3. La Tempête

Hey ! On continue la lancée d'une partie de bonus par mois, je trouve que c'est pas mal et ça permet de souffler des chapitres des fanfics principales. J'en profite aussi pour vous souhaiter une bonne année ^^ Que 2023 soit riche en tout pour vous : en amitié, en expérience, en souvenirs, en bonheur, en amour, en projets ! J'espère en tout cas passer les douze prochains mois à vos côtés et contribué à mettre des sourires sur vos visages à ma petite échelle. Donc vraiment du fond du coeur : bonne année ! 

Je sais que c'est la fin des partiels pour certain.es donc j'ai décidé que c'était une bonne occas de poster plus tôt, même s'il est assez tard, désolée j'étais super occupée aujourd'hui... J'espère en tout cas que ça s'est bien passé ! 

A LIRE --> Contexte : Cette partie prend place pendant le chapitre 14 de O&P 3, soit la fameuse sortie de Noah et Victoria pour faire du shopping de Noël. Vous avez donc eu leur côté de l'histoire, mais moi je vais vous emmener du côté de Simon et Julian justement. Ce bonus explorera donc ce qui s'est passé pour eux en amont, puis le moment où Julian et Noah se sont aussi retrouvés seuls une fois que Simon et Victoria ont eu leur explication. Je tiens à prévenir : la fin est un peu plus explicite que ce que j'ai pu faire d'habitude, mais je le justifie par le fait qu'ils sont adultes ici. Rien de bien méchant non plus après. 

Donc en gros : si vous n'avez pas terminé LHDI 1 ou O&P 3 jusqu'au chapitre 14, je vous interdis de lire haha ! Pour le second, c'est parce que ça n'aurait pas d'intérêt; pour le premier c'est parce que je fais référence très brièvement au plot twist final et ça serait bête de se spoiler ^^ 

Et encore merci à Perri pour le visuel ci-dessus et bien sûr pour me fournir une matière aussi inspirante. On doit l'avouer : c'est notre partie préférée. Perri roulait dans son lit en la lisant haha ! Je veux des commentaires  à toutes les lignes, je veux trop vos réactions haha ! 

****************************************************

La Tempête

« Les amoureux et les fous ont des cerveaux bouillants, des fantaisies visionnaires qui perçoivent ce que la froide raison ne pourra jamais comprendre ».

– William Shakespeare, La tempête

// Novembre 1997 – Oxford //

A la prochaine personne qui oserait dire que le métier de professeur était facile, Julian répondrait qu'elle n'avait qu'à se tenir devant une classe de dix élèves un vendredi soir qui n'avait qu'une hâte : partir en week-end. Et le pire ? Il ne pouvait même pas les blâmer parce qu'il en avait autant envie qu'eux. Entre la guerre, l'hiver et les Détraqueurs, tout le monde était épuisé en ce moment et il savait intérieurement que ses élèves n'avaient plus la motivation à l'écouter déblatérer sur les strates de magie d'un sortilège offensif. Ils avaient envie de rentrer passer du temps en famille. Il s'estimait heureux pourtant. Dix élèves étaient gérables et c'était l'avantage de travailler à l'IRIS. Il n'était pas sûr qu'il en aurait eu la patience à Poudlard – ou à Ilvermorny d'ailleurs – surtout en ce moment.

Il n'avait plus trop de nouvelles de ce qui se passait dans le château, mais il ne pouvait que l'imaginer. Sans Dumbledore ni plus aucun garde-fou, le Ministère et les mangemorts avaient fait main basse sur l'illustre école et presque plus rien ne filtrait à l'extérieur. Avant, Charity avait été son indic. Dès qu'ils se voyaient, elle ramenait avec elle un stock d'anecdotes toutes plus invraisemblables que les autres : un élève de Serpentard s'était retrouvé coincé dans les toilettes du quatrième étage sans que personne ne sache bien comment ; Harry Potter avait encore vécu quelque chose d'étrange durant son année ; ou même une élève qui avait confondu Hawaï et Hanoï pendant son test d'Etudes des moldus sur la guerre du Vietnam. Elle finissait souvent par rouler des yeux, amusée, pendant qu'il riait franchement. Seulement, ça allait faire un moment qu'il n'avait plus de nouvelles de Charity... Depuis cet été à vrai dire. Et il essayait de ne pas y penser, de se dire qu'elle avait dû partir sur un coup de tête à l'autre bout de la planète – ça n'aurait pas été la première fois – mais sa démission et le silence radio qui avait suivi lui tordait le ventre dès qu'il s'y attardait. Portée disparu. Ça aurait sûrement été le terme le plus approprié pour désigner la situation de Charity. C'est en tout cas ce que lui avait écrit Prudence, sa sœur, par lettre le mois dernier. L'écriture tremblante n'avait rien caché de son inquiétude à elle aussi.

Dans tous les cas, la réalité à Poudlard devait être pire que ce qu'il pouvait imaginer. Car même si le contrôle exercé était sévère et que rien ne devait filtrer hors des murs de Poudlard, toutes les familles qui avaient un enfant dans l'enceinte du château savaient ce qui se tramait. Le bouche à oreille fonctionnait ensuite à travers toute la société sorcière. Elle était peut-être là, la force du régime de Voldemort : tout le monde savait, mais personne ne pouvait le reconnaître ouvertement.

Soudain encore plus fatigué qu'avant, Julian retint un soupir. Il ne restait plus que cinq minutes de cours et, en face de lui, ses élèves faisaient mollement semblant de s'atteler à leurs exercices. Au premier rang, Sally regardait par la fenêtre sans même plus donner le change ; Rupert avait déjà rangé ses affaires ; et il vit même Simon qui discutait à voix basse avec son voisin, un coude posé sur la table pour soutenir sa tête. Et Julian était prêt à parier une mornille qu'ils ne parlaient pas de sortilèges.

- Bones, appela-t-il, juste pour le plaisir de le faire. Vous avez fini l'exercice ?

La classe entière parut se réveiller de sa torpeur et Simon sursauta si vivement que son coude en dérapa de la table. Son long nez se para d'une couleur rouge embarrassée.

- Euh...

Pris au dépourvu, il ne trouva visiblement pas de répartie dont il pouvait avoir le secret et Julian se retint de toutes ses forces de ne pas sourire. Avec cette expression, il lui rappelait presque Matthew le nombre de fois où il avait été pris en faute pendant un cours.

- Je vois, dit-il d'un air entendu. Ecoutez, je sens bien que votre week-end vous intéresse plus que mon cours, alors on se revoit lundi, d'accord ?

- Oh génial... entendit-il Sally murmurer, l'air soulagé.

Il sourit et se leva de son bureau.

- Vous finirez simplement l'exercice pour le prochain cours, je ne vous donne rien de plus. Révisez juste bien tous les chapitres vus jusque-là, le premier examen blanc est prévu pour le 11 janvier. (Il ouvrit la porte de la classe d'un coup de baguette). Allez, fuyez. Et bon week-end.

Immédiatement, un concert de raclement de chaises suivit, accompagné d'une dizaine de « bon week-end, professeur Shelton ! » jeté à la volée. Rupert fut le premier à partir, comme monté sur ressort, puis tous ses élèves sortirent un à un. Sally prit quand même le temps de pointer sa baguette sur la craie du tableau derrière lui au moment de partir, puis elle la fit léviter pour dessiner un flocon géant dessus. C'est vrai que l'hiver commençait à bien s'installer. Le geste était de toute façon tellement bon enfant qu'il rit de bon cœur et elle lui adressa un sourire en partant à son tour. Distraitement, il se mit alors à ranger ses affaires. Ne plus voir son bureau pendant deux jours ne serait pas de trop non plus et il avait hâte de rentrer.

Quand il releva la tête, il constata que sa salle de classe était désormais vide... ou presque. Simon était toujours là, planté près de sa table, l'air d'hésiter à partir. Il commençait à bien connaître cette attitude. A chaque fois qu'il s'était attardé de la sorte, c'était parce qu'il devait revenir à l'appartement pour « un groupe d'étude ». Si le motif était la plupart du temps véridique, il faisait aussi souvent office d'excuse pour retrouver Victoria, enfermée entre quatre murs depuis des semaines.

