8. Hello, Goodbye (2/2)
Hey ! Je me demandais quand poster cette dernière partie de bonus et il se trouve que octobre est un mois d'anniversaire chargé haha ! Donc je dédie cette partie à plusieurs personnes : pepin_04 - merci Eryn pour tes vocaux debrief et ton enthousiasme franglais toujours incroyable -, aleclave66 - merci d'avoir été là depuis le début sur Booknode, j'arrive pas à croire que tu sois encore là vraiment ça me touche tellement -, tibouduboutdumonde - merci pour tes commentaires et tes encouragements incessants -, calipage75 - merci pour ton soutien et tes commentaires qui me font toujours hurler de rire tellement ils sont incroyables - , et je crois qu'il y en a d'autres donc hésitez pas à vous manifester en commentaire !
Dooonc cette partie... Si elle a le même titre que la septième, c'est parce que ça devait n'en former qu'une à la base mais ça aurait donné un texte interminable de 20 000 mots haha ! Et finalement j'ai eu assez de matière pour couper en deux. Voici la fin de cet entrecroisement entre LHDI et O&P, ça a été un plaisir infini de me glisser dans les blancs du texte de Perri. Encore merci à elle pour tout, mais surtout pour nous avoir donné cette histoire si extraordinaire.
CONTEXTE A LIRE --> Ceux qui n'ont pas terminé O&P, zou, dehors. Parce que cette partie se situe pendant le chapitre 40, soit le dernier chapitre de la fanfic juste avant l'épilogue. Il s'agit de la fête de départ de Simon et Vic chez les Bones, juste avant qu'ils ne partent en Bulgarie. Que s'est-il passé du point de vue de Julian et Noah ? C'est partiiii !
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Hello, Goodbye – Partie 2
« You say, "Yes", I say, "No"
You say, "Stop" and I say, "Go, go, go"
Oh, no!
You say, "Goodbye" and I say, "Hello, hello, hello" »
- The Beatles -
// Juin 1998 //
Les chemins de terre de Terre-en-Landes étaient immuables. Ils serpentaient entre les champs, côtoyaient les fleurs, faisaient rouler sous les pieds quelques graviers et étaient nimbés par le soleil estival, radieux en cette journée de fin juin. Le ciel bleu donnait sa dernière touche au tableau qui se déployait devant Julian. Un tableau qui n'avait presque pas changé en vingt ans et ce constat l'emplissait d'une énergie apaisante, presque rassurante.
Où que la vie le mène, quoiqu'il se passe dans le monde, les chemins de Terre-en-Landes demeureraient... Et avec eux un bout de l'esprit de Matthew et de leurs souvenirs.
Les mains dans les poches, il baissa la tête en souriant, le soleil de face. Dans un écho lointain, il pouvait presque encore entendre leurs rires alors qu'ils battaient la campagne à vélo à toute vitesse, à peine âgés de treize ans. A moins que ça ne soit les rires qui s'élevaient de la fête un peu plus loin dans le jardin des Bones... Il fallait dire que les invités étaient nombreux pour cette fête d'adieux.
Depuis qu'ils étaient arrivés il y a deux heures avec Noah, il avait dû parler avec au moins une dizaine de personnes. Alexandre Bennett, Emily, Miles, Leonidas. Et puis Victoria et Simon, bien sûr ; le couple à l'honneur du jour. Quand il avait vu le sourire rayonnant de Victoria en les découvrant, il s'était dit qu'elle lui manquerait... D'un coup, la Bulgarie lui avait semblé l'autre bout du monde, et en même temps il ne pouvait pas être plus fier d'elle. Il repensa au petit bout de femme qu'il avait accueilli chez eux l'hiver dernier, un œil toujours derrière son épaule, le corps tendu ; et celle qu'il avait retrouvé au printemps dernier après son emprisonnement au Ministère, le visage hanté par les sévices qu'on lui avait fait subir. Aujourd'hui, des mois plus tard, la transformation était impressionnante et en même temps peu étonnante. L'éclat solaire de Victoria avait toujours été là sous la surface, il n'attendait qu'un bout de ciel bleu pour se montrer et il semblerait que ce jour était arrivé. Simon aussi semblait apaisé ceci dit. Comme si une page de son passé était enfin tournée avec la fin de la guerre et que, même si les traumatismes accumulés seraient toujours là, il pouvait enfin aller de l'avant. Leur départ marquait cela. Pas une fuite en avant non ; mais une avancée. D'une certaine façon, Julian les comprenait parfaitement. Il avait lui-même eu besoin de partir aux Etats-Unis, puis de tout quitter et revenir en Angleterre, pour ressentir ce sentiment. Et l'occasion était en plus parfaite pour réunir toutes les personnes qui leur étaient proches une dernière fois.
Les petits-fours venaient juste d'être servis quand il avait fini par trouver l'ambiance un peu trop étouffante et qu'il avait eu besoin d'aller se promener un peu. Ou peut-être que l'ombre de la grande demeure des Bones commençait à gagner un peu trop de terrain sur le jardin avec le déclin du soleil... Toute la journée, il l'avait évité soigneusement. Ça avait été sa seule condition lorsque Noah lui avait montré l'invitation, une pointe d'inquiétude au fond de ses yeux. Oui, il acceptait de revenir chez les Bones pour la fête, mais seulement dans le jardin.
Il s'en était cru capable, il s'était dit que son esprit serait assez distrait par la foule et l'atmosphère festive. Et ça avait été vrai pour quelques heures, vraiment ; mais il venait d'atteindre sa limite. Heureusement, la campagne du Gloucester ne décevait jamais. Surtout, il savait ce qu'il avait à faire. Il reculait le moment depuis trop longtemps. Passer du temps avec Simon – tisser un lien entre eux – lui avait fait réaliser une chose ces dernières mois : il ne pouvait pas continuer à laisser un souvenir le dévorer, ni même contrôler ses peurs. Un jour, il fallait bien l'affronter. En le voyant prêt à s'éloigner pour aller faire un tour, Noah lui avait demandé s'il voulait qu'il l'accompagne, mais il s'était contenté de secouer la tête. Ça faisait bien trop longtemps que Noah lui tenait la main sur ce sujet.
