1. Encrer le Futur.

iKON / Triple Kim

***

Le jour était levé depuis à peine une heure quand Jiwon sortit sur le palier de leur petit immeuble. Il fit une légère pause à peine eut-il claqué la porte derrière lui, appréciant un instant les légers rayons de soleil qui se déposaient sur sa peau devenue bien pâle. Il n'arrivait malheureusement toujours pas à s'habituer au temps glacé et pluvieux de la capitale française mais au moins, en cette journée de grande importance, le soleil hivernal avait décidé de venir les saluer.

Il renifla un petit coup avant d'arranger la lanière de son sac et virant sur la droite, il se mit lentement en route. Il marchait tranquillement, la tête vers le bas tout en tentant de garder ses yeux bien ouverts malgré le vent froid qui venait battre son visage. Il ne put avoir de répit que quand, après déjà une quinzaine de minutes de marche, il arriva dans une petite boulangerie de quartier.

A peine entra-t-il qu'il fut joyeusement salué par la commerçante installée au comptoir et qui était heureuse de le voir cette semaine aussi. Content que la boutique soit vide, Jiwon s'avança d'un pas curieux jusqu'à la vitrine de présentation, se demandant ce qu'il pourrait bien prendre cette fois. Puis après quelques minutes de réflexion, il se fixa pour un assortiment de viennoiseries qui, il le savait, ferait plus que plaisir à son chéri.

Une fois le tout empaqueté et réglé, il inspira profondément pour se donner du courage et après un aurevoir enjoué, il retourna se confronter au froid de l'extérieur. Il savait qu'il lui fallait approximativement encore une vingtaine de minutes de marche rapide, qu'il s'empressa de faire le plus vite possible. Il était tout autant impatient que stressé à vrai dire, alors si lui se trouvait dans cet état, Jinhwan devait être presque au bout de sa vie.

Il accéléra donc au maximum le pas, arrivant un gros quart d'heure après enfin à sa destination. Il se pencha curieux contre la vitrine éteinte et qui ne faisait que refléter la rue déjà animée. Puis ignorant le signe lumineux affichant « fermé », il vint ouvrir la porte en verre d'un mouvement rapide, la refermant derrière lui dans un clac qui résonna dans l'espace vide. Un frisson le parcouru alors, satisfaisant et naissant dans son dos grâce à la chaleur présente dans l'entrée.

Il en profita alors pour abaisser son épaisse capuche noire et l'écharpe qui lui couvrait la moitié du visage, soufflant dans le vide tout en se disant qu'il n'arrivait décidément vraiment pas à se faire au froid de Paris. Il s'avança ensuite en direction du comptoir d'accueil et comprenant d'un coup d'œil rapide autour de lui qu'il était bel et bien seul dans le hall d'entrée, il fit comme chez lui en venant déposer la boite de pâtisseries sur le meuble haut et fin. Ainsi débarrassé de celle-ci, il en profita pour enfin retirer ses grosses mitaines en laines noires et ranger celles-ci dans son sac à dos, qu'il abandonna quelques secondes plus tard sous le meuble de l'entrée, caché à la vue des gens.

Il retourna ensuite vers le milieu de la pièce, ne s'y arrêtant pas tandis qu'il la traversait pour rejoindre un couloir presque étroit qui semblait s'enfuir jusqu'au centre du bâtiment. Tout le long de celui-ci se trouvait plusieurs portes dont celle qui l'intéressait et qui était en plus de cela grande ouverte. Il avança donc jusqu'à cette dernière, s'arrêtant juste avant de l'atteindre pour toquer deux petits coups contre le mur mitoyen. Il reçut alors l'autorisation de s'avancer, se faisant soudain agréablement agresser par la chaleur de la pièce dans laquelle il venait d'entrer. Décidément, son petit ami mettait toujours le chauffage un peu trop fort, surtout en cette saison.

