5. A la recherche du colibri perdu

Hello hello !! 

I'm back avec une nouvelle partie de ce bonus. Désolée, ça fait un peu plus d'un mois mais elle a été longue a écrire car ce n'était pas la plus simple. Finalement, j'ai eu raison d'attendre : une fois lancée, ça a coulé tout seul, à tel point que j'ai fini à 17 000 mots (new world record). Alors évidemment ça aurait été trop donc j'ai coupé en deux. Il y aura ainsi 7 parties au total à ce bonus (il m'en reste une à écrire) mais je trouve ça symbolique ! 7 comme les 7 tomes de Harry Potter haha ! 

A LIRE ! Contexte : Alors dans quel blanc du texte de Perri je m'insère cette fois ? Et bien il faut que vous ayez lu jusqu'au chapitre 19 de la partie 4 de Ombres et Poussières, c'est-à-dire la partie où Victoria part de chez Julian et Noah. Que s'est-il passé de leur côté ce jour-là ? Comment ont-ils vécu les choses après avoir vécu des mois avec Victoria ? Et Simon dans tout ça ? C'est parti pour le découvrir ! 

Attention, léger spoiler sur l'avenir de quelques personnages, mais tant pis pour la surprise, je préfère laisser les mentions dans le bonus haha ! 

Again (and as always) merci à Perri pour le visuel !! 

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A la recherche du colibri perdu

« C'était tout un état d'âme, tout un avenir d'existence qui avait pris devant moi la forme allégorique et fatale d'une jeune fille. »
- Marcel Proust -

// 17 janvier 1998 //

Le dernier cours de l'après-midi venait de prendre fin et Julian s'adossa à son bureau, épuisé. Il prit tout de même la peine de dire au revoir à chacun de ses étudiants qui avaient encore une double heure de cours derrière lui en les plaignant sincèrement : il n'avait qu'une envie, à savoir finir la semaine et rentrer chez lui. Avec un peu de chance, Noah et Victoria auraient fait le dîner ; ils s'en sortaient pas trop mal en duo s'ils ne se mettaient pas à se jeter les légumes au visage pour faire enrager l'autre. En plus, demain marquait son anniversaire et même s'ils ne pourraient évidemment pas sortir, ils pourraient au moins faire quelque chose d'un peu festif. Si Victoria était d'humeur, il la laisserait même décorer l'appartement. Noël avait prouvé ses talents en tant que décoratrice d'intérieure et ça lui ferait peut-être oublier qu'il s'apprêtait à avoir trente-quatre ans. Pas un âge symbolique, pas un tournant, mais une année de plus malgré tout et cette impression que le temps filait sans bien qu'il ne comprenne comment le perturbait plus qu'il ne voulait bien l'admettre. A sa décharge, l'année avait été chargée et il ne l'avait pas vu passer entre la guerre qui grondait, son inquiétude pour Noah, la disparition de Charity, l'arrivée de Victoria... Trop de chamboulements, trop de changements.

Et en parlant de ces derniers, l'un d'eux s'approchait de son bureau, son bonnet orange vissé sur la tête.

- C'était vicieux, lui lança-t-il en guise de préambule, les yeux plissés. Et la classe va t'en vouloir, tu le sais ?

- M'en vouloir pour quoi ?

Il tenta son ton le plus neutre et professionnel possible, mais Simon ne parut pas dupe. Tout le monde était sorti de la classe maintenant et il ne s'embarrassa pas de la distance habituelle qu'ils jouaient quand les autres étaient autour.

- Pour la question sur le Rituel d'Ancrage dans l'examen ! siffla Simon. C'était contre moi, avoue-le ! Pour le tag de ta voiture. Ce qui est déloyal pour le reste de la classe qui n'avait rien fait.

- Tu ne peux rien prouver. Jusqu'à preuve du contraire, c'est moi qui choisis mes sujets d'examen.

- C'est de l'abus de pouvoir.

- Peut-être, répondit-il du tac au tac.

Il eut un vague mouvement d'épaule en souriant et Simon roula des yeux, même si la commissure de ses lèvres se releva légèrement. Un point partout, le souafle au centre.

- Tu viens ce soir ? demanda-t-il pour ne pas enfoncer le clou. Après les cours ?

C'était une question presque rhétorique : ces temps-ci, Simon venait quasiment chaque week-end et ce dès le vendredi soir. D'ailleurs, il hocha la tête avant même qu'il ait fini.

- Oui, si ça dérange pas. Enfin, je vais devoir repasser prendre quelque chose chez moi avant, mais j'arriverai pour le dîner. J'ai encore deux heures ici.

- Je sais. Tu devrais y aller, tu vas finir par être en retard. Et non, tu ne déranges toujours pas.

Il ajouta un sourire pour faire passer l'idée, même si c'était la dixième fois qu'il l'affirmait, et Simon le lui rendit avec un « merci » marmonné. Au moins, il avait été bien élevé, c'était l'important : il sentait bien qu'il demandait désormais plus par politesse que par réelle gêne, preuve de l'évolution de leur relation. Même la vision du bonnet orange ne lui donnait plus de coup au ventre, Simon s'était entièrement détaché de l'ombre de Matthew à présent, et il était persuadé qu'ils en tiraient tous les deux du positif sans vraiment en avoir conscience.

Tous les deux, ils se dirigèrent vers la porte. Simon s'apprêtait à l'ouvrir, la main tendue, quand on toqua au battant de l'autre côté. Ils se figèrent tous les deux avant d'échanger un regard. La force de l'habitude : en ce moment, un rien suffisait à les faire se tendre, aux aguets, même s'il était peu probable que des mangemorts se présentent à Oxford et prennent de surcroit la peine de toquer à la porte.

- Bah ouvre... c'est ton bureau, lui rappela Simon, l'air mal à l'aise quant à la marche à suivre.

- Quoi ? Oh !

Avec un temps de retard, il s'exécuta. Une femme se tenait sur le seuil, le poing brandit comme si elle allait toquer une nouvelle fois : elle avait de longs cheveux blonds, structurés par une frange, et était habillée d'une cape de sorcière couleur marine qui réhaussait son ventre arrondi.

- Prudence, s'exclama-t-il, surpris.

- Bonjour, Julian. Tu vas bien ? Désolée, je dérange ?

Elle coula un regard vers Simon, gênée, et celui-ci le lui renvoya, incertain de comment s'éclipser alors qu'elle barrait la porte. Il se râcla la gorge avant de faire les présentations.

- Simon, voici Prudence Burbage, introduit-il. (Elle lui jeta un coup d'œil sévère). Enfin, Connelly pardon. Ça va finir par rentrer.

