?

Lentement, il tourna la tête. Ce simple geste l'épuisa et il vit trouble une seconde avant que Marlène ne se dessine devant lui, les traits tirés. Elle avait l'air fatigué, comme si elle n'avait pas dormi une nuit complète depuis plusieurs jours, et même ses longs cheveux blonds paraissaient ternes sur ses épaules.

- De l'eau...

- Oui... attends, tiens.

D'un geste précipité, elle attrapa un verre d'eau posé sur la table de nuit et l'apporta à ses lèvres craquelées. Regulus releva la tête avec difficulté et avala avidement trois gorgées avant de retomber contre son oreiller. Il ferma les yeux une seconde avant de les rouvrir précipitamment de peur de sombrer à nouveau.

- Sirius ! S'exclama-t-il brusquement en tentant de s'asseoir. Où est-ce... ?

- Ne bouge pas ! S'écria Marlène. Il va bien, je te le jure. Rallonge-toi.

- Mais...

- Il est avec Alex pour manger un peu. Il a passé la nuit à ton chevet, il avait besoin d'une pause. Tout va bien. C'est toi qui nous as inquiété... ajouta-t-elle. Comment va ton bras ?

Regulus baissa le regard. Son avant-bras était entouré d'un épais bandage blanc qui embaumait l'air d'une odeur entêtante, sûrement une plante médicinale. Il se rappela vaguement que Sirius en avait ramené de Square Grimmaurd. Juste au-dessus du bandage, le haut de la Marque se détachait nettement, mais Marlène ne paraissait pas y accorder d'attention.

- Ca va, mentit-il.

Marlène pinça les lèvres en une parfaite imitation de McGonagall et il sut qu'elle n'était pas convaincue.

- Sirius a raconté ce qui vous était arrivé à Dumbledore, lui apprit-elle. Mais il n'a rien voulu nous dire à nous pour l'instant. Maugrey est furieux. Comme j'étais la seule au courant pour l'Horcruxe, j'ai juste eu le droit de savoir que vous aviez réussi à le récupérer.

Sa voix portait toute sa frustration et elle fit tourner sa baguette nerveusement entre ses doigts. Il se demanda où la sienne avait été emmenée.

- Alors ? Reprit Marlène avec impatience. Tu vas me dire où vous êtes allés ? Et ce qui s'est passé ?

Elle le toisait si lourdement que Regulus hésita. N'avait-elle pas mérité le droit de savoir ? Elle l'avait aidé à s'échapper après tout. Mais si Dumbledore lui-même avait décrété que personne ne devait rien savoir... Il avait beau ne pas aimer le vieux directeur, il devait avouer qu'il était un grand sorcier qui savait généralement ce qu'il faisait...

Au lieu de répondre, il tenta de détourner la conversation :

- Et toi ? Demanda-t-il. Qu'est-ce qui s'est passé quand on a transplané ?

Le froncement de sourcils de Marlène lui fit comprendre qu'il était tout sauf subtil, mais elle eut assez de tact pour ne pas le relever.

- Beaucoup de cris, dit-elle en grimaçant. Vous n'auriez même pas dû réussir à passer le périmètre de sécurité. Gideon avait jeté un sort vers Sirius et il l'aurait touché si James ne s'était pas interposé. Il lui est littéralement rentré dedans pour que sa baguette change de trajectoire. On a tellement l'habitude de travailler en équipe... ça a semé le chaos et une seconde plus tard vous n'étiez plus là. J'étais restée en arrière mais les autres me sont tombés dessus. Avec James, on a été ligotés sur une chaise tous les deux pour être interrogés. Lily n'a jamais autant juré.

- Quoi ? S'indigna Regulus.

Il remarqua alors les poignets de Marlène. Un cercle rouge marquait sa peau, signe que les liens magiques l'avaient entaillé profondément. Son ventre se contracta.

- Marlène...

- Ce n'est rien... rassura-t-elle. Un peu d'essence de dictame et on ne verra plus rien.

- Et... Qu'est-ce que vous avez dit... ?

- Ca a été dur de justifier nos actes. Fabian et Gideon étaient hors d'eux. Edgar Bones est revenu à ce moment-là. Il a enfumé toute la pièce tellement il tirait sur sa pipe de rage. J'ai expliqué que tu avais découvert une information importante dont tu nous avais parlé avec Sirius. Une information qui pouvait nous aider à vaincre Tu-Sais-Qui. Ils m'ont demandé comment je savais que tu ne mentais pas... Je me suis trouvée stupide parce que je n'avais aucune preuve à part la lettre que tu m'avais écrite.

- La lettre que tu as brûlé parce que je te l'avais demandé... compléta-t-il, la conscience lourde.

Marlène eut un sourire amer.

- L'ironie de la chose a beaucoup fait rire Gideon, commenta-t-elle. Il n'a pas hésité à me le faire savoir. Je refusais de trop en dire, je ne savais pas tout ce que je pouvais révéler. James ne savait rien alors ça a été moins dur pour lui. Il n'avait pas d'autre explication que « c'est Sirius, je lui fais confiance ». Ne fais pas cette tête ! L'admonestera-t-elle. James t'a défendu aussi.

- Non, protesta-t-il instinctivement.

Marlène roula des yeux, exaspérée.

- Si, insista-t-elle. Il a dit qu'il faisait confiance à Sirius s'il te faisait confiance. Que tu pouvais être quelqu'un de bien...

- Quelqu'un de bien, railla-t-il.

- Tu as risqué ta vie pour lutter contre Tu-Sais-Qui. J'appelle ça être quelqu'un de bien.

Regulus secoua obstinément la tête. Il commençait à être plus éveillé malgré sa faiblesse, même si son bras le faisait toujours souffrir, et son esprit s'éclaircissait à mesure de la conversation. La vision d'éternelle optimiste de Marlène l'agaça soudain.

- J'ai fait des choses horribles, McKinnon. J'ai tué des gens. Un acte ne répare pas toutes les erreurs.

- Non... Peut-être pas, admit-elle. Mais je pense que faire demi-tour est mieux que de s'enfoncer ou se remettre en question. Parfois, il vaut mieux nager que de se laisser couler, même si c'est plus difficile.

Le choix de ses mots n'échappa pas à Regulus. Brusquement, il se revit basculer dans le lac. Il avait beau se débattre, la prise des Inferi était trop forte et il n'arrivait plus à respirer. Le fond et la surface se confondaient. L'eau emplissait sa bouche, le froid le paralysait...

- Regulus ! Reg ! Eh !

La voix de Marlène l'ancra à la réalité et il inspira une grande goulée d'air. Il ne s'était pas aperçu qu'il avait arrêté de respirer.

- Merlin, souffla-t-elle d'une voix blanche. Qu'est-ce qui t'es arrivé là-bas ?

Regulus secoua à nouveau la tête. Il ne voulait pas en parler. Il ne voulait même pas se souvenir. Il n'aurait même pas dû en ressortir vivant...

- Je serais mort si Sirius n'avait pas été là, dit-il en plantant ses yeux dans ceux de Marlène. J'aurais dû mourir... j'aurais dû mourir en emportant l'Horcruxe avec moi.

- Tu t'entends ? Rétorqua-t-elle. On a envoyé Sirius avec toi précisément pour que tu t'en sortes. Tu n'avais pas à mourir pour atteindre la rédemption, Reg. Jamais.

- Mais...

Il ne termina pas sa phrase. Il ne savait même pas ce qu'il allait dire de toute façon. Marlène s'était levée si brutalement que la chaise sur laquelle elle était assise manqua de tomber à la renverse. Les traits marqués par la colère et l'incrédulité, elle se mit à faire les cent pas en se passant une main agitée dans les cheveux pour écarter les mèches qui lui revenaient dans les yeux.

- Tu as tout juste dix-huit ans ! S'indigna-t-elle. Dix-huit ans, Regulus ! Ce n'est pas un âge pour mourir. Ta vie n'est pas terminée, elle vient de commencer. Tu as une famille et des amis qui ne comprendront peut-être pas tes choix, mais ils sont là. Si tu peux renouer avec Sirius, tu peux faire tant de choses. Être capturé par l'Ordre est la meilleure chose qui pouvait t'arriver, crois-moi.