Julian ressentit soudain une pointe d'inquiétude au creux du ventre. Evidemment, il comprenait le besoin et l'envie de Simon et Victoria de se voir... mais le but de toute cette opération était d'être discret, de ne pas attirer l'attention, de maximiser au mieux la sécurité de tout le monde. Que Simon vienne aussi souvent chez eux ne lui paraissait pas aller dans ce sens... Malgré tout, il ne voulut pas présumer sans savoir et lança plutôt, un sourire dans la voix :

- Une question sur l'exercice ? Ou tu voulais me dire ce dont tu parlais avec Lewis ?

L'effet ne loupa pas. Simon fronça le nez, l'air contrit, puis remonta l'allée entre les tables pour se rapprocher.

- Très drôle. Et désolé, c'est juste que... la cousine de Lewis est à Poudlard. Il a eu quelques nouvelles, je lui demandais des infos. Susan est assez... avare sur la question dans ses lettres, on va dire.

Appuyé contre le bord de bureau, Simon ne rencontra pas tout à fait son regard sur la dernière partie de la phrase et Julian sentit son sourire glisser de ses lèvres. L'inquiétude qu'il lisait en creux dans l'attitude de Simon faisait ironiquement et cruellement écho à ses pensées sur Poudlard et il soupira.

- Elle ne veut juste pas t'inquiéter, plaida-t-il sans doute platement même s'il se sentait obligé de l'énoncer. Et de toute façon, il n'y rien qu'on puisse vraiment faire... Poudlard est un système trop à part entière, trop intouchable maintenant que Tu-Sais-Qui a réussi à s'y infiltrer. Mais même lui doit maintenir un semblant d'apparence, c'est déjà ça...

- Oui, je sais, je sais... Et je sais aussi qu'elle est capable de se débrouiller...

Le « mais », absent mais si prégnant, résonna entre eux. Pour la énième fois depuis le début de cette guerre, Julian remercia le ciel que Lottie soit repartie vivre aux Etats-Unis et qu'il n'ait pas à s'inquiéter au quotidien pour sa famille. Le faire pour Noah et ses proches était suffisamment épuisant.

- Enfin, peu importe, reprit Simon en se tournant à nouveau vers lui. Ce n'est pas pour ça que je suis resté... (il joua avec la lanière de son sac, jeta un coup d'œil par-dessus son épaule pour s'assurer que la porte de la classe était refermée, puis il se jeta à l'eau). Hum, en fait, je me demandais si je pouvais venir ce soir ?

- Simon...

Il ne voulait pas dire non. Vraiment, c'était la dernière chose dont il avait envie, mais il était l'adulte dans cette situation, n'est-ce pas ? Si l'un d'eux devait être rationnel, ça se devait d'être lui. Simon dû sentir sa réticence car une lueur déterminée s'alluma dans ses yeux verts. Une lueur qui lui rappela douloureusement Matthew.

- Ca fait plus d'une semaine depuis la dernière fois, plaida-t-il, la voix assurée. On n'a pas revu de Détraqueurs depuis mi-novembre et même à Terre-en-Landes les choses se tassent.

- Je sais, mais c'est un soir de week-end, aucun autre étudiant ne vient...

- Personne ne nous verra. Qui fera attention ? Et on aura qu'à dire que je passe récupérer la dissertation que tu devais corriger depuis une semaine et nous rendre avant les vacances.

Julian haussa un sourcil, piqué et amusé à la fois.

- T'es en train de me dire que mon rythme de correction est trop lent pour toi, Simon ?

- Quoi ? Non ! (Il plissa les yeux et le coin de sa bouche se releva à son tour). Enfin, s'il faut le faire remarquer, c'est vrai que t'avais dit avant les vacances...

Quel sale gosse.

- Tu sais que je peux encore te mettre un blâme pour insolence ? menaça-t-il.

Simon ne répondit pas, mais tout dans son regard criait « essaye pour voir ». Vaincu, il secoua la tête. A vrai dire, il aimait la façon dont Simon s'était détendu avec lui ces derniers temps. A la rentrée, il avait encore eu du mal à passer outre leur statut respectif de professeur et de l'élève, mais l'évolution de la situation leur avait au moins permis de faire à moitié tomber cette barrière.

- Julian, s'il te plaît... fit-il alors, à nouveau sérieux. Je veux lui faire la surprise, tu sais... Histoire de lui remonter un peu le moral.

L'aveu avait dû lui couter, il le voyait bien à la flambée qui colora soudain son visage. Depuis un an, il avait compris quelque chose sur Simon : il était aussi réservé que Matthew avait pu être expansif et mettre en avant ainsi son ressenti vis-à-vis de Victoria devant quelqu'un n'était instinctif pour lui. Et il n'était pas sans cœur, d'accord ? Surtout avec noël qui approchait, comme en témoignait le flocon que Sally avait tracé à la craie sur le tableau derrière lui.

- Très bien, céda-t-il finalement. Mais on rentre directement à l'appart et on reste discrets, ok ?

- Oui, professeur !

Et avec un sourire satisfait, il commença à enfiler son manteau. Julian leva les yeux au ciel, espérant qu'il ne regretterait pas sa décision plus tard, puis passa dans la pièce derrière la salle de classe qui lui servait de bureau personnel. Il y posa en vitesse les affaires dont il n'avait pas besoin pendant le week-end, récupéra la pile de copies qu'il devait noter – merci du rappel, Simon – et attrapa son manteau style moldu pour mieux se fondre dans Oxford. La cape attirait trop l'attention.

Une fois prêt, il repassa dans la classe. Simon l'attendait à la porte, sa besace sur l'épaule, emmitouflé dans son écharpe épaisse. Mais ce fut une autre vision qui le figea littéralement sur place. L'expression « coup au cœur » n'aurait pas pu être plus approprié pour décrire la sensation qui lui percuta la poitrine en découvrant les épis de Simon coiffés d'un bonnet orange. Ou plutôt, du bonnet orange. L'effet de tunnel fut immédiat : en une seconde, il superposa l'image des deux frères à presque quinze ans d'intervalle. Simon, debout devant lui dans sa salle de classe, avec sa silhouette chétive et son énergie nerveuse ; et Matthew, son sourire solaire et insolent planté sur le visage, sa rage de vivre... Le parallèle lui vola son souffle une seconde de plus.

Merlin... Le bonnet était identique à la dernière fois qu'il l'avait vu – qu'il l'avait déposé lui-même sur la tête d'un petit Simon tremblant de froid dans la neige du Chemin de Traverse – à ceci près que les années avaient réussi l'exploit de l'enlaidir encore plus. Il était désormais effiloché au possible et abordait même quelques trous sur le côté. La laine orange, délavée par le temps, faisait même encore plus grise mine qu'à l'époque.

- Julian ? appela Simon, l'air déstabilisé par son arrêt soudain.

- Hum ? Oui, oui, pardon. On peut y aller.

Le regard vissé sur un point du mur par-dessus la tête de Simon, il le contourna, le cœur battant, et ils sortirent tous les deux dans le couloir froid de l'IRIS. Côte à côte, ils sortirent de l'université, luttant contre le vent de novembre. Julian avait horriblement conscience du point orange qui dansait en périphérie de sa vision au rythme des pas de Simon. La sensation de surprise était passée pour ne laisser qu'une douleur fantomatique, née de la nostalgie et de la peine qui semblaient s'attacher à chaque souvenir de Matthew.

Il ne savait pas comment il avait fait pour ignorer que Simon avait toujours ce foutu bonnet. Il l'avait eu en classe pourtant l'hiver dernier et les températures n'avaient pas été plus clémentes... Mais il ne rentrait pas avec Simon l'année dernière. Il ne le voyait pas en dehors des cours ou alors seulement à l'intérieur lorsqu'il venait travailler sur son projet de mémoire ou qu'il accompagnait Victoria lors de ses visites au sujet de son livre. Il avait donc passé l'hiver dernier à complètement passer à côté de cette information capitale : le bonnet avait survécu. Malgré les années, les guerres, les tentatives de Charity de s'en débarrasser, les moqueries de tout le monde, ce foutu bonnet en était venu à rester vissé sur la tête d'un Bones.

Ce constat si incongru faillit lui arracher un rire incrédule, mais celui-ci fut étouffé par le regard en biais que lui jeta Simon, circonspect.

