3. Les pièces rapportées
Paraît-il c'est la rentrée demain?
HELLO TOUT LE MONDE ! Perri speaking, en direct du compte de Marion - Marion retrouve son frère qui revient du Canada (on est tellement l'Hydre que ce WE j'ai retrouvé ma soeur qui revenait d'Asie, vraiment vies jumelles)
Bonus de rentrée a été réclamer chez moi, et Bonus de rentrée il y aura ! Bon courage pour celle.eux qui rentrent demain (et pour qui ce n'est pas le cas : ne vous vantez pas trop ... votre tour viendra !)
Comment allez-vous, sevrez de toute histoire de l'Hydre pour la première fois depuis ... whao, une éternité? Je pense qu'il y a toujours eu l'une d'entre nous qui postait ... Whao drôle de stat, même moi ça fait bizarre.
Concernant LHDI : Anna' a été très efficace, et si l'écriture n'a pas tout à fait commencé, toute la trame du tome 3 est tissée ! On vous a concocter DU LOURD (l'été va être rude, comme vous vous en doutez ...). On a aussi mis sur pied un bonus à 4 mains (pouahah comme si on avait pas assez à écrire toutes les deux)
ANYWAY vous vous souvenez de ce bonus centré sur la relation entre Noah et Joséphine? Dans les épisodes précédents, Noah s'est pris un balai avant de dissiper la réputation de Don Juan avec mille et une femme dans son lit qu'il avait dans l'esprit de sa "stagiaire". Puis en allant interroger Remus Lupin ils ont joué à "qui a fait le pire dans son adolescence" ! ça vous revient?
On reprend donc ... En 1996 ! (Fin de Tome 5 de Harry Potter). Joséphine commence à avoir de la bouteille à La voix du chaudron et sa relation avec Noah s'approfondit ... il est donc temps de rencontrer LES MOITIES <3
Eté 1996
Farhan crut qu'il allait mourir.
En une fraction de seconde, il eut trois occasions. Il venait d'achever une terrible journée de travail, dernière d'une terrible semaine et son souffle semblait sur le point de le lâcher lorsqu'il s'étala sur le lit, vidé.
Puis Joséphine était entrée dans la pièce, vêtue de sa somptueuse robe rouge et les effluves d'amades douce qui émanaient de sa chevelure cuivrée avait fait manquer beaucoup trop de battement à son cœur.
Puis elle avait ouvert la bouche d'un air contrarié, lâchant une phrase des plus déplaisante à cet instant précis. « Tu n'es pas prêt ? Mais on doit être chez Noah et Julian dans un quart d'heure ! ». Le peu d'énergie provoquée par l'apparition de Joséphine l'avait lâché et Farhan avait enfoncé son visage dans son oreiller avec un gémissement de dépit, prêt à s'étouffer.
Donc après avoir failli mourir trois fois en une fraction de seconde, Farhan se retrouvait donc arrimé au bras de Joséphine dans les rues étouffantes d'Oxford. Le seul plaisir dans cette situation était les rayons bas du soleil qui baignaient la ville d'un camaïeu de mauve et d'orange, et le parfum des cheveux de Joséphine qui embaumait toujours.
- T'as bien pris ta baguette ? lui demanda-t-elle pour la troisième fois.
- Jo...
- En ce moment, c'est une question légitime.
- Je sais. Mais oui, ne t'inquiète pas. Je l'ai.
Dans sa poche, sa main effleura le bois de sorbier familier de sa baguette. Plus personne – en tout cas aucun sorcier – n'aurait oser sortir sans depuis le début de l'été. Et pour cause, l'Angleterre semblait être retournée vingt ans en arrière avec le retour de Tu-Sais-Qui et de son armada de mangemorts. Pouvoir juste déambuler dans les rues d'Oxford, sous un soleil de fin de journée, pour se rendre à un dîner était étrange... mais la vie s'était un peu réduite à cela depuis quelques semaines : continuer à avancer tout en étant conscient que le monde pouvait basculer, voire était déjà en train de le faire.
Face à son silence, Joséphine parut se méprendre et tenta de reprendre d'un ton plus léger.
-Très bien, lâcha-t-elle en s'éventant le visage pour profiter de la légère brise estivale. Je sais que ta semaine avait l'air épuisante et que tu aurais certainement préféré tomber raide-mort...
-Là tu me parles ... La robe rouge me parlait aussi. Vraiment c'était pour me tuer. J'aurais pu tomber raide-mort après.
Un petit sourire, un brin orgueilleux, retroussa les lèvres de Joséphine. Elle le toisa brièvement l'air malicieux, avant de planter de nouveau son regard sur l'horizon.
-Très bien tu es fatigué et frustré. Une très mauvaise combinaison j'en conviens alors ... (sa voix se fila dans un murmure). Merci. C'est important cette soirée, pour moi ...
Ça, Farhan l'avait bien compris, et c'était bien pour cette raison qu'il avait fait tous les efforts du monde pour s'extirper de sa torpeur. Avec la semaine éprouvante qu'il venait de vivre, l'information avait eu le temps de s'effacer de son esprit mais il se souvenait parfaitement du sourire éclatant de Joséphine, à peine revenue du travail, lorsqu'elle lui avait annoncé que Noah les avait formellement invités à dîner le samedi soir. Ils déjeunaient tous les jours ensemble, soit sur le pouce penchés sur un article ou au Chaudron Baveur, mais Farhan n'avait eu que peu d'occasion de réellement échanger avec le patron de sa petite-amie – et de son avis, c'était précisément ce qui l'excitait dans ce dîner. Joséphine Abbot voulait faire se rencontrer les deux hommes qui, depuis quatre ans, partageaient sa vie.
Ce n'était pas dans les habitudes de Farhan d'être jaloux. Et en aucun cas il se sentait menacé par le fameux Noah Douzebranches. Il était ravi qu'après ses débuts difficiles, Joséphine s'épanouisse dans son travail et dans sa relation avec son supérieur. Elle avait véritablement l'air exaltante, intellectuellement enrichissante, et plus que tout, Joséphine avait enfin trouvé quelqu'un dans ce bas monde qui lui ressemblait. Quelqu'un qui pensait et réfléchissait comme elle, exactement, au lieu de l'ignorer, la moquer, ou simplement se contenter de la comprendre. C'est bien, se répétait inlassablement Farhan. Mais c'était accompagné d'un léger pincement au cœur qui lui laissait un goût amer sur le bout de la langue. Peut-être qu'enfin rencontrer Noah lui permettrait de faire passer la sensation.
-Je sais, assura-t-il d'un ton qu'il espérait doux. Et toi, tu as déjà vu Julian ?
-Quelques fois, mais on ne s'est jamais vraiment parlé. Enfin c'est drôle, c'est un ancien Serdaigle, je devrais m'entendre avec lui ? On devrait avoir des atomes-crochus, des façons de penser similaires ... Mais pas du tout, je sens toujours un décalage pour les quelques mots qu'on échange. Je pense que ça doit être sa stature de prof – il est enseignant-enchanteur à l'IRIS. Je ne sais pas, ça lui donne une aura ... intimidante.
Sans pouvoir s'en empêcha, Farhan arracha son regard au coucher de soleil sur la coupole de l'université et rejeta la tête en arrière pour éclater de rire.
-Il t'intimide ?!
-Ne ris pas !
-Joséphine Abbot, tu n'es intimidée par personne ! La dernière personne qui t'a intimidé c'est Fiona ! Ces dernières années à force d'aller fouiner partout et d'interroger avec insistance jusqu'aux hauts représentants du Ministère tu as pris encore plus d'aplomb – et je ne pensais pas que c'était possible ! Ce n'est pas toi qui devrais être intimidée par le monde mais nous face à toi, crois-moi.
La flaque de soleil dans laquelle ils passèrent éclaira crûment les joues rosies de Joséphine. Leur destination devait être atteinte car son pas s'arrêta devant une porte d'immeuble et elle pencha innocemment sa tête sur son épaule. Sa chevelure cuivrée recouvrit les bretelles de sa robe.
-Je t'intimide ?
Non. Joséphine Abbot avait cessé de l'intimider dès lors qu'elle avait réduit à néant l'une de ses potions en début de septième année. Ça avait déchiré le voile du mythe autour d'elle pour dévoiler la personne.
-Non, je te rappelle qu'on a dépassé ça le jour où tu t'es assise à côté de moi dans le sombre cachot de Rogue.
Joséphine s'esclaffa et flanqua un vague coup sur sa poitrine pour lui faire payer le rappel. Ce faisant, elle se rapprocha assez pour que leurs souffles se mélangent et tracent un chemin jusque leurs lèvres respectives.