Regulus lutta contre les larmes qui lui montaient aux yeux. Il tenta de se détourner, mais Marlène ne le regardait pas. Elle avait traversé la pièce pour se poster près de la fenêtre et se calmer. Il savait qu'elle avait en partie raison, mais ça ne l'empêchait pas d'être terrifié. En se donnant cette mission, il savait qu'il en mourrait très certainement. Il n'avait rien eu à perdre en signant de son nom le mot placé au cœur du médaillon car il savait qu'il ne reviendrait pas vivant. Plus que tout, il l'avait choisi. Se rendre dans cette caverne et affronter ce qui s'y trouvait pour affaiblir le Seigneur des Ténèbres avait été son seul choix depuis deux ans. S'il ne pouvait pas leur échapper, il mourrait au moins en ses propres termes.

Il se garda pourtant de dire tout cela à voix haute. Marlène était suffisamment énervée. Elle contemplait toujours au-dehors en silence quand la porte de la chambre s'ouvrit en grinçant sur ses gonds. Sirius entra avec Alexia Cassidy. Il repéra d'abord Marlène, appuyée contre la vitre, puis il le vit. Il se figea.

- Reg !

- Lui-même et vivant, répondit-il avec effronterie. Déçu ?

Remis de sa surprise en un éclair, une lueur amusée et soulagée brilla dans le regard de son frère.

- Effondré, affirma-t-il. Tu crois que si je t'étouffe avec un oreiller maintenant quelqu'un le remarquera ?

- Marlène portera plainte pour moi à titre posthume.

- Ah oui Marlène... ton plus grand soutien dans cette maison, pas vrai ?

Si la phrase se voulait innocente, le ton sur lequel la prononça Sirius était plus que suggestif et Regulus sentit son visage s'enflammer. A l'autre bout de la pièce, Marlène lui décocha un regard agacé qui ne parut pas l'atteindre tandis que Cassidy lui donnait un coup de coude. Ce fut elle qui tira ensuite Sirius par la main pour le faire avancer.

- Enfin réveillé, claironna-t-elle d'un ton un peu trop joyeux même s'il lui était reconnaissant pour ce changement de sujet. Comment tu te sens ?

- Bien, mentit-il encore une fois.

- Il a mal au bras, indiqua Marlène au même moment.

Cassidy acquiesça.

- C'était à prévoir... Je peux aller voir Lily pour lui demander un autre sédatif ?

- Non ! Refusa-t-il si fort qu'elle eut un mouvement de recul. Je veux dire... Non, ça ira. Je préfère rester conscient maintenant...

- Comme tu veux. Mais si la douleur devient trop forte, dis-le-nous. Dumbledore a dit que ta blessure nécessitait des soins si on ne voulait pas qu'elle s'infecte.

A sa façon de parler et au regard curieux qu'elle portait sur son bandage, Regulus devina qu'elle ne savait pas plus que Marlène ce qu'il avait affronté. L'air grave, Sirius paraissait plus inquiet.

Il n'y connaissait rien en blessures d'Inferi, mais elles devaient être plus sérieuses qu'il ne le pensait. Ses créatures n'étaient rien d'autre que des marionnettes emplies de magie noire. Si cette magie mortelle entrait dans un corps vivant... Autant dire que la rencontre ne devait pas être recommandée par les médicomages.

- On devrait peut-être le prévenir que tu es réveillé... Il voulait te parler.

- Maintenant ? Paniqua-t-il.

Cassidy se mordit la lèvre et coula un regard incertain vers Sirius.

- C'étaient les ordres, avoua-t-elle. Mais je suppose que je peux te laisser un peu de temps avant de passer un coup de cheminette ?

Elle lui adressa un léger sourire, visiblement partagée quant à l'attitude qu'elle devait avoir à son égard, mais Regulus acquiesça, reconnaissant. Il n'avait pas envie de se confronter à Albus Dumbledore dans cet état.

- Combien de temps est-ce que j'ai dormi ? Demanda-t-il soudain en réalisant que le soleil était haut dans le ciel.

- Trois jours, répondit Cassidy et son cœur loupa littéralement un battement. Les premières heures, on se relayait tous pour s'occuper de toi. Tu te mettais à hurler, ta fièvre ne baissait pas et la plaie de ton bras ne voulait pas se refermer... Tu nous as fait une belle peur.

Une boule dans la gorge, Regulus tenta de se souvenir, mais il avait dû être profondément inconscient car rien ne lui revint. Un doute s'immisça pourtant dans son esprit.

- Je hurlais ? Répéta-t-il.

A nouveau, Cassidy parut hésiter et regarda Sirius puis Marlène qui venaient de pâlir brusquement. Il se demanda ce qu'ils avaient dû ressentir.

- Peu importe, éluda-t-elle finalement. Tu vas mieux, c'est l'important.

- Trois jours... On ne va pas finir par se demander où je suis ?

- Les mangemorts tu veux dire ?

Regulus secoua la tête, embarrassé.

- Non, je ne les voyais pas tous les jours... Ils mettront un moment avant de remarquer ma disparition, même Bella. Je pensais plus à mes parents.

- La Harpie n'a pas encore retourné le Chemin de Traverse en te cherchant, railla Sirius avec nonchalance. C'est un bon signe. On s'inquiétera de ça plus tard. Kreattur a dû les convaincre que tu étais parti quelque part.

Regulus doutait que le silence de ses parents soit si simple, mais il n'avait pas la force d'y réfléchir maintenant. Comme l'avait dit Sirius, il s'en inquiétera plus tard. Il allait retomber contre son oreiller, épuisé par cette courte conversation, quand la porte s'ouvrit à nouveau.

- Merlin... jura-t-il.

- Non, j'ai bien peur que ça ne soit que moi, répondit Dumbledore sur un ton affable.

- Oh professeur... J'allais vous prévenir d'ici une heure, le temps qu'il se remette...

- C'est très aimable à vous, miss Cassidy, mais comme vous le voyez je passais par le QG pour voir Alastor. Je suis ravi que notre invité soit réveillé. Comment vous sentez-vous, monsieur Black ?

Comme quelqu'un qui vient de se faire griffer par un Inferi et qui a failli mourir de noyade, songea-t-il ironiquement. Il se garda pourtant bien de lancer sa pique à voix haute, même si le regard que porta sur lui son ancien directeur lui fit comprendre qu'il avait deviné ce qu'il pensait. Mal à l'aise, il haussa les épaules. Ce simple mouvement lui arracha presque un grognement de douleur.

- Son bras... commença Sirius, tendu.

-... mettra du temps à guérir, convint Dumbledore. Les plantes que vous avez ramené de Square Grimmaurd sont précieuses et il faudra changer les bandages régulièrement. Rien d'irréversible, mais rien qui n'est à prendre à la légère non plus.

- A ce propos, intervint Marlène, on pourrait enfin savoir ce qui s'est passé, professeur ?

Regulus tressaillit. Malgré son ton neutre et poli, il percevait la colère sous-jacente qui l'habitait encore. Il comprenait sa frustration. Elle avait dû rester derrière pendant qu'il fuyait avec Sirius et s'expliquer auprès de l'Ordre. Elle avait placé toute sa confiance en lui, mais ne recevait rien en retour, maintenue dans l'ombre. Lui aussi serait énervé s'il était à sa place.

- Croyez-moi, je comprends votre frustration, assura Dumbledore d'un ton apaisant. Mais ce qui se joue en ce moment nous dépasse tous, je le crains. Moins le secret que Regulus Black a découvert s'ébruitera, mieux nous arriverons à y voir clair.

- Mais...

- L'esprit d'initiative dont vous avez fait preuve en prenant conscience de l'importance des révélations qui vous ont été faites est remarquable, miss McKinnon. Sans votre aide, cette histoire aurait sans doute suivi une route bien différente. (Il marqua une pause, l'air grave). Mais nous n'en avons pas terminé et je dois maintenant m'entretenir avec Regulus et Sirius. Je vous promets que vous serez tenue au courant le moment venu.

Regulus devait reconnaître une chose à Dumbledore : il savait parler. Son aura et son charisme imposaient l'autorité et même si Marlène n'était visiblement pas satisfaite, elle se contenta de hocher la tête, la mâchoire contractée.

- Bien professeur, dit-elle d'un ton néanmoins contrarié.

- On sera en bas si vous avez besoin, ajouta Cassidy. Regulus... Tu veux quelque chose à manger ?

Rien qu'à l'idée, son estomac protesta et il secoua la tête avec véhémence.

- Au moins c'est clair, commenta-t-elle avec ironie. Tu viens, Marlène ?