- Bon, qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il, sourcils froncés.

- Rien, répondit-t-il sûrement trop vite.

La suspicion de Simon sembla se renforcer.

- A d'autre. Tu me regardes comme si t'allais me faire une interro surprise à tout moment. T'as changé d'avis, c'est ça ?

- Non, non, pas du tout.

- Oh... Alors quoi ?

Ils tournèrent à l'angle d'une rue pour arrivée dans celle principale d'Oxford et Julian dû faire une embardée pour éviter une passante et sa petite fille. Ces quelques secondes de répit lui permirent de se recomposer une expression plus neutre avant de revenir vers Simon. Il se râcla la gorge.

- Rien, rien, c'est juste... ton bonnet...

- Mon... ? Oh non, pas toi aussi ! s'exclama alors soudain Simon.

Sous le coup de l'indignation, il manqua de s'arrêter net au milieu de la rue, mais le flot des passants le maintint en mouvement.

- Je sais ce que tu vas dire, grommela-t-il en commençant à énumérer sur ses doigts. Il est vieux, moche, la couleur ne va avec rien, il est plein de trous, et pas idéal pour l'hiver. Bien, je sais. Mais même Victoria Bennett n'a pas réussi à s'en débarrasser, alors ne perds pas ton temps, toi non plus.

Il ponctua son exposé d'un hochement de tête ferme et Julian n'arriva pas à retenir son éclat de rire, surpris.

- Si même Victoria a échoué alors... commenta-t-il, faussement nonchalant sans arriver à réprimer son sourire. Mais non, non, ce n'est pas ce que j'allais dire.

- Ah ?

L'œil vert que vrilla Simon sur lui ne s'était pas départi de sa suspicion, mais une lueur de reconnaissance s'alluma soudain en lui. Julian sourit cette fois avec indulgence. Si Simon était attaché au bonnet, c'est qu'il savait en partie d'où il venait. Et il vit littéralement le moment où il comprit que lui aussi le savait.

- Evidemment... marmonna-t-il. Tu sais qu'il était à Matthew, c'est ça ?

Prudemment, Julian hocha la tête. C'était presque étrange d'entendre le nom de Matthew dans la bouche de Simon.

- Ouais, je sais. Et pour cause, en fait, c'est moi qui lui ai acheté.

La révélation, à peine plus haute qu'un murmure, parut atteindre Simon avec force malgré tout. A la façon dont ses yeux s'écarquillèrent, il comprit qu'il n'était pas au courant de cette partie de l'histoire.

- C'est toi qui... ? Vraiment ?

- J'en ai peur, oui.

- Oh...

D'un geste machinal, Simon leva le bras et retira le bonnet de sa tête pour l'observer comme sous un jour nouveau. Entre ses longs doigts pâles, la laine se mouva, détendue et délavée.

- Euh... sans vouloir te vexer, entonna-t-il alors, pourquoi ? Je veux dire...

Les joues soudain à nouveau rouge, il ne termina pas sa phrase, mais Julian en comprit l'idée avec indulgence et amusement.

- Pourquoi est-ce que je lui ai offert le bonnet le plus moche de New York, c'est ça ? compléta-t-il.

- Il vient de New York ?

- Oui, à vrai dire. Et ne va pas croire que mes goûts en matière de vêtements sont catastrophiques, ce n'était pas un cadeau sérieux à la base. C'était une réponse à un autre cadeau que m'avait fait Matthew. Il l'avait cherché.

- Pourquoi ?

Dans la voix de Simon, il entendit toute la retenue conflictuelle dont il avait déjà été témoin dès que ça concernait sa famille et il marqua une pause, incertain. Il prit le temps de bien observer son expression – déterminée et concentrée – pour être sûr que c'était bien ce qu'il voulait avant de répondre.

- Parce que cet idiot avait trouvé ça drôle de m'offrir un pull aux couleurs de Gryffondor. Je n'ai jamais porté ce pull, d'ailleurs, mais j'ai voulu lui rendre le gallion de sa pièce en trouvant quelque chose d'importable en retour. C'était une erreur de débutant... Evidemment, Matthew n'a rien trouver de plus drôle que d'adopter ce bonnet avec dévotion. Il le portait tout le temps de l'automne au printemps.

- Oh... répéta à nouveau Simon.

Il avait ralenti le pas, regard fixé sur le bonnet entre ses mains, et Julian sentit à nouveau son cœur se serrer en réflexe. Avec prudence, il pesa quelques secondes ses prochaines paroles d'avant d'ajouter doucement :

- Matthew disait que tu l'adorais, même petit... La couleur devait t'amuser et tu essayais de lui piquer.

- Mais il me disait qu'il était trop grand pour un mini-botruc comme moi... souffla Simon comme instinctivement.

Dès que les mots quittèrent ses lèvres, il se crispa et s'arrêta cette fois pour de bon. Julian mit quelques pas à faire de même, surpris, et l'expression de Simon fit dévaler son cœur dans son estomac. Il contemplait le bonnet comme s'il le fixait assez, il arriverait à retrouver une part de Matthew dedans. Mais Julian avait assez d'expérience pour savoir que ça n'arriverait pas. Encore plus prudent qu'avant, il revint sur ses pas et effleura la laine orange du bout des doigts. Ceux de Simon se crispèrent possessivement autour dans un geste inconscient.

- Je suppose que tu ne te souviens pas comment tu l'as récupéré ? osa-t-il demandé, nerveux.

Simon releva enfin le regard vers lui. Il était presque brillant, mais il n'aurait pas su dire si la nuit tombante de novembre lui jouait des tours.

- J'ai toujours cru que je l'avais récupéré dans la maison avant que ma mère ne monte toutes les affaires au grenier... Non ?

Merlin, ce que c'était étrange de l'entendre appeler Rose « ma mère ». A nouveau, c'était comme si deux images conflictuelles et paradoxales se superposaient et il revoyait Cassie Bones, si flamboyante, dans un souvenir lointain. Pour un orphelin, Simon s'était quand même retrouvé avec deux pairs de parents, des sœurs et des frères, un passé et un présent qui cohabitaient dans un équilibre étrange mais après tout, c'est ce qui formait sa famille.

- Non... le détrompa-t-il dans un murmure, la gorge comprimée. A vrai dire, c'est moi qui l'ai d'abord récupéré.

- Quoi... ?

- Le jour de l'enterrement. Rose m'a autorisé à monter dans la chambre de Matt pour récupérer des affaires si je le voulais... Alors j'y suis allé. (Il déglutit). Et j'ai trouvé le bonnet dans son armoire. Evidemment, on était en plein mois d'aout, même lui ne poussait pas le vice à le porter en été. Et je ne sais pas, ça représentait tellement Matthew, notre amitié... Je l'ai emporté. Rose n'a pas protesté.

Bon sang, c'était comme s'il pouvait encore ressentir le poids dans sa poitrine quand il avait redescendu ces putain d'escaliers – là où était mort Matthew – le bonnet entre les mains. Depuis la cuisine, Rose lui avait juste adressé un hochement tête en berçant Simon contre elle. En face de lui, le Simon plus âgé lui jetait un regard accusateur, presque comme s'il lui reprochait de lui avoir volé son bonnet il y a des années. Il comprenait un peu la sensation.

- Cet hiver-là, je l'ai énormément porté. C'était une façon de garder un lien avec Matt je pense... Même Noah ne s'est pas moqué. Je crois que ça l'inquiétait un peu à vrai dire.

- Mais alors... Comment... ?

- Comment tu l'as récupéré à nouveau ? Oui, oui... (il se passa une main sur le visage, fatigué). C'était en janvier 1982. Je... j'étais sur le Chemin de Traverse et je vous ai croisé, toi et tes... parents. Rose et Edgar, je veux dire. Caroline et Susan étaient là aussi, mais c'est toi que j'ai reconnu. Tu n'avais pas beaucoup grandi depuis août.

La remarque parut embarrassé Simon, mais il soutint tout de même son regard, attentif. Il voyait bien qu'il était suspendu au récit, comme si un nouveau lien se forgeait entre lui et ce frère décédé.