-Ce que je veux dire, poursuivit Farhan avec un sourire. C'est que toi aussi tu as chopé une sacrée aura avec ton métier. Être journaliste, ce n'est pas rien. Je comprends qu'on puisse se méfier d'une fille comme toi ... Les années ont passé Joséphine, mais tu as toujours l'air d'un hippogriffe lancé à pleine vitesse sur les gens.
-Toi, tu sais parler aux femmes.
-Je n'ai jamais dit que c'était une critique. Je pense même que c'est une qualité remarquable dans ton métier. Tu n'aurais pas réussi à t'accrocher à La voix du chaudron si tu n'étais pas aussi opiniâtre. Et si tu ne brûlais pas autant de donner ton avis sur tout.
-C'est faux. Je n'ai pas encore préparé le moindre papier sur le nouvel album des Bizzar' Sisters que je trouve affreusement décevant. Je suis sûre que c'est pour ça qu'ils ont donné leur accord pour jouer à Poudlard à Noël dernier. Pour se racheter.
-Vraiment sur tout.
Joséphine rit de nouveau et cette fois, Farhan ne résista à l'envie de combler la distance et l'embrassa un baiser léger sur des lèvres glaciales mais qui réchauffa tout son être. Quatre ans, et il lui semblait que son désir pour Joséphine Abbot ne s'éteindrait jamais. Même au bord de l'épuisement, rendu groggy par la chaleur, terrassé par le travail, il vibrerait toujours pour elle. Lorsqu'elle rompit leur étreinte, elle eut le bon goût de ne pas trop s'éloigner pour que son souffle continue de caresser Farhan.
-Ça c'est parce que tu as plus urgent à traiter, souffla-t-il.
Le sourire de Joséphine s'estompa légèrement et son regard quitta les lèvres de Farhan pour revenir sur l'entrée de l'immeuble.
-Vraiment plus urgent, confirma-t-elle dans un murmure.
-Et je suis fier de toi parce qu'il fut un temps tu aurais planté ton repas de famille pour te précipiter sur ta plume et te mettre à hurler de rage avec de l'encre partout. Là tu as su attendre, observer, écouter ... je ne sais pas. Le journalisme ça t'a donné ... de la souplesse, de l'adaptabilité, du recul. Ça t'a rendu meilleure.
De nouveau, les yeux de Joséphine s'aimantèrent à lui. Il n'eut pas le temps d'apprécier la flamme dans ses yeux qui vacillait qu'elle fondait de nouveau sur lui, pressa ses doigts contre sa joue mal rasée et l'enivra d'un nouveau baiser. Farhan aurait pu rester des heures à laisser le soleil jeté sur eux leurs derniers rayons avant de disparaître et juste se nourrir de la chaleur de Joséphine, mais de façon lointaine, un clocher sonna la fin de leur baiser. Lorsque Joséphine s'écarta, un sourire carnassier retroussait ses lèvres.
-Vraiment, tu sais me parler. Voyons si tu as le même don avec Noah Douzebranches !
Elle l'attrapa par la main et les fit s'engouffrer dans l'immeuble. Farhan la suivit, bon gré malgré gré et grimpa vaillamment les quatre étages qui les séparaient du dernier niveau. Il inspectait encore les escaliers de béton nus et la beau bâtiment illuminé au loin visible à travers les grands carreaux qui perçaient les murs de brique quand la porte s'ouvrit. L'homme dans l'encadrement avec les cheveux noirs bouclant sur ses oreilles, des yeux clairs propres à percer le front et un sourire qui, si toutefois c'était possible, était encore plus narquois, carnassier et annonciateur du pire que Joséphine. Il ouvrit la bouche, mais avant que le moindre mot de bienvenu n'en sorte, celle-ci planta un index impérieux sur sa poitrine.
-L'homme qu'il me fallait ! Avance Douzebranches et trouve-moi plume et parchemin : on a à causer.
Sur ceux, elle se débarrassa son sac d'un haussement d'épaule et avant de l'envoyer valser sur leur hôte qui l'attrapa tant bien que mal tandis qu'elle entrait dans l'appartement. Noah ne montra pas la moindre surprise lorsqu'il se tourna vers Farhan, un sourire dressé. A dire vrai, il était persuadé que l'étincelle qui brillait dans son regard devait se retrouver quelque part dans ses propres prunelles. Ça, c'est notre Jo.
Sans un mot, Noah s'effaça souplement pour laisser Farhan entrer et lança à la cantonade :
-Même pas un bonjour, même pas une présentation, et veut parler boulot avant même d'avoir eu son verre d'hydromel... Jules, je te présente Joséphine !
« Jules » devait être l'homme qui se tenait au milieu du salon, une belle bouteille digne des caves cachées et jalousées de Tom le barman. Vêtu d'un simple t-shirt vert sur un jean, il était loin de l'image de professeur inaccessible que Joséphine lui avait décrite. Le sourire qu'il leur adressa rassura immédiatement Farhan sur la tenue de la soirée : quoiqu'il arrivait, quoique Noah et Joséphine trouvent pour déclencher une tempête ou un brasier, il aura un allié dans cette pièce.
-On s'est déjà croisé, dit-il en serrant la main de Joséphine, vaguement amusé. Un prénom en trois syllabes et il ne t'a toujours pas trouvé de petit surnom sympa ?
- « La stagiaire », articula Joséphine avec un regard torve pour Noah. Depuis trois longues années.
-Je peux innover, si ça t'indispose. Jo c'est trop classique. Josie ? Josette ? Rita Skeeter Junior ?
Joséphine grimaça à tout et réserva une exclamation indignée pour la dernière proposition. Elle se tourna souplement vers Noah dans un tournoiement de feu et ce fut sans doute pour éviter une confrontation d'entrée qu'il choisit d'esquiver d'un habile :
-C'est que tu nous as sorti le grand jeu !
Joséphine remballa l'index qu'elle avait sorti pour lisser les plis de sa robe, à peine tendue malgré sa coupe proche du corps. Un sourire à moitié penaud s'étira sur ses lèvres.
-Honnêtement, je l'ai sortie des tréfonds de mes placards ... je ne pensais pas qu'elle m'allait encore, j'ai dû renoncer à la plupart de belles tenues de jeune fille. Quand j'ai arrêté le Quidditch et réduit la cigarette à l'occasion, j'ai découvert quelque chose : j'ai des hanches, et des fesses. Mes sœurs ont été ravies de la découverte ...
Farhan fit de gros efforts pour ne pas lever les yeux au ciel. En vérité, Joséphine avait vécu sa prise de poids – toute relative, simplement la fin du métabolisme magique qu'ils devaient tous subir un jour – avec beaucoup de philosophie. La douleur, en effet, c'était de devoir laisser au placard une à une ses plus belles tenues, héritée du temps où sa mère était capable de payer des fortunes pour que sa fille paraisse parfaite. C'était bien le seul gage de sa famille dysfonctionnel dont Joséphine avait profité et abusé. A présent, elle n'avait plus les moyens de s'acheter des tenues si somptueuses et se contentait de robes de sorcière basiques, voire de seconde main.
Julian esquissa un sourire.
-C'est ce genre de sœur ?
-Berry n'a jamais accepté sa prise de poids et a été contente de me voir suivre ses traces à quelques années d'écart. Et Ophélia ? C'est écœurant, même après sa grossesse elle est restée svelte et gracieuse.
Toute excitée, Joséphine tapa dans ses mains de manière exagérément enthousiaste.
-Ma famille ! Parlons-en, c'est ce qui m'amène ...
-Jo, tu es ici parce qu'on t'a invité, rappela Noah avec une ironie coupante. Ainsi que Farhan. Bonjour Farhan d'ailleurs.
Noah comme Julian lui adressèrent un sourire et Farhan sentit sa cage thoracique se refermer sur son cœur devant l'attention dont il faisait soudainement l'objet. Joséphine aussi avait les yeux rivés sur lui et les traits de son visage s'étaient légèrement affaissés. Brusquement coite, elle s'assit sur le fauteuil derrière elle et déploya sagement sa jupe sur ses genoux. Noah, quant à lui, abandonna le sac de Joséphine sur une chaise pour lui tendre une main encore couverte de peinture – comme celle de Joséphine l'était encore d'encre.
-Ravi de te rencontrer et de mettre enfin un nom sur un visage !
-Je dois le dire ... de même, avoua-t-il en serrant la main tendue de bonne grâce. Et merci de supporter Joséphine lorsque j'en suis incapable.
Joséphine encaissa humblement la pique en levant un verre pétillant d'hydromel que Julian venait de lui verser. Le sourire sur les lèvres de Noah s'accentua.
-Je ne la supporte pas, malheureusement, je l'entraine. (Et il se laissa tomber dans le sofa, les yeux dardés sur Joséphine comme une araignée sur sa proie). Je t'écoute la stagiaire, qu'est-ce que ta famille t'a appris ?