Elle dut poser une main sur le bras de son amie et la diriger doucement vers la porte pour que Marlène sorte de la pièce avec réticence, non sans avoir jeter un ultime regard dans sa direction. Regulus ne la quitta pas des yeux avant que le battant ne se referme dans son dos, une sensation étrange aux creux de la poitrine.

Quand il se détourna enfin pour faire face à Dumbledore, il vit le sourire goguenard de Sirius qui se tenait à ses côtés. Il fusilla son frère du regard.

- Elle va revenir, t'en fais pas Reg, se moqua-t-il.

- Sirius !

Evidemment, il eut l'audace d'éclater de rire. Regulus attrapa son oreiller et tenta de lui envoyer à la figure. Trop faible, le projectile n'atteignit cependant pas sa cible et retomba piteusement au pied du lit, ce qui redoubla l'hilarité de son frère. Regulus jura.

Dumbledore les observa un instant, un sourire énigmatique aux lèvres, avant de s'avancer pour récupérer l'oreiller malheureux et le remettre à sa place. Regulus attendit avec appréhension qu'il reprenne la parole.

- Ah les affres de la jeunesse ! Soupira-t-il avec légèreté. Mais allons, nous avons des affaires plus pressantes, n'est-ce pas ? (Il se tourna vers Regulus et son sourire disparut). Je dois reconnaître, monsieur Black, que je ne m'attendais pas à vous revoir en de pareilles circonstances.

- Moi non plus, professeur, avoua-t-il honnêtement.

- Vous vous doutez que votre cas suscite les plus vives réactions au sein de l'Ordre. Certains sont persuadés que je devrais vous livrer au Ministère et aux Détraqueurs, d'autres que nous devrions vous forcer à boire du veritaserum pour obtenir des informations sur le camp adverse, et d'autres encore suggèrent de vous laisser le bénéfice du doute.

Regulus déglutit. Le visage de Dumbledore, strié de rides mais alerte, était redevenu mortellement sérieux.

- Et vous, professeur ? Quel est votre avis ?

- Moi ? Oh, moi je pense que toute cette affaire est bien plus complexe qu'un mangemort qui aurait tourné le dos à son maître et aurait convaincu son frère de l'aider. Voyez-vous, monsieur Black, je pense pouvoir me flatter d'être plus intelligent que la moyenne des sorciers, dirons-nous, et pourtant vous avez découvert une horrible vérité à laquelle je n'aurais jamais pu penser avant aujourd'hui.

Être complimenté par son ancien directeur était bien la dernière chose à laquelle il s'attendait et il lança un regard surpris à Sirius qui se tenait les bras croisés derrière lui. Il se contenta de hausser les épaules.

- J'aimerais toutefois entendre votre récit. Sirius et Marlène m'ont raconté ce qu'ils savaient, mais plusieurs éléments m'intriguent. Accepteriez-vous de me parler ?

- Je ne sais pas...

- Reg !

- Où est l'Horcruxe ? Demanda-t-il en ignorant l'intervention agacée de son frère. Il faut qu'il soit détruit et...

- Je le sais bien, coupa Dumbledore avec une touche d'impatience dans la voix. Et nous le ferons. Mais il est essentiel pour cela que vous me racontiez votre histoire.

Regulus serra le poing contre ses couvertures à en faire blanchir ses jointures. Il ne voyait pas où voulait en venir Dumbledore. L'important n'était clairement pas lui, mais l'Horcruxe et la part d'âme de Voldemort qu'il contenait. Ils perdaient du temps. Plus que tout, il avait l'impression que sous ses airs avenants et ses demandes mesurées, Dumbledore ne lui laissait pas le choix. Or, il commençait à en avoir assez de ne pas avoir le choix. Descendre dans cette caverne et dérober l'Horcruxe avaient été son dernier choix, un choix que personne ne pouvait lui enlever ou ne lui avait dicté.

- Qu'est-ce que vous voulez savoir... ? Il n'y a rien à dire... J'ai découvert pour l'Horcruxe grâce à Kreattur, j'ai voulu le détruire...

- Kreattur, votre elfe, c'est bien cela ?

- Oui mais...

- A-t-il lui-même prononcé le mot ? Voldemort lui avait-il révélé ce qu'il avait créé ?

Rien que l'idée du Seigneur des Ténèbres confiant une chose si importante à un elfe était risible et Dumbledore le savait parfaitement. Regulus secoua la tête, impatient.

- Non, évidemment, je l'ai plus deviné, explicita-t-il. Enfin, ça m'a pris du temps. Quand Kreattur est revenu cette nuit-là, il se tordait de douleur et ne cessait de répéter que le Seigneur des Ténèbres avait fait de la « mauvaise magie ». Je n'étais pas naïf, je savais depuis longtemps qu'il expérimentait avec de la magie noire, mais là... Les mots qu'employaient Kreattur n'étaient pas anodins. Ça allait au-delà de tout ce que je connaissais...

- Comment ça ? Intervint Sirius.

- Il disait qu'il avait senti une magie humaine dans le médaillon, précisa-t-il. Au début, j'ai cru qu'il hallucinait. La trace magique des objets et des sorciers est différente, toutes les personnes qui étudient les sortilèges le savent. Un objet n'est jamais magique en soi, un sorcier l'a toujours ensorcelé, mais l'enchantement a une durée limitée dans le temps en fonction de sa puissance. Certains objets pourront restés enchantés des siècles et d'autres à peine un an.

- C'est exact, confirma Dumbledore d'un ton docte. Il est évident que le Choixpeau, dont l'enchantement perdure maintenant depuis près de dix siècles, et une amulette farceuse de chez Zonko ne relèvent pas du même type de magie.

- Voilà ! Mais Kreattur affirmait que le médaillon était magique. En lui-même, je veux dire.

Maintenant qu'il avait commencé, Regulus n'arrivait plus à s'arrêter. Il avait besoin de savoir que Dumbledore et Sirius le croyaient, qu'il n'avait pas rêvé tout ce qui s'était passé et surtout qu'il avait fait ce qu'il fallait.

- La magie elfique est très sensible et infiniment riche, abonda Dumbledore avec révérence. Continuez, monsieur Black, je vous prie.

- Je ne comprenais pas pourquoi il avait ressenti ça... Alors j'ai cherché. Beaucoup de livres parlaient de magie noire, très noire même, mais aucun ne mentionnait comment l'essence magique d'un sorcier pouvait littéralement être séparée en partie de lui pour être placée dans un objet. Et puis, ça n'aurait eu aucun sens. Finalement, après plusieurs jours, je suis tombée sur un mot... Horcruxe.

- Simplement le mot ?

- Non, avoua-t-il. C'était un vieux livre qui n'est plus édité depuis longtemps, mais qui se trouvait dans la bibliothèque de Square Grimmaurd : Secrets les plus sombres des forces du Mal.

- Evidemment qu'il était là... commenta Sirius dans sa barbe.

- Tout concordait. La puissance de l'objet, les maléfices placés autour pour sa protection, la magie noire que Kreattur avait ressenti. Ce n'était pas la trace d'un acte ou d'une essence magique... C'était un fragment d'âme. Je me suis rappelé que le Seigneur des Ténèbres s'était vanté d'avoir repoussé les frontières de ce qu'on croyait possible, il avait dit que...

Il s'interrompit en réalisant à qui il parlait, mais Dumbledore le regarda intensément par-dessus ses lunettes en demi-lune. Il eut un mouvement de main décontracté, comme s'il l'encourageait à poursuivre.

- Oui ? Dit-il.

- Il avait dit que « même cet idiot de Dumbledore n'aurait jamais pu atteindre ce qu'il avait accompli ». Ce sont ses mots, pas les miens, ajouta-t-il presque défensivement.

Dumbledore sourit avec indulgence.

- Oh je n'en doute pas. Même après toutes ces années, Voldemort n'a toujours pas compris une chose essentielle : ce qu'il a accompli ne m'intéresse guère. Il y a des formes de magie bien plus puissantes et bien plus anciennes, mais il est incapable de le comprendre.

Regulus aurait aimé demandé au directeur ce qu'il entendait par là. Il ne voyait pas ce qui pouvait être plus puissant comme magie que celle qui donnait accès à l'immortalité.

- Vous comprendrez un jour, monsieur Black, assura Dumbledore comme s'il percevait son scepticisme. Quand vous serez aussi vieux et aussi sénile que moi, vous comprendrez. Mais passons. Vous avez donc trouvé vos informations dans ce livre ?