- Il neigeait depuis des semaines en Angleterre, on gelait vraiment cette année-là... continua-t-il, surpris lui-même d'arriver à aussi bien respirer alors que les souvenirs remontaient à la surface. Et t'avais l'air frigorifié. Je te passe les détails, mais j'ai... parlé un peu avec Rose et puis ça m'a frappé. Moi, j'allais me souvenir de Matthew. Je... il était mon meilleur ami, on avait grandi à Poudlard ensemble, mais toi... Bon sang, tu étais si jeune. Alors je me suis dit...

- ... que ça serait mieux si c'est moi qui gardait le bonnet, compléta Simon dans un souffle.

- C'est ça...

Il hocha la tête, étrangement ému, et cette fois il fut presque certain de voir les yeux verts de Simon briller. Pourtant, son expression était étonnement contrôlée et il ne versa aucune larme. Il resserra juste sa prise autour du bonnet et Julian fut presque sûr que son cœur devait battre aussi fort que le sien à cet instant.

- Merci... murmura alors Simon en relevant résolument la tête vers lui. Je sais que ça n'a pas dû être facile, mais... merci.

- C'est normal...

- Non... Enfin si, peut-être, mais rien ne t'y obligeais. Comme rien ne t'oblige à faire ce que tu fais pour moi et Vic' depuis semaines... donc merci, Julian.

Sur le prénom de Victoria, il avait baissé la voix le plus possible pour être sûr de ne pas être entendu, mais les mots l'atteignirent quand même. Et l'émotion au creux de sa poitrine explosa un peu plus. Bon sang, il n'aurait jamais pensé vivre ça un jour et pourtant... Même par-delà la mort, son lien avec Matthew n'avait pas disparu. Il continuait à vivre et pas seulement au travers de souvenirs sans matérialité. Simon était la preuve vivante que les sacrifices de la première guerre n'avaient pas été vains.

- De rien... articula-t-il avec difficulté. Mais vraiment, j'insiste, ce n'était pas sujet à débat. Allez, maintenant, viens, on ne doit pas s'attarder.

- Ouais, ouais...

Vif, Simon remit son bonnet et, d'un coup, leur moment confession fut passé. Ils reprirent leur route. Devant eux, les lampadaires commencèrent à s'allumer et la rue se pâra de couleurs entre le gris pâle, le bleu nuit et le doré dans un mélange que seul l'hiver et les vieilles pierres d'Oxford arrivaient à convoquer. Depuis qu'il habitait ici, il avait plusieurs fois tenté de le reproduire, mais seule l'aquarelle réussissait à lui rendre justice et Noah avait toujours été plus doué que lui avec ce type de peinture.

Songer à Noah lui fit réaliser qu'il encore plus hâte de rentrer. Avec l'inquiétude constante qu'il ressentait en ce moment, il sentait bien que leur relation en avait pris un coup, à peine perceptible certes mais bien là. Il supposait qu'ils avaient tellement l'habitude d'être à deux, ensemble, que la présence de Victoria avait aussi renforcée cette impression malgré eux. Mais paradoxalement, il en était reconnaissant. C'était agréable d'avoir une autre personne dans leur quotidien pour une fois et il voyait bien que Noah l'appréciait de plus en plus. Lui qui avait toujours eu du mal à laisser quelqu'un s'introduire dans leur duo, il avait visiblement trouver en Victoria une interlocutrice à sa hauteur.

En quelques minutes, ils arrivèrent finalement devant l'immeuble et Julian passa devant pour ouvrir la porte. Simon se glissa dans son dos en vitesse. Ils montèrent sans s'attarder les escaliers de peur de croiser un voisin, mais ils eurent de la chance pour ce soir et atteignirent l'appartement sans encombre. Dès qu'il passa le seuil, la chaleur du loft le cueilli avec soulagement et il s'avança dans l'entrée. La besace de Simon fit un « bong » sonore quand il la déposa sans cérémonie sur le parquet. Tout était silencieux.

- Noah ? appela-t-il, surpris de ne pas entendre au moins un filet de musique filtré depuis l'atelier ou la cuisine.

Peu importe l'activité du jour, si Noah était rentré avant lui du travail et avait passé la fin de journée avec Victoria, il pouvait être presque sûr que l'un d'eux avait mis de la musique pour mettre un peu d'ambiance en dessinant ou en cuisinant. Mais là, rien. Aucune réponse non plus.

- Il n'est peut-être pas rentré, fit valoir Simon.

- Sûrement... Je croyais qu'il devait travailler depuis la maison ce matin, c'est tout, mais Joséphine a peut-être changé le planning, j'arrive jamais à suivre. (Il leva les yeux vers l'étage et la passerelle en hauteur). Victoria ?

- Si elle est plongée dans un livre avec un casque sur les oreilles, elle ne va rien entendre.

L'affirmation de Simon faisait entendre une réalité apparemment bien connue et Julian sourit.

- J'espère qu'elle écoute les Beatles alors. Ça serait au moins acceptable.

- Oh Merlin, il faut arrêter avec les Beatles un jour. Genre, passer à la décennie suivant. Voire à celle en cours. Queen au minimum !

- J'accepte Queen, je ne suis pas totalement sans goût.

- « Accepter », répéta Simon, l'air de ne pas y croire en secouant la tête.

Cette fois, Julian rit franchement.

- C'est bon, j'adore Queen, comme tout le monde. Maintenant monte, vas-y. Je vous appelle quand le dîner est prêt.

- Ouais... ok.

Simon eut une seconde d'hésitation, comme s'il ne savait pas vraiment s'il avait le droit d'aller voir sa propre copine dans sa chambre, mais il finit par céder et monter les escaliers deux par deux. Julian se retint de lui crier de laisser la porte ouverte, juste pour rire, mais il n'était pas Noah et il renonça à l'idée avant même de l'avoir pensé totalement. Fatigué, il s'avança dans le salon. Une tasse de chocolat chaud traînait sur la table basse, signe que Victoria était passée par là, mais il vit aussi un mot posé à côté. Curieux, il se pencha pour l'attraper entre deux doigts. Dès qu'il le porta à ses yeux, son sang se figea.

« On est partis avec Vic', on revient avant la tombée de la nuit »

Pas plus court, pas plus long. Pas plus d'explications. Dans le coin, un dessin avait été griffonné à la va vite : un petit avion de papier en plein looping donc les ailes se terminaient par des plumes. Julian sentit son corps entier se tendre d'un coup, frappé par une angoisse si brusque qu'il fit volte-face quand la voix paniquée de Simon s'éleva au-dessus de lui.

- Julian ! Elle est pas là !

Sur la passerelle surplombant le salon, Simon était penché sur la barrière, le teint blême et le regard frénétique.

- Elle est nulle part ! se récria-t-il. Merlin, elle...

- Elle est sortie avec Noah...

Sa voix d'outre-tombe stoppa Simon dans sa panique.

- Quoi ? s'étrangla-t-il.

Dans des bruits de pas précipités, il redévala les marches pour revenir vers lui et leva les bras au ciel, incrédule. Julian sentit la tête lui tourner en même temps.

- Comment ça elle est sortie avec Noah ? répéta Simon d'un ton tranchant. Elle ne peut pas sortir, c'est toute l'idée de la cacher ici !

- Je sais, je sais ! J'ai juste trouvé ça...

Il lui tendit le mot, le cœur battant, et Simon le lui arracha presque des mains.

- Avant la tombée de la nuit ? Mais c'est maintenant, la tombée de la nuit ! s'exclama-t-il.

- Ca veut dire qu'ils ne devraient pas tarder.

- Devraient ? T'es sûr que Noah a bien écrit ça déjà ? Que c'est bien son écriture ?

- Oui, oui, ça l'est.

- Mais si on l'avait forcé à écrire ? Le gribouillis, là, en bas c'est quoi ? Une sorte de code, de signature ? C'est bien lui ?

Pendant une seconde, l'indignation perça sa torpeur en entendant le dessin de Noah être qualifié de « gribouillis ». Il avait vu Simon griffonner en marge de ses cours, ce n'était pas brillant, merci bien. Mais l'inquiétude le submergea trop vite à nouveau pour qu'il s'y attarde. Il dû mettre trop de temps à répondre car Simon lui agita le mot sous les yeux, vindicatif.

- Julian !