- Tu étais à notre mariage il y a dix ans, ça devrait être naturel depuis le temps, répliqua-t-elle avec malice.

Peut-être, elle avait raison. C'est juste que, comme souvent, il s'accrochait à des souvenirs pour ne pas oublier la mémoire de ceux qui n'étaient plus là et même si Prudence et lui étaient amis, elle resterait toujours d'une certaine façon la sœur de Charity, peu importe les années écoulées. A côté de lui, le nom fit d'ailleurs tiquer Simon dont les épaules se tendirent et il acheva les présentations, la gorge contractée :

- Prudence, Simon Bones, un de mes élèves.

Ce fut au tour de Prudence de se tendre. Même si le nom n'était pas aussi chargée pour elle – elle avait à peine connu Matthew – il restait attachée au souvenir de sa sœur effondrée et brisée pendant des mois, si ce n'est des années. Ils en avaient parlé un jour entre eux, après plusieurs verres en terrasse d'Oxford : même si elle savait présenter une façade enjouée, Charity avait gardé la blessure de la mort de Matthew au fond de son regard, peut-être bien plus que n'importe qui, lui compris.

- Enchantée, finit par articuler Prudence en reprenant contenance. Je le dis, si je dérange, je peux repasser plus tard...

- Non, j'allais partir, assura Simon avec brusquerie. J'ai cours...

Son envie de fuite était palpable et Julian ne pouvait pas l'en blâmer. Mieux accepter son passé ne voulait pas dire qu'il était près à prendre chaque balle perdue que le hasard allait lui envoyer et il ouvrit un peu plus le battant pour lui permettre de se glisser hors de la pièce. Prudence fit même un pas de côté, consciente du moment elle aussi.

- Ravie de t'avoir rencontré, Simon, dit-elle avec un sourire polie.

- Oui, moi aussi... A lundi, professeur Shelton.

- A lundi.

Avec un dernier signe de la tête, Simon s'engouffra dans le couloir d'un pas pressé, la main crispée sur la sangle de son sac. Ça lui fit presque bizarre d'entendre ce « professeur Shelton », si formel, après des semaines à se faire appeler par son prénom par Simon, mais ils devaient maintenir à minima l'illusion qu'ils ne passaient pas tous leurs week-end ensemble. Prudence le regarda partir, songeuse, et les rides qui avaient commencé à apparaître aux coins de ses yeux se creusèrent.

- Intéressant, commenta-t-elle d'un faux air neutre. Carrie a toujours refusé de l'avoir dans sa classe, elle.

- J'enseigne les sortilèges à l'IRIS où il est élève. Ça aurait été dur de l'éviter, ce n'est pas une option.

- Certes. Mais quand même. Il ressemble à son frère, non ?

Bon sang, merci d'énoncer l'évidence, se retint-il de dire avec amertume. Il avait eu assez de mal à l'oublier.

- Pas tant que ça quand on le connait un peu... nuança-t-il avant d'expliciter pour ne pas paraître suspect. Enfin, je veux dire, ça va faire un an et demi que je l'ai en élève, tu finis par connaître un peu les personnalités.

- Oui, oui, je suppose que tu as raison...

Elle secoua la tête.

- Enfin bref, ce n'est pas pour ça que je venais te voir. Encore désolée, l'IRIS était sur mon chemin et je me suis dis que j'allais passer te voir... ça fait une semaine que j'aurais dû, à vrai dire.

Un air grave était tombé sur ses traits et il sentit un mauvais pressentiment naître dans sa poitrine. En voyant que la main de Prudence allait se crisper sur son ventre, il l'invita à entrer d'un geste et approcha une chaise pour qu'elle puisse s'assoir. Elle s'y laissa tomber avec un soupir.

- Merci... Ca a beau être la troisième fois, j'ai l'impression d'être plus fatiguée, observa-t-elle en jetant une œillade moitié agacée moitié attendrie sur l'enfant en son sein. Je me fais vieille, ça doit être ça...

- N'importe quoi, sourit-il.

- Arrête, la quarantaine me guette. Ça sera le dernier d'ailleurs et tant pis si ce n'est pas un garçon. Adrian devra compter sur d'autres membres de sa famille pour transmettre le nom !

Et comme Adrian aimait ses filles à la folie, il n'en ferait pas grand cas, Julian le savait. Il revoyait encore son ancien colocataire lui montrer les photos de sa deuxième pendant vingt minutes, un air extatique sur le visage, et il repensa en écho à l'expression paniquée de Noah face à l'idée d'avoir des enfants. Il tenta d'ignorer le nouveau coup dans sa poitrine – bien différent du premier il y a quelques minutes – pour demander :

- Et les filles ? Comment elles vont ?

- Bien... Nora est impatiente de commencer Poudlard, évidemment, mais j'avoue que j'angoisse. Je ne sais même pas si j'ai envie de la laisser y aller, pas dans ses conditions. On entend des choses horribles... Mais on n'aura pas le choix. Ils ont rendu Poudlard obligatoire cette année, je ne vois pas pourquoi ils changeraient d'avis l'année prochaine...

Sa voix trembla sous l'angoisse.

- Beaucoup de choses peuvent se passer d'ici septembre... tenta-t-il de la rassurer.

- Peut-être... Mais toi comme moi savons que ça peut être en bien ou en mal. Tout peut basculer si vite...

- Oui, je sais...

Au-dessus d'eux, deux prénoms flottaient à la manière de fantôme dont le souffle glacé se faisait sentir sur leur nuque. Matthew et Charity dont le destin croisé semblait plus tragique que jamais. Si la mort de l'un remontait maintenant à plus de quinze ans, la disparition de la seconde hantait encore ses angoisses et faisait remonter à la surface ses pires craintes. Volatilisée l'été dernier, Charity n'avait plus donné signe de vie depuis des mois, ce qui était étrange même pour elle. Quand elle partait en voyage, elle pouvait le faire sur un coup de tête, mais elle se pliait au calendrier scolaire et surtout ne manquait jamais de prévenir au moins sa sœur, ne serait-ce que pour venir garder Lennon, son chat adoré. Chat qui vivait désormais chez eux sous les bons soins de Noah et Victoria la plupart des jours, comme un membre à part entière de leur drôle de colocation ou famille recomposée. Et en voyant les traits de Prudence reprendre leur gravité initiale, il sut qu'elle n'était pas venue parler de l'animal.

- Elle a été retrouvée ? murmura-t-il d'une voix d'outre-tombe.

Naïvement, il se dit que ça ferait moins mal s'il la devançait, s'il ne laissait pas la nouvelle lui tomber dessus brusquement comme celle de Matthew. Prudence secoua la tête.