- Euh oui... celui-là et dans divers documents...

- Qu'entendez-vous par « documents » ?

Regulus hésita.

- Des carnets, des journaux... répondit-il évasivement.

Mais évidemment Sirius tiqua. Il le fixa un instant et Regulus vit presque l'illumination s'allumer dans ses yeux.

- Non... Tu as osé... ? S'exclama-t-il, un immense sourire aux lèvres. Reg, tu t'es découvert une âme de rebelle par Merlin !

- Sirius !

- Pardonnez mon ignorance, intervint Dumbledore avec légèreté, mais je crois que la conversation m'échappe...

- Ce n'est rien, professeur, juste des carnets de famille...

- Les carnets de la vieille tante Elladora oui ! Ils sont dans la bibliothèque privée de Orion, nos parents nous ont interdit d'y toucher. Même pour les Black, les recherches et les notes d'Elladora étaient considérées comme une magie très noire... Rien d'étonnant quand on sait qu'elle a instauré comme tradition qu'on coupe les têtes des elfes de maison !

- Je vois... Et cette tante Elladora mentionnait les Horcruxes ?

- Elle n'en a jamais fait elle-même, s'empressa de préciser Regulus. Mais elle connaissait le principe. C'est en croisant ses recherches avec les Secrets les plus sombres des forces du Mal que j'ai fini par être sûr de moi.

Vidé de ses forces, sa voix s'éteignit sur ce constat. Il regarda tour à tour son frère et son ancien directeur. Si l'expression du premier reflétait l'horreur et l'inquiétude que lui inspiraient la situation, le vieux sorcier était plongé dans ses pensées et Regulus avait l'impression qu'il le regardait sans le voir, comme si son esprit était en train d'avancer un pion durant une partie d'échec. Il se demanda un instant s'il était ce pion. Un pion à la solde de Voldemort qui s'était retourné contre lui. Il était passé du noir au blanc sur l'échiquier. De l'encre obscure de la marque aux flammes aveuglantes du phénix. Des ténèbres de la caverne à l'espoir lumineux de de la résistance... Il avait déséquilibré le jeu.

- Remarquable, approuva finalement Dumbledore. Cette découverte va s'avérer fondamentale... Il faut que j'y réfléchisse bien évidemment, mais vous nous avez ouvert une voie inattendue monsieur Black.

- Ravi, dit-il laconiquement, fatigué par les discours grandiloquents. Mais vous allez le détruire, n'est-ce pas ? L'Horcruxe ?

- Ca ne sera pas évident, mais bien entendu. J'ai peur qu'une magie ordinaire ne puisse cependant rien face à un objet d'une telle puissance.

- Il faut que l'Horcruxe soit exposé à une source de magie tellement destructrice qu'il ne pourra pas se reconstituer de lui-même... Enfin, c'est ce que disait Elladora.

- Je vois... répéta Dumbledore. Cela réduit les possibilités.

Regulus se redressa à nouveau.

- Vous avez des idées, professeur ?

- Des idées ? Toujours. Les plus évidentes qui me viennent à l'esprit sont des sortilèges puissants et destructeurs mais dangereux comme le Feudeymon. Le venin de certaines créatures magiques pourrait aussi faire l'affaire... Les crochets d'un basilic ou le dard d'un manticore. Le souffle du Nundu est aussi mortel, mais il serait sans doute difficile de « capturer » un souffle.

A ses côtés, Sirius paraissait sceptique et il dévisagea leur ancien directeur, bras croisé et sourcils froncés. Visiblement, il n'était pas d'humeur à se voir réciter l'intégralité de Vie et Habitat des Animaux Fantastiques par Norbert Dragonneau.

- Sans vouloir jouer le Détraqueur qui casse l'ambiance, dit-il, tout ce que vous venez de citer est assez rare, voire impossible à se procurer non ? Et pour le Feudeymon, c'est un sort noir très puissant qui pourrait vite dégénérer...

- Finement observé, monsieur Black. Mais heureusement pour nous, nous ne manquons ni de contacts sur le marché noir ni de sorciers brillants. Maintenant, si vous voulez m'excusez, il me semble que j'ai fort à faire.

Incrédule, Regulus mis une seconde à réaliser que la conversation était terminée. Dumbledore lui adressa simplement un sourire énigmatique et un hochement de tête reconnaissant avant de se diriger vers la porte. Sa robe pourpre parsemée d'étoile bruissa en douceur sur le vieux parquet tandis qu'il s'éloignait. Regulus le regarda avec une pointe d'appréhension, comme si toute cette affaire lui échappait soudainement pour reposer désormais entre les mains du directeur de Poudlard. Rationnellement, il savait qu'il était plus amène que lui de s'occuper de l'Horcruxe, mais il se retrouva étrangement démuni en réalisant qu'il avait mené à bien la tâche qu'il s'était fixé.

Pourtant, avant de franchir le seuil de la chambre, Dumbledore se retourna. Regulus sentit ses yeux bleus le traverser par-dessus ses lunettes en demi-lune et il frissonna.

- Une dernière chose, dit-il d'une voix solennelle. J'ai conscience que tout cela doit être perturbant pour vous, mais sachez une chose monsieur Black : ce que vous avez fait n'est que le début de ce qui mènera Voldemort à sa perte. Et vous n'auriez pu montrer un plus grand courage, ni un esprit plus brillant.

Sur ces mots, la porte se referma derrière lui et le silence tomba lourdement. Regulus resta un long moment à contempler l'endroit où s'était tenu le directeur, une boule chauffée à blanc au creux de la gorge. Il n'avait jamais estimé l'opinion que Dumbledore pouvait avoir de lui, ils n'avaient jamais même véritablement parlé, mais sa reconnaissance aujourd'hui l'atteignait plus qu'il ne voulait bien l'admettre.

Epuisé, il s'affaissa une dernière fois contre son oreiller. La douleur au niveau de son avant-bras se réveilla et tout son corps se crispa, endolori. Il fit malgré tout l'effort de tourner la tête vers Sirius qui l'observait depuis le pied du lit, inexpressif.

- Quoi ? Murmura-t-il.

- Rien... Tu devrais dormir maintenant.

- Je ne suis pas fatigué, rétorqua-t-il par réflexe.

- C'est ça... Et moi je vais me marier avec Kreattur.

- Cassidy sera ravie.

Sirius eut un vague sourire et roula des yeux. D'un pas silencieux, il se rapprocha jusqu'à être à sa hauteur et se pencha en avant. De près, Regulus pouvait voir ses traits tirés, mais aussi les émotions qui valsaient dans les yeux de son frère. Il lutta pour ne pas s'endormir, mais la tête lui tourna brusquement et il se sentit dériver.

Il était presque endormi lorsque la main de Sirius vint lui ébouriffer doucement les cheveux, comme il l'avait fait à onze ans, perché sur le marchepied du train avant de partir pour Poudlard.

- Dors bien, Reg, souffla-t-il.

Et les ténèbres l'engloutirent à nouveau.

**

*

Les jours suivants, il alterna entre des périodes de veille et de sommeil. Quand il se réveillait, il trouvait toujours une fiole de potion revigorante sur sa table des nuits et son bandage avait été changé minutieusement. La douleur régressait progressivement, même s'il devenait évident qu'il garderait une cicatrice, juste en-dessous de son tatouage. Il trouvait plutôt ironique que le symbole de sa lutte contre le Seigneur des Ténèbres se trouve si proche de sa Marque. Une des rares fois où Sirius était venu à son chevet, il avait commenté en observant la tête de mort enroulée d'un serpent « si on m'avait dit que tu aurais un tatouage avant moi... » et Regulus s'était surpris à rire.

C'était peut-être une impression, mais il avait le sentiment que quelque chose avait changé entre son frère et lui. Il ne le regardait plus d'un air hanté, comme s'il lui rappelait un passé et une famille qu'il avait voulu oublier à tout prix, mais davantage avec respect et une pointe d'émotion que Regulus n'arrivait pas à identifier.