- Rah, je ne sais pas, oui ça a l'air d'être son écriture et son style, mais ça a été fait tellement à la va vite...

Simon secoua la tête avant même qu'il ne termine sa phrase.

- Non, non, ça ne suffit pas ça. Il faut qu'on soit sûr. Bon sang, vous dessinez absolument partout et tout le temps, ne me dis pas que tu ne sais pas dire si c'est lui !

Cette fois, ce fut la colère qui perça la torpeur et il décocha un regard agacé vers Simon dont le corps était aussi tendu que le sien devait l'être. Il ne supportait pas l'accusation à peine déguisée. Il avait gagné en humilité ces dernières années et admettait beaucoup de choses : il ne pouvait pas toujours avoir raison, il ne pouvait pas toujours tout contrôler, ce n'était pas parce que les autres faisaient quelque chose qu'il aurait pu mieux le faire. Mais s'il y avait bien un point où il refusait d'être remis en cause, c'était sa compréhension et sa connaissance de Noah Douzebranches. Et ce n'était pas Simon du haut de ses dix-neuf ans qui allait le faire.

- Encore une fois, le dessin a été fait à la va-vite sans précision, Simon, asséna-t-il avec une patience mince. Mais oui, je pense que c'est Noah à cause de la forme. Ça ne peut être que lui.

- Donc ils sont vraiment sortis. Tous les deux. Ils sont dehors, là, depuis Merlin sait combien de temps.

Les traits contractés, Simon se passa une main dans les cheveux, encore plus tendu. Il lui parut horriblement démuni l'espace d'un instant et il tenta de refouler sa propre panique pour prendre les choses en main.

- Allume la radio, ordonna-t-il sur une inspiration soudaine.

- Quoi ?

- Allume la radio, je te dis Simon !

Très bien, bon, il n'avait plus de patience. Son ton brusque eut néanmoins l'effet escompté et en quelques secondes Simon se précipita vers le poste qui trônait sur l'étagère près de la bibliothèque. Il n'eut même pas à lui préciser de mettre la version sorcière, Simon le fit d'instinct et tapota plusieurs fois l'appareil de sa baguette pour trouver la bonne fréquence. De son côté, Julian alluma la télévision et mit BBC News en poussant le volume à fond. Des deux côtés, les voix des présentateurs télé et radios se heurtèrent, mais bientôt tout l'espace fut envahi des dernières nouvelles.

- Tu crois qu'ils l'annonceraient... marmonna Simon, presque collé au poste. S'il s'était passé quelque chose dans les environs ?

- Aucune idée... A vrai dire, j'espère surtout ne rien apprendre...

S'il n'y avait rien, alors il y avait une chance que la peur qui lui dévorait l'estomac à cet instant n'ait pas de résonnance dans le monde réel. Encore à moitié sonné, il se laissa tomber sur le canapé, les yeux vrillés sur l'écran. Mais la seule nouvelle qui semblait occupée les journalistes du pays, c'était la mise en retraite du Britannia, le bateau de la Reine.

- Ils parlent seulement des appels du Ministère à respecter les convocations de la Commission d'enregistrement des nés-moldus, râla Simon à sa droite. Mais en même temps, ils ne le diraient juste pas si une attaque venait d'avoir lieu autour de l'IRIS ou à Oxford.

- Non, c'est vrai...

- Alors qu'est-ce qu'on fait ? On va les chercher... ?

Bonne question. Tout en lui criait de ressortir de cet appartement et d'y traîner Noah par la peau du cou s'il le fallait, de l'arracher à la nuit tombante et à la menace des mangemorts. Et alors, presque par mécanisme, son regard s'aimanta vers les escaliers. L'image qui flasha dans son esprit fut horrible mais, pendant un battement de cœur, il s'imagina y retrouver Noah comme quelqu'un avait dû y retrouver Matthew. La violence de la simple idée fit trembler ses mains et il ferma les yeux une brève seconde.

- Non, on ne peut pas, ça attirerait encore plus l'attention, se répondit Simon à lui-même après réflexion. S'ils sont sortis de leur plein gré, ils vont revenir, on ne peut pas...

Il avait raison, évidemment. Julian fut quand même étonné qu'il le réalise tout seul et qu'il fasse assez preuve de maturité et de lucidité pour le voir, mais il aurait dû s'y attendre. Simon avait la tête sur les épaules. Ça ne l'empêcha pas de manifester son anxiété en se postant près de la fenêtre, poings serrés, comme s'il allait parvenir à faire apparaître Victoria par la seule force de sa volonté. Son profil se découpa dans la lumière que les lampadaires projetaient depuis l'extérieur, accentuant son long nez et ses traits fins.

- J'aurais dû le voir venir... grommela-t-il. Victoria Bennett est née pour me filer une crise cardiaque. C'était son plan depuis le début pour me tuer...

Julian émit un rire étouffé, dépourvu de toute trace d'amusement.

- Si c'est vraiment son plan à elle... dit-il à voix basse.

Pourtant, malgré le son de la radio et de la télé, Simon l'entendit et vrilla ses yeux sur lui.

- Pourquoi ? Tu crois que... Merlin, ça serait l'idée de Noah ?

- Aucune idée, mais ça peut lui ressembler.

Tout comme ça lui ressemblait de fuguer sur un coup de tête à dix-huit ans pour échapper à son mal-être, de venir le rejoindre en Angleterre sans prévenir, de démissionner de la Gazette du jour au lendemain, d'engager une gamine même pas sortie de Poudlard à la Voix du Chaudron par pur instinct, ou encore de se lancer dans la propagande de l'Ordre du Phénix sans lui en parler explicitement. Oui, tout ça faisait partie de Noah. Ce n'était pas bien dur de l'imaginer inciter Victoria à quitter l'abris de leur appartement dans ce contexte.

- Peut-être, mais Vicky n'est pas en reste non plus... marmonna Simon. Si elle ne l'avait pas voulu, il n'aurait pas réussi à grand-chose. Et je sais que c'est un peu Ste-Mangouste qui se fout de la charité, mais elle peut avoir la tête dure.

Julian releva les yeux vers lui. Dans sa voix, il entendit toute la conviction que seules les années à connaître quelqu'un dans le moindre détail pouvait apporter et il fut soudain frappé par leur similarité à cet instant. Si la situation n'avait pas été si effrayante, il en aurait presque trouvé ça comique.

- Mais si c'est vraiment Noah qui l'a poussé à sortir... reprit Simon d'un timbre étrange. (Il reporta toute son attention sur lui). Je me fiche du reste, s'il arrive quelque chose à Victoria, c'est à moi qu'il devra en répondre.

Il n'ajouta rien, sans appel, et se tourna à nouveau vers la fenêtre. La lumière éthérée captura une fois de plus son profil. Julian resta figé une seconde, presque incertain, mais il ne s'y trompa pas. A mots à peine couverts, Simon venait de mettre Noah dans sa ligne de mire et, sans qu'il puisse s'en empêcher, un élan protecteur gonfla dans sa poitrine. Peu importe qu'il ait lui-même envie d'arracher sa tête à Noah pour son imprudence, il était seul à en avoir le droit. Pourtant, il ne répondit pas. Il n'oubliait pas que c'était juste un gamin inquiet devant lui, un gamin que la guerre avait déjà bien trop marqué.

Et alors que ses pensées basculaient dans une spirale infernale, il se demanda ce qui se passerait si Noah et Victoria avaient vraiment été attaqués. Si leur virée dans Oxford s'était heurtée aux forces de Voldemort... Il se força à garder les yeux baissés vers le sol pour ne pas les tourner de nouveau vers les escaliers, mais une autre idée horrible se forma soudain : et si seulement l'un d'eux devait être blessé ? L'idée était horrible parce que son cœur n'hésita pas à répondre, pas même une demi-seconde. Malgré toute la tendresse qu'il portait à Victoria, sa compassion pour elle et le lien qu'ils avaient développé depuis plus d'un an ; son choix se portait sur Noah. S'il ne devait qu'en sauver un, ça serait lui, parce que ça avait été Noah depuis des années, depuis le premier jour, depuis leur baiser interdit dans un lac souterrain. Et il se sentit horrible de penser comme ça. C'était horrible de se voir renvoyer son amour sous cette forme cruelle en pleine face, mais il ne pouvait pas nier la réalité et il tenta d'avaler la boule brûlante dans sa gorge.