Le cœur tomba dans la poitrine de Farhan pendant qu'une seconde de silence précédait les explications de Joséphine. Quand les informations venaient de son père, elles prenaient toujours une place démesurée dans les pensées de sa fille. Depuis qu'Aloyssius avait lâché les quelques miettes en plein repas pour fêter l'anniversaire de sa femme, Joséphine ne songeait qu'à cela. Déjà, à peine installée à même le sol pour se tenir proche de la table basse, elle sortait son matériel de son sac.
-Fudge a cédé, il va enfin convoquer des élections, annonça Joséphine d'un ton grave. Et apparemment, le bureau des Auror force pour que son chef, Rufus Scrimegeour, soit l'unique candidat.
-Ce ne serait donc plus vraiment une élection, fit remarquer Julian.
-Précisément. Mais ces hommes d'actions souhaitent que toute cette partie aille vite pour qu'ils puissent s'atteler au cœur du problème ... Ce serait un vrai déni de démocratie, mon père dit qu'ils ont intimidé la moitié des membres du Mangenmagot au nom de l'urgence nationale ! La Gazette ne dit rien, elle se contente d'être heureuse que Fudge abdique enfin ... mais nous on pourrait proposer un peu plus. On doit proposer plus.
Farhan ne savait pas comment la scène s'était si vite transformée en réunion de travail. Mais en y regardant de plus près, seule Joséphine brûlait vraiment, plume et parchemins à la main, prête à rédiger l'article sur l'heure. Noah, plus nonchalant, était resté statique sur son sofa, sa coupe d'hydromel dangereusement inclinée vers le tapis.
-C'est peut-être ce qu'on devra faire. Mais actuellement ce qu'on devait faire, c'était prendre un apéro et profiter tranquillement de l'été.
-Noah, râla Joséphine en levant les mains au ciel. Je te parle de quelque chose d'important ! Promis dès que j'ai avalé ma coupe d'hydromel on part sur les ragots juteux.
-A la bonne heure ! (Noah lui tendit sa propre coupe avec un sourire). Commence maintenant. Tu es mortellement sérieuse depuis que tu es entrée.
C'était vrai, songea vaguement Farhan, embarrassé. Et quelque part, il savait que la gravité de Joséphine venait en ligne droite de sa source. C'était son père qui l'avait mis en garde. Son père. Ce n'était pas neutre. Quelque part, malgré les années, les blessures et les pardons, il y avait une petite fille au fond de Joséphine qui brûlait de faire ses preuves aux yeux de son père. Noah ne pouvait pas deviner que cette affaire touchait au plus intime de sa « stagiaire ».
-Mais ...
-Joséphine, la coupa Noah avec un soupir. Au-delà du fait que je ne vous ai pas invité pour parler travail et qu'on doit somptueusement ennuyer Julian et Farhan actuellement ...
-Pas du tout, réfuta Julian, les sourcils froncés.
-... ça fait quelques mois que tu n'as pas besoin de mon approbation pour prendre la plume. Si tu sens qu'il y a quelque chose à creuser, fonce. Tu as carte blanche.
-Je touche au Ministère. C'est toujours sensible quand on touche au Ministère, Noah, j'ai pensé que tu voudrais en informer tes supérieurs outre-Atlantique avant de ...
-Hé. Si ma ligne éditoriale ne leur plait pas, qu'ils embauchent un autre rédacteur-en-chef ! Il y a longtemps que j'ai décidé de te faire confiance. Hydromel ? Vieilli en fût, Julian l'a eu d'un collègue !
Il tendit la belle bouteille, que Joséphine contempla quelques secondes en silence. Farhan craignit de devoir la rappeler à l'ordre d'un regard ou d'un coup dans la jambe, mais elle finit par lâcher sa plume pour saisir son verre. Avec un sourire appréciateur, Noah le remplit du somptueux liquide mousseux. Ils se lançaient des drôles de regard par-dessus la coupe et les bulles, lourds d'échange silencieux. Mais après une première gorgée, Joséphine éclata de rire à un bon mot de Noah et la légère crispation disparut totalement.
En face de Farhan, Julian disposait des apéritifs et des serviettes. Il remarqua l'agencement des formes, des couleurs et se rappela ce que Joséphine lui avait brièvement raconté : il s'agissait d'un couple d'artistes. Si c'était visible sur les mains colorées de Noah, rien ne l'indiquait chez Julian. Ni dans l'appartement, par ailleurs. Tout était propre, bien rangé. Le tapis bleu roi tranchait avec le parquet à chevreaux. Des photos et des affiches tapissaient les murs. Autour de la porte s'articulait une bibliothèque de livres, grimoires et vinyle devant laquelle Farhan sourit. Il appréciait assez le mélange.
-Désolé, Noah a la tête dure, lui lança Julian sur le ton de la confidence. Je veux dire, il a décidé que ce soir il se détendrait donc ce soir il va se détendre.
-Je connais, j'ai la même à la maison. Elle a décidé qu'elle parlerait travail alors ...
Julian partit d'un petit rire, à moitié complice et Farhan se demanda à nouveau ce qui pouvait bien intimider Joséphine. Le regard du professeur était doux, avec l'étincelle de la profonde intelligence qui dormait.
-Il faut dire que ses nouvelles sont préoccupantes, convint-t-il en redressant une serviette sur la table basse. Je me souviens parfaitement de la première guerre ... et d'à quel point les politiques s'en servent d'un levier pour accumuler le plus de pouvoir possible en profitant de nos peurs. Croupton par exemple ... j'ai assisté à un nombre incalculable de procès, assez pour le voir de près ...
Du coin de l'œil, Farhan remarqua que Joséphine n'avait pas loupé le moindre mot de Julian. Pourtant elle gardait les yeux sur Noah et un sourire de façade aux lèvres. Elle avait depuis très longtemps développer l'art d'avoir les yeux quelques part, les oreilles autre part et l'esprit encore ailleurs.
-Pour ce que ça vaut, je suppose que ... Joséphine a raison de creuser, conclut Julian avec un soupir. Même si ça n'a rien de réjouissant ... et que ce n'est pas le plus effrayant dans ce qui est en train de se passer ...
Et Farhan le perçut, l'éclair qui déchira les prunelles vertes de Julian Shelton. Comme toujours, il vit, mais se tut. Il fallait avoir été heurté et maltraité par la guerre pour avoir assisté à « un nombre incalculable de procès ». Savoir qu'ils avaient la guerre et ses vestiges en commun n'aidait pas à créer des liens. Au contraire, ce sinistre point commun créait plutôt un gouffre obscur qu'il était malséant d'invoquer à une soirée mondaine.
-Vous avez toujours habité à Oxford ?
C'était sans doute un changement de sujet digne du manque de finesse de Charlie Weasley, mais Farhan connaissait si peu Julian Shelton qu'il avait une marge de manœuvre réduite. Fort heureusement, il ne s'offusqua pas et le gratifia même d'un sourire.
-Pas du tout ! Je suis un Londonien de pur-souche et pendant mes années américaines j'habitais New-York. Un citadin jusqu'au bout des ongles, il a fallu que je me traine jusqu'à Oxford ! Mais je suppose que tu dois comprendre, j'ai cru entendre que tu avais grandi à Londres aussi ?
-Au beau milieu du Chemin de Traverse. Alors que j'ai un petit côté agoraphobe. Alors je vous avoue que même si j'y ai grandi, je n'aspire qu'à retrouver la campagne irlandaise !
-Irlandaise ? s'étonna Julian. C'est ... un rêve particulier ? Un délire ?
Merlin il y a trop longtemps que je ne suis pas allé en Irlande, regretta Farhan, la bouche tordue. Son accent s'érodait quand il s'éloignait trop de sa patrie. Fort heureusement, il pouvait toujours compter sur Joséphine pour remettre les pendules à l'heure. Elle cessa enfin de feindre d'écouter Noah et éclata d'un grand rire. Toujours assise sur le tapis, le coude posée sur la table basse et son verre à la main, elle avait l'air beaucoup trop à l'aise pour quelqu'un qui venait pour la première fois.
-Fais attention Julian, il y en a qui se sont pris des sorts pour moins que ça !
-Jeter un sort. A Julian, déclama Noah, un sourcil dressé. Stagiaire, prépare-moi le pop-corn que j'assiste au massacre !
-Farhan est excellent en maléfice.
-Julian est professeur à l'Institut de Recherche Intensive de Sortilège.
-Mais c'est qu'il a fini par retenir la signification de l'acronyme au bout de dix ans, soupira Julian, consterné.