Marlène passait souvent. Elle ne cessait de lui répéter qu'il pouvait sortir de sa chambre et aller et venir comme bon lui semblait, mais il s'y refusait. Il ne quittait sa chambre que pour se rendre dans la salle de bain au bout du couloir en vérifiant que personne n'était là. Jusqu'à présent, il n'avait croisé aucun membre de l'Ordre et aucun d'eux n'était de toute façon venu le voir. Il les entendait pourtant parfois, surtout quand ils rentraient de mission et que toute la maison semblait s'agiter d'un coup. La veille, Regulus avait entendu Lily Evans éclater de rire et il avait même entrouvert sa porte, surpris. Depuis le rez-de-chaussée, la voix de Sirius lui était parvenue. D'un ton dramatique, Sirius déplorait apparemment la « perte de liberté » de Potter qui, si Regulus avait bien compris, venait de demander la jeune femme en mariage. Il s'était fait la réflexion que c'était une drôle de période pour ce genre de chose, mais que la résistance pouvait prendre parfois des formes surprenantes. Et le sourire niais accroché au visage de Sirius encore dans la soirée en valait la peine.

Ce matin, pourtant, ce n'étaient pas des rires qui avaient empli le quartier général, mais des hurlements de douleur. Regulus, en train de lire à son bureau, avait manqué de lâcher son livre et son sang s'était glacé. Il avait failli se précipiter en bas, mais s'était arrêté en haut de l'escalier, figé. Le pan de mur et la rambarde lui cachaient la plus grande partie du salon, mais il entrevue les frères Prewett entrer en catastrophe, portant entre eux Dorcas Meadowes. Elle était d'une pâleur verdâtre et maladive, les dents serrées, et surtout une jambe en sang. Ses longs cheveux bruns et épais étaient répandus en désordre sur sa lourde poitrine qui se soulevait avec rapidité. Derrière eux, Evans se précipitait, une trousse de secours et une mallette de potions dans les bras. Regulus avait retenu un haut le cœur quand les cris de Dorcas avaient repris, déchirants et glaçants. Dans son esprit, ils résonnèrent en écho avec les cris de douleur d'une autre femme, il y a longtemps... Il était retourné s'enfermer dans sa chambre, l'image de Gemma Ackerley brûlante derrière ses paupières closes.

Au bout d'une heure, les hurlements avaient cessé et l'agitation était retombée. Plus déterminé que jamais, Regulus avait passé la journée plongée dans un livre que lui avait fait parvenir Dumbledore sur le venin des créatures magiques. Peut-être un moyen de l'inclure et de l'occuper durant ses longues journées.

Le soleil commençait à disparaître derrière l'horizon lorsque sa porte s'était ouverte sur Sirius. Il avait l'air fatigué, comme souvent, mais il avait encore sa jambe et Regulus estimait que c'était une victoire pour aujourd'hui.

- Tiens Reg, étonnant de te trouver là ! Lança-t-il en guise de salutation. Tu as bougé de trois centimètres depuis hier non ?

- Quel esprit...

Sirius haussa les épaules – sa façon sans doute de reconnaître son manque d'inspiration – et se laissa tomber sur le lit avec nonchalance. Regulus le rejoignit avec plus de mesure.

- Des nouvelles de Dumbledore ? Demanda-t-il pour la dixième fois au moins.

- Parfois, je me demande si tu n'as pas le béguin pour lui plutôt que pour Marlène, railla Sirius. « Dumbledore par-ci, Dumbledore par-là ».

- C'est sérieux, Sirius !

- Je sais, ça l'est toujours avec toi, soupira-t-il. Mais pour te répondre, oui. C'est pour ça que je venais te voir en fait. Réunion exceptionnelle de l'Ordre ce soir et tu es invité. Ou plutôt ta présence est requise.

- Vraiment ?

Son incrédulité sonna à ses propres oreilles.

- Faut croire. Je pense que Dumbledore a enfin trouvé comment détruire l'Horcruxe ou alors il a trouvé de nouvelles informations. Tous les membres qui n'ont pas de missions essentielles y assisteront.

- Mais... Ils ne savent pas...

- Pour l'Horcruxe ? Non, pas pour l'instant. Mais ça ne m'étonnerait pas que Dumbledore dévoile son existence aux autres ce soir.

- Quoi ? S'écria-t-il, indigné. Comme si vous n'étiez pas déjà tous une cible pour le Seigneur des Ténèbres ! Et je croyais que vous aviez un traître dans vos rangs, vous ne pouvez pas...

- Je sais, coupa Sirius d'une voix ferme. Tout le monde ne va pas être mis au courant, seulement ceux auxquels Dumbledore fait confiance.

- Mais...

- Ça ne servirait à rien de le cacher aux autres de toute façon parce que... Dumbledore a des soupçons... Il pense... Il pense qu'il n'y aurait pas qu'un seul Horcruxe. On va avoir besoin de l'aide de tout le monde.

Regulus eut l'impression de rechuter dans le lac. L'horreur ressentie lorsqu'il avait compris ce que le Seigneur des Ténèbres avait réussi à accomplir se multiplia. Déchirer son âme en deux était une chose, la déchirer en plusieurs fragments revenaient à fragmenter son humanité même. Ses mains se mirent à trembler et il serra les poings, au bord de la nausée.

- Merlin... souffla-t-il.

- Tu l'as dit...

D'un même ensemble, ils tournèrent la tête et leur regard s'accrocha. Regulus déglutit.

- Comment va Meadowes ? S'enquit-il.

- Comment... ?

- Je l'ai entendu... Quand les Prewett l'ont ramené.

Sirius grimaça.

- C'était pas beau à voir d'après Lily... Mais elle va bien. Un sort a heurté un mur derrière elle et il s'est effondré sur sa jambe. Elle est restée coincé plusieurs minutes avant que les autres parviennent à la dégager. Elle aura peut-être encore mal quelques jours et une cicatrice sur la cuisse, mais elle marche et va très bien. On a eu pire.

- Je sais...

Il se souvenait des rares batailles dans lesquelles il s'était retrouvé contre les membres de l'Ordre. Il s'agissait souvent de duels entre quelques sorciers, jamais rien d'important, mais il avait été terrifié à chaque fois de se retrouver face à son frère ou à Marlène. Jusqu'au jour où c'était vraiment arrivé. Il l'avait laissé repartir, mais il savait que plusieurs mangemorts n'auraient pas hésité à la tuer, Bellatrix en tête. D'autres se contentaient de sorts offensifs, il le savait aussi, et il avait toujours fait parti de ceux-là quand il le pouvait.

Sirius dû deviner ses pensées car il claqua soudain des doigts, le ramenant à la réalité.

- Pour ce que ça vaut, dit-il d'un ton rapide, comme si les mots lui brûlaient les lèvres, je suis fier de toi.

- Non, tu ne l'es pas... objecta-t-il et sa voix paraissait si enfantine qu'il rougit.

- Oh Reg... Tu as enfin ouvert les yeux, tu as tourné les dos à Tu-Sais-Qui alors que toute la famille te disait de croire en lui... Si, je suis fier, je crois que je peux le dire aujourd'hui. Et... tu sais ce que tu m'as dit ? A Square Grimmaurd ? Que j'avais choisi James plutôt que toi ?

Regulus hocha doucement la tête, une boule coincée dans la gorge.

- Je n'ai pas choisi James, le détrompa-t-il. Je me suis choisi moi, j'ai choisi de survivre. Tu as choisi notre famille. Mais je commence à réaliser que... ce n'est peut-être pas incompatible. Je ne retournerai jamais vers les Black, mais je n'ai plus envie de te laisser derrière moi.

- Moi non plus...

L'aveu, prononcé d'une voix à peine plus haute qu'un murmure, se suspendu entre eux. Contrairement à la promesse qu'ils s'étaient faite enfants un soir d'orage, ils ne se jurèrent rien. Ils n'étaient pas doués tous les deux pour tenir leur parole, mais faire de leur mieux serait déjà un bon début.

Le silence commençait à devenir gênant et Sirius se racla bruyamment la gorge, détournant le regard. Il se redressa, puis passa une main dans ses cheveux comme pouvait le faire Potter avant de la plonger dans sa poche.

- Au fait, reprit-il, j'ai du courrier pour toi.

- Moi ? De la part des parents ?

- Non, ils n'ont pas encore répondu... La lettre vient des Etats-Unis.