- Non, mais je ne penses pas qu'elle le sera un jour, Julian. Le Ministère l'a radié des listes des enseignants il y a trois semaines... Je n'ai pas voulu y croire, mais la lettre officielle est arrivée par hibou express. Aucun motif, juste... ça. Comme si elle n'avait même pas existé.

- Merlin... s'indigna-t-il. Ils n'ont pas le droit ! Il faut justifier d'une faute grave pour ça !

- Je sais... mais ils ont invoqué l'abandon de poste, elle ne s'est pas présentée à la rentrée et n'a pas donné de justifications. Seulement, s'ils prennent la peine de la radier, ça veut dire qu'ils sont persuadés qu'elle ne reviendra pas... Ils le savent. Ils savent ce qu'ils ont fait, Julian...

Sa voix s'éteignit dans un filet étranglé et il ne put que contempler les perles qui s'accrochaient à ses cils, blême. Elle avait raison bien sûr. Le Ministère – et ceux qui le contrôlaient – savaient bien que Charity Burbage ne serait plus un problème, ni par ses cours sur les moldus, ni par ses articles militants. Ils l'avaient réduite au silence. Ils lui avaient brisé les ailes et le cou aussi sûrement que le corbeau qu'il avait retrouvé dans la neige au pied d'Ilvermorny il y a des années et cette image lui donna la nausée. Il avait la sensation de contempler un long tunnel, presque irréel et sans fond, alors que la réalisation le saisissait à la gorge : il ne reverrait plus jamais le sourire solaire de Charity.

Un souffle tremblant lui écorcha les lèvres, proche d'un sanglot sans en être un, et Prudence porta le poing au creux de son cou pendant que sa deuxième main restait agrippée à son ventre tel un point d'ancrage nécessaire.

- C'est horrible, mais je crois que je le savais d'une certaine façon... admit-elle entre chagrin et lassitude. C'est pour ça que je ne suis pas venue te voir plus tôt. On le savait tous les deux depuis des mois...

- Je sais... mais on dit bien que c'est l'espoir qui meurt en dernier, non ?

L'espoir, c'est tout ce qui leur avait resté. Prudence détourna les yeux – ses yeux bleus si semblable à ceux de sa sœur à l'exception de la petite tâche brune dans la prunelle gauche – et étouffa un nouveau sanglot.

- C'est vrai... Adrian me disait d'y croire aussi, il voulait que je tienne... Pour les filles et le bébé. Et j'ai tenu, je le jure...

- Je le sais. Bon sang, Prudence, c'est admirable ce que tu as fait.

- Je devais le faire, c'est tout. C'était pour moi aussi, je pense. Si je m'effondrais, je savais que je ne me relèverai pas. Mais ça a été dur. Tellement dur ! (Elle déglutit). C'est ma petite sœur... souffla-t-elle. Ils m'ont pris ma petite sœur, ces salauds...

L'insulte, si peu caractéristique chez elle, s'échappa pourtant avec une véhémence et une haine qui claqua aussi durement qu'une gifle. La tête plongée entre ses mains, elle inspira profondément, les coudes sur les genoux. Il la laissa reprendre contenance sans savoir quoi faire. Il aurait voulu la prendre dans ses bras, mais ils n'avaient jamais été assez proches pour le faire, et il sentait sa propre douleur, sourde, lui labourer les entrailles. Derrière le visage de Charity, il voyait celui de Charlotte danser... L'image de son corps brisé lui était insoutenable et il ne voulait pas imaginer ce que Prudence ressentait à cet instant. Elle mit plusieurs secondes, mais elle finit tout de tête par relever la tête, les yeux rougis par quelques larmes qui avaient réussi à briser le barrage de sa volonté.

- J'espère qu'ils payeront... murmura-t-elle. Si ce n'est pas maintenant, plus tard. Je sais que certains leur résistent, comme Carrie la fait à sa manière, et j'espère que ça aura un impact. Moi, je ne peux pas lutter, j'ai trop à perdre... et je ne peux pas me permettre de m'effondrer non plus. Je vais donner ma démission à Ste-Mangouste dans la semaine, c'est devenu invivable et je ne peux pas revivre ce qui s'est passé pendant la première guerre. Tout ce que j'ai à faire, c'est m'occuper de ma famille.

Il hocha la tête. Etrangement, il avait l'impression qu'elle cherchait son approbation ou qu'elle craignait qu'on lui reproche de ne pas se battre : si elle était aussi en colère qu'elle le prétendait contre les assassins de sa petite sœur, pourquoi ne le ferait-elle pas ? Mais Julian comprenait sa justification. Elle avait encore bien plus à perdre et les mangemorts comptaient sur ça. Surtout, elle avait un deuil à porter et la façon la plus saine de le faire était de se reposer sur sa famille, pas de se nourrir de sa colère.

- Fais ce que tu as à faire, Prudence, rassura-t-il avec bienveillance. Fais ce que tu as à faire pour tenir.

- Merci... c'est gentil...

D'une main, elle repoussa sa frange et les lueurs de sorts qui éclairaient la classe accrochèrent l'éclat de son alliance.

- Je ne venais pas juste pour te l'annoncer, tu sais, dit-elle en s'humectant les lèvres. Pas seulement en tout cas... Je voulais surtout te dire qu'on organise un enterrement la semaine prochaine. (Elle battit des cils, tremblante). Enfin, ça sera plus une sorte de cérémonie vu qu'on n'a pas... de corps... mais tu es invité. Je tenais à te le dire. Noah et toi, d'ailleurs.

- Prudence...

- Je m'occuperai de mes parents. Tant pis pour eux. C'est Carrie qu'on honore et elle l'aurait voulu, surtout après tout ce que tu as fait pour elle. J'insiste.

Elle releva le menton, déterminée, et il en fut touché. Il n'avait jamais vraiment rencontré les parents Burbage, mais il savait qu'il n'était pas porté dans leur cœur. Quand ils avaient su que leur fille cadette fréquentait un couple gay, ils avaient bien fait savoir leur désapprobation, ce qui avait en retour pousser Noah à les traiter de « bigots emmerdeurs ». Charity s'était évidemment esclaffée et n'avait pas fait grand cas de l'avis de ses parents, même si les tensions avaient demeuré. Seulement, ils s'étaient calmés quand Prudence – toujours la voix de la raison face à la forte tête qu'était sa petite sœur – leur avait fait remarquer qu'il avait soutenu Charity comme peu de personne à la mort de Matthew.