Il aurait sans doute continuer à s'enfoncer dans son angoisse paralysante si, brusquement, la voix empressée de Simon n'avait pas fusé :

- Bordel, ils sont là ! Julian, ils arrivent !

Il se leva avant d'avoir compris les paroles. En trois enjambées, il se précipita aux côté de Simon à la fenêtre et regarda à travers le carreau. Il avait raison. Noah et Victoria étaient au pied de l'immeuble, bras dessus bras dessous, chargés de sacs divers. Victoria était en train de rire, un sourire solaire qu'il lui avait rarement vu en deux mois vissé aux lèvres, et Noah s'inclina pour la laisser rentrer, la porte coincée par son pied.

Julian retint un soupire. Le soulagement qui fit éclater sa poitrine était presque encore douloureux. Quand il se tourna vers Simon, il vit la même sensation se refléter sur son visage et, sans se concerter, ils allèrent se planter devant la porte d'entrée. Ils n'eurent pas à attendre longtemps. Une minute plus tard à peine, le battant s'ouvrit et Noah et Victoria entrèrent, encore insouciants pour quelques secondes. Leur attitude changea dès qu'ils les aperçurent en comité d'accueil.

Les yeux de Victoria s'écarquillèrent sous le coup de la surprise et elle se figea, concentrée tout entière sur la présence de Simon. Julian aurait aimé que la surprise prévue soit d'une autre nature. Les pieds fermement ancrés dans le sol, il dirigea plutôt son attention sur Noah. Il aurait dû prévoir ce qu'il allait trouver, vraiment, et Noah fut fidèle à lui-même. Un éclat de défiance au fond de ses yeux bleus, il le dévisagea l'air de dire : « vas-y, Jules, fais-moi encore la morale alors que j'ai raison ». Il détestait cette expression. Pourtant, pendant une fraction de seconde, cette expression vacilla, comme si Noah percevait la colère sincère qui bouillonnait en lui, alimentée par la peur primaire qu'il ressentait depuis qu'il était rentré.

Mais ça ne suffit pas à le retenir. Dans un geste grandiloquent, il fit un pas en avant, comme pour dévier l'attention de la pauvre Victoria, et ouvrit les bras de part et d'autre de son corps, comme une victime offerte.

- Et que la dispute commence !

La phrase fut pareille à un barrage auquel il donnait la permission de céder. Les mots lui brûlèrent les lèvres et bientôt Julian se retrouva à crier en concert avec Simon, à peine conscient des réponses de Noah et Victoria en face :

- Non mais vous avez quoi dans le crâne ?!

- On a fait super attention ! On n'est pas idiot, on s'est juste glissé dans la foule ...

- Il y a des tonnes de gens dans la foule ! C'est Noah qui t'a proposé ce plan ?

- Non mais c'est pas vrai ! Tu te plains que je te traite encore parfois comme si tu étais encore un ado en crise mais regarde comment tu te comportes ! En faisant le premier truc dangereux dès que j'ai le dos tourné !

- Si j'avais agi comme un ado on vous aurait attendu devant l'IRIS pour vous faire une jolie surprise, Jules ! J'ai tout fait pour que ce soit une sortie sans incidence et c'est exactement comme ça que ça s'est passé ! Regarde, on est en vie tous les deux, non ?

- Et qu'est-ce que tu en sais que quelqu'un ne l'a pas vu ? Qu'ils ne vont pas venir directement ici un matin avec des Aurors pour prendre Vicky ?

- Enfin Simon, s'ils ne m'ont pas prise là, ils n'attendront pas demain ...

Les voix se mêlaient, s'entrechoquaient, se heurtaient avec celles de la radio et de la télévision toujours allumées dans une cacophonie sans but. Julian sentit la frustration gonfler dans son ventre par-dessus la peur et la colère toujours présentes en lui.

- Assez ! exigea-t-il en levant la main.

Ce n'était pas bien différent que de faire taire une classe, à la différence prêt que son investissement émotionnel était bien trop haut. Néanmoins, cela sembla fonctionner car la protestation que Simon était en train de vocaliser mourut dans un grognement étouffé et Victoria se mit alors à observer plus attentivement l'appartement. La radio et la télé durent la frapper car elle écarquilla un peu plus les yeux, incapable de tout à fait confronter son regard.

- Inutile d'hurler à tort et à travers, ce n'est pas constructif, énonça-t-il avec dureté. Noah, viens avec moi.

La répartie ne manqua pas et fusa en un instant :

- Ouh, je me fais convoquer par le professeur ?

Ce fut sans doute ce qui fit craquer quelque chose à l'intérieur de lui. Noah pouvait être à la fois la personne la plus drôle et la plus exaspérante qu'il connaissait, mais clairement la balance penchait d'un côté ce soir.

- Arrête avec tes sarcasmes, ce n'est pas le moment ! s'écria-t-il, un étau dans la gorge.

Et avec horreur, il entendit lui-même sa voix dérailler. Embarrassé, il sentit le regard pesant de Simon sur lui – il devait avoir perdu tout professionnalisme depuis un moment de toute façon – et celui plus teinté de compassion de Victoria. Il tenta de reprendre contenance en se râclant la gorge et redressa la tête, les émotions à peine contenues.

- S'il te plaît... souffla-t-il.

Dans son regard, il tenta de faire comprendre à Noah qu'il en avait besoin. S'il restait plus longtemps sous l'attention de Simon et Victoria, il allait s'effondrer devant eux et c'était la dernière chose qu'il voulait. A nouveau, quelque chose passa entre lui et Noah qui parut comprendre. Il mit pourtant un point d'honneur à rouler des yeux avant de le suivre.

- C'est bien parce que tu as dit le mot magique...

L'humour, toujours, pour garder la face. A bout de patience, Julian l'attrapa par le bras pour le traîner vers l'atelier.

- Je vais le tuer, grinça-t-il entre ses dents.

Il sentait toujours le regard de Simon et Victoria peser sur eux et il se déroba en refermant la porte derrière lui. Il n'arriva pas à se contrôler : une partie de ses nerfs y passèrent et le battant claqua à en faire trembler les murs. Noah tressaillit dès qu'ils furent seuls.

- Vas-y, Jules, attaqua-t-il immédiatement comme s'il voulait être le premier à mordre. Balance-tout, dis-moi à quel point je suis inconscient, égoïste, à quel point j'ai corrompu la pauvre petite Victoria...

- Non, arrête. Arrête, je t'interdis de faire ça, de retourner les choses contre moi ! Ne me fais pas croire que j'exagère ou que je me monte la tête tout seul !

- Je n'ai pas dit ça, même si c'est en partie vrai. Pas besoin d'exagérer les choses. Je l'ai dit, elle va bien, je vais bien. On va bien tous les deux. C'était simplement une balade pour prendre l'air.

Julian retint un cri étranglé, indigné et incrédule.

- Une balade ? Noah, je te rappelle pourquoi elle est là, ou tu crois qu'on s'est transformé en auberge de jeunesse depuis deux mois ?

- Oh très drôle, très spirituel, ça.

- Je me mets à ta hauteur !

Il mit un point d'honneur à lui envoyer un regard entendu et Noah grimaça avant de soupirer. D'un mouvement souple, il pivota sur lui-même pour venir se réfugier derrière son établi, dos à la baie vitrée qui donnait sur la terrasse. Julian s'avança à son tour, bien décidé à ne pas le laisser s'échapper.

- Noah, regarde-moi, demanda-t-il. Réfléchis deux minutes et imagine ce que j'ai pensé... ce qu'on a pensé Simon et moi en revenant ici. L'appartement vide, sans signe de vie.

- J'avais laissé un mot.

- Et plus synthétique tu ne pouvais pas ?

Noah plissa les yeux.

- Qu'est-ce que tu voulais que je mette ? Que je te fasse dix centimètres de parchemin avec introduction, plan, conclusion sur le pourquoi on avait décidé de partir en balade ? (Il secoua la tête et attrapa un pinceau qui traînait pour s'occuper les mains). J'avais même « signer » pour te prouver qu'il était authentique.

- L'avion avec des ailes d'oiseau ?