Partagé entre l'apaisement apporté par l'atmosphère estivale et le poids dans sa poitrine, Julian arriva enfin devant la grille en fer forgé qu'il cherchait. Accolé à l'église, le cimetière de Terre-en-Landes était radieux sous le soleil, exactement comme la dernière fois qu'il y était venu. Il poussa le portail avant de changer d'avis.
L'herbe était d'un vert éclatant et tranchait avec le gris des vieilles pierres tombales, pour certaines centenaires, et il s'avança jusqu'au mausolée le plus grand. Surplombé d'une statue de la vierge aux traits fins inspirés il le savait par une ancêtre des Bones, la tombe aurait presque pu être belle si elle ne lui arrachait autant pas le cœur. Il la contempla quelques secondes avant de lever sa baguette et d'ouvrir la terre sous ses pieds, révélant l'escalier de pierre qui menait en-dessous du mausolée. Tel Orphée plongeant aux Enfers, il s'enfonça dans le passage.
Dès qu'il entra, la fraîcheur du lieu enveloppa sa peau chauffée par le soleil avec bienveillance et il s'autorisa à mieux respirer. Le silence emplissait tout l'espace, étonnamment vaste. Le jour de l'enterrement des Bones, il n'était pas descendu, préférant laisser la famille se recueillir. Il avait eu trop de choses à penser, comme récupérer quelques affaires dans la chambre de Matthew et s'occuper de Charity en train de vomir contre le côté de la maison. La caveau était en réalité étrangement lumineux pour un lieu qui se trouvait dans les entrailles du village : un puit de lumière éclairait la roche nue, les racines et le lierre qui courraient le long des murs, la source d'eau clair et surtout les plaques de marbres aux teintes différentes qui donnaient des touches de couleur bienvenue, comme un arc-en-ciel sous-terrain. D'un long regard, Julian parcourut les noms gravés.
« Seraphina Bones », « Edmund Bones », « Antonia Bones », « Amelia Bones », « Edgard Bones »... La plupart avait des symboles gravés en-dessous, reflets de ce qu'ils avaient été de leur vivant. Et là, juste à côté de celle de Spencer, il découvrit la tombe au marbre rouge frappé de la constellation du lion.
Matthew Leo Bones
Ses yeux le piquèrent brusquement et il sentit sa gorge s'obstruer d'une boule douloureuse. La sensation était si familière désormais – si rattachée à son meilleur ami – qu'il ne chercha pas à la repousser. Du rouge. Un lion. Des lettres presque dorées grâce à la lumière qui les frappait. Jusqu'au bout, même dans la mort, Matthew Bones était un Gryffondor. Un garçon tête brûlée qui avait voulu arrêter une guerre à la seule force de sa volonté, qui n'avait pas supporté qu'on s'attaque à sa famille...
Que dirait-il aujourd'hui s'il voyait celle que Simon s'était créé, dispersée sur la pelouse de leur maison ancestrale en train de fêter la chute des ténèbres ? Julian sourit. Il aurait été heureux, voilà ce qu'il aurait été. C'était une certitude.
Une seconde, il songea à parler. A dire à Matthew toutes les choses qu'il s'était imaginé lui dire en plus de dix ans, mais il renonça. Ça n'aurait été qu'une illusion. C'était simplement une plaque de marbre devant lui, pas son meilleur ami... Mais ce n'était pas grave. Il savait vivre sans Matthew. Il avait une vie sans lui. Il fallait simplement qu'il le laisse partir, exactement comme il laissait partir Simon aujourd'hui. Laisser partir ne signifiait pas oublier, ni même renier, et encore moins arrêter de se souvenir. Ça signifiait seulement ne pas se laisser écraser par un poids paralysant ni s'empêcher de vivre. Et Merlin, il avait encore tant de choses à vivre...
Lentement, il ressortit sa baguette. La main tremblante, il fit apparaître une fleur aux pétales jaunes, au cœur marron, et encore à la couleur plus éclatante que le marbre rouge de la tombe. Il la posa au sol, juste en dessous du nom de Matthew, l'image d'une jeune fille en robe tournesol dansant sur du rock à Liverpool.
- Si vous êtes ensemble quelque part, tu la donneras à Charity, souffla-t-il malgré sa résolution de ne pas parler.
Il n'était pas religieux pour une mornille, ne croyait même pas en quoique ce soit après la mort, mais l'idée lui sembla soudain profondément juste. Matt et Charity, enfin ensemble...
La respiration plus légère, il remonta vers la surface. Les marches en pierre, lisse et polissé par le temps, lui semblaient étrangement plus stables sous ses pieds et il ressortit à l'air libre avec l'impression d'avoir laissé quelque chose derrière lui dans ce caveau. Ebloui par le soleil, il marqua une pause une seconde le temps de retrouver sa vision, puis aperçut soudain une silhouette près du portail. Il mit sa main en visière devant son visage. Sa première pensée fut pour Noah, mais la stature était plus mince et moins grande.
- Simon... reconnut-il en avançant vers lui entre les tombes, surpris.
- Hey...
- Qu'est-ce que tu fais là ? Tu devrais être à la fête.
Il arriva à sa hauteur, sourcils froncés, et Simon se frotta l'arrête du nez, les pieds râclant l'herbe d'un geste machinal.
- Ils survivront sans moi cinq minutes, rassura-t-il. C'est juste que... Je t'ai vu partir et... je sais pas, je me doutais que je te trouverais aussi.
- Oh...
Presque de concert, ils jetèrent un coup d'œil à la statue de la Vierge un peu plus loin, conscients tous les deux de ce qu'elle représentait. Il se sentit soudain mal à l'aise sans bien savoir pourquoi.
- J'espère que ça ne te dérange pas, s'empressa-t-il de dire. Que je sois venu ici... j'avais juste besoin de...
Besoin de quoi ? Il n'aurait pas su le définir et il lui aurait sûrement fallu dix ans de thérapie à retardement pour le faire, mais Simon secoua la tête immédiatement et ses épis blonds accrochèrent un rayon de soleil.
- Non, non, évidemment. T'as le droit de... Je veux dire, y'a pas de problème.
- Ok... Et toi ? Tu voulais... ?
Il désigna vaguement le mausolée derrière eux et Simon fit à nouveau « non » de la tête.
- Plus tard, fit-il d'une voix rauque. Si je descends maintenant, je ressortirai plus... Je veux attendre et y aller avant de partir.