Ça n'avait pas été simple pourtant. Si lui-même avait été effondré, Charity s'était littéralement écroulée. Devenue l'ombre d'elle-même, les premiers mois et la fin de l'année 1981 avait été un cauchemar duquel il avait tenté de la tirer avec sa sœur, sans relâche. Il en avait fait sa mission personnelle, tout juste rentré en Angleterre et seul pour la première fois de sa vie à Oxford pour entamer ses études à l'IRIS. Rétrospectivement, il se rendait compte que c'était sûrement ce qu'il lui avait permis de ne pas sombrer lui-même : s'occuper de la peine de Charity l'avait distrait de la sienne. Il allait la voir minimum une fois par semaine, la poussait à sortir, lui avait présenté son colocataire puis Noah quand ce dernier l'avait rejoint. Plus forte, Charity était partie faire un voyage d'un mois en Irlande et en Ecosse, sac à dos à l'épaule, et avait enfin ouvert la porte à sa passion des voyages. Puis, elle était revenue et ils avaient assisté au procès des mangemorts. Ensemble. Il se souvenait encore de ses ongles qui s'enfonçaient dans sa main à celui de Jugson, mais il ne s'était pas dégagé. Il s'était autant accroché à elle que l'inverse.

- Merci... articula-t-il finalement pour s'ancrer au présent et à Prudence qui attendait toujours sa réponse. On viendra... c'est promis.

- C'est moi qui te remercie. Je le redis, mais tu as été d'une patience infinie avec elle. Pour tout. Pour l'argent que tu lui as prêté avant son voyage en Amérique du Sud, pour le week-end à Liverpool tous ensemble, pour les coups de cheminettes et les lettres... D'une certaine manière, tu as sauvé ma petite sœur à cette époque et je serai à jamais reconnaissante...

A nouveau, sa voix s'enroua et Julian se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas craquer.

- J'aurais aimé la sauver aujourd'hui aussi... souffla-t-il seulement.

- Moi aussi. Crois-moi, moi aussi. Mais on n'aurait rien pu faire.

Prudence sourit. Elle sourit d'un sourire triste à en faire pleurer les anges et ils restèrent dans un silence contemplatif de longues secondes. Pendant un instant dans cette salle de classe, ils prirent le temps de s'avouer que Charity n'était plus là et ne reviendrait plus. Puis, résignée, Prudence se releva maladroitement, encombrée par son ventre, et il suivit le mouvement.

- Je ferai mieux de rentrer, dit-elle en renfilant sa cape. Il commence à se faire tard et je n'avais pas prévu de m'arrêter... ça a vraiment été un coup de tête, j'ai eu de la chance que des étudiants m'indiquent la direction de ta salle. Adrian va m'attendre.

- Pas de soucis. Il faut que j'y aille aussi, j'ai...

Il s'interrompit avant de gaffer. Il avait failli dire « j'ai Noah et Victoria qui m'attendent aussi » mais il ravala le prénom de la jeune fille qui s'était infiltrée dans son quotidien à la dernière seconde. Heureusement, Prudence ne parut rien remarquer et se dirigea vers la porte. Il lui ouvrit, l'esprit lourd et soulagé en même temps.

- Encore merci d'être passée, lui dit-il, sincère. Je préfère... enfin j'ai préféré apprendre la nouvelle de toi...

- Je comprends, c'est pour ça que je l'ai fait.

Le regard hanté, elle posa les yeux sur le long couloir en pierre et à l'architecture gothique de l'IRIS.

- Tu sais, ça vient de me frapper...

- Quoi ?

- Que j'ai un point commun avec de gamin, maintenant... Simon... murmura-t-elle, mélancolique. Je l'ai vu et j'ai pensé « alors c'est lui, le petit qui a perdu son frère à l'époque ». Et maintenant regarde-moi...

Maintenant, on lui avait pris sa petite sœur. Ça le frappa aussi, douloureusement, et il ne trouva rien à répondre. Prudence n'attendait de toute façon rien : elle se contenta de lui rendre son sourire – toujours aussi triste – puis ils se dirent au revoir en se promettant de se revoir bientôt. Ils n'étaient pas le genre d'amis à se voir ou à sortir souvent, mais ils se gravitaient autour et ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vu ses filles. Ils se donnèrent avant la naissance du bébé en date butoir pour ne pas laisser les mois filer et se quittèrent enfin.

Tête basse, Julian rentra ainsi à pied ce soir-là, juste pour se vider la tête. Mais tous les kilomètres du monde n'aurait pas pu lui faire oublier le sourire triste de Prudence ni celui solaire de Charity. Pour couronner le tout, le temps était maussade en cette fin d'après-midi, comme si le ciel reflétait son humeur. Le ciel était gris, chargé de nuages bas et lourds. Il s'engouffra dans son immeuble avec soulagement pour y échapper. Les sentiments qui l'alourdissaient étaient si paradoxales qu'il avait du mal à les identifier : la peine bien sûr, mais elle n'était pas aussi dévastatrice qu'il l'aurait cru. Prudence avait eu raison. Ils avaient su. La mort de Charity n'était pas une nouvelle brutale, elle s'était insinuée en eux chaque jour qui passait, et ne représentait plus aujourd'hui une plaie béante mais une cicatrice à vif. Il aurait dû s'estimer heureux d'une certaine façon, même s'il doutait d'arriver à ressentir quoique ce soit de joyeux ce soir.

Habité par cette conviction, il poussa la porte du loft. Et le silence qui l'accueillit confirma son intuition.

Il ne savait pas s'il devait appeler ça un sixième sens, mais le silence était toujours un mauvais présage ici. Même avant l'arrivée de Victoria, il y avait toujours du bruit : Noah en train de réciter ses articles à voix haute pour la Voix du Chaudron, de la musique, la radio ou la télévision, même les miaulements de Lennon. Et désormais, il ne parlait même pas des blagues ou des chamailleries entre Noah et Victoria, de leurs cris et de leurs rires, ou simplement du bruit entêtant de la machine à écrire de la jeune fille qu'elle descendait parfois dans le salon quand elle ne se sentait pas d'être enfermée dans sa chambre. Aujourd'hui, rien. Or, la dernière fois que le silence l'avait accueilli, ça avait été pour vivre une heure d'angoisse aux côtés de Simon en découvrant l'appartement vide.

Le ventre contracté, il avança donc à pas pressés, sa baguette instinctivement brandie. Son cœur venait de prendre un rythme effréné malgré lui.

- Noah ? appela-t-il.

- Là...