Cela s'avéra encore plus quand la silhouette de Jinhwan apparue devant lui, seulement vêtue d'un large débardeur noir ainsi que d'un jean de même couleur, le tout complété seulement par un bandeau vert fluo lui retenant les cheveux en arrière. Son ainé ne se tourna pas vers lui, penché avec application au-dessus du bras d'une jeune femme allongée, elle aussi peu habillée, ne portant qu'un soutien-gorge et une jupe d'hiver secondée d'épais collants.

- Bonjour, désolé de vous déranger, entama-t-il avec douceur en français en se rapprochant des deux individus présents et en faisant un geste de la main, je t'ai ramené le petit déjeuner Hwanie, annonça-t-il ensuite en coréen en venant lui frôler la nuque du bout des doigts, tout se passe bien pour vous ? demanda-t-il en revenant à l'autre langue après avoir reporté son attention vers la cliente présente, est-ce que vous voudriez quelque chose à boire ou à manger ?

- C'est parfait, répondit celle-ci joyeusement en écho au sourire du nouvel arrivant, je veux bien un peu d'eau s'il vous plait, accepta-t-elle tout de même.

- Je vous ramène ça, il hocha la tête, tu veux quelque chose toi ? pensa-t-il ensuite à demander en s'adressant à l'artiste en plein travail.

- Juste ma dose et je viendrais manger avec toi dans quinze minutes, le temps de terminer.

Jiwon fut plus que ravi par la réponse, roulant tout de même les yeux au ciel suite à l'allusion qui faisant bien trop penser à de la drogue. Puis après que Jinhwan ait éloigné ses aiguilles de la peau claire de le jeune femme et levé la tête vers lui, il vint lui voler un baiser tout aussi surfacique que tendre et empli d'amour. Ils séparèrent leurs lèvres peu de temps après et d'un pas joyeux, le plus jeune traversa la pièce jusqu'à la fontaine à eau camouflée dans un coin. Il y remplit alors l'un des verres empilés sur le côté puis après l'avoir apporté à l'inconnue qui le but immédiatement, il s'en alla après un rapide « à tout de suite, travaille bien Bébé ».

De nouveau seul et content d'avoir lui aussi eut sa petite « dose », il revint dans la pièce principale où il alla directement s'installer au comptoir. Il fouilla ensuite quelques secondes dans le meuble et dès qu'il réussit à mettre la main sur une assiette, il vint poser celle-ci devant lui. C'est alors qu'il se souvint soudain qu'il ne s'était pas lavé les mains, ce qu'il s'empressa d'aller faire deux fois, avant et après une escale rapide aux toilettes.

Quand il fut de retour et restant cette fois debout, il ramena vers lui la boite qu'il avait rapportée et en sortit une ribambelle de petites gourmandises qu'il plaça et empila joliment sur le plat. Une fois cela fait, il partit faire du café, ce qui embauma rapidement l'accueil de son arôme particulier et qu'il vint ensuite aussi installer sur le comptoir, avec une pile de tasses, prêt à servir.

Satisfait de ce qu'il avait mis en place et fait, Jiwon alla alors s'affaler lourdement dans l'un des fauteuils de la pièce, réservé à l'attente des clients, où il récupéra un magazine de tatouage qu'il avait déjà lu des dizaines de fois. Il eut à peine le temps de se plonger dans sa relecture que la porte s'ouvrit soudain en face de lui. Il releva directement la tête, prêt à annoncer que le salon n'était toujours pas ouvert pour les walk-in mais il se ravisa en reconnaissant la silhouette devant ses yeux. Il jeta donc sans considération ce qu'il avait dans les mains sur la petite table à côté de lui, ouvrant ensuite grand les bras en direction de l'individu devant lui.

Ce dernier, emmitouflé dans une longue veste en cuir ainsi que sous un Fedora sombre, s'avança alors vers lui d'un grand pas, venant s'asseoir naturellement à califourchon sur ses cuisses d'un mouvement presque souple. A peine fut-il ainsi installé qu'il se pencha sur Jiwon pour l'embrasser tendrement, le faisant frissonner au contact de ses lèvres et de son nez froids.

- Pourquoi tu ne m'as pas attendu pour partir ? dit alors le nouvel arrivant en décollant leurs bouches.