Etonné, Regulus fronça les sourcils. Depuis plusieurs jours, il envoyait des lettres à ses parents pour justifier son absence étrange. Il avait prétendu être parti en Irlande pour reprendre contact avec des amis de la famille et élargir son cercle d'influence. Il avait dû être assez convaincant car sa mère lui avait simplement répondu que c'était une excellente idée et de représenter le nom des Black avec fierté pendant son voyage. Sirius réceptionnait les hiboux pour lui et l'aidait parfois même à entretenir la correspondance en lui dictant des passages enflammés sur les paysages Irlandais. Regulus le soupçonnait de trouver l'idée de duper leur mère très divertissante.

- Des Etats-Unis ?

- Ne me regarde pas comme ça, c'est pour toi, dit-il en lui tendant l'enveloppe. Ouvre-la, on verra bien.

Regulus hésita. Il ne connaissait qu'une seule personne aux Etats-Unis, mais le fait qu'elle lui écrive lui semble improbable. Sa curiosité eut finalement raison de sa réserve et il brisa le sceau apposé sur la lettre. Il n'y avait aucun parchemin à l'intérieur, juste une photographie. Avec précaution, il la saisit doucement.

Il manqua de la relâcher sous le coup de la surprise. Dans le cadre de la photo, Elizabeth Yaxley se tenait assise dans un fauteuil, un bébé sur les genoux. Elle avait la tête tournée vers lui et souriait, attendrie. Elle paraissait transformée. Son visage était plus doux et elle n'avait plus cette expression hautaine qu'elle arborait à Poudlard. Le bébé, lui, devait avoir quelques mois. Il éclatait de rire en secouant ses petits bras, une bulle de salive au coin de la bouche. Ses cheveux avaient déjà la blondeur si caractéristique des Rosier.

Lentement, Regulus retourna la photographie. Au dos, une seule ligne s'étalait d'une écriture élégante : « Je voulais simplement te présenter Archibald Regulus Yaxley. Nous sommes heureux grâce à toi. Encore merci. EY ». Pour la première fois depuis des mois, les larmes lui montèrent aux yeux.

- Il louche un peu, non ? Commenta Sirius.

- Tais-toi, espèce d'imbécile.

- T'es sûr que... Je veux dire, elle t'envoie la photo et elle a donné ton nom au gamin... Il ne s'est rien passé entre vous hein ?

L'émotion quitta Regulus pour être remplacée par l'indignation en un quart de seconde.

- Sirius ! Arrête de vouloir me caser avec tout le monde. Marlène, Dumbledore, Yaxley ! C'est qui le prochain ?

- Kreattur ?

Regulus ne prit même la peine de répondre et lui donna un coup dans l'épaule alors que le rire de Sirius, si semblable à un aboiement de chien, résonnait contre les murs. Il eut envie de l'étouffer avec son oreiller mais se contenta de le pousser du lit. Sirius chuta avec brusquerie sans cesser de rire.

- T'es désespérant, déplora Regulus.

Sirius aurait sans doute continué à rire un moment si Marlène n'avait pas passé la tête par l'encadrement de la porte. Elle regarda la scène, perplexe, puis secoua la tête en souriant.

- Si vous avez terminé, tout le monde vous attend. Dumbledore est arrivé.

- On descend tout de suite.

Sans attendre, ils emboîtèrent le pas à Marlène et Regulus plia la photo pour la mettre dans sa poche. Le cœur battant, il descendit le vieil escalier qui craqua sous ses pieds. Il était curieux de voir les membres de l'Ordre que Dumbledore estimait digne de confiance. Dans la cuisine, le directeur était effectivement déjà là et présidait l'assemblée. Autour de la table, les frères Prewett, Potter et Evans, Edgar Bones et Maugrey Fol Œil étaient également présents.

- Les retardataires, maugréa Maugrey. Pas trop tôt. Asseyez-vous.

Le dos raide, Regulus pris place entre Marlène et Sirius. Il remarqua alors le médaillon, posé au centre de la table. La chaîne en or brillait légèrement et le S en forme de serpent serti de pierres précieuse jetait des reflets verts sur le bois verni. Vu les regards de crainte et de dégoût qu'il suscitait, Regulus devina que Dumbledore avait déjà expliqué aux autres sa véritable nature.

Il promena son regard sur les membres de l'Ordre jugés dignes de confiance par le directeur. Aucun choix ne l'étonna, mais il se demanda ce que Potter et Sirius pouvaient penser en constatant que Cassidy, Pettigrow et Lupin avaient été écartés. Leur expression renfrognée lui donna un semblant de réponse.

- Bien, je pense que nous pouvons poursuivre, déclara Dumbledore. Comme je viens donc de l'expliquer, nous avons de fortes raisons de penser que Voldemort a déchiré son âme au-delà de tout ce que nous aurions pu imaginer. La tâche qui nous attend ne sera ni simple ni sans danger, mais j'ai une foi inébranlable en chacun d'entre vous. Ce n'est qu'en conjurant nos efforts que nous parviendrons à faire advenir la plus grande crainte de Lord Voldemort : le rendre mortel. (Il marqua une pause solennelle, puis désigna le médaillon d'un mouvement gracile). Et tout commence aujourd'hui avec cet objet.

- Vous êtes sûr, professeur ? Demanda Evans d'une voix faible. Je veux dire, vous êtes sûr qu'un morceau de son âme est... là-dedans ?

- La certitude n'est jamais totale, miss Evans, mais je pense pouvoir affirmer sans crainte de me tromper que oui. Nous allons de toute façon le savoir immédiatement.

- Comment ? Dit Gideon.

- En le détruisant, répondit Dumbledore d'une voix tranquille.

Une vague de murmure parcouru l'assemblée et Regulus sentit son ventre se serrer d'appréhension. D'après ses lectures, un Horcruxe ne se laissait pas détruire si facilement.

- Au risque de me répéter : comment ? Demanda à nouveau Gideon.

- Avec ceci.

D'un geste leste, Dumbledore déposa un objet courbé et sombre devant lui. Regulus imita les autres et se pencha en avant pour mieux voir. Ce n'était pas un objet... C'était un dard de manticore. La base était encore teintée de sang séché.

Edgar Bones émit un sifflement impressionné et souffla un panache de fumée grise qui se répandit dans la pièce avec une odeur acre de tabac.

- Albus, vous m'impressionnez un peu plus chaque jour. Où avez-vous réussi à trouver cela ?

- Nos contacts des marchés parallèles sont d'une efficacité remarquable.

- Vous remercierez Fletcher dans ce cas, dit-il, amusé.

Dumbledore inclina la tête.

- Je n'y manquerai pas. Bien, ajouta-t-il, ne perdons pas davantage de temps. Monsieur Black, si vous voulez bien.

Un moment de flottement passa, le temps que Regulus comprenne que le directeur de Poudlard s'adressait à lui et non à Sirius.

- Quoi ?

- Je pense que personne ici ne peut nier que l'honneur vous revient après tous les efforts que vous avez fournis.

- Non, je...

- Arrête de jouer au modeste, Black ! S'agaça Gideon. Fais-le, c'est tout.

Regulus déglutit. Sa réticence n'avait rien à voir avec de la modestie.

- Professeur, tenta-t-il, je suis sûr que quelqu'un d'autre pourrait...

- On pourrait tous, aboya Maugrey. Mais c'est à toi qu'on le demande, Black !

- Un problème ? Renchérit Fabian, provocateur.

Ce n'était pas une demande, songea soudain Regulus dans un éclair de lucidité. C'était un test, une sorte d'épreuve perverse pour leur prouver sa loyauté. Il retint son instinct qui lui disait de les envoyer balader. Il ne devait rien à ces gens et ne faisait aucunement parti de leur organisation secrète. Mais avant qu'il ait pu ouvrir la bouche pour dire à Fabian Prewett d'aller se mettre sa baguette où il pensait, Marlène se tourna vers lui.

- Je pense que tu devrais le faire, dit-elle doucement. Le professeur Dumbledore a raison. Tu as mérité de le faire. Et puis, tu l'as dit toi-même non ? « J'ai volé le véritable Horcruxe et j'ai l'intention de le détruire dès que je le pourrai ». Tu le peux aujourd'hui.

En entendant Marlène citer les mots qu'il avait lui-même écrit, Regulus sentit sa résolution vaciller. Elle n'avait peut-être pas tort... Il avait manqué de perdre la vie pour obtenir cette Horcruxe et il serait logique qu'il soit celui qui le détruise.

- D'accord, accepta-t-il finalement, la conscience lourde. Comment on procède ?

Tout le monde se tourna vers Dumbledore.