La voix lui avait répondu dans la seconde – comme si elle n'avait pas voulu le laisser s'inquiéter une seconde de plus – et il retint le soupir de soulagement au bord de ses lèvres avant de se diriger vers l'atelier. Les portes coulissantes étaient à moitié ouvertes et il ne distingua d'abord personne avant d'enfin apercevoir Noah près de la baie vitrée, le regard hagard. Des éclats de verres jonchaient le sol à ses pieds, vestige brisé d'un pot dans lequel ils rangeaient divers pinceaux et il les enjamba avec prudence.

- Bon sang, qu'est-ce qui s'est passé ? Une nouvelle bataille contre Vic' ?

Noah tressaillit.

- Non... ou oui, je suppose. (Il eut un rire dépourvu d'humour). On peut le voir comme ça.

- Comment ça ? fit-il, perplexe. Eh, Noah...

D'un geste, il le força à tourner la tête vers lui, une main glissée sous son menton. Noah se laissa faire, mais ses traits se crispèrent avant de lâcher :

- Elle est partie.

La phrase, courte et percutante, le cueillit au ventre. Son cœur, qui s'était calmé, se remit à valser avec frénésie et il resserra sa prise presque inconsciemment.

- Quoi ?

- Elle s'est barrée, répéta Noah d'une voix mal assurée mais vibrante en même temps. Il y a quinze minutes même pas. (Il pointa le verre brisé). J'étais énervé, j'ai donné un coup dans l'établi quand la porte s'est refermée... Désolé.

- Un coup dans... ? Mais on s'en fiche ! Qu'est-ce que tu veux dire « elle est partie » ? Partie où ? Pourquoi ?

La panique commençait à courir sous sa peau et son ton, empli d'urgence, fit tressaillir Noah une fois de plus.

- Pour jouer à l'héroïne typique Victoria, répondit-il avec dédain. Une fille a débarqué de nulle part, elle a dit qu'elle faisait partie de l'Ordre et qu'elle était à Poudlard avec Vic. Sa sœur jumelle a été enlevée en représailles...

- Merlin...

- Hum... Elle était du genre en colère, la gamine. Je te jure, ça lui a pris dix minutes, mais elle s'est mis à parler d'un plan insensé pour faire évader sa sœur de chez Yaxley.

Il manqua de s'étrangler.

- Yaxley... ? Comme Corban Yaxley, le directeur du Département de la justice magique ?

- Bingo. Pourquoi rendre les choses faciles, hum ? Putain...

Avec rage, Noah se releva d'un bond et il vit alors sa façade nonchalante vaciller pareil à un château de carte en manque d'équilibre. Les mains nouées derrière la tête, il donna un coup de pied dans le vide, clairement atteint, puis il fit volte-face vers lui.

- J'ai essayé de la retenir, Jules, je te le jure, dit-il avec hargne. Mais je n'allais pas non plus l'enchaîner et elle avait pris sa décision... J'ai toujours dit qu'on était ses hôtes, pas ses geôliers. On la protégeait du Ministère et de tous ses soldats à la con, mais contre elle-même ? Non, c'était pas l'esprit.

- Noah...

- Si elle veut prendre d'assaut une armée de mangemort, qu'elle le fasse.

Amer, il se détourna, mais Julian vit clairement sa main trembler. Pour la stabiliser, il attrapa un bout de fusain qui trainait, sans grande conviction. Ça n'avait jamais été son mode d'expression artistique préféré. Le prédilection de Noah allait vers la peinture et l'aquarelle quand le sienne se portait plus vers le crayon et tout ce qui s'y rapportait. D'ailleurs, il ne maintint pas l'illusion longtemps. Il ne prit même pas la peine de ramener un parchemin vers lui.

- Tu sais que tu ne penses pas ce que tu dis, souffla Julian en s'approchant. Mais si elle est vraiment partie chercher cette amie... Merlin, elle ne pourra pas s'en sortir, ni elle ni la membre de l'Ordre...

- Non...

C'était une mission suicide à ce stade, purement et simplement. L'angoisse, rampante, se renforça dans tout son corps et contracta tous ses muscles jusqu'à les rendre douloureux.

- Yaxley, c'est trop dangereux. Une cible imprenable... Et je pourrais contacter Elizabeth maintenant, mais...

- Mais ça ne fera rien. Elle est à l'autre bout de l'Atlantique, Jules ! Et toujours bannie aux yeux de sa famille, on le sait l'un comme l'autre. Son oncle ne va pas juste retrouver un peu d'humanité parce que sa nièce le lui demande après vingt ans d'exil.

Noah avait raison, bien sûr. Il avait juste besoin d'énoncer des idées à voix haute, aussi veine soit-elle, mais Elizabeth Yaxley n'avait plus de son passé et de sa famille que des traumatismes... Elle ne pourrait rien faire.

- Jules...

- Oui ?

Il entendit la tension dans la voix de Noah et releva les yeux vers lui, penché en avant. La colère avait laissé place à une détermination d'acier. Il devina ses prochaines paroles avec une seconde d'avance tant il le connaissait par cœur.

- On doit aller la chercher.

- Je sais, elle ne doit pas être encore loin. Le transplanage serait trop dangereux.

- Tu... ?

Noah cilla, l'air surpris.

- Tu veux bien ?

Sous sa panique, un sourire fleurit, amusé de pouvoir encore prendre Noah Douzebranches par surprise de temps en temps. Il se redressa sans attendre.

- Ca te surprend tant que ça ?

- Un peu... J'avais prévu des arguments en trois parties à asséner pour te convaincre s'il le fallait.

- Et bien, pas besoin, détrompa-t-il. Allez viens, on va chercher Victoria.

« Et on la ramène à la maison » termina-t-il sans oser matérialiser les mots à voix haute, même s'il vit à l'expression de Noah qu'il pensait exactement la même chose.

Une minute plus tard, il se retrouva donc à nouveau dans la rue. Le ciel s'était encore assombri dans ce court laps de temps, même si l'après-midi n'était pas encore terminé, et la lumière de janvier peinait à donner un peu de chaleur aux rues en vieilles pierres. Ils ne s'y attardèrent de toute façon pas, pressés. C'était une sorte de course contre la montre qui se jouait. A chaque seconde, Victoria s'éloignait. A chaque seconde, elle était un peu plus loin... ou un peu plus près du danger selon le point de vue. Julian ne voulait même pas l'imaginer. Son corps portait son inquiétude dans une douleur familière – l'estomac noué, la gorge sèche, le cœur affolé – il n'avait pas besoin que son esprit parte dans une spirale infernale lui aussi. Il devait réfléchir.

Où pouvait être Victoria ?