- Tu dormais encore et tu mets trop de temps à te préparer et puis, moi je suis venu à pied, je voulais passer prendre le petit déjeuner avant que Jinhwan n'ait fini son rendez-vous.

- Je t'aurais déposé en voiture et je t'aurais attendu tu sais ? mais bon, tant que tu as acheté assez pour tout le monde, moi ça me va, répondit-il en revenant voler un baiser au plus jeune.

- De toute façon Binnie, quand il y en a pour deux, y'en a pour trois, annonça joyeusement Jiwon en haussant son sourcil percé et en venant prendre les fesses dudit Binnie entre ses mains.

Ils se mirent à rigoler profitant ensuite joyeusement de l'absence de musique en ce début de matinée et appréciant simplement d'être l'un contre l'autre malgré l'habitude qu'ils avaient pourtant d'être toujours collés.

Quelques minutes s'écoulèrent alors tranquillement, jusqu'à ce qu'ils entendent soudain les voix des deux autres personnes présentes dans la boutique résonner plus fortement. Ils comprirent ainsi que la séance était terminée et ils se séparèrent donc, Hanbin passant simplement sur le côté pour s'asseoir normalement d'un mouvement lent.

Ainsi libéré, Jiwon s'avança vers lui pour l'embrasser au coin des lèvres et profitant de cette légère diversion, il retira le chapeau de son ainé, qui le laissa faire en souriant. Le plus jeune se leva ensuite sous l'œil et la surveillance du plus vieux, tandis qu'il partait accrocher le précieux couvre-chef sur le porte-manteau de l'entrée. Et à peine eut-il déposé l'accessoire noir que Jinhwan et la jeune femme, portant désormais un gros pull crème ainsi qu'une doudoune, arrivèrent dans l'espace éclairé de néons.

Aucun des deux autres hommes ne parla, Jiwon se contenant même simplement de retourner s'asseoir auprès de son ainé, attendant ensuite que Jinhwan ait terminé de la conseiller pour ses soins et des derniers règlements avant que celle-ci ne s'en aille alors, satisfaite et souriante après un dernier aurevoir.

Jinhwan, qui l'avait accompagnée jusqu'à la porte, ferma alors celle-ci à clé, se retournant enfin vers ses deux acolytes qui le regardaient avec des yeux tendres.

- Alors, comment tu te sens pour le grand jour ? questionna Hanbin dans leur langue natale en se redressant dans le canapé.

- Stressé, mais c'est normal même si je vous avoue que j'ai pensé à annuler plusieurs fois, lâcha le plus vieux en baissant la tête.

- C'est normal, continua donc son petit copain, mais tu verras tout se passera bien. Et puis on a déjà tout testé donc je suis sûr qu'il n'y aura pas problème technique.

- Et si jamais tu reçois des commentaires haineux ou autre, Hanbin et moi seront là pour repérer les noms et les signaler. Tout ira bien, on te le promet.

Leur ainé soupira lourdement, tout autant par pression que par un peu de soulagement. Puis sans hésiter, il se rapprocha d'eux et se laissa tomber en travers des cuisses de ses deux cadets. A peine fut-il ainsi installé que Hanbin vint l'embrasser sur le front en le prenant dans ses bras tandis que Jiwon lui se mettait à lui masser lentement les cuisses. Ils restèrent dans cette position quelques courtes minutes, jusqu'à ce que le plus jeune ne leur rappelle que le café allait bientôt refroidir et aussi, qu'ils méritaient tous bien de se faire plaisir avec les petits gâteaux qu'il avait ramené. Il fallut encore un peu de temps avant qu'ils ne parviennent à se lever mais ce fut plus heureux que tout que le trio s'installa ensuite autour du comptoir, chacun une tasse à la main et en train de grignoter.

Heureusement pour eux, l'idée qu'avait eu Jiwon de ramener des sucreries réconfortantes et encourageantes faisait parfaitement son travail. En effet, le stress était en cet instant loin de Jinhwan, celui-ci bien trop occupé à savourer les moindres petites bouchées qu'il prenait. Le sucre qui envahissait ses papilles et son cerveau lui permettait de totalement oublier que dans quelques minutes maintenant, une cinquantaine environ, il allait s'exposer totalement.