- De perroquet, précisa Noah, pointilleux. Plus subtil que juste mettre un perroquet noir, non ?

- Plus subtil que... ? Rah !

Dans un élan exaspéré, il se retint de balancer quelque chose par terre et se contenta de fermer les yeux une seconde, tête renversée vers le plafond. Expiration, inspiration. Compter dans le désordre. Se concentrer sur les bruits autour de lui. C'étaient les techniques qu'il avait appris avec le temps pour tenter de ne pas se laisser étouffer littéralement par la panique, même si ce soir se révélait être difficile.

- Ok, une chose à la fois, décida-t-il, la gorge toujours trop serrée pour lui donner l'impression que tout allait bien. Laissons Victoria et le perroquet noir de côté, on pourra y revenir plus tard...

- Ne te sens pas obligé.

- ... je veux que tu me dises que tu comprends pourquoi je suis en colère. Que tu reconnaisses que j'invente pas des problèmes qui n'existent pas !

Il ne savait pas pourquoi ça lui tenait à cœur. Surement pour que Noah prenne au moins conscience de ce qu'il avait vécu ou qu'il tente de comprendre son point de vue. Pourtant, il se contenta de le fixer davantage, penché sur son établi, et Julian eut l'impression qu'il pouvait littéralement lire en lui. Même après toutes ces années, le sentiment était toujours déconcertant, et il le fut d'autant plus quand Noah asséna :

- T'es pas en colère, Jules... T'es terrifié.

La nuance, exprimée sans voile, presque crûment, le figea sur place. Pendant une seconde, il le prit presque comme une attaque. Comme si terrifié revenait à le traiter de lâche alors qu'il avait accepté d'accueillir une née-moldu chez eux, qu'il avait accepté les tracts de propagande, qu'il encourageait ses élèves à demi-mots tous les jours à affronter la guerre... C'était injuste. Puis, il réalisa ce que Noah voulait dire en sentant sa respiration se couper et son ventre se resserrer en une sensation familière. Evidemment que Noah avait raison... La colère, certes présente, ne faisait que masquer le sentiment qui le glaçait depuis qu'il avait poussé la porte de chez lui. Ce sentiment de terreur informe qui s'était logé jusqu'au plus profond de lui et avait planté ses griffes dans chacun de ses muscles contractés.

- Et quoi ? se défendit-il après un court silence insupportable. Quelle différence ? Tu crois que je n'ai pas le droit d'être terrifié par tout ce qui se passe ?

- Je n'ai dis ça. Il faudrait être fou pour ne pas l'être... Mais toi et moi, on sait que ce n'est pas « tout ce qui se passe » le problème, non ?

Noah le regardait à travers ses cils désormais, tête inclinée, et il secoua la tête en sentant avec horreur ses yeux le brûler.

- Oh je t'en prie, arrête avec ta psychologie de comptoir et tes nuances à deux noises. Si tu veux me le faire dire, je vais le dire. Oui, je suis terrifié pour toi. Parce que tu sembles croire, comme d'habitude, que t'es intouchable et rien ne pourra t'arriver. Et tu sais quoi, Noah ? C'est pour ce regard qui peut défier le monde entier que je suis tombé amoureux de toi mais... (il déglutit, le souffle bloqué, avant de réussir à reprendre). Il faut que tu comprennes qu'un jour t'arriveras pas à t'en sortir...

- Jules...

- Non, je suis sérieux. Cette certitude de pouvoir gagner contre tous et tout le monde, je l'ai vécu avec toi quand on a décidé qu'on ne devait avoir honte de rien, qu'on pouvait être ensemble... Mais je l'ai aussi vu dans un autre contexte la dernière fois que Matthew s'est tenu devant moi, persuadé qu'il pouvait faire basculer une guerre à lui tout seul s'il s'engageait...

Et alors que sa voix s'enraillait une fois de plus, Noah éleva la sienne, contournant son établi pour se rapprocher :

- Julian, écoute-moi ! gronda-t-il, l'air fatigué et enflammé à la fois dans un mélange paradoxal. Je ne suis pas Matthew. Il faut que tu arrêtes, ça fait quinze ans que cette peur te bouffe et...

- Mais tu crois quoi ? Que ça n'allait pas mieux, que la guerre ne fait pas tout revenir ?

- Si, bien sûr que si ! Je l'ai vu moi-même, d'accord ? Mais justement, tu ne peux pas laisser cette guerre te bouffer, nous bouffer...

La voix de Noah s'était fait plainte et il tendit une main vers lui, conciliant, mais Julian recula d'un mouvement brusque. L'étau dans sa gorge s'était mis à peser sur sa poitrine désormais.

- Mais tu vois pas que tout recommence ? s'étrangla-t-il, les yeux si brûlant désormais que sa vision se brouilla. Tu-Sais-Qui, le Ministère, les mangemorts, les morts, les disparus ? Tu crois que je ne sais pas que Charity n'est sûrement pas parti sur un coup de tête au Mexique ? Tu n'as pas vu la première fois, Noah, mais tout recommence ! Et la première fois, j'ai perdu une des personnes les plus importantes de ma vie... J'ai cru perdre ma mère, même. Et aujourd'hui, ça recommence vraiment alors que...

Il se tut, incapable de continuer, mais l'expression de Noah, si ouverte et honnête en face de lui, finit de débloquer les derniers mots, si lourds et si vrais en même temps.

- ... alors que maintenant c'est toi, la personne la plus importante de ma vie.

Le silence qui suivit fut assourdissant. De l'autre côté des murs de l'atelier, il n'entendait même plus en écho les propres cris de Simon et Victoria et, pour la première fois depuis longtemps, il eut l'impression d'être seul avec Noah. Toi et moi.

Juste face à face, il vit toutes les émotions danser dans les yeux de Noah jusqu'à ce que ses épaules s'affaissent et qu'il ne soupire :

- Oh Jules...

Et ce fut comme si la colère n'avait pas existé. Au moment où les larmes coulaient enfin et qu'un sanglot lui échappait, Noah franchit la distance entre eux pour venir l'envelopper de ses bras. Il eut la sensation que leurs corps rentraient en collision, solides, vivants. Le visage enfouit contre son épaule, il expira un souffle tremblant, à moitié appuyé contre son établi derrière lui. Au creux de son oreille, Noah chuchotait des mots sans sens ni forme, mais son toucher était partout : ses bras autour de lui, ses mains qui passaient sur sa nuque et ses cheveux, son torse contre le sien, les battements de son cœur...

- Tu sais ce que je me suis dit ? murmura-t-il, la voix étouffée dans le cou de Noah. Quand j'ai compris que vous étiez dehors et que quelque chose vous était peut-être arrivé ?

- Non... ?

- J'ai pensé... Merlin, s'il devait arriver quelque chose à l'un de vous deux, j'aurais tout donné pour que ça ne soit pas toi. Et Victoria n'est qu'une gamine, la première victime de cette guerre, on est censés la protéger et veiller sur elle, mais...

Noah l'apaisa en resserrant son étreinte.

- C'est bon, je comprends... Ce n'est pas grave, Jules.

- Evidemment que si...

- Eh non, même toi t'as le droit d'être égoïste une fois, ok ? Surtout en ce moment, c'est toi qui l'a dit... (Il déposa un baiser contre sa tempe, si proche que ç'en était étourdissant). Et je suis désolé, d'accord ? Pour ce que ça vaut, je suis désolé...

- Je sais.

Il ne mentait pas. Il l'entendait dans chaque accentuation de sa voix et dans chaque geste tendre. Ça ne voulait pas dire que sa colère était totalement partie, mais elle pouvait attendre demain qu'il ait les idées plus claires.

- Ne crois-pas qu'on en reparlera pas demain, le mit-il en garde, même si l'effet était sans doute galvaudé par sa voix instable et le fait qu'il se pressa un peu plus contre Noah.

Celui-ci rit et il pouvait presque le voir rouler des yeux, mais il n'en attendait pas moins.

- Comme tu veux. Je tenterai de t'amadouer avec du thé.

- Va falloir plus que ça.

Les mots lui avaient échappé avant qu'il ne les pense vraiment et il sentit Noah sourire au-dessus de sa tête.