Si elle ne transplanait pas – et il lui accordait assez de crédit pour ne pas tenter une chose aussi dangereuse – elle avait plusieurs choix : la gare ferroviaire semblait la plus évidente et la moins chère pour sortir de la ville, mais il y avait aussi un loueur de voiture pas loin dans la grande rue qui détenait un énorme garage, surtout à destination des touristes. Cette solution était certes plus discrète, mais demandait des papiers d'assurance et une vraie carte de permis de conduire, ce que Victoria n'avait pas, il le savait pertinemment. Le réseau de bus, lui, couvrait la région mais ne conduisait pas non plus bien loin. La première option était donc la plus logique pour commencer les recherches.

Fort de cette conviction, il entraîna Noah par une rue adjacente qui coupait vers la gare ferroviaire.

- Dis-moi tout ce que l'autre fille a dit, exigea-t-il, le souffle court. Ça peut être important.

Il avait besoin de s'accrocher à des faits pour ne pas se laisser dépasser par la panique et tout élément était bon à prendre. Noah fronça les sourcils, concentré.

- Elle est restée assez vague. Sa sœur jumelle – Mathilde ou quelque chose comme ça – a été enlevée chez elle, la marque des Ténèbres flottait au-dessus. Elle est persuadée que c'était un avertissement contre elle à cause de son rôle dans l'Ordre.

- Qu'est-ce qu'elle faisait ?

- Une sorte d'espionne. Des infiltrations, chercher des infos...

- Et comment elle sait que sa sœur est bien chez Yaxley ?

Tendus, ils traversèrent la rue. La gare ferroviaire n'était plus qu'à quelques mètres.

- Aucune idée, elle ne l'a pas expliqué plus en détails, rapporta Noah, poings serrés. Mais elle a dit qu'aucun membre de l'Ordre ne voulait l'aider à lancer une mission de sauvetage, c'est pour ça qu'elle est venue trouver Vic'.

- Comme si elle avait pas une cible assez grande sur le dos !

- Je sais, c'est ce que j'ai dit. Mais je pense qu'elle l'a fait parce qu'elle savait que Victoria serait la seule à accepter de venir. La veuve, les orphelins, les martyrs... Elle est fille de pasteur, elle peut pas résister.

Derrière le sarcasme tranchant de Noah, il entendit surtout sa voix trembler une fois de plus. Il coula un regard dans sa direction. Le vent de janvier et la lumière froide n'arrangeaient rien à ses boucles en bataille ni à son teint blême, mais une détermination sans faille animait ses traits. Il sut qu'ils étaient au moins sur la même longueur d'onde : s'il fallait retourner Oxford pour trouver Victoria, alors ils le feraient.

Ça le frappa soudain alors qu'ils s'engouffraient dans le tunnel qui menait à la gare. Une autre personne aurait été capable de retourner Oxford, voire l'Angleterre entière : Simon. Simon qui devait venir chez eux dans moins de deux heures et qui allait exploser de panique s'il apprenait ce qui était arrivé. Son angoisse redoubla. Après la nouvelle de la mort de Charity, il ne pouvait pas encaisser une autre tragédie aujourd'hui. Surtout, il ne pouvait pas annoncer une tragédie à Simon qui en avait déjà trop vécu. C'était au-dessus de ses forces. Un gout de cendre dans la bouche, il accéléra sa foulée, Noah sur les talons.

Il fut le premier à arriver sur le quai. Et à la voir.

Sa vision fit comme un point focal, impossible à ignorer. Le reste du quai était désert après tout et il avait sentit la magie le traverser à la seconde où il y avait posé le pied. Des sortilèges repousse-moldu étaient à l'œuvre ici : pas forts, ni précis, comme s'il avaient été jetés à la va-vite, mais suffisant puissants pour éloigner les passants et les curieux.

Pour les éloigner d'un corps qui gisait face contre terre sur le bitume.

La bile lui monta à la gorge. Pendant une seconde – un horrible battement de cœur aussi douloureux que s'il avait été frappé en plein plexus – il visualisa Victoria tant son esprit était concentré sur elle. Il repensa à l'image du corbeau brisé au sol pour la superposer à celle d'un colibri dont on aurait coupé les ailes... Puis la réalité le frappa dans un second coup. Victoria n'avait pas les cheveux si longs, ni si clairs. Sa silhouette était plus menue, plus petite. Victoria n'était pas morte, étendue au sol, dans une marre de sang.

- Morgane... s'étrangla Noah dans son dos.

Il se retourna pour ne plus voir le corps.

- C'est elle ? La fille ? demanda-t-il d'une voix blanche.

- Renata...

La confirmation sous forme de prénom le faucha un peu plus. Il ne voulait pas connaître son nom, il ne voulait pas penser à sa famille, ni même au fait qu'elle n'avait pas pu sortir d'Oxford pour au moins tenter de sauver sa sœur jumelle. Il ne voulait pas penser au fait qu'elle devait avoir environ l'âge de Matthew, qu'elle était une autre gamine emportée par la guerre... Il ne voulait pas s'approcher, mais Noah le fit.

- Attends...

Il n'arriva pas à le retenir. Noah venait de s'agenouiller près du corps, aussi blême que la jeune fille dont la vie avait déserté le teint. Du verre brisé crissa sous ses pieds. Ses lunettes gisaient près d'elle dans une flaque d'eau teintée de sang.

Le cœur au bord des lèvres, il détourna le regard pour chercher des indices, n'importe quoi... La première chose qui le frappa fut les traces de sort un peu partout : des signes de brûlures et de bataille contre le mur blanc du fond, contre un banc à quelques mètres et surtout un cercle brûlé encore légèrement lumineux tout le long de la bordure du quai. Un sort anti-transplanage. Il ne devait presque plus faire effet désormais que les sorciers ou les sorcières qui l'avaient jeté étaient partis, mais la scène commençait à se préciser.

Quand il tourna à nouveau la tête vers Noah, il s'aperçut que ce dernier était en train de fouiller les poches de Renata pour en sortir divers papiers qu'il glissait à l'intérieur de sa propre veste.

- Merlin, qu'est-ce que tu... ?

- Les Aurors vont finir par débarquer, expliqua-t-il d'un ton empressé. Ils ne peuvent pas laisser un corps à la vue des Non-Maj' si longtemps. Mais il y a des choses qui concernent l'Ordre là-dedans ou qui peuvent l'incriminer, elle...

- Mais...

- Mais elle est morte, oui ! Seulement, pas sa sœur, ou peut-être pas encore. Je ne préfère pas leur donner plus de raisons de s'en débarrasser.

C'était bien raisonné. Seulement, la mention des Aurors renvoya une vague de panique dans ses veines et il tira Noah sur ses pieds.