- Je comprends. (Ça lui paraissait toujours un peu surréel que lui et Victoria partent à l'autre bout de l'Europe si vite). T'as encore un peu de temps de toute façon... La Bulgarie alors, hum ?
- Ouais. Je sais que ça peut paraitre un peu soudain, se défendit Simon avec un haussement d'épaule, mais on en a pas mal parlé avec Vicky. C'est vraiment ce qu'on veut.
Rien de vraiment étonnant. Le projet paraissait brusque – voire radical – mais un changement de paysage après les épreuves endurées était peut-être la meilleure chose pour eux. Il en savait quelque chose. Il mit un point d'honneur à montrer sa compréhension en hochant la tête et approuva d'un ton léger :
- Oh ça j'en doute pas. Ca sera toujours plus réfléchi que quand Noah a décidé de débarqué en Angleterre.
Simon eut un demi-sourire et roula des yeux.
- Te vexe pas, lança-t-il avec une pointe de sarcasme, mais ce n'est pas dur d'être plus réfléchi que Noah.
- Touché.
Ca faisait longtemps que Simon n'avait pas fait de piques envers Noah, il devait s'estimer heureux. A bien y réfléchir, quelque chose semblait avoir changé entre eux depuis la sortie de Victoria du Ministère et leurs retrouvailles à Oxford il y a quelques mois, même s'il n'aurait pas su dire quoi exactement. Il s'apprêtait à lui demander, curieux, mais capta du coin de l'œil l'attitude soudain plus gardée de Simon. Appuyé contre la grille du cimetière, il semblait chercher ses mots avec hésitation, les yeux plissés à cause du soleil.
- Julian... entonna-t-il prudemment.
Son prénom sonna comme une question et il se tourna vers lui plus franchement, attentif.
- Oui ?
- Est-ce que... ? Je veux dire...
Simon se râcla la gorge, puis recommença :
- Tu m'en veux ? lâcha-t-il finalement. Pour l'IRIS ? De ne pas revenir ?
- Oh...
Il ne s'était pas attendu à cette question. A vrai dire, ils n'avaient pas réabordé le sujet ensemble depuis sa dernière venue à Terre-en-Landes, le jour où il avait réussi à établir que Victoria était vivante grâce au bosquet de fleurs en sommeil devant la maison des Bones. Ce jour-là, le ciel avait été bas et plombé, bien différent d'aujourd'hui où le bleu estival agressait presque la rétine. Simon lui avait avoué qu'il ne comptait pas revenir à l'IRIS, qu'il s'en sentait incapable... Que ça n'avait plus eu de sens pour lui.
La guerre terminée, il aurait menti en disant qu'il n'avait pas espéré le revoir mettre un pied dans la prestigieuse université d'Oxford pour reprendre son année inachevée, mais les cours touchaient presque à leur fin et ça n'aurait servi à rien de revenir en mai alors que les vacances étaient si proches. Avant même qu'il ne puisse évoquer la rentrée prochaine, Simon avait de toute façon annoncé son départ en Bulgarie et ses espoirs s'étaient donc envolés. Ce n'était pas sa décision à prendre après tout.
Pourtant, il fut surpris de constater que Simon avait l'air d'attendre sa réponse, nerveux. Comme si une part de lui accordait de l'importance à ce qu'il pouvait bien dire de sa décision d'abandonner ses si brillantes études pour partir en Bulgarie sur un presque coup de tête, pour suivre Victoria... Il s'en retrouva étonnement touché.
- Ca dépend... articula-t-il après quelques secondes, le temps d'appréhender la question. Tu veux la réponse de qui ? De ton tuteur et professeur ou de ton... ami ?
Le mot eut presque une consonnance étrange. Il avait été l'ami de Matthew. Pas de Simon. Du moins, pas avant ces derniers mois. Le terme n'était peut-être même pas approprié, peut-être qu'il n'en existait même aucun pour définir leur étrange relation fondée sur une confiance aveugle – Simon lui avait remis la sécurité de Victoria entre les mains après tout et il avait accepté de mettre Noah et lui-même en danger pour l'aider – et des traumatismes partagés. Toujours appuyé contre la grille en fer, Simon fit courir ses doigts sur la serrure rouillée et haussa les épaules.
- Les deux ? répondit-il avec réticence.
- Si tu veux. Mais la réponse est la même : non, je ne t'en veux pas. Pas une seconde. (Il mit autant de conviction que possible dans sa voix et soupira). Est-ce que je suis déçu de ne pas finir ton projet d'étude alors que t'étais surement un de mes étudiants avec le plus de potentiel ? Peut-être un peu, oui. Mais est-ce que je pense que ça vaudrait que tu restes ? Non. A aucun moment.
- Vraiment ?
Il secoua la tête en souriant.
- Vraiment, affirma-t-il. Si les circonstances avaient été différentes, ça devrait même faire longtemps que t'aurais dû partir d'ici. Voir autre chose, te détacher de tout ce qui s'est passé dans cette maison, dans ce village... Je pense que la Bulgarie peut t'apporter ça. Tu verras, tu seras sûrement dépaysé un moment, c'est normal, mais au final... tu gagneras bien plus que si tu étais resté.
- Tu parles d'expérience ? fit Simon, amusé.
- Sans doute un peu, oui. Le décalage horaire en Amérique était horrible au début.
- Je note. Mais y'a que deux heures de décalage entre Londres et la Bulgarie, ça devrait aller. C'est plus la langue qui m'inquiète.
Il grimaça. La barrière de la langue avait au moins été un souci auquel il n'avait pas eu à faire face. Quoique... Décoder le Noah Douzebranches au début avait été compliqué.
- T'apprendras, c'est comme les sortilèges, relativisa-t-il, rassurant. Ça ne viendra pas tout seul, il faudra que tu travailles, mais t'as jamais eu de mal à apprendre, Simon. Fais les choses à ton rythme, tu verras le reste ensuite... Et si t'as besoin de moi pour reprendre les études de sortilèges sous une forme ou une autre ou pour autre chose, tu sais où envoyer ta lettre.