Farhan aurait reconnu ce ton désabusé à moitié attendri entre mille. Il était certain qu'exactement le même enrobé sa voix dès qu'il devait faire une remarque à Joséphine.
-C'est simplement pour donner tort à quelqu'un, fit valoir Farhan, de façon totalement hasardeuse. Il aura oublié dans dix minutes.
Julian le contempla quelques secondes, la bouche entrouverte. Ses yeux s'abaissèrent ensuite de chaque côté de son nez droit pour détailler Joséphine qui se chamaillait toujours avec Noah de qui entre Julian et Farhan aurait le dessus dans un duel. Et de l'avis de Noah, au vu des mots qui s'envolaient et des octaves qui passaient, la chamaillerie allait elle-même déboucher sur un duel.
-Ainsi c'est vrai, lâcha Julian, et un rictus amusé retroussa ses lèvres. Ce sont les mêmes.
-C'est ce que j'ai entendu. Deux âmes écorchées vives, qui veulent hurler, mettre le monde face à ses contradictions, avoir raison à tout prix, tombe amoureuses d'un garçon pas né sur le même sol qu'eux dans leur classe ...
Julian s'esclaffa à la dernière phrase et leva les deux mains, l'air contrit.
-Pardon, tu es donc né en Irlande ...
-Encore raté, mais ce n'est pas grave, rit Farhan, pris de pitié. Je suis né à Jéricho et j'ai été adopté par un Nord-Irlandais.
-Sombre histoire, juteux ragots ? devina Julian avec un petit coup d'œil pour Noah.
-Exactement.
-Comme mon histoire avec cet énergumène, soupira Julian.
-D'ailleurs j'ai sincèrement une question de la plus haute importance pour toi, annonça Joséphine, son regard planté sur Julian avant de désigner Noah d'un grand geste. Qu'est-ce qu'un anglais bien élevé a un jour trouvé à un artiste à moitié raté qui sortait avec une fille ?
Farhan accuserait bien l'hydromel, mais la vérité c'était qu'une Joséphine des plus sobres et des plus calmes aurait été capable de poser une telle question avec un tel aplomb. Peut-être qu'il n'aurait pas dû lui rappeler qu'à présent elle pouvait regarder tout le monde dans les yeux et la laisser continuer à craindre Julian Shelton. Lequel, fort heureusement, était d'une généreuse nature car il n'offusqua pas du manque de tact de Joséphine. Il se contenta simplement de secouer la tête. Comme Farhan le faisait, à la seconde près.
-Je vois que Noah n'est pas le seul à vouloir jouer les commères ... je suppose que ça doit être une seconde nature chez les journalistes. Je commence par quoi ? Le fait qu'il était le seul à parler le même langage artistique que moi ? Qu'il m'a fait comprendre qui j'étais ? Que ... ?
-Ne l'écoute pas, il n'y a qu'une seule réponse, la stagiaire, l'interrompit Noah avant de passer une main dans les boucles noires qui couvraient son front. Ce sont les cheveux. Julian ne peut pas résister à ma chevelure soyeuse et indomptable.
-Soyeuse et indomptable, c'est si toi, fit mine s'ébahir Joséphine avec un rictus qui détrompait son ton.
-C'est comme ça, marmonna Julian.
Le regard était dangereux. Avec une certaine satisfaction, Farhan sentit la pique s'élever dans l'esprit de Julian et s'abattre d'une voix calme, si calme ...
-Et moi, Noah, tu peux dire à Joséphine ce que tu m'as trouvé ?
-Oh, Jules, gémit Noah en se frappant le front du plat de la paume. Tu es impitoyable dans les duels ...
-Et ça tu aurais dû t'en rendre compte dès que tu m'as vu affronter Théa en personne. Alors ?
La tête affalée contre son poing, Noah considéra son compagnon, une moue aux lèvres. Ses boucles dont il était si fier semblait avoir perdu une partie de leur éclat pour s'accorder à sa mine déconfite.
-L'accent ... l'accent anglais, au milieu d'une classe d'Américain. Il n'y a pas à dire ça fait ... (Il se râcla la gorge) quelque chose.
Il darda un regard noir sur Joséphine qui ne le quittait pas des yeux, un cracker à mi-chemin de sa bouche.
-Vas-y, moque-toi. Je sens que tu es venue pour ça ...
-Elle ne peut pas ...
La confession avait jailli toute seule des lèvres de Farhan. Il n'aurait jamais dû. Sa qualité principale demeurait dans le silence. Mais depuis quelques secondes, ses yeux allaient trop vite de Noah à Joséphine, si vite que les couleurs se brouillaient et que de véritables fils apparaissaient entre eux. L'image était encore floue quand Joséphine s'étrangla d'indignation et il entendit le craquement sinistre du cracker.
-Hé ! Tu n'es pas venu ici pour me balancer !
-Je suis désolé, mais avoue que ... (Le rire qui s'échappa de sa gorge tenait presque du gloussement). Bon sang Jo, c'est drôle, quoi ! Vous allez jusque-là !
-Bien sûr qu'il est venu ici pour balancer ! jubila Noah en glissant jusque lui sur le canapé. Farhan, mon cher Farhan, je savais que nous étions faits pour nous entendre : dis-moi tout ! C'est l'accent irlandais qui l'a fait craquer ? Oh Joséphine j'ai entendu l'accent irlandais, c'est mignon tout au plus.
-Mignon, répéta Farhan, un brin vexé. Et non, ce n'est pas l'irlandais.
-Tu parles arabe, devina Julian avec un petit sourire.
Farhan confirma d'un sobre hochement de tête. Joséphine était devenue aussi cramoisie que sa robe. D'un geste empreint d'une dignité forcée, elle rejeta ses cheveux en arrière et releva le menton.
-C'est sa langue maternelle, c'est touchant quand il la parle ...
-Touchant, bien sûr, lança Noah, l'œil allumé. Extrêmement touchant bien sûr j'imagine, touchant dans euh ... tous les sens du terme, n'est-ce pas ?
-Et toi dis-moi comment tu fais pour ne pas émoustiller tout le temps depuis que tu vis en Angleterre ? contrattaqua Joséphine. On a tous l'accent anglais je te ferais remarquer, darling.
-Oui ... mais vous le faites tous infiniment moins bien que Jules. (Il tapota son genou avec un sourire goguenard). Mais toi, parle-moi de l'arabe. Au moins c'est original !
Combien temps cela pouvait durer ? songea Farhan en les observant. Ils faisaient la même taille, étaient élancé de la même manière, et même l'indiscipline de leur chevelure avait quelque chose de similaire – si bien qu'il comprenait que Julian puisse avoir une fascination certaine pour les boucles de Noah ... Mais là s'arrêtait la comparaison physique. Alors que sous l'enveloppe corporelle leur couleurs et leurs feux semblaient être les mêmes. L'étincelle mutine où brillait un défi silencieux dans le regard de Noah, il la connaissait par cœur. C'étaient des miroirs qui se renvoyait balle pour balle, trait pour trait et l'épuisement tomba sur les épaules de Farhan. L'émulation entre eux était certaine, mais fatigante. Il n'osait pas imaginer la vie au bureau.
Noah et Joséphine ne cessaient pas. Julian était parti en cuisine, alors il trouva seul le chemin de la salle de bain, sur une passerelle à un étage supérieur. Il fit coulisser la porte et s'aspergea copieusement le visage d'eau. Il profita du calme quelques minutes car en bas les chamailleries continuaient. Un cri fut même poussé et un rire hurla dans la pièce. Il dut couvrir le son des pas, car Farhan fit un véritablement bond quand la porte – dont il n'avait pas trouvé le verrou – s'ouvrit devant lui. Il se félicita secrètement de n'avoir fait que se rafraichir, quand bien même celle qui l'ouvrit fut Joséphine. Contrariée. Avec un regard de tueuse. Et la robe tâchée d'une grande alvéole plus foncée au niveau de la jupe.
-Noah a renversé son verre sur moi, maugréa-t-elle en avançant d'un pas volontaire vers le robinet. Je suis presque persuadée qu'il l'a fait exprès, mais il se contente d'en rire.
-Et tu n'as pas de baguette pour nettoyer ça ?
-Dans le sac que j'ai jeté à Noah. Je ne sais pas où il l'a mis.
Farhan soupira devant la négligence de Joséphine et sortit sa propre baguette de sa poche.
- Je croyais qu'on devait garder notre baguette à portée de main tout le temps, lui rappela-t-il. C'est ce que t'arrêtes pas de me répéter.
- Et bien je ferai mieux de m'écouter un peu plus...
Une seconde, et l'hydromel fut aspirée par la pointe de sa baguette. Joséphine cessa de trifouiller le robinet pour se tourner souplement vers lui. Une sorte d'attente nerveuse émanait de ses grands yeux noisette.