- Jules, c'est une proposition, ça ? dit-il d'un ton suggestif.

- Peut-être...

Aucune utilité à nier maintenant. Surtout quand le corps de Noah et le sien étaient si proches et qu'il ressentait le besoin de le garder près de lui presque vibrer au fond de lui. Alors, très doucement, Noah s'écarta de quelques centimètres, juste assez d'espace pour pouvoir se reculer et le regarder dans les yeux. Ses mains vinrent encadrer son visage d'un geste affectueux. Julian savait qu'il devait avoir les yeux rouges... Il aurait aimé se détourner, encore gêné même après toutes ces années, mais dans sa poitrine son cœur avait comme pris toute la place, gonflée par une sensation indescriptible que seul Noah arrivait à faire naître depuis ses dix-sept ans.

- Julian Shelton... Que tu ne dises jamais que je ne te donne pas tout ce que tu demandes.

- Hum... L'altruisme est ta première qualité, c'est vrai.

- Un modèle de générosité, c'est tout moi ça, approuva Noah dans un murmure.

Et alors, aussi bien dans un souffle empressé que dans un sourire amusé, Julian combla la distance entre eux au moment où les yeux de Noah n'arrivait de toute façon plus à se détacher de ses lèvres. Il plongea sur sa bouche comme un noyé en pleine mer, sans attache ni repère. Après autant d'émotions ce soir, embrasser Noah était une expérience qui décuplait tous ses sens. Il voulait plus, il voulait tout, et leurs lèvres continuèrent à se mouvoir l'une contre l'autre, à se rencontrer avec frénésie entre des soupirs exaltés et des bruits de gorge rauques qui résonnèrent jusque dans son bas ventre.

- Merlin...

Il s'accrocha aux épaules de Noah – à tout ce qui pouvait l'aider à se raccrocher au réel – alors que son corps s'inclinait naturellement vers l'arrière contre son établi. Celui de Noah le recouvrit, suivant le mouvement sans hésitation, et il sentit ses mains glisser sur ses hanches dans un frisson délicieux. Leur pression à travers ses vêtements le poussèrent à donner la légère impulsion qui lui permit de s'appuyer plus franchement sur l'établi, les jambes à moitié dans le vide. Il poussa le vice à adresser un léger rictus à Noah quand celui-ci se recula une fraction de seconde pour reprendre son souffle.

- Morgane, Jules... Si on passe pas tout de suite dans la chambre, je te jure qu'on passe la nuit ici. Ce que tu préfères.

Bon sang, le ton bas et rauque pulsa à travers lui et il se sentit rougir malgré tout. Ça n'aurait pas été la première fois... Mais la partie encore un peu rationnel de son cerveau lui rappela un détail de taille.

- Victoria et Simon, protesta-t-il, ils sont...

- Toujours là, oui, mais sûrement à l'étage à faire exactement la même chose que nous. Je ne mêle pas de leurs affaires si ça veut dire t'avoir toute la nuit pour moi.

Il ponctua sa phrase en déposant un baiser brûlant dans le haut de son cou et Julian déglutit, l'esprit embrumé, avant de grimacer quand même devant la première partie de la phrase. Noah intercepta son expression et éclata de rire.

- Quoi ? se moqua-t-il. Qu'est-ce qui te dérange là-dedans ? Le fait que t'ai jamais compris l'intérêt d'un couple hétéro ou que ça soit le petit frère de Matthew Bones ?

- Oh bon sang, la ferme.

Mortifié et amusé à la fois, il plaqua sa main contre la bouche de Noah jusqu'à le repousser assez pour redescendre de l'établi. Contre sa paume, il sentit le rire de Noah vibrer, puis il se dégagea pour l'embrasser une fois de plus. C'était un baiser lent, passionné, et alors qu'il venait faire jouer sa langue contre sa bouche, Julian du faire appel à tout son self-control pour reculer à nouveau.

- La chambre, décida-t-il, le souffle court. Maintenant.

- A tes ordres.

Dans un empressement désordonné où ils n'arrivaient pas à garder leurs mains loin de l'autre, ils titubèrent presque jusqu'à leur chambre, à moitié dans le noir. Victoria et Simon avaient éteints la radio, la télévision, et les lumières en partant, mais ils connaissaient assez l'appartement pour naviguer à l'aveugle, guidés simplement par le désir de l'autre. Quand ils arrivèrent enfin dans leur chambre, ils basculèrent sur le lit sans attendre. A nouveau, Noah recouvrit son corps du sien, lourd et chaud par rapport à l'air frais de l'hiver. C'était un poids enivrant pourtant, surtout quand les lèvres de Noah dévièrent de ses lèvres à son pouls qui s'emballait au creux de sa gorge jusqu'à sa clavicule.

- Bon sang, Jules, je t'aime.

L'aveu, chuchoté au cœur de la nuit, lui donna un coup dans la poitrine. C'était un trop plein d'émotion si intense qu'il se retrouva incapable de répondre plusieurs secondes et se contenta de rejeter la tête contre le lit, un gémissement au bord des lèvres. Ce qu'il vivait là, c'était tout ce qu'il avait jamais désiré depuis son adolescence, c'était le point culminant de ses sentiments pour Noah Douzebranches, peu importe à quel point la route pour y arriver avait été dure.

- Tu trembles... murmura Noah en se réajustant au-dessus de lui, le visage maintenant suspendu au-dessus du sien.

C'était vrai. Et c'était aussi exactement la même phrase que Noah lui avait chuchoté la première fois qu'ils s'étaient retrouvés dans cette position dans un lit tous les deux. Il en aurait presque rit, mais son amusement n'arrivait pas à passer la montagne d'émotions qui l'étreignait à cet instant. Chaque terminaison nerveuse sous sa peau appelait Noah vers lui et il releva légèrement les hanches pour les aligner avec les siennes. La friction leur arracha à tous les deux un souffle haché.

Julian renversa un peu plus la tête en arrière pour tenter de saisir les lèvres de Noah, mais celui-ci eut un rire essoufflé et se contenta plutôt de faire courir ses mains le long de son corps jusqu'à déboutonner sa chemise entièrement. Il se retrouva sans en quelques secondes, puis ce fut au tour du pull de Noah. Sentir sa peau contre la sienne lui fit fermer les yeux et envoya une nouvelle vague de désir entre ses jambes. Ils n'avaient plus l'imprécision des premières fois depuis longtemps. Noah savait exactement quoi faire pour arracher chaque bruit de sa gorge, chaque mouvement impatient de ses hanches. Bon sang, c'en était douloureux à quel point il l'aimait.

Très vite, Noah passa à la bordure de son pantalon. Il n'eut pas besoin de lui dire d'arrêter de jouer à le faire attendre, le bouton sauta rapidement, tout comme le jean de Noah. Julian le sentait dans chacun de leurs gestes : ils avaient besoin de se retrouver ce soir. Depuis deux mois, ils s'étaient retenus d'aller trop loin par égard pour la présence de Victoria, voire de Simon, mais plus rien ne comptait d'autre que Noah, bien vivant, à cet instant.

Quand leur peau nue entra en contact totalement, il n'arriva pas à retenir un nouveau tremblement et il leva le visage de Noah vers lui pour le regarder dans les yeux. Même à travers l'obscurité, il pouvait voir chacun de ses traits, simplement parce qu'il les connaissait par cœur.

- Je t'aime aussi... murmura-t-il à son tour, comme un secret, même si ça n'en était plus un depuis longtemps. Reste avec moi...

- Oh Jules... je pourrais pas faire l'inverse même si je le voulais.

A l'extérieur, un roulement de tonnerre fracassa l'atmosphère. Ils avaient annoncé une tempête pour cette nuit, comme seule les nuits d'hiver anglaises pouvaient en produire. Et alors que Noah lui faisait l'amour, Julian fut habité par une certitude : tant qu'ils étaient ensemble, les tempêtes n'entreraient pas. 

*************************************************

Voilà ! Je pense que vous comprendez pourquoi c'est notre pref avec Perri haha ! On a du Julian et Simon qui parlent de Matt, du Nolian, de l'amour et des dramas ^^ Verdict ?

J'espère que vous avez aimé et on se retrouve la semaine prochaine pour LHDI et bientôt pour la suite de ce bonus ! 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top