Simon le contempla, solennel. Dans ses prunelles vertes, il lut une touche d'émotion indéniable et il sentit la sienne le saisir à la gorge en retour. Au travers du silence qui s'étira entre eux, il entendit le remerciement muet de Simon, leur histoire commune et celle encore à venir. Intérieurement, il se fit cette promesse. Histoire à venir il y aurait. Il refusait de faire comme il y a quinze ans et ne pas prendre des nouvelles, laisser Simon à son sort et sa nouvelle vie... Il ne l'avait retrouvé pour laisser la distance déconstruire tout ce qu'il avait réussi à bâtir entre eux.
- Merci... souffla Simon. Je crois que... c'est ce que j'avais besoin d'entendre.
- Avec plaisir. Et dernière chose : je sais que je l'ai déjà dit et que t'en as certainement marre, mais... Matthew aurait été fier de toi. Autant que moi. J'en suis sûr.
- Merlin, Jules... Arrête avec ton sentimentalisme.
L'utilisation de son surnom – et l'ironie qui colorait toujours la voix de Simon depuis qu'il l'avait utilisé la première fois pour faire enrager Noah et qu'il prenait à chaque fois pour se moquer de lui désormais – ne suffirent pas à masquer l'indéniable : Simon était touché. Il battit même des cils, signe qu'il luttait sans doute contre quelques larmes traîtresses, et Julian laissa échapper un rire sous cape.
Au bout de quelques secondes pourtant, Simon se reprit et se redressa, le regard porté vers sa maison au loin.
- En vrai... je me dis que j'essaye de vivre la vie qu'il a pas pu vivre, tu vois ? dit-il d'une voix rauque. Et que c'est déjà un bon début.
- Un excellent, oui. Je comprends...
Et Merlin seul savait qu'il comprenait. Il vivait la même chose depuis un moment. Aujourd'hui marquait d'ailleurs les dernières étapes qu'il se devait d'affronter. En descendant dans le caveau, il en avait franchi une première. Restait encore la seconde. Avec fatalisme, il désigna les chemins de terres à Simon et lui fit un signe en guise de proposition :
- On y retourne ? Rose va finir par se demander où t'es passé.
- Oh Merlin, elle a fait une blague tout à l'heure. Elle voulait m'attacher à l'arbre à côté de la maison pour ne pas que je parte. Le pire ? Je crois qu'elle plaisantais à moitié.
- Ca lui ressemblerait bien. Mais t'inquiète pas, c'est normal. La dernière fois qu'on est allés aux Etats-Unis voir la tante de Noah, j'ai cru qu'elle allait reprendre le portoloin transatlantique avec nous, raconta-t-il. Et pourtant, il est parti de chez elle depuis ses dix-neuf ans. Donc prépare toi, ça risque de durer.
La perspective parut horrifier Simon et il éclata de rire alors qu'ils refermaient la grille du cimetière. Ils reprirent le chemin de la fête et suivirent le bruit des rires, laissant les tombes silencieuses derrière eux.
**
*
Il perdit Simon presque trois secondes après avoir remis un pied dans le jardin des Bones. Happé par une Emily Fawley survoltée, il n'eut aucune de chance et Julian le regarda s'éloigner avec une pointe de nostalgie. C'était idiot, il allait revoir Simon avant son départ après tout, mais il sentait qu'il venait sans doute d'avoir leur dernière grande conversation avant un moment... A bien des égards, il avait enfin l'impression de voir Simon grandir et s'épanouir, sortir de son rôle d'enfant éprouvé par le drame qui l'avait frappé à trois ans. Il sortait enfin du placard en quittant cette maison et l'idée le rassurait.
Celle qui la rassurait moins en revanche était qu'il rentrait, lui, dans cette maison. Il n'y avait plus mis les pieds depuis l'enterrement de Matthew. Même lorsqu'il était venu visiter Simon après la rafle de Victoria, il avait tenu à rester sur le porche, incapable de passer le seuil. C'était psychologique à ce stade, il le savait, Noah le lui avait déjà dit aussi... Mais la symbolique était trop forte. A ses yeux, la grande maison était bien plus un tombeau que le caveau dans le cimetière : c'était en son sein que la famille Bones avait été assassinée, c'était au-dessus de son toit que la Marque des Ténèbres avait flotté, et c'était surtout dans l'escalier que le corps de Matthew avait été retrouvé. L'escalier juste en face de l'entrée qu'il vit dès qu'il pénétra à l'intérieur et qui lui vola son souffle une seconde.
La maison lui parut presque étrange sur le coup, comme sortie d'un rêve. Semblable à ses souvenirs et aussi radicalement différente. La mère de Matthew n'avait jamais vraiment été une femme d'intérieur, trop prise par son métier d'Auror, et même s'il savait que Rose Bones occupait une place plus qu'importante au sein de la Justice Magique, l'arrangement de la maison lui avait davantage tenue à cœur que Cassiopée. La touche de Rose était en tout cas visible un peu partout dans des détails, de la décoration aux tableaux en passant par certains meubles... Les photos de Matthew et Spencer avaient été remplacées par celles de Caroline et Susan qu'il reconnut vaguement tant elles avaient grandi par rapport aux quelques photos d'enfance qu'il avait pu voir en venant ici adolescent. Pourtant, l'essence des Bones demeurait dans le choix des couleurs, dans la simplicité de la vie de famille qui se dégageait toujours de l'espace...
Et toujours ce maudit escalier qui menait à l'étage.
Julian eut envie de s'effondrer. Vacillant, il se rattrapa à la rampe en bois patiné par le temps et se laissa glisser au sol, assis sur la première marche. Il ferma les yeux fort, à s'en faire mal, jusqu'à voir des points de couleurs danser derrière ses paupières closes. Il imagina alors parfaitement ce qui avait pu se dérouler cette nuit-là : Cassiopée et Edgar, si imposants tous les deux, en train de se battre avec la force du désespoir contre ceux qui menaçaient leur famille ; Matthew se précipitant dans les escaliers puis chutant sur les marches, le corps privé de vie comme un pantin désarticulé ; les pleurs de Spencer et de Simon à l'étage... Le souffle court, il rouvrit les yeux. Simon était là, dehors dans le jardin. Il allait bien. Les mangemorts n'étaient plus, la guerre était terminée. Alors pourquoi il avait l'impression que malgré les victoires, il avait perdu quelque chose d'irrémédiable ? C'était sans doute le paradoxe qui le dévorait depuis la fin de la première guerre : aucune paix ne pourrait lui rendre Matthew. Rien de rendrait sa famille à Simon. Et c'était injuste. Il était un Serdaigle dans l'âme – il l'avait toujours été – mais sur ce point précis, il comprenait la valeur des Poufsouffle au plus profond de lui. L'injustice d'une vie fauchée trop tôt laissait un goût amer à toute guerre gagnée.