En effet, après beaucoup de réflexion, durant des mois entiers à retourner le sujet dans tous les sens depuis leur arrivée en France et surtout grâce à l'aide et au soutient qu'ils avaient reçu sur place, ils s'étaient décidés. Jinhwan allait faire un live, sur sa page Instagram pour essayer de sensibiliser ceux qui le suivaient à son expérience. Plutôt même à leur expérience à eux trois. Ainsi, tout aussi bien que de nombreux enjeux se profilaient à cette simple idée, Jinhwan avait peur que ses abonnés, majoritairement des coréens comme lui, ne soit choqués de ce qu'il allait dire ou que ceux-ci cherchent à lui créer des problèmes.

Il soupira soudain tandis que ces appréhensions-ci remontaient en lui comme une vague inattendue. Ses compagnons s'en rendirent compte directement et Jiwon se rapprocha de lui pour lui passer tendrement la main dans le dos.

- Ça ira, sur un public potentiel de quatre-vingt-douze mille personnes, y'en a bien certaines sur qui ça aura un impact positif.

La réaction fut immédiate et son ainé lui lança un regard horrifié à l'idée qu'autant de personnes le voient en direct, ignorant ainsi totalement le fait qu'il avait dépassé les quatre-vingt mille abonnés sans s'en rendre compte.

- Hwanie, tu vas simplement parler de tatouage, de ton expérience et d'amour, tu n'as pas à te prendre la tête avec quoique ce soit, ce sont toutes des choses qui sont naturelles chez toi et que tu maitrises, tout va bien se passer vraiment, reprit Hanbin de façon plus rassurante que leur cadet.

- J'ai peur de craquer, finit par confier le plus vieux en leur lançant un regard en coin, qu'est-ce qu'il se passera si ma sœur ou même quelqu'un que je connais intervient ou entend ce que j'ai besoin de dire ou de reprocher ?

- Il ne se passera rien, on n'est pas parti pour rien. Certes c'est dur de ne plus être avec nos familles, on le ressent tous, mais au moins on est ensemble, à faire ce qui nous rend heureux.

- Vous avez raison, capitula Jinhwan en montant sur le siège en hauteur face au comptoir, ne se sentant plus ni la force ni la volonté de rester debout, Won, passe-moi encore un gâteau au chocolat s'il te plait, il faut que je fasse des réserves.

- Tout ce que tu veux Bébé, s'empressa de répondre ledit Won en lui présentant la confiserie dans son petit papier, régale-toi et n'y pense pas trop.

Jinhwan hocha simplement la tête en croquant dans son gâteau tout en leur souriant tendrement. Heureusement qu'il les avait tous les deux avec lui, c'était vraiment la seule chose qui lui avait permis de tenir. Il soupira lentement pour se donner des forces et se vider la tête, ne sachant même plus ce qu'il espérait entre « que le temps passe vite et que tout soit déjà fait » ou « que le temps se fige et que cet instant n'arrive jamais ».

Pourtant, le monde étant ce qu'il est et l'univers ne s'arrêtant pas de tourner pour si peu, les minutes s'écoulèrent et bien trop rapidement à son goût, Jinhwan se retrouva assis dans l'un des fauteuils du salon, son téléphone chargé à bloc et installé sur un trépied en face de lui, prêt à être utilisé.

Stressé au summum de ses capacités, le plus petit des trois hommes se retrouvait même à trembler légèrement, tandis qu'il se recoiffait constamment, comme si cela allait changer quelque chose.

- Bébé, t'es parfait comme ça, tu peux t'inquiéter de ce que tu veux mais le cadre est bon, tu es beau comme tout, tu as l'air en forme et, il sourit, tu fais honneur à ta profession !

- Ton meilleur allié est ton naturel Hwanie, seconda Hanbin en lui souriant tendrement, et puis on est là pour réagir à ce que tu dis et pour te soutenir.

- Merci mes Amours, leur répondit affectueusement ce dernier en se laissant aller contre le dossier en cuir noir.