- Il faut parler Fourchelang pour ouvrir le médaillon. Quand cela sera fait, l'Horcruxe tentera de se défendre. Je ne sais pas comment, mais il faudra faire vite. Poignardez-le au cœur avec le dard du manticore et il devrait normalement être détruit.

- Le Fourchelang ? S'étonna Potter. J'avais pris divination en option, mais quelqu'un connaît le Fourchelang ? Vraiment ?

- Je le comprends, nuança Dumbledore. Et bien que je sois incapable de tenir une conversation en cette langue, je suppose qu'un simple mot devrait faire l'affaire. Vous pardonnerez mon accent.

Un rire nerveux parcourut l'assemblée.

- Bien, êtes-vous prêt, monsieur Black ?

- Oui...

- Tenez.

D'une main ferme, Dumbledore lui tendit le dard de manticore et Regulus s'en saisit avec précaution, le cœur battant. Renversé contre le dossier de son siège, Gideon l'observa d'un œil critique.

- Fais gaffe, Black, lança-t-il d'un air goguenard. Ne te plante pas avec.

- Ne nous plante pas avec, rectifia Fabian.

Regulus les ignora. Debout face à la table, il se concentra sur le médaillon. Quelque chose semblait remuer à l'intérieur, comme si le fragment d'âme en son sein comprenait ce qui se tramait autour de lui. Regulus en ressentit une certaine satisfaction. L'âme avait raison d'avoir peur.

- A trois, ordonna Maugrey. Que tout le monde reste sur ses gardes, baguette en main.

- Vigilance constante, approuva Edgar Bones dont la pipe avait disparu.

- Un... deux... murmura Sirius, tendu. Trois !

Un long sifflement rauque sortit de la bouche de Dumbledore. Regulus aurait été incapable de deviner ce qu'il signifiait, mais les deux volets en or du médaillon s'ouvrirent brusquement dans un claquement plaintif. A l'intérieur, lovés derrière les ovales en verre, deux yeux sombres et envoûtants le fixèrent.

- Transperce-le !

Regulus leva le bras, celui qui portait encore la Marque et la cicatrice des Inferi. Les yeux se mirent à tourner dans tous les sens, agités, et il suspendit son geste, fasciné. La magie qui se dégageait de l'objet était plus forte que tout ce qu'il avait vu dans sa vie. Une voix sifflante et glaciale s'éleva alors du médaillon :

- J'ai vu ton cœur, j'ai lu ton esprit...

- Monsieur Black, ne l'écoutez pas, dit Dumbledore d'une voix dure.

- J'ai vu tes ambitions, j'ai vu tes peurs, tes doutes...

La voix semblait le paralyser et son bras trembla.

- L'éternel petit dernier, l'enfant dont personne n'avait besoin, susurra le médaillon. Toujours dans l'ombre d'un frère qui était l'héritier. Un nom trop lourd à porter pour un petit roi sans pouvoir. Je pourrais t'apporter tant de choses, la reconnaissance que tu n'as jamais eue...

- Reg ! Hurla Marlène. Reg, ne l'écoute pas ! Tue-le !

Comme emprisonné par le regard perçant de Voldemort, Regulus avait horriblement conscience des membres de l'Ordre autour de lui. Il leva le dard de manticore un peu plus haut, prêt à frapper, lorsque le médaillon se mit à frémir. Une fumée argentée émergea soudain des ovales de verre, languissante et ondulante comme un serpent. Effrayé, Regulus recula de plusieurs pas. La fumée s'éleva vers le plafond, puis se rassembla jusqu'à prendre forme humaine. Elle ondulait dans l'air, se précisant à mesure que les secondes s'égrenaient. Un corps féminin apparut. Des grands yeux, des cheveux mi-longs, un nez en trompette. Le ventre tordu par la peur, Regulus reconnut avec effroi Gemma Ackerley.

- Que crois-tu faire ? Dit-elle d'une voix glaciale et atrocement doucereuse, comme si elle se moquait de lui. Tu veux jouer au héros ? Oh Regulus, toi et moi nous savons que tu n'es pas un héros.

- Regulus !

- Tu n'arrives pas à m'oublier après tout ce temps parce que tu sais ce que tu m'as fait. Tu as dû regarder les larmes de mon frère en sachant que tu avais scellé mon destin et le tien ce jour-là.

En périphérie de sa vision, Regulus voyait Potter serrer les poings. Il savait que la seule chose qui l'avait poussé à ne pas le dénoncer à l'époque était son amitié avec Sirius, mais ça ne l'empêchait pas d'avoir l'air furieux. Comme si l'Horcruxe avait intercepté son regard, la fumée se mit à vaciller. Les traits de Gemma Ackerley se brouillèrent pour devenir ceux d'un jeune homme aux cheveux en bataille et au nez droit surmonté de lunettes. Un mouvement de surprise parcourut les membres de l'Ordre en découvrant James Potter en être de fumée au-dessus du médaillon.

- Tu n'as rien d'un héros, asséna-t-il, toujours de la même voix qui émanait de l'Horcruxe depuis le début. Pourquoi crois-tu que Sirius m'ait choisi plutôt que toi ? Tu es lâche, incapable de penser par toi-même. Tu suis aveuglément les ordres.

- Mais transperce-le ! S'écria Sirius au loin. Reg, c'est faux ! Arrête de l'écouter !

- Tu n'es plus son frère, il te l'a dit. C'est trop tard. J'ai pris ta place.

Regulus se mit à trembler. Il aurait préféré retourner au fond du lac. L'Horcruxe avait raison : James Potter était tout ce qu'il n'était pas. Loyal, courageux, drôle, expressif. Une colère brûlante s'enflamma au creux de son ventre. Il en avait assez et il s'avança à nouveau, le dard du manticore fermement dans sa main.

L'image de Potter se brouilla alors. La fumée ondula à nouveau, s'enroulant sur elle-même, puis forma une silhouette allongée. Le visage anguleux de Walburga se dessina. Puis son corps se forma, sa lourde robe, ses jambes. Sur la table, le médaillon frémissait toujours plus et produisait un cliquetis entêtant. Regulus avait la nausée. Il contempla le double de sa mère, hypnotisé et épuisé.

- Une déception ! Cracha-t-elle. Voilà ce que tu es ! Nous avions placé tous nos espoirs en toi, ton père et moi, et regarde-toi ! Un traître à son sang, un traître envers sa propre famille. Un traître au noble nom des Black !

- Réveille-toi mon garçon, l'enjoignit Edgar Bones. Bats-toi !

- Reg, tu peux mettre fin à tout ça !

- La Harpie n'a jamais su ce qu'était une famille, ne l'écoute pas !

- Tu étais censé devenir l'hériter, tu n'es même pas capable de faire mieux que ton frère ! Quelle honte pour...

Avec un cri de rage étranglé, Regulus abattit le dard du manticore. Un fracas métallique déchira l'air et un long cri aigu d'agonie retentit. Les doubles monstrueux de Gemma, Potter et Walburga hurlèrent de concert avant de disparaître brutalement. Haletant, Regulus contempla les fragments du médaillon dont le verre avait éclaté en myriades brisées.

Un silence de mort pesait sur la pièce. La soie tâchée au fond du médaillon fumait légèrement, mais les yeux sombres de Voldemort avaient disparu. L'âme qui vivait dans l'antique objet ayant un jour appartenu à Salazar Serpentard avait cessé de vivre. Vidé de ses forces, Regulus manqua de s'affaisser à genoux et il ne resta debout que grâce à Marlène qui se précipita vers lui. Il s'effondra contre elle.

- C'est terminé, lui souffla-t-elle. Je suis tellement fier de toi, Reg... C'est terminé.

D'une certaine façon, elle avait raison. C'était terminé. Mais si Dumbledore avait raison, il restait encore des Horcruxes. Il leur faudrait peut-être des années voire des décennies pour les traquer et les détruire. Peut-être que la mort de Voldemort viendrait de façon inattendue, qu'un nouvel élément viendrait encore compliquer les choses... Regulus ne voulait pas savoir. Il préférait se concentrer sur aujourd'hui et sur maintenant.

Autour de lui, les autres commencèrent à s'animer à nouveau. Les frères Prewett baissèrent lentement leur baguette, Maugrey Fol Œil et Edgar Bones s'approchèrent du médaillon avec prudence, Potter enlaça Evans dans ses bras, Sirius se laissa tomber sur sa chaise le visage pâle et Dumbledore lui adressa un sourire bienveillant mêlé de gravité.