- Tout va bien ? Vous vous sentez bien ?
La voix profonde le fit sursauter. La gorge obstruée par ses émotions, il releva la tête pour voir un homme aux cheveux grisonnants et au visage doux l'observer depuis le seuil. Il se tenait à distance respectueuse, mais son inquiétude était visible dans ses yeux clairs. Des yeux plus que familiers et pour cause il les avait croisés tous les jours pendant des mois cet hiver sur le visage de Victoria.
- Révérend... souffla-t-il en le reconnaissant avec un temps de retard, désorienté. Hum... oui, oui, tout va bien. Je vous remercie.
- Vous en êtes sûr ? insista Edward Bennett. Vous voulez que j'aille chercher votre... ami ?
Le terme sonna étrange, teinté d'une légère hésitation, et Julian se crispa d'instinct. Il n'y avait pourtant rien de méchant dans la formulation, ni même vraiment de jugement, mais ça ne rendait pas moins le mot impropre. Comme s'il servait à nier une réalité – sa réalité – plutôt que de s'y confronter. Un euphémisme pour arranger tout le monde en somme, mais sa patience avait été trop éprouvée aujourd'hui pour qu'il laisse passer comme il le faisait d'habitude.
- Noah n'est pas mon ami, corrigea-t-il sèchement.
Le révérend parut pris au dépourvu une seconde. L'air gêné, il lâcha un « oh... bien sûr » à peine articulé, sourcils froncés, puis eut un mouvement d'hésitation comme s'il ne savait pas s'il devait ressortir dans le jardin ou rester ici. Finalement, il prit sa décision et s'avança vers lui à pas légers.
- Vous avez raison, veuillez me pardonner, s'excusa-t-il avant de désigner la marche sur laquelle il était assis. Puis-je ?
- Euh... oui, oui, allez-y.
Surpris à son tour, il se décala néanmoins et le père de Victoria vint prendre place à côté de lui avec une grimace.
- La terre est basse et mes genoux ne sont plus ce qu'ils étaient, commenta-t-il dans un rire étouffé. Mais qu'importe. A vrai, je vous cherchais. Julian, c'est cela ?
- Oui, c'est ça...
- Vous êtes le professeur de Simon si j'ai bien compris ?
Cette fois, il hocha la tête. Le titre lui sembla pour la énième fois réducteur, mais il n'eut pas la force de détailler et le révérend Bennett ne poussa de toute façon pas plus loin. Les mains nouées sur ses genoux, il regardait devant lui, les yeux portés vers une grande commode poussée contre le mur de l'entrée et sur laquelle s'étalait plusieurs photos de famille. L'une d'elle représentait Rose et Georges avec leurs deux filles et Simon, sûrement juste avant son entrée à Poudlard. Le révérend sourit.
- C'est amusant quand on y pense, non ? pointa-t-il, presque mélancolique. On élève nos enfants pour les voir s'épanouir, pour les voir grandir... Mais le jour où ils le font vraiment et quittent le foyer, c'est une partie de nous qui s'en va aussi. Et on ne pourrait pas en être plus fier malgré tout.
- J'imagine...
Il tenta de ne pas laisser son amertume filtrer dans sa voix et se reprit, sincère :
- Et vous pouvez l'être. Fier, je veux dire. De votre fille.
- Oh je le sais, affirma Edward Bennett d'un ton tranquille.
Attendri, son regard se déporta vers la porte ouverte, comme s'il pouvait voir ou entendre Victoria même d'ici. Puis, lentement, il se tourna à nouveau vers lui.
- Durant toute cette année, nous avons tous vécu des épreuves bien difficiles, entonna-t-il avec sérieux, la voix légèrement tremblant. Mais la mienne a justement été de me demander si... si je reverrai ma fille un jour. Si je la verrai grandir et quitter le foyer. Aujourd'hui, je sais que mes prières ont été entendues et que c'est le cas. Mais je n'oublie pas ce que je vous dois également.
- Mr Bennett...
- Non, laissez-moi terminer. C'est important que vous l'entendiez. Depuis que la magie est entrée dans nos vies, je pensais m'être résigné à ne pas pouvoir partager cette partie de sa vie, ni même l'en protéger le jour venu... Or, ce jour est venu où je me suis retrouvé démuni et incapable de la protéger contre ce qui la menaçait. J'ai dû partir pour mettre ma famille à l'abris en la laissant derrière et j'en porte encore la douleur dans ma poitrine. Mais je l'ai retrouvé. Et c'est le plus important.
Les yeux noyés d'émotion, il inclina la tête avec reconnaissance et Julian resta immobile, touché.
- Donc je vous remercie. Sincèrement. Vous l'avez accueilli chez vous. Vous avez protégé ma fille quand je ne pouvais pas le faire. Vous et votre... compagnon. Tout le reste n'a que peu d'importance à mes yeux.
La seconde d'hésitation marquée avant le compagnon passa presque inaperçue tant la sincérité imprégnait chaque mot de l'homme en face de lui. Emu, il baissa la tête une seconde, le temps de chercher les siens et finit articuler dans un souffle :
- Vous avez une fille exceptionnelle, révérend. Et ça a été un plaisir de l'accueillir chez nous, vous n'avez pas à me remercier. Elle le méritait amplement.
- Peut-être. Mais beaucoup d'autres qui l'auraient mérité n'ont pas eu cette chance, regretta Mr Bennett avant d'insister, bienveillant. Vous avez donné cette chance à ma fille. Je ne pourrais jamais vous remercier assez, ni vous rendre la moitié de ce que vous m'avez donné en faisant cela, mais je peux essayer. Si vous avez besoin de quoique ce soit, ma porte vous sera ouverte.
La proposition, sincère, le réchauffa de l'intérieur ; une sensation si contrastante avec l'émotion glacée qui avait habité sa poitrine depuis qu'il était entré dans la maison qu'il en frissonna presque. Il observa le révérend avec intensité. Quelques rides commençaient à plisser son regard clair, mais son visage irradiait le calme et la reconnaissance. C'est peut-être ce qui le poussa à formuler sa réponse avant de bien y réfléchir.