-Alors ?
-Alors ... c'est explosif.
Joséphine grimaça.
-Ce n'est pas ... toujours comme ça. Parfois c'est juste (elle agita les mains autour de sa tête). De la stimulation intellectuelle, des idées qui fusent. C'est toujours une grande émulation cela dit. Il a raison, on s'entraine, on est une roue infernale quand on est lancé mais ... on peut être lancé sur des choses beaucoup plus calmes.
-C'est ma présence qui déraille tout, c'est ça ?
Pour se redonner constance, Joséphine tenta de faire passer sa nervosité par la sensualité. Un sourire terrible s'étira sur ses lèvres et son pied vient frotter sa jambe avec langueur.
-Mais ça me semble évident ! Il est habitué à l'accent anglais maintenant, je suis sûr qu'un mot d'arabe et il est dans tes bras ...
-Jo, si je ne suis jamais tombé amoureux de Charlie, c'est qu'un mec n'aura jamais sa chance avec moi.
Le constat placé du tac au tac avec son flegme coutumier arracha un petit rire à Joséphine. Elle passa une main dans ses cheveux sublimés par la simple chandelle fixée au mur avant d'entortiller sa chaîne autour de son doigt.
-Tu ne dérailles rien, Farhan. On est vraiment comme ça, parfois ça peut monter. On n'a pas vraiment de limite, pourquoi on en aurait ? On est deux miroirs qui se reflètent. C'est infini.
-Je l'ai très bien compris, ça. Et ... je vais pas te mentir, j'en suis un peu soulagé.
Joséphine planta un regard sceptique sur lui.
-Soulagé ? Pourquoi ... ? (Son visage se décomposa). Oh non, nom d'un Farfadet, ne me dis pas que tu étais jaloux de Noah ?
-Nom d'un Farfadet ? s'esclaffa Farhan, charmé. Attends, tu peux me répéter ça ?
-Ça fait quatre ans que je vis avec toi, O'Neil, tu déteins sur moi !
-Mais c'est adorable ! Si ça se trouve tu auras l'accent irlandais un jour !
-Ne pousse pas le bouchon ! prévint-t-elle en plaquant une main sur sa poitrine.
-Et si ça me faisait finalement le même effet qu'à toi quand je parle arabe ?
La main sur son torse se fit plus pesante. La lumière tamisée ne rendait plus éclatante la lueur qui s'était allumée dans les yeux de Joséphine.
-On reprendra cette idée plus tard, souffla-t-elle. Tu avais vraiment peur de Noah ?
-Pas du tout, promit-t-il en posant un baiser sur son front pour ancrer le message. Vraiment pas, je ne me suis jamais senti ... menacé par Noah. Peut-être que j'étais sceptique quand tu m'assurais qu'il était exactement comme toi, parce qu'à mon sens tu es unique et tu le resteras. Disons que maintenant je comprends plus.
-Qu'est-ce que tu comprends ?
-Pourquoi tu es épuisée quand tu rentres du travail. (Pour marquer sa désapprobation bien à elle, Joséphine enroula ses bras derrière sa nuque avec un sourire dépité). Mais en fait j'ai surtout l'impression que ... tu hurles sur lui ce que tu aurais pu hurler dans ton journal intime il fut un temps. Et que ça doit te faire du bien qu'on te réponde un peu au lieu de t'adresser au vide des pages blanches.
Le léger sourire de Joséphine s'était figé sur ses lèvres. Elle tourna légèrement la tête et la lumière accrocha les paillettes d'or qui soupoudraient ses paupières. Ils étaient bien trop proches à présent et les mains de Farhan glissèrent sur ses hanches pour savourer la douceur du tissu de la belle robe sous ses doigts.
-Comment oses-tu dire que je suis jaloux ? La jalousie c'est ton domaine Joséphine Odélia Abbot.
-Mon domaine est nettement réduit depuis quelques temps. Je m'en suis constitué de nouveau ... infiniment plus satisfaisants. (Elle planta de nouveau son regard sur lui et dressa un sourcil). L'accent irlandais te ferait vraiment de l'effet ?
-J'ai juste trouvé ça adorable que tu reprennes mes expressions.
-Juste adorable ?
La moue sur les lèvres de Joséphine fut irrésistible : il fondit dessus, la picora, la transforma en baiser doux, intense, puis passionné. Ses mains glissèrent sur la robe qu'il brûlait d'effleurer depuis qu'il l'avait vu apparaître dedans. Joséphine frémit contre lui et posa une main ferme sur sa mâchoire pour l'écarter l'espace d'une seconde. Ses pupilles avaient pris une place démesurée dans ses yeux et le souffle qui s'abattait sur sa peau avait d'ores et déjà quelque chose d'erratique et d'insoutenable.
-On est dans une salle de bain O'Neil. Attention, tu sais ce que ça veut dire ...
-Si ce n'était pas grave pour Charlie, ce n'est pas grave pour Noah ?
-Qu'est-ce que tu crois ? Je n'ai mis cette robe que pour que tu puisses me l'enlever ...
C'était tentant. Très tentant. Tout son être hurlait à quel point il était tenté et à quel point il rêvait de faire bruisser cette robe sur la peau de Joséphine, d'être celui qui la ferait choir à ses pieds avant d'y tomber lui-même. Le désir rugissait d'autant plus qu'un sourire délicieux s'étirait sur les lèvres de Joséphine. D'une impulsion sous son menton, elle l'obligea à incliner la tête et posa ses lèvres sur sa gorge. Farhan se sentait sur le point de dérailler et de totalement s'abandonner à elle et mobilisa ses maigres forces pour exhaler :
-Et si ... on se décidait à garder ça plutôt pour cette nuit ?
-Oh non, gémit-t-elle contre sa gorge. Non, Farhan, ne me fais pas ça encore ...
-Navrée ... mais ce n'est pas souvent que j'ai l'occasion de te retirer une robe pareille ... et je veux en profiter pleinement.
Pour faire bonne mesure, il planta un long baiser sans équivoque sur ses lèvres qui obligea Joséphine à se raccrocher au lavabo pour ne pas sombrer. Il faillit être pris à son propre piège, se laisser enivrer par leurs langues qui venaient de s'effleurer, par les courbes de Joséphine sous ses doigts et le parfum d'amande qui émanait toujours de sa chevelure. Et alors qu'il s'apprêtait à rompre tout entier, à soulever cette jupe simplement pour goûter à ce que pouvait les attendre ce soir, ce fut elle qui fut sage en s'écartant d'un souffle. Elle vint cueillir sa joue dans sa paume avec un mélange de douceur et de déception.
-Marché conclu. Mais je balancerai à Charlie que tu as plus d'égard pour Noah que pour lui.
-J'ai plus d'égard pour Julian, prétendit Farhan, assourdi par les battements effrénés de son cœur. Je suis un garçon bien élevé, je ne profane pas la salle de bain d'un professeur.
-Moi je suis sûre que j'avais raison et que tu l'aurais battu en duel, assura-t-elle avec hauteur avant de tapoter son épaule. Allez, sors de là. Je vais en profiter pour faire quelque chose que personne, même Noah, ne peut faire à ma place.
Farhan rit, et se garda bien de l'embrasser en la quittant, de peur de ne plus pouvoir après détacher ses lèvres d'elle. Arracher les mains à sa peau et à sa robe fut bien assez pénible. Avec une petite œillade enflammée, Joséphine referma la porte derrière lui et la bulle claqua aussi simplement.
***
- Alors ?
Julian releva les yeux de la poêle dans laquelle les légumes étaient en train de cuir doucement pour découvrir Noah adossé au chambranle, son verre d'hydromel encore à la main. Il avait dû se resservir car son contenu avait fini par sur la robe de Joséphine quelques minutes plus tôt et elle était encore à l'étage en train d'essayer d'enlever la trace.
- Alors quoi ?
- Donne ton verdict. Qu'est-ce que tu penses d'eux ?
Il sourit. Vraiment, Théa avait eu raison un jour : Noah était la pire des commères.
- Honnêtement ? J'ai l'impression de déjà connaître Joséphine avec tout ce que tu m'avais raconté, fit-il en baissant la voix pour éviter d'être entendu par d'éventuelles oreilles qui traînaient. Elle est... fidèle à sa légende. Et Farhan a l'air d'être beaucoup plus calme et posé, ce qui ne lui fait pas de mal, mais il a un bon sens de l'humour. Je pense qu'on peut bien s'entendre.
- Hum...
Noah hocha la tête, l'air en accord avec sa réponse, mais ses yeux s'étaient perdus dans le vide, signe que son esprit dérivait sûrement ailleurs. Ce qui, le connaissant, pouvait présager du meilleur comme du pire. Baissant le feu de cuisson des légumes, il les délaissa pour s'approcher de lui et tenta d'intercepter son regard.