- Et il ne faut pas qu'on soit là quand ils arriveront. On a l'air assez suspect comme ça, viens.

Tomber sur les Aurors était bien la dernière chose qui leur fallait, surtout maintenant que les poches de Noah étaient pleine de documents confidentiels. Celui-ci ne chercha même pas à protester et ils laissèrent le corps de Renata derrière eux. Le simple fait de s'en éloigner – de la laisser là sur le bord des rails – lui donna envie de s'effondrer. Elle aurait dû avoir le droit au respect, elle n'aurait pas dû mourir.

Ils s'apprêtaient à repasser sous le tunnel pour sortir de la gare quand un bruit, infime mais audible, les firent s'arrêter net.

- Jules... ?

- Je sais, j'ai entendu.

On aurait dit un gémissement ou un léger cri apeuré. Il leva sa baguette immédiatement alors que l'adrénaline envoyait son rythme cardiaque à un niveau bien trop haut et avança avec prudence. Le bruit venait de la petite cabine sur le côté, celle où les tarifs de la gare aurait dû être affiché si la vitre n'était pas brisée en mille éclats sur le sol, exactement comme les lunettes de Renata.

Il échangea un regard avec Noah. Baguette brandie lui aussi, une sorte de compréhension passa entre eux, au-delà des mots, et ils se positionnèrent de part et d'autre de la porte à moitié ouverte de la cabine. Noah décompta silencieusement en hochant la tête à trois reprises, puis il entrèrent, baguette au clair. Un nouveau cri apeuré s'éleva d'un coup, strident.

- Me faites pas de mal... j'ai... j'ai rien fait, bégaya un vieil homme.

Les mains devant le visage pour se protéger, il était étalé au sol, les jambes emmêlées dans un fauteuil renversé duquel il avait dû tomber. Sa grosse moustache cachait à peine la terreur sur ses traits et Julian baissa sa baguette par réflexe. Noah, lui, la maintint en place.

- J'ai rien fait ! se récria la pauvre homme. C'étaient eux, pas moi !

- Eux ? fit Noah d'une voix sourde.

- Oui, eux ! Eux ! C'est eux qui ont fait ça à la gamine ! Pas moi !

Apeuré, il tenta de s'éloigner un peu plus, mais son dos heurta le mur du fond de la cabine faute de place. Des grosses larmes se mirent à briller dans ses yeux.

- Noah... c'est un moldu...

- Mais il a vu ce qui s'est passé. Pas vrai ? lança-t-il vers l'homme en s'avançant vers lui, sa baguette maintenant baissée. Vous avez vu ?

- Oui, oui ! Je dirais à la police, c'est promis ! Mais c'est pas moi !

Julian sentit sa nausée revenir en force face à la détresse de l'homme. Doucement, il vint s'agenouiller en face de lui.

- On le sait, ne vous en faites pas. Vous pouvez nous dire ce que qui s'est passé ? Ce qui est arrivé... à la jeune fille dehors ? Et s'il y avait une autre fille avec elle ?

- Pourquoi... ? Qu'est-ce que vous lui voulez à l'autre gamine ?

Toujours le teint cireux de peur, le vieil homme – son badge indiquait « Clayton » - leur décocha un regard méfiant et il eut un élan de gratitude envers lui. Même terrifié, il tentait de protéger une jeune fille après en avoir vu une autre se faire tuer, mais ça prouvait au moins une chose : Victoria s'était trouvée avec Renata ici.

Derrière lui, Noah le comprit aussi et jeta avec impatience, cinglant :

- C'est ma fille, on la cherche. Allez !

Le mensonge – celui forgé à la base quand Victoria était arrivée – résonna avec tant de naturel que Julian sentit son estomac se soulever. Le vieil homme parut malgré tout rassuré.

- Oui, oui, elle était là avec son amie... Elles ont acheté des billets pour Northampton...

- Elles voulaient s'éloigner de la ville, c'était une bonne idée, jugea Noah. Et ensuite ?

- Je ne sais pas trop, je... je n'ai pas tout vu... balbutia le vieil homme. Je lisais mon roman et d'un coup j'ai entendu crier... Je comprenais pas... C'était pas une bagarre, pas vraiment...

Les yeux écarquillés, presque fiévreux, il se mit à faire un geste d'explosion avec ses mains.

- Je crois qu'ils avaient... des... des sortes de feux d'artifices. Un truc comme les gamins achètent ! Y avaient de la lumière... la lumière partout ! Ils z'ont cassé ma vitre !

- Qui ? Combien ils étaient ?

- Combien... ? Je... je sais plus... Quatre ou cinq ? Y avait une femme, c'est sûr.

- D'accord...

Bon sang, le récit était confus. Mais pouvait-il blâmer ce pauvre moldu de ne pas avoir compris ce qui se jouait sous ses yeux ? De ne pas avoir compris que les forces d'un autre monde, littéralement imbriqué dans le sien, venaient d'entrer en collision avec son quotidien ? Non, évidemment, mais s'il voulait retrouver Victoria, il avait besoin de plus de précisions. Il inspira un souffle tremblant.

Ce qu'il s'apprêtait à faire était dangereux, mais il en avait la capacité... C'est juste qu'il n'avait plus pratiqué depuis longtemps – il ne l'avait même fait qu'une fois lors de ses études – mais il connaissait la théorie. Et en bon professeur-chercheur qu'il était, il savait que la théorie était le socle le plus solide qui soit.

- Noah...

- Hum ?

- Couvre-moi et regarde bien si les Aurors n'arrivent pas.

Il n'eut pas besoin de se retourner pour voir le froncement de sourcils de Noah.

- Jules, qu'est-ce que tu vas... ?

Mais il s'était déjà mis en action. Chaque seconde comptait pour retrouver Victoria et, sans geste brusque, il pointa sa baguette sur le front du vieil homme. Celui-ci eut un sursaut, étouffé par la panique.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? Laissez-moi, je vous ai dit que...

- Je sais, ça ne fera pas mal, rassura-t-il.

Puis, il entra dans son esprit.

A proprement parlé, il n'avait jamais été bon en Legilimancie. Ses propres pensées étaient déjà trop en désordre et fonctionnaient trop vites pour qu'il s'encombre avec celles des autres. Seulement, cette branche de la magie n'était pas la seule qui avait trait à la lecture de l'esprit, particulièrement la zone du cerveau qui touchait aux souvenirs. Des sortilèges existaient aussi. C'était le même principe magique qui permettait de faire sortir de sa mémoire des instants vécues pour les mettre dans une Pensine, les mêmes strates de sorts qui permettaient d'ailleurs d'enchanter une Pensine également. La seule différence, c'est qu'il ne sortait rien de l'esprit de Clayton : il regardait juste. C'était presque facile. Les souvenirs venaient de s'imprimer dans le cortex temporal, il n'avait même pas à chercher bien loin, ni à creuser profondément. Moins de risque de faire des dégâts donc et il était sûr que le pauvre homme ne sentirait rien à part un léger picotement. Les flash d'images et de sensations se succédèrent alors.