- Célébrer un mariage entre « amis », vous accepteriez ? lança-t-il avec ironie. Ou tout simplement prôner pour que « tout le reste » n'ait pas d'importance aux yeux des autres et de la loi non plus ?
Son ton ne laissait pas de place au doute : il ne croyait pas lui-même à ce qu'il proposait, mais il supposait qu'on ne pouvait pas vivre avec Noah depuis plus de quinze ans et ne pas gagner un peu de sens de la provocation au passage. Dans tous les cas, le révérend Bennett ne s'attendait visiblement pas à cette répartie et il ne sut pas comment répondre immédiatement, laissant un silence s'étirer entre eux.
- Pardon, s'excusa-t-il avec un temps de retard, je ne voulais pas...
- Non, non, c'est moi, coupa le père de Victoria. Je comprends votre... position. J'ai sans doute été maladroit tout à l'heure, ce n'était pas mon intention. Simplement, même si ça ne remet en rien en cause ma reconnaissance, j'ai peur que nous n'ayons des visions opposées sur la question.
- Sûrement, oui...
Ce n'était pas dur à deviner, ni même à comprendre, mais il s'en retrouva malgré tout crispé. Il se retrouva à argumenter sans bien savoir pourquoi :
- L'amour n'est pas le premier principe de la religion pourtant ? Celui qui prévaut sur tout ?
Le révérend eut un sourire contrit.
- Si c'était si simple... Oui, l'amour est un principe fondateur, c'est vrai. Mais il en existe d'autres avec lesquels ce type... d'inclinaison n'est pas compatible, je le crains.
- Hum...
- Ne prenez pas cet air circonspect, je n'invente rien, déclara Mr Bennett sans se départir de son sourire. Si vous voulez une explication sommaire, alors disons que Dieu a crée l'homme et la femme à son image. Ils sont créateurs eux aussi. Dieu a créé le monde et l'homme et la femme créent la vie en s'unissant dans le mariage. (Il ouvrit les mains, fataliste). Je pourrais vous donner le mariage, mais pas la création... Or, c'est une des finalités que l'Eglise donne à une relation.
- Je croyais que la finalité était de renforcer l'amour entre les époux ?
C'était en tout cas un vague souvenir qu'il gardait des quelques dimanches où sa grand-mère Jeanne, moldu, l'avait emmené avec elle à l'église de son village.
- C'en est une autre, c'est vrai, reconnut le révérend. Mais encore une fois, ce n'est pas la seule. La procréation et l'amour sont les deux finalités indissociables pour la foi.
- Mais l'amour ne prévaut pas, c'est ça ?
- Ce n'est pas comme ça qu'il le faut voir, Julian. Pour moi, c'est ce que Dieu a voulu et la volonté de Dieu est justement aussi de vouloir le bonheur des hommes... A partir de là, on ne peut pas sortir de ce schéma. Mais vous avez tout à fait le droit de ne pas penser la même chose. Je dirais même que c'est naturel.
A la façon dont il prononça le mot, Julian comprit que le choix n'était pas innocent. Il avait plutôt l'habitude d'être renvoyé à l'idée que ses sentiments étaient contre-nature et il accepta la main tenue en ravalant un peu son amertume. Le révérend Bennett prit soudain une expression plus grave, puis poursuivit d'une voix calme :
- Vous savez, il y a un autre principe de l'Eglise qui me semble important à retenir à ce sujet. La première valeur inhérente à notre foi, c'est la charité, c'est-à-dire aimer et aider son prochain. La seconde, c'est se rappeler que tous les hommes sont des pécheurs, c'est dans la nature. Personne n'est parfait et le jugement ne peut venir que de Dieu lui-même.
- C'est un beau principe, souffla Julian, dubitatif. Mais désolé de vous le dire, le jugement est quand même émis un peu trop souvent.
- Sans doute. Je le regrette. Mais je pense que nous avons trop tendance à oublier une évidence pourtant importante : l'Eglise est une institution humaine. Et à ce titre, elle est faillible. Certaines choses sont dictées par Dieu, bien sûr, et sont immuables... Mais d'autres sont interprétées par les hommes. Elles changent avec le temps, les sociétés, les sciences... L'avenir nous le dira. Mais voilà mon conseil : il faut distinguer l'immuable du faillible, ça serait une erreur de vouloir une Eglise sans erreur. Il faut lui appliquer en tant qu'entité la même charité que nous témoignons aux hommes car finalement... n'est-ce pas la même chose ?
La question, pleine de sagesse, resta suspendue entre eux. Il ne trouva rien à répondre sur le coup, sensible à l'argumentaire sans être totalement en accord avec ce dernier. Il voyait bien que Mr Bennett était sincère dans sa croyance, porté par la sérénité, mais quelque chose au fond de lui n'arrivait pas à atteindre le même état d'esprit. Parce que ça ne changeait rien à sa réalité. Tous les beaux principes du monde ne changeraient pas qu'il se sentirait toujours un peu à part et que prendre Noah par la main pouvait représenter un danger.
- Je comprends votre point de vue, répondit-il finalement, mais ça ne change pas grand-chose pour moi, non ? Si seule une relation entre un homme et une femme au sein du mariage est reconnue, alors ça veut dire que je n'ai pas ma place dans cette vision.
Le révérend Bennett soupira.
- Peut-être pas, non... Mais sachez que techniquement, l'Eglise ne vous rejette pas. Vous pouvez entrer dans un lieu saint, discuter avec des religieux. Nous nous devons d'avoir une posture d'écoute, voire d'acceptation. Dans l'idéal, il faut juste que... ce type de relation ne soit pas consommée, expliqua-t-il dans un raclement de gorge gêné. Il faut qu'il y ait aussi la volonté de tendre vers le droit chemin ou tenter d'y revenir par un travail sur soi ou du moins vivre dans l'abstinence afin de respecter les lois divines. Mais j'ai conscience que dans notre monde, cela parait incongru.