Regulus vécut le reste de la soirée dans une sorte de brouillard, hébété. Il remarqua à peine le directeur s'éclipser, ni le dîner qui fut dressé à la va vite par Evans et Fabian. Il mangea presque par automatisme en répondant par monosyllabes aux quelques félicitations lancées dans sa direction. L'humeur semblait tellement plus légère qu'il avait du mal à s'y ajuster. Il ne savait toujours pas ce qui allait advenir de lui. Il ne pouvait décemment pas retourner chez les mangemorts, ni se battre ouvertement pour l'Ordre. Être un espion ? Pourquoi pas... Il avait mal à la tête et il se résolut à arrêter de penser. Toutes ces questions pouvaient attendre demain.

Progressivement, il émergea des brumes de son esprit et se reconnecta avec la réalité. Il se surpris à sourire aux blagues idiotes de Potter et de Sirius, aux piques pleines de verve de Gideon et Evans, et même aux grognements de Maugrey. A sa droite, Marlène souriait aussi, le visage baigné par les flammes de la cheminée. Cette même cheminée dans laquelle elle avait jeté sa lettre sans même réfléchir, simplement parce qu'elle lui faisait confiance. Une chaleur réconfortante s'épanouit dans sa poitrine et il était pratiquement certain qu'elle n'avait rien à voir avec l'âtre crépitant.

- Oh montez le son ! S'exclama soudain Potter.

Regulus reporta son attention sur l'autre bout de la table. Edgar Bones tapota le poste radio, en sourdine depuis le début du dîner, et une chanson rythmée aux accents rock and roll retentit. Il ne la connaissait pas, mais il devait avouer que son répertoire musical n'était ni très large ni très actuel. Potter, lui, était déjà sur ses pieds et tendait la main en direction de sa fiancée.

- James... rit-elle en secouant la tête.

- Allez Lily-jolie !

- Non !

- On s'entraîne pour le mariage !

Sirius siffla.

- Merci Patmol !

- T'es impossible...

Mais elle se leva malgré tout. Aussitôt, Potter l'entraîna dans une danse effrénée en la faisant tournoyer sur elle-même. Les frères Prewett se mirent à taper des mains en rythme tandis qu'Edgar Bones riait, sa pipe à nouveau calée entre ses mâchoires.

- Tu ne danses plus comme ça, hein, Alastor ? Lança-t-il à l'Auror.

- Pourquoi, tu veux que je t'invite Bones ?

- Oh non ! Cassie pourrait être jalouse !

Regulus ne s'était pas senti aussi léger depuis longtemps. Les deux fiancés dansaient toujours quand la musique changea pour une nouvelle, au tempo plus rapide encore, et Gideon se leva, enchaînant quelques pas de danse pour aller jusqu'au placard au-dessus de l'évier dont il sorti une bouteille. Le liquide ambré qu'elle contenait brilla à la lueur des flammes. Il commença à servir un verre à tout le monde et Marlène se pencha vers lui, les joues rougies par la chaleur et l'hilarité.

- Tu vas bien ? Demanda-t-elle. Ce n'est pas trop ?

- J'ai l'impression que Potter serait « trop » pour n'importe qui...

- C'est vrai. Tu veux remonter un peu au calme ?

Il hésita une seconde. Du coin de l'œil, il vit Sirius qui s'était joint à Potter, Evans et Fabian dans une folle farandole et il prit sa décision avant que quelqu'un ne lui demande de danser.

- Bonne idée. Tu... tu viens avec moi ?

Marlène haussa un sourcil, mais ne dit rien. Elle se contenta de glisser sa main dans la sienne et de le tirer sur ses pieds. Ils s'éclipsèrent sans que personne ne les remarque... Ou presque. Ils étaient au milieu de l'escalier lorsque Sirius siffla d'un air suggestif. Regulus rougit.

- Laisse-les tranquille ! Rabroua la voix de Evans. Pire qu'un enfant.

- C'est son rôle de grand frère, rétorqua Fabian. Je vous ai raconté la fois où j'ai surpris Gide et la préfète de Poufsouffle qui...

Les voix des autres s'éteignirent quand ils parvinrent au premier étage. Sans lâcher la main de Marlène, Regulus la guida vers sa chambre, ou du moins la chambre qu'on lui avait attribué dans la maison. Il n'avait jamais pensé à demander si quelqu'un d'autre l'occupait avant lui. Quand il referma la porte dans son dos, le bruit de la musique au rez-de-chaussée s'éteignit complètement.

- Folle journée, hum ? Commenta Marlène.

- On peut le dire...

Elle lui sourit.

- Je le suis vraiment, tu sais. Fière de toi. J'avais presque abandonné, je me disais que ça ne servait rien. Mais je le savais. J'avais raison d'y croire.

- Marlène McKinnon, murmura-t-il. La fille qui croyait en moi quand personne d'autre ne le faisait.

- Toujours, affirma-t-elle. N'en doute jamais. Je te l'ai dit le premier jour où on s'est rencontré dans un couloir en pleine nuit. Je prends le risque.

- Gryffondor dans l'âme.

- Si tu le dis...

Regulus laissa échapper un rire incrédule. Elle ne voyait même pas à quel point elle était courageuse. Il aurait aimé lui dire qu'il était fier d'elle aussi, plus qu'elle ne pouvait le soupçonner. Mais il n'avait pas l'honnête de Marlène, ni sa facilité avec les mots. Au lieu de cela, il se rapprocha jusqu'à venir se planter devant elle et elle ne se détourna pas. Merlin ce qu'elle avait changé depuis Poudlard. Cette version plus assurée de l'adolescente qu'il avait connue lui plaisait encore plus.

Preuve en est, ce fut elle qui combla la distance entre eux. Ils étaient si proches qu'il ne savait plus où fixer son attention sur son visage et qu'il sentait son souffle contre sa peau. Il pouvait presque sentir chaque battement de son cœur dans sa cage thoracique.

- Est-ce que je peux... ? Demanda-t-il dans un murmure.

Il avait conscience que c'était la même question qu'il lui avait posé le jour de leurs adieux à Poudlard. Et comme il y a deux ans, sa réponse fut la même.

- Evidemment, dit Marlène.

Sans réfléchir, il passa une main autour de sa taille et l'attira contre lui. Leurs lèvres se rencontrèrent avec frénésie. Il avait l'impression d'avoir attendu ce moment depuis une éternité. Il l'embrassait avidement, sans doute maladroitement, mais sans retenu. Hissée sur la pointe des pieds, elle s'accrocha à ses épaules et approfondi le baiser. Regulus aurait aimé ne plus jamais avoir besoin de respirer. Il aurait aimé que Marlène soit son oxygène.

D'un geste un peu trop précipité, il la guida vers le lit derrière eux et elle manqua de perdre l'équilibre. Ils s'accrochèrent l'un à l'autre en riant doucement, puis Marlène scella à nouveau leurs lèvres ensemble. Comme mues d'une volonté propre, ses mains explorèrent son corps, caressèrent ses hanches et effleurent la peau de ventre. Le souffle court, Marlène se laissa basculer sur le dos et il suivit le mouvement, laissant sa bouche vagabonder vers son cou, sa clavicule, la naissance de sa poitrine. Il n'avait aucune idée de ce qu'il faisait. Au creux de son ventre, une chaleur intense se diffusait et il n'avait aucune envie de l'endiguer.

Marlène émit un gémissement rauque et le repoussa doucement, haletante. Ses prunelles étaient dilatées et son teint avait pris une teinte rosée.

- Tu ne repars pas, n'est-ce pas ? Tu ne feras plus comme si... comme si tout ça n'avait jamais eu lieu ?

Regulus déposa un baiser léger sur ses lèvres écarlates.

- Tu es coincée avec moi, McKinnon, répondit-il simplement. Prépare-toi.

Le sourire éclatant de Marlène valait toutes les promesses de pouvoir au monde.

La tâche serait encore longue. Ils l'ignoraient tous, mais l'Ordre subirait des pertes, une prophétie qui changerait l'avenir du monde magique allait être prononcée, et un enfant né à la fin du mois de juillet deviendrait l'Elu. Mais cela viendrait plus tard. Regulus voulait vivre. Il préférait se concentrer sur aujourd'hui et sur maintenant. Car aujourd'hui il était en vie, il était avec Marlène, et c'était plus qu'il n'avait jamais espéré.  

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top