Il le savait ; ce dîner était important pour lui. Depuis le début de l'été, l'atmosphère était pesante en Angleterre... et entre eux aussi. Et même s'il s'en voulait, il devait admettre qu'il en était en grande partie responsable, mais c'était plus fort que lui. Il n'arrivait pas à rester serein face à tout ce qui se passait. Face au retour de celui même qui avait fait valser sa vie une première fois il y a quinze ans. Il savait que Noah ressentait son stress. Il le surprenait souvent à l'observer à la dérobée, comme prêt à le voir vaciller. Et il faisait la même chose avec Charity, peut-être encore plus affectée que lui. Le matin où la nouvelle du retour de Tu-Sais-Qui s'était répandue, elle était venue toquer chez eux à la première heure, le visage blême. Il en avait encore mal au ventre rien qu'en y pensant. Sur le visage de Charity, il avait lu une expression qui l'avait terrifié. Une expression qui disait qu'elle pouvait tout aussi bien s'effondrer à nouveau ou qu'elle était prête à se battre jusqu'à se consumer. Il ne savait pas quelle interprétation il redoutait le plus.
Mais au milieu de ce chaos et de ces tensions, Noah avait Joséphine. Peut-être la seule à ne pas lui communiquer de l'angoisse, mais à alimenter une envie de révolte et d'action bien présente. Là aussi, il ne savait pas si le duo le terrifiait ou le remplissait d'espoir.
- Eh, Noah... souffla-t-il pour le faire revenir avec lui. Balance. A quoi tu penses ?
Ses yeux bleus se reconcentrèrent sur lui. Contrairement à il y a quelques minutes, il semblait beaucoup plus sérieux.
- Tu te souviens de ce dont on a parlé au printemps ? Que je commençais à m'ennuyer sur le poste de responsable de rédaction avec la paperasserie et la ligne éditoriale à gérer ?
- Hum... Oui. Tu disais que maintenant que le journal décolle enfin, les missions sont moins équilibrées et que ça te laisse moins de temps pour la partie vraiment « créative ». Pourquoi ? Tu voudrais en refiler certaines à Joséphine.
Noah eut un sourire énigmatique. Lentement, il but une gorgée de son hydromel et sembla chercher ses mots :
- Pas vraiment... J'aimerais plus... lui refiler carrément le poste, lâcha-t-il finalement.
Il cilla, surpris.
- Lui refiler le poste ? Mais Noah...
- Tu l'as vu quand elle est arrivée ? On lui sert de l'alcool et des gâteaux et elle est là à te parler du prochain numéro, à me persuader qu'on devrait faire ci ou faire ça. Elle a ça dans le sang, Jules ! Et elle s'est vraiment améliorée !
- J'en doute pas de ça, j'ai lu ses articles. Mais elle a vingt-trois ans.
Noah balaya l'argument de la main.
- Oh je t'en prie, c'est pas toi le prodige en sortilèges qui va nous dire qu'il y a un âge minimum pour être doué dans quelque chose.
- Non, je n'ai pas dit ça. Je dis simplement qu'il faut avoir les épaules solides pour ce genre de poste : manager une équipe, suivre des budgets, répondre aux attentes.
- Justement, insista Noah. T'as vu Joséphine ? Pour un peu, elle était prête à te défier en duel ! Elle ne manque pas d'aplomb. Elle a des convictions et elle est travailleuse. La rédaction l'apprécie.
Il s'était mis à compter ses arguments sur ses doigts, son verre penchant dangereusement, et il lui arracha des mains pour le placer sur le comptoir derrière lui. Il expira un grand coup. Dans les faits, il s'y connaissait peu dans la gestion d'une rédaction de journal. Joséphine en avait certainement toutes les capacités. Mais si elle prenait la tête de la branche anglaise de la Voix du Chaudron, une question de taille se posait :
- Et toi ? Si elle devient rédactrice en chef, qu'est-ce que tu ferais ?
- Je reprends le poste que j'occupais au départ : journaliste et caricaturiste. Je sens que les gens vont avoir besoin d'un peu de dérision dans les prochains mois et moi le premier. Bon, évidemment, je pourrais garder la main sur deux trois trucs le temps qu'elle apprenne les ficelles mais ça me laisserait déjà plus de libertés.
Le dernier mot le fit tiquer. Libertés. Liberté créative, oui, sans doute... mais où est-ce que Noah pousserait cette soudaine liberté retrouvée était une interrogation qui l'inquiétait déjà plus.
- Noah... Qu'est-ce que t'espères faire exactement ?
- Travailler moins et me faire entretenir par toi comme c'était le plan depuis le départ ?
Ce fut plus fort que lui, il laissa échapper un éclat de rire. C'était un autre point qu'ils n'avaient pas encore soulevé, mais céder son poste de rédacteur à Joséphine reviendrait effectivement forcément à baisser en partie son salaire. Noah lui fit un sourire d'enfant terrible et porta la main à son cœur.
- T'inquiète pas sur ça, Jules, je négocierai avec Aileen et Liam, promit-il avec assurance. Ils ne pourront rien me refuser.
- Tu sais que tu profites un peu trop du fait que tes patrons soient aussi nos amis ?
- C'était tout l'intérêt depuis le départ. Mais bref, alors ? Qu'est-ce que tu penses de l'idée ?
Il soupira, mais prit le temps de réfléchir. Enfermer Noah dans un travail qui ne lui plaisait plus, c'était revenir à attendre qu'une bombe explose : il finirait par rentrer un jour en lui annonçant qu'il avait démissionné, comme il l'avait fait à la Gazette au tout début de sa carrière. Et ça aurait été dommage. Parce qu'il le savait, Noah aimait sincèrement la Voix du Chaudron. Mine de rien, il lui avait donné son identité dès le départ en dessinant son logo, en promettant à Aileen et Liam qu'ils avaient raison de lui faire confiance pour diriger la branche britannique, en se donnant corps et âme pour former Joséphine alors que personne n'y croyait vraiment... Partir maintenant serait prématuré. Mais rabattre les cartes, s'adapter, changer de perspective... Oui, ça ressemblait déjà plus à Noah. Et il voulait le soutenir comme il l'avait toujours fait sans que son angoisse vienne s'interposer.
Sachant pertinemment qu'il était déjà vaincu, il s'employa malgré tout à décocher son plus beau regard sérieux.
- Très bien, vas-y, fonce, approuva-t-il d'une voix confiante. Mais je veux que tu me promettes une chose. C'est non-négociable.
- Tout ce que tu veux.
L'absolue certitude dont Noah témoigna, sans même hésiter, lui serra le cœur. Il attrapa sa main dans la sienne, traçant du bout du doigt les traces de peinture séchées sur sa peau.
- Tu ne te mets pas en danger, tu ne joues pas avec le feu. Des articles sur l'actualité, des caricatures si tu veux, mais mets-toi des limites. (Il se rapprocha d'un pas, histoire de bien soutenir son regard, puis continua). Et je sais que ça revient à te dire de les franchir parce que c'est comme ça que tu fonctionnes, mais je suis sérieux : rien qui puisse attirer l'attention sur toi. Ni sur Joséphine. Parce que pour le peu que je la connais, je sais très bien qu'elle ne jouera pas les garde-fous, bien au contraire. On ne parle plus de politiques véreux là, mais de Tu-Sais-Qui en personne... Je t'assure que c'est un autre niveau.
Noah lui jeta un regard pas dupe.
- Ca te ronge encore, hein ? devina-t-il, presque amusé. Comment il a fait pour revenir ? Avec quelle magie ? Pour toi qui connais tous les sortilèges possibles, ça n'a pas de sens et ça te rend fou.
- Evidemment ! On parle du plus grand mage noir de tous les temps, mais même lui n'aurait pas dû pouvoir tromper la mort. La magie a ses limites, comme tout. Il y a quelque chose qui cloche : on nous avait dit qu'il était mort et il revient !
- Justement. « On vous avait dit ». Ça ne signifiait pas que c'était vrai. C'était même étrange toute l'histoire d'être vaincu par un gamin d'un an.
Certes. Julian ne pouvait qu'être d'accord, ça avait sa première interrogation à l'annonce de la chute de Vous-Savez-Qui en 1981. Mais son retour l'obsédait encore plus. Parce que finalement les deux évènements ne pouvaient être que liés, ils étaient les deux faces d'une même pièce. La magie l'avait mis en sommeil pendant des années, renvoyé dans des limbes obscurs, tout ça pour l'en faire émerger aujourd'hui...Pour un peu, il avait l'impression qu'elle l'avait trahie, cette magie. Il l'avait toujours maîtrisé pourtant, il l'avait étudié sous toutes ses coutures... et voilà qu'elle se retournait contre lui, le narguant presque en faisant miroiter ses mystères autour de la figure de Voldemort en personne.