Une jeune fille à lunette et à l'air revêche – bien vivante – et une autre aux boucles brunes, anxieuse.

Quelle intrigue de roman formidable ! C'est sûr, c'était le mari le coupable !

Mais avant de finir, une sieste ne serait pas trop... il n'y avait jamais personne à cette heure-ci de toute façon...

Un groupe sur le quai. Tiens, ils sont habillés bizarre.

Des éclats de voix... Un contrôle d'identité ? Les gamines ne ressemblent pas aux délinquants habituels, souvent des immigrés d'ailleurs. Pas qu'il soit raciste, mais bon...

Le ton monte. Faudrait prévenir la sécurité ? Ah non, y'en plus, coupe budgétaire de la mairie.

BAM !

Eclair rouge, lueur bleu. Mon dieu, qu'est-ce que c'est que ce cirque !

Des éclats de verre, une chute.

Des nouveaux éclats de voix. Un Perroquet Noir... des imprimeries... Des Rafleurs, Victoria, ce sont des Rafleurs...

Les mots n'ont pas de sens.

PEUR

Se jeter au sol.

Il faut nous livrer le Perroquet.

Se redresser sur les genoux. Ils se battent, se tirent dessus. Est-ce que c'est un nouveau type de pistolet ? Les jeunes ont de tout, de nos jours !

Endoloris !

C'était comme une danse, la petite aux boucles brunes virevolte et bouge vite, mais elle a l'air d'avoir si peur... Elle a l'âge de sa fille...

AVADA KEDAVRA

Une chute, brutale... Un corps qui se fracasse... Un cri, horrible...

Julian s'extirpa de l'esprit où les images filaient et dansaient à une vitesse ahurissante, le cœur près à exploser et la nausée au bord des lèvres. Le cri déchirant de Victoria se prolongea dans une litanie horrible alors qu'il cillait pour reprendre pied avec la réalité. Une main s'abattit sur son épaule et il fit volte-face, à moitié étalé par terre.

- Jules ! Eh, Julian ! appelait Noah, paniqué.

- Ca va... ça va, je suis là.

Sa voix fut moins stable que ce qu'il avait escompté et il déglutit. Les jambes tremblantes, il se releva en vitesse, ignorant les points noirs à la périphérie de sa vision. S'il avait cru ressentir de la panique tout à l'heure, ce fut une terreur pure qui vint soudain l'ankyloser.

- On doit partir, dit-il d'une voix sourde. Tout de suite.

- Mais...

- Ils savent, Noah ! Ils cherchaient le Perroquet Noir !

Des deux mains, il venait de le saisir par le revers de sa veste et se retint de le secouer de toutes ses forces. Noah blêmit. Comme en écho, il se souvint brusquement de ces mots il y a des mois quand il avait appris pour son investissement dans l'Ordre, pour les caricatures et la révolution clandestine : « si je devais te retrouver un jour dans les escaliers avec la Marque des Ténèbres au-dessus de l'immeuble... j'y arriverai pas... tu peux pas me demander... ». Noah l'avait rassuré et lui avait promis que ça n'arriverait pas. Seulement, l'hypothèse ne paraissait plus si lointaine aujourd'hui alors que l'inquiétude lui labourait les entrailles.

- Comment... ?

- Peu importe comment ! Ils ont des doutes et ça suffit ! Joséphine te l'avait dit, il fallait tout arrêter !

- Jules...

- Bon sang, dans quel monde Joséphine Abbott est devenue plus rationnelle que toi ?

Noah ne trouva rien à répondre. La réalisation tomba sur ses traits, lourde et claire, et il se souvint d'autres mots, cette fois prononcés le soir de leur dispute après la virée shopping de Noah et Victoria en ville. « Il faut que tu comprennes qu'un jour t'arriveras pas à t'en sortir ». Noah était précisément en train de le comprendre.

Le cœur affolé, il ravala sa colère pour lui prendre la main et souffla avec urgence :

- On rentre. On rentre et on cache tout.

- Mais Vic' ?

- Elle n'est plus ici. C'étaient des Rafleurs. Ils ont moins de légitimé que la Brigade ou que les Aurors, mais ils ont le Ministère de leur côté. Elle doit déjà y être...

Le visage de Noah perdit encore plus ses couleurs.

- Putain... lâcha-t-il. J'aurais dû...

- Non, coupa Julian. Ça ne sert à rien pour l'instant, tu n'as pas à t'en vouloir. Tu l'as dit, elle est partie de son plein gré. Mais il faut qu'on y aille nous aussi. Maintenant.

Et c'est ce qu'ils firent. Il jeta quand même un oubliette à Clayton dont les yeux vitreux furent d'un coup libérés de la terreur inspiré par la scène dont il avait été témoin, puis ils quittèrent la gare ferroviaire. Au moment de s'engouffrer dans les ruelles d'Oxford, ils virent un groupe se matérialiser devant le parvis, une insigne violette épinglée sur leur cape. Les Aurors.

Sa main fermement agrippée à celle de Noah, Julian accéléra le pas sans un regard en arrière. Le corps de Renata n'était plus seul, à présent.

************************************

Verdict ? ^^ 

On a donc ici l'immédiateté de ce qui s'est passé pour Julian et Noah après la rafle de Vic. Le bonus suivant s'attardera davantage sur les jours et mois suivants, mais surtout sur la réaction de Simon bien sûr. 

En attendant, j'ai adoré écrire ce bonus ! Pour le début et toute la première partie, j'ai conscience que c'est moins raccroché à O&P et en même temps Charity en faisait aussi partie. Si chez moi, elle est cette jeune fille pleine de vie aux côtés de Matthew, elle était aussi la prof de Vic et c'était important de mettre un point final à son histoire. Et puis, ça me permettait de réutiliser Prudence, un personnage que j'ai à coeur mais si vous l'avez encore très peu vu ! 

Merci à tout le monde en tout cas, je suis si contente que ce bonus vous plaise autant. Vos réactions sur la partie 4 m'a fait  chaud au coeur, surtout votre enthousiasme à voir le Nolian plus évolué, plus apaisé, particulièrement Noah ^^ 

A bientôt !!! Bon courage pour le bac, je suis de tout coeur avec vous ! 

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