Il posa ce constat avec défaitisme et une pointe de résignation et Julian fit pianoter ses doigts contre son genou, mal à l'aise. Il n'avait pas besoin d'expliquer à Mr Bennett qu'il avait raison et qu'il y a bien longtemps que sa relation avec Noah avait été « consommée » pour reprendre son expression. Surtout, l'idée de revenir dans le droit chemin ou même qu'un travail sur soi serait nécessaire afin de parvenir à changer d'inclinaison résonnait en lui douloureusement. Il repensa à son adolescence, à la souffrance qu'il s'était imposé en essayant de se persuader qu'il pouvait résoudre ce qui n'allait pas chez lui en se forçant à aimer Hanna, ou même à Zack Ledwell, son camarade d'Ilvermorny, que les médecins avaient tenté de « guérir » à coups de chocs électriques.
En fait, il aurait juste voulu que quelqu'un lui dise pour une fois qu'il n'avait rien à changer en lui... Qu'il n'était pas une erreur, ni même différent. Le rêve paraissait lointain, immatériel... Et c'était évident que les croyances du révérend l'empêchaient de tenir un discours aussi simple, même avec toute sa bonne volonté.
- Julian ? dit justement ce dernier, l'air songeur.
- Oui ?
- Vous me permettez une dernière réflexion sur la question ?
- Bien sûr, accepta-t-il.
Mr Bennett le regarda à nouveau avec intensité. Il ne souriait plus, mais tout dans sa posture indiquait une certaine acceptation.
- Il y a un évangile qui dit une chose. Une chose qui, je crois, a bien plus de valeur que tout le reste et doit être pris en compte, affirma-t-il avant de réciter d'un ton solennel. « Au soir de notre vie, nous serons jugés à l'aune de l'amour que nous aurons donné ». Evangile selon Saint-Mathieu. Et vous, Julian, vous avez donné de l'amour. C'est le plus important, comme je vous le disais au début.
Il inspira un souffle tremblant. Le hasard – qui devait être effectivement divin à ce stade – que l'évangile cité soit celui de Mathieu fit remonter son émotion en flèche et il se retint de fermer les yeux à nouveau. Si quelqu'un d'autre avait donné de l'amour, c'était bien Matthew : son dernier acte avait celui de protéger sa famille, de sacrifier sa vie en la finissant comme il l'avait vécu, c'est-à-dire avec intensité. Et même s'il ne croyait en aucun jugement après la mort, il espéra paradoxalement que cela compte pour quelque chose pour son meilleur ami.
- Merci, révérend, murmura-t-il.
- Avec plaisir.
Dans le regard qu'il posa sur lui, il sut que le père de Victoria savait. Que lui aussi avait connu Matthew et qu'encore une fois ses paroles étaient sans doute plus réfléchies qu'il n'y paraissait.
- Jules ?
Tous les deux, ils se tournèrent d'un même mouvement vers l'entrée pile à l'instant où Noah entrait dans la maison. Il les découvrit là, toujours assis en bas de ce maudit escalier et s'arrêta, surpris. Ses yeux bleus firent la navette entre eux et les marches dans leur dos, l'air d'analyser la scène dans son entièreté, puis il pencha la tête sur le côté, alerte.
- Tout va bien ? fit-il, prudent.
Il pesa sa réponse avant de la dire à voix haute, mais se surprit à être sincère en le rassurant :
- Ouais, tout va bien...
- Nous discutions simplement, renchérit le révérend Bennett. Mais je vais vous laisser tous les deux. Merci encore, Julian. Pour tout.
- Merci à vous...
Il n'aurait su dire exactement pourquoi tant la conversation lui avait semblé importante, mais l'homme d'église ne s'en formalisa pas. Il se contenta de lui adresser un dernier sourire bienveillant avant de se lever, une grimace au coin des lèvres alors qu'il touchait son genou ; puis commença à s'éloigner. Alors qu'il passait à côté de Noah, il marqua tout de même un temps d'arrêt devant lui.
- Quand vous aurez terminé, vous voudrez bien venir me voir avant la fin de la fête ? s'enquit-il. J'aurais quelques mots à vous dire.
Julian sourit. Il ne doutait pas que Noah allait avoir droit aux mêmes remerciements au sujet de Victoria qu'il venait de recevoir. Pris au dépourvu, ce dernier plissa pourtant les yeux avec méfiance.
- Quelques mots ? répéta-t-il, l'air de ne pas comprendre de quoi il s'agissait.
- C'est cela même. Ça me semble important.
- Ah...
Noah dévisagea le révérend Bennett comme si le pape, les témoins de Jéhovah et tous les scouts d'Angleterre s'apprêtaient à surgir pour lui faire un sermon.
- Je suis athée, précisa-t-il alors précipitamment. Juste pour être clair.
Il se prit la tête entre les mains, amusé et désespéré à la fois. Mr Bennett, lui, éclata de rire.
- Et je ne le suis pas, rétorqua-t-il. Mais ne vous en faites pas, je suis sûr que ça ne nous empêchera pas d'avoir quelques points communs. A plus tard.
Puis, toujours avec un rire au coin des lèvres, le révérend ressortit dans le jardin d'un pas tranquille. Noah le suivit du regard quelques secondes, l'air suspicieux, avant de se retourner vers lui et de venir le rejoindre. Aussitôt, Julian réduisit la distance entre eux en s'appuyant contre lui.
- Ok, la vérité maintenant, murmura Noah, sa main remontant de son dos vers la base de sa nuque. Ça va ? Il a voulu te convertir de force ? Avaler de l'eau bénite ?
- N'importe quoi...
Il laissa échapper un rire étouffé, drainé émotionnellement. Noah retrouva son sérieux.
- Je croyais que tu ne voulais pas entrer dans la maison... dit-il avec prudence.
-Je sais. Mais il fallait bien que j'y arrive un jour...
- Et ?
- Et c'est toujours douloureux, mais c'est normal. Je ne peux pas avoir peur d'un escalier toute ma vie. Ça ne veut pas dire que j'oublie Matt... ça veut juste dire que... je le laisse partir, je crois.
- Hum...
Noah ne répondit rien, mais il sentit son soulagement dans sa posture. Cette phrase, c'était tout ce qu'il avait voulu entendre depuis l'enterrement et elle lui avait pris du temps, mais il sentait qu'elle était vrai aujourd'hui. Il ne pouvait plus laisser un fantôme hanter sa vie.
- Noah ?
- Ouais ?
- Tu sais ce que j'ai demandé au révérend ? fit-il brusquement.
Il reçut une œillade curieuse et sourit, amusé.
- Non... ?