Perturbé, il finit par secouer la tête et se força à se reconcentrer sur le sujet de base.
- Essaye pas de noyer le strangulot, prévint-il. Tu dois vraiment me permettre de faire profil bas et de ne pas te mettre danger.
- Promis, jura Noah sans se démonter. Je serai aussi invisible que le courage de Fudge !
Il roula des yeux, même si un sourire s'étira malgré lui à la commissure de ses lèvres. Bon sang, ce qu'il l'aimait... C'est cette sensation dans la poitrine, lourde et légère à la fois, qui le poussa à combler la distance entre eux pour pouvoir lui voler un baiser.
- Parfait, souffla-t-il alors que Noah l'embrassait immédiatement en retour. Parce que dans le cas contraire, considère-toi comme prévenu : je pars avec Farhan et on vous laisse vous brûler les ailes avec Joséphine.
C'était faux évidemment. Il le savait, Noah le savait ; mais ça n'empêcha pas ce dernier de se fendre d'une exclamation indignée alors qu'il reculait hors d'atteinte pour enlever les légumes du feu.
- Je savais que j'aurais jamais dû te laisser le rencontrer, fit Noah d'un ton dramatique. C'est parce que Jo a parlé de son accent arabe, c'est ça ?
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? J'ai un faible pour les étrangers.
A nouveau, Noah émit un bruit de gorge révolté, puis récupéra son verre d'hydromel dans un geste grandiloquent et sortit de la cuisine. Il sourit tout en se mettant à dresser les assiettes. Dans le couloir, il entendit tout de même Noah, qui n'avait pas dû aller bien loin, et la voix de Farhan, sûrement enfin redescendu de la salle de bain à l'étage. Il n'avait pas réalisé qu'autant de temps avait passé.
- Où est Jo ? était en train de demander Noah d'un ton trop innocent pour ne pas être suggestif.
- Dans la salle de bain, répondit Farhan d'un ton égal.
De loin, il perçut Noah qui fit claquer sa langue et il se l'imagina en train de s'adosser au mur, son verre à la main.
- Ah, la salle de bain ... Navrée, elle est assez petite, peu encline aux fricotages ... La prochaine fois, allez dans la chambre d'amis.
Une assiette dans chaque main prête à être servie, il s'arrêta presque, blasé. Ce qu'il ne vit pas venir en revanche fut la réponse de Farhan.
- Ne t'en fais pas, la salle de bain est amplement suffisante pour ce qu'on avait à faire... rassura-t-il sans esquiver et avec aplomb. On est rôdé. (Un sourire se fit entendre dans sa voix). Allez, à charge de revanche ... je t'autorise à faire la même chose quand tu viendras chez nous avec Julian. J'espère qu'elle sera à votre goût !
- Bon allez à table ! interrompit-il en sortant de la cuisine.
Noah et Farhan se tournèrent vers lui. Si le premier paraissait pris au dépourvu d'avoir été pris à son propre jeu pour une fois, Farhan soutint son regard avec tranquillité, amusé. Décidément, son impression se confirmait : sous son air calme, le compagnon de Joséphine ne manquait pas de ressources.
En parlant de Joséphine, elle descendit justement à ce moment-là, ses talons claquant sur les marches en bois de l'escalier. Ils levèrent tous les trois les yeux sur elle pour la voir arriver, sa robe rouge dépourvue de tâche.
- Qu'est-ce qui se passe ? fit-elle, suspicieuse. On fait le dîner ici ?
- Non. Vu le temps, on va profiter de la terrasse. Venez.
D'un signe de tête, il leur fit signe de le suivre. Heureusement Joséphine ne posa pas plus de questions et glissa sa main dans celle de Farhan pour lui emboiter le pas. Il retraversa le salon avant de faire coulisser la porte de l'atelier du bout du pied, les mains toujours encombrées des assiettes. La lumière du crépuscule traversait pile les baies-vitrées à cette heure-ci et il fut momentanément ébloui avant que la vision des établies et des toiles en train de sécher dans un camaïeu d'orange estival ne lui revienne.
Derrière lui, Farhan siffla, appréciateur.
- Merlin... C'est là que se cachait le côté « artiste » de la maison alors ?
- Oh la la, la vue ! s'émerveilla Joséphine.
Elle lui passa devant sans cérémonie, lui ouvrant la baie-vitrée par la même occasion, et il passa derrière elle pour accéder à son tour à la terrasse. Vraiment, il n'eut aucun mal à comprendre l'expression enchantée de Joséphine, les mains agrippées à la barrière, alors qu'elle faisait signe à Farhan de la rejoindre. Au loin, le ciel dégagé offrait un spectacle tout en nuance : du gris et du bleu d'un côté, et un rouge orangé éclatant de celui où le soleil était en train de finir sa course. Au milieu, tel un tableau de la renaissance, la coupole de l'université d'Oxford faisait onduler la lumière et se dressait fièrement entre cette dichotomie de couleurs aquarelles.
Joséphine fit volte-face vers eux, les paillettes d'or de son fard à paupière rendues soudain encore plus éclatantes par le contraste qu'offrait la peau naturellement hâlée de Farhan à côté d'elle.
- Mais combien ils te payent tes copains patrons ? s'exclama-t-elle en dévisageant Noah. Pour avoir un appart pareil en plein milieu d'Oxford ?
- Parce que tu crois que c'est moi qui ramène l'argent dans cette relation ? rétorqua Noah. (Il les pointa successivement). Oh Jo, voyons, je ne peux pas tout faire, je suis déjà la caution style et beauté.
Ce fut immédiat : Joséphine pouffa.
- Que tu crois, se moqua-t-elle. Je te vois arriver tous les matins avant ton premier café, t'as rien de stylé.
- Mais quelle ingrate, la stagiaire. Et je te ferai dire que l'appartement valait beaucoup moins quand on l'a eu, c'était un vieil atelier désaffecté et le sol manquait de s'effondrer. Y'avait que moi pour voir le potentiel. Et Jules. Parce que Jules voit toujours tout, c'est ce qui fait qu'il est bon en duel.
- Tu veux vraiment remettre ce débat sur la table ?
Julian échangea un regard avec Farhan. Lui aussi souriait, mais dans ses prunelles il lut clairement la même pensée qui l'habitait à l'instant : « et c'est reparti ». Il venait juste de déposer les deux assiettes et s'apprêtait à aller chercher les deux autres lorsque Noah lâcha soudain, décontractée :
- Non. Mais c'est marrant que tu parles de mon salaire, la stagiaire... Parce que j'avais justement une proposition.
Il s'arrêta dans son élan. Ah... Donc ils faisaient ça maintenant ? Il n'avait pas tout à fait réalisé et une légère angoisse revint le tirailler avant qu'il ne se force à la mettre de côté. Attentif, il se positionna plutôt en retrait pour observer ce qui allait se jouer.
- Une proposition ? répéta Joséphine, circonspecte. Quel genre ? Tu vas enfin m'augmenter ?
- Si on peut dire... Et arrête, je t'ai augmenté deux fois en quatre ans.
- Parce que tu me payais une misère au début !
- Eh, tu débutais. Tu voulais quoi ? Des lingots d'or en prime ?
Joséphine parut vouloir répliquer, mais un coup de coude de la part de Farhan la remit sur les rails et elle se reconcentra plutôt sur la proposition initialement promise.
- Bon, d'accord. Vas-y-, alors, c'était quoi ta super idée pour augmenter mon salaire et me permettre d'avoir un appartement avec une vue à tomber par terre ?
Elle haussa un sourcil, expectative, et Noah la dévisagea de longues secondes. Il se demanda s'il cherchait une ultime preuve que c'était une mauvaise idée ou au contraire une énième raison de faire confiance à ce bout de jeune femme aux yeux étincelants et plein d'audace. Et sûrement parce que trop de gens avaient eux-mêmes regarder Noah droit dans les yeux pour les mêmes raisons, Julian vit précisément le moment où il prit définitivement sa décision.
- Joséphine Abbot, déclara-t-il avec emphase en étirant les syllabes de son nom, à quel point ça te dirait de passer rédactrice en chef de la Voix du Chaudron ?
Il y eut un long silence. Même en retrait, il vit Joséphine papillonner des paupières, clairement sidérée. Les paillettes d'or clignotèrent au-dessus de son expression surprise. Farhan, lui, ne paraissait pas moins choqué et dévisageait Noah avec méfiance, comme s'il redoutait une mauvaise blague aux dépens de la jeune femme à côté de lui. Rien qu'à cette réaction, Julian sut qu'il l'aimait sincèrement.
- Quoi ? s'étrangla finalement Joséphine. Tu me fais marcher ?
- Pas une seconde, Jo. J'en ai ma claque des réunions de rédaction, des suivis budgétaires, de la partie management... Ca n'a jamais été pour moi. Par contre, je pense que toi, tu y trouverais très bien ton compte. T'as l'esprit pratique, une vision globale, l'envie de changer les choses... même une certaine capacité à mener ton monde à la baguette. Et tu pourrais enfin avoir les responsabilités que tu veux depuis un moment.
- Je... Oui, je les veux depuis un moment, mais... je pensais plus à un poste intermédiaire. Pas directement rédactrice en chef !
- Pourquoi ? Tu vas pas me dire que toi, de toutes les personnes que je connais, tu as peur de viser haut ?
Joséphine jeta un regard éperdu vers Farhan.
- Non, non... protesta-t-elle. Mais... Je ne suis vraiment pas sûre d'en être capable. Si tu ne veux vraiment plus le faire, tu es sûr que quelqu'un d'autre peut pas te remplacer ? Jill, Théodore ? Même Mr Cooper s'il vient des Etats-Unis ?
Touché par sa vulnérabilité, Julian ne put s'empêcher de sourire. « Mr Cooper » allait si mal à Liam qui, même s'il était devenu un patron accompli à la tête de la branche américaine du journal, restait un original dans l'âme. Malheureusement, ça ne suffirait pas à le faire traverser l'Atlantique et quitter Théa et leurs enfants, surtout avec l'arrivée récente des jumelles.
Noah devait penser la même chose car il secoua la tête et se rapprocha de Joséphine, les mains dans les poches dans une fausse impression de nonchalance.
- Si j'avais voulu qu'un deux reprenne le poste, Jo, je leur aurais demandé. Mais c'est à toi que je demande. Et crois-moi, je ne le ferai si je ne pensais pas que tu en étais capable justement.
- Sauf que désolée de briser tes rêves, mais tu n'as pas toujours raison. Si tu te trompes et que je coule le journal, on aura l'air malin !
Noah leva les yeux au ciel.
- Sois pas plus dramatique que moi. Comme si Aileen interviendrait pas avant. Vraiment, on ne te laisserait pas diriger la barque toute seule, je serai là au début pour t'aider et tout t'expliquer. Un peu comme au début finalement.
- On parle de missions bien plus complexes...
Avec nervosité, Joséphine s'était mise à jouer avec la chaîne de son collier, dévoilant un pendentif camée. Farhan lui donna une petite tape sur les doigts pour éviter qu'elle ne tire dessus et elle lui coula une œillade défieuse, mais Noah reprit avant qu'elle ait pu protester :
- Et alors ? T'as toutes les bases maintenant, tu ne pars plus de zéro, argua-t-il. Joséphine, je te l'ai dit le jour où on s'est rencontrés. Il n'y a pas de réussite, ni d'échecs. Tout dépend de que tu veux en faire. Même si ça ne fonctionne pas, que tu décides que ce n'est pas pour toi... T'auras essayé.
- Et la vie est une somme d'expériences, c'est ça ? cita Joséphine dans un souffle, l'air de creuser dans sa mémoire.
Julian haussa un sourcil, ravalant un éclat de rire. Une somme d'expériences ?
- T'es sérieux ? lança-t-il. T'as osé lui dire ça ?
Toutes les têtes se tournèrent vers lui. Perplexes, Joséphine et Farhan fronçaient les sourcils, mais, à sa décharge, Noah eut l'air embarrassé.
- Oui, bon... J'ai improvisé sur le coup, se justifia-t-il. On en reparlera quand tu devras jouer les conseiller d'orientation, d'accord ?
- Eh, eh, non, on veut l'histoire si ça te met la honte ! exigea Joséphine.
- Pour une autre fois, la stagiaire. (Il secoua la tête et refocalisa son attention sur elle). Bref, j'en étais où ? Ah oui, pas de réussite ni d'échecs. Sérieusement, Jo. Si t'as besoin de l'entendre, je vais te le redire : tu n'as pas à attendre ma bénédiction, ni de me prouver quoique ce soit. J'ai tout fait pour t'accompagner parce que je savais que tout était déjà là, que t'étais capable de mettre ta rage et ton regard sur le monde au service de ta plume. Je me souviens même t'avoir dit que tout ce qui te restait à faire, c'était transformer ce potentiel en quelque chose d'éblouissant...
A ce stade, Joséphine écoutait Noah presque religieusement, une myriade d'émotions dans ses yeux clairs. Farhan, quant à lui, la contemplait et elle loupa donc toute la fierté qu'il dégageait dans ce simple regard, mais Julian, lui, le nota.
- ... et bien ça y est, Jo, on y est, affirma Noah avec un certain trouble dans la voix lui aussi. Tu es éblouissante. Tes textes le sont, ta méthode l'est aussi. Et le Ministère peut trembler parce que tu vas faire de grandes choses à la tête de ce journal, j'en suis persuadé. Ça sera en tout cas un honneur pour moi de dire que j'y ai cru depuis le début.
- Oh Noah...
Le doute sur le visage de Joséphine vacilla enfin, remplacé par une détermination et une émotion déjà plus fidèle à sa personnalité. Elle tourna lentement la tête vers Farhan, une question dans les yeux.
- Et toi ? Un avis ?
- Que je serai derrière toi dans tout ce que tu décides, comme d'habitude.
La réponse, force de tranquillité, parut être le dernier encouragement dont la jeune femme avait besoin. Quand elle se tourna pour faire face à Noah, un grand sourire ourlait ses lèvres. Julian trouva que ça adoucissait son visage à la mâchoire carré et à l'expression ordinairement mutine ou butée. Elle tendit la main, les épaules rejetées en arrière.
- J'accepte l'offre. Mais je veux négocier mon salaire.
- Ca sera à voir avec Aileen, ça, la stagiaire, rétorqua Noah en lui serrant la main, amusé. Mais ravi de te voir devenir enfin grande, Jo.
- Comme si elle en avait besoin... marmonna Farhan. Je me casse le cou dès qu'elle met des talons.
Mais lui aussi souriait de toutes ses dents, le regard pétillant.
- Ca c'est parce que tu aimes m'embrasser, lui rappela Joséphine. (Elle parut soudain frappée d'une réalisation fulgurante). Eh mais Noah ! Tu dois arrêter de m'appeler le stagiaire ! Encore plus maintenant, je vais être ta boss. (Elle explosa d'un rire incrédule qu'elle étouffa immédiatement derrière ses mains). Mille gargouilles, ta boss ! C'est toi qui vas m'apporter le café maintenant !
- Dans tes rêves, la stagiaire.
- Je pourrais te mettre un blâme pour insubordination. Ou te virer.
Noah sembla faire peu cas de la menace et recula en marche arrière, espiègle, jusqu'à venir se poster près de lui et de passer un bras autour de sa taille. Ni Farhan ni Joséphine ne battirent un cil face à la marque d'affection.
- Alors là, j'aimerais bien voir ça, railla Noah. De toute façon, j'enverrai Jules me défendre : il connait plein de maléfices et d'enchantements. Si tu oses t'en prendre à moi, tu finiras chauve.
- Tu me déclares la guerre ? Attention, j'ai Farhan, et il peut très bien attaquer aussi !
- Oh non, on va pas repartir sur ce débat...
- Tais-toi et viens-là.
Sans sommation, Joséphine tira le pauvre Farhan par le bras pour le mettre face à eux. Ils échangèrent un nouveau un long regard blasé. Oui, décidément, il commençait à bien l'aimer. Après tout, ils partageaient beaucoup ensemble : leur personnalité plus calme en apparence ; leur accent qui avait fait chavirer leur moitié ; mais surtout une attirance pour deux personnalités imprévisibles et écorchées qui avaient un regard unique sur le monde. Il était sûr qu'ils avaient encore beaucoup à vivre tous les quatre.
***
ALORS ? Votre verdict?
A titre personnel, j'ai conscience que j'ai un peu trop tiré sur Farhan et Jo, mais pour vous expliquer : c'était la première que je les écrivais adulte, et j'avais envie de dire pleeeein de choses (comparé à Marion qui avait déjà pris en main le Nolian sur un autre bonus).
J'espère que cette partie vous aura plu ! La suite arrivera quand elle arrivera, ce sera une surprise ! Si ce bonus a réveillé des idées, des envies d'autres textes, n'hésitez pas à nous en faire part <3
Encore une fois bonne rentrée à tous.tes, peu importe quand elle sera ! Je penserai à vous depuis mon nouveau CDI et Marion depuis sa bibliothèque !
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