- S'il voulait bien présider un mariage entre moi et mon « ami ».
- Oh Morgane !
La réaction fut aussi vive qu'il s'y était attendu : Noah rejeta la tête en arrière dans un éclat de rire, l'air incrédule et fier à la fois.
- J'aurais tout donné pour voir sa tête ! Bon sang, Jules ! (Il déposa un baiser contre sa tempe avec spontanéité et noua leurs mains ensemble en secouant la tête). La réponse est toujours non au passage, pas comme ça. Mais belle tentative.
- Je sais, je sais... Pas quelque chose de faux, l'éternité, tout ça tout ça.
- Julian Shelton, tu te moques de mes déclarations ?
Il sourit un peu plus et feignit le déni :
- J'oserai jamais, promit-il.
- C'est ça...
Mais Noah n'était pas dupe – on ne pouvait pas utiliser le sarcasme contre celui qui l'avait passé au rang d'art de vivre comme il le disait lui-même – et il se pencha vers lui pour le faire taire avant qu'il ne proteste. Noah n'opposa de toute façon aucune résistance : il lui rendit son baiser, lâchant sa main pour venir emprisonner sa mâchoire et entrouvrit ses lèvres contre les siennes. Le cœur battant, il aurait sûrement pu se perdre dans leur étreinte si une voix n'avait pas fusé à ce moment-là :
- Eh oh ! C'est comme ça qu'on me dit adieu et qu'on célèbre mon grand départ ?
Ils s'écartèrent l'un de l'autre. Plantée dans l'entrée, un saladier de punch vide entre les mains, Victoria leur jetait un regard désapprobateur teinté d'ironie et Noah se contenta de lui adresser un signe grossier.
- Retourne jouer dehors, Vic ! lança-t-il. Les grandes personnes discutent.
- « Discuter », ouais, mon œil, se moqua-t-elle. T'avais l'air en pleine conférence juste là.
- Morgane, ce qu'elle est agaçante...
Mais l'éclat pétillant dans les yeux de Noah contredisait complètement ses paroles. Toujours sur le seuil, Victoria étudia alors leur posture et surtout le lieu où ils se trouvaient et ils virent son sourire se faner doucement. Elle souffla un simple « oh » de compréhension, l'air peiné, et Julian tenta de la rassurer d'un sourire.
- Tout va bien, Victoria, rassura-t-il en se rendant compte qu'il le pensait cette fois-ci.
- Oui ?
- Promis.
Elle hocha la tête, soulagée. Dans son dos, le soleil la nimbait de reflets dorés et elle resta là sans bouger quelques secondes, l'air incapable de prendre une décision sur ce qu'elle voulait faire ou dire.
- Allez viens, encouragea Noah.
Il lui fit signe de les rejoindre et Victoria hésita une seconde avant de poser son saladier sur la commode en face de l'escalier – renversant un cadre photo au passage – puis vint s'assoir entre eux sur les marches. Sa silhouette menue leur permirent de tenir à trois et, aussitôt, ils entourèrent ses épaules d'un bras chacun dans une drôle d'étreinte.
- Vous allez me manquer... avoua Victoria d'une petite voix.
- Nous aussi, dit-il, mélancolique. T'as intérêt à nous écrire de Bulgarie. Simon aussi.
- Je me passerai des lettres de Simon de mon côté, lança Noah.
Victoria lui donna un coup de coude pour toute réponse. Il resserra son étreinte en riant et prit soudain conscience que bientôt, il ne reverrait plus non plus la jeune fille avant un moment. Qu'à l'image de son patronus, elle allait prendre son envol pour se reconstruire après toutes les épreuves. La Bulgarie n'allait pas être un refuge que pour Simon, bien au contraire. Pourtant, il comprit dans le même temps ce que le révérend Bennett avait voulu dire.
« On élève nos enfants pour les voir s'épanouir, pour les voir grandir... Mais le jour où ils le font vraiment et quittent le foyer, c'est une partie de nous qui s'en va aussi. Et on ne pourrait pas en être plus fier malgré tout ».
Oui, c'était vrai. Il ne pouvait pas être plus fier de Victoria Bennett. Ni d'avoir contribué, ne serait-ce qu'un tout petit peu, à son envol...
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Et voilà.... Verdict ?
Alors déjà je tiens à remercier Cazolie pour toute la scène entre Edward et Julian : vraiment tout vient d'elle haha ! Je n'ai aucune éducation religieuse et j'ai toujours eu une petite réticence envers la religion on va dire, mais elle m'a appris beaucoup sur le sujet et je me suis donc naturellement tournée vers elle pour cette scène. J'en avais l'idée depuis longtemps, je trouvais que c'était intéressant d'avoir le point de vue du révérend Bennett sur l'homme qui avait sauvé sa fille en l'hébergeant chez lui et qui s'avérait être gay. Cazo m'a fait un vocal très clair et très beau sur le point de vue de l'Eglise sur ce sujet et vraiment j'ai repris ces mots pour construire tout l'échange donc encore merci à elle. Petite précision : elle me parlait donc de l'église catholique, peut-être que les choses sont différentes pour l'église orthodoxe anglicane mais tant pis haha ! De toute façon, je pense qu'à l'époque, il ne devait pas y avoir beaucoup de différences de point de vue sur la question de l'homosexualité.
Ensuite, toute l'idée de cette partie était guidée par un fil rouge : dire au revoir, lâcher prise. La première partie incarnait le "Hello", les retrouvailles, Simon et Noah qui se retrouvait sur un terrain d'entente; alors que celle-ci représentait le "Goodbye" avec Julian qui laisse partir le fantôme de Matthew mais aussi Victoria.
J'avoue que l'image de Vic dans l'escalier entre Noah et Julian m'a serré la poitrine et à Perri aussi haha ! Pareil, à travers la dernière phrase, c'était ma voix qui s'exprimait également et j'ai trouvé ça touchant à écrire dans tous les cas.
Encore merci à tous.tes d'avoir suivi ce bonus !! Et si vous en voulez d'autres sur LHDI et que vous avez des idées, hésitez pas à me le dire, ça peut m'inspirer -->
Et merci à Perri, la meilleure partenaire d'écriture du monde ! Merci de m'avoir laissé m'immiscer dans ton récit et de m'avoir fait rêver avec tes personnages.
A la prochaine !
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