Le silence s'installa ensuite, légèrement lourd tandis que chacun se concentrait sur ce qu'il allait avoir à faire durant au moins l'heure à venir. Jiwon et Hanbin regroupèrent donc tout ce dont il avait besoin, c'est-à-dire l'un son téléphone et l'autre son ordinateur, une bouteille d'eau pour chacun d'entre eux ainsi que des mouchoirs, au cas où.

Puis après encore quelques derniers réglages, ils vinrent tous les deux embrasser une dernier fois leur petit copain, pour lui insuffler une vague de courage et lui montrer encore une fois qu'ils étaient là pour lui, pour ce moment important.

- C'est l'heure, murmura alors Jiwon en posant sa main gauche sur le genou de leur ainé, Binnie et moi allons nous mettre derrière ton téléphone, si tu hésites ou s'il y a quoique ce soit, regarde-nous.

- J'ai peur, leur confia encore une fois Jinhwan en essayant de détendre ses mains qu'il était en train d'encore plus triturer qu'avant, merci vraiment d'être là.

- Evidemment, lui répondit Hanbin en venant aussi le toucher avec encouragement, avant de finalement le laisser et aller s'asseoir à sa place, c'est quand tu veux.

Le plus vieux se passa alors une nouvelle fois la main dans les cheveux puis décidant de se jeter à l'eau pour un peu arrêter de réfléchir, il s'avança légèrement en avant et du bout du doigt, il lança le démarrage de son Direct Instagram. L'écran de test de connexion apparut alors et avant qu'il n'ait le temps d'encore plus regretter son choix, ce qu'il avait sous les yeux changea : c'était bon, la diffusion avait commencé.

- Bonjour, entama-t-il timidement dans sa langue natale en saluant la caméra tandis que les connexions augmentaient exponentiellement, je vous avais annoncé il y a quelques jours que j'allais faire un Live pour vous partager un peu mon expérience, que certains d'entre vous connaissent déjà et merci pour toutes les attentes déjà positives que j'ai reçues. Je pense que vous pouvez remarquer que je suis assez stressé mais ça va aller.

Il fit ensuite une petite pose, se rapprochant légèrement de l'écran pour voir les quelques commentaires déjà présents. La majorité d'entre eux lui exprimaient à quel point ils aimaient son travail en tant que tatoueur tandis que d'autres l'encourageait à continuer.

- Je vois que Léa est avec nous, ça me fait plaisir de te voir, sourit-il en voyant l'identifiant de la jeune femme, je pense que je vais commencer par là. Ceux d'entre vous qui me suivent depuis longtemps connaissent Léa, qui est propriétaire du premier salon de tatouage qui m'a accueilli quand j'ai quitté la Corée pour venir ici en France. C'était il y a déjà deux ans et grâce à elle, j'ai pu ouvrir mon propre salon. Merci beaucoup Léa, tu as vraiment changé ma vie.

Il prit une longue respiration avant de relever le regard pour regarder ses deux petits copains, qui redressèrent directement leurs têtes vers lui pour l'encourager de grands sourires. Il se reconcentra donc sur son téléphone, se disant qu'il valait mieux aborder directement les sujets difficiles avant qu'il n'y ait encore plus de personnes présentes à le regarder. Ainsi, tentant d'ignorer le fait que plus de cinq mille comptes étaient déjà en train de l'écouter, cela augmentant encore et encore, il reprit.

- J'ai voulu faire ce Live parce que je pense que même si mon expérience est particulière, pour un bon nombre de raisons, beaucoup de jeunes ou même d'adultes pourraient s'y identifier. Je ne suis pas du tout là pour faire de la propagande ou quoique ce soit mais je veux juste offrir une représentation que moi je n'ai jamais eu.

Il secoua légèrement la tête pour essayer de trouver la bonne façon d'attaquer les sujets qui lui pesaient sur le cœur, ne sachant même pas lesquels étaient réellement les plus importants. Il fut soudainement sauvé quand ses yeux croisèrent un commentaire lui demandant comment il en était venu à faire ce métier.

- Comment je suis devenu tatoueur ? lu-t-il à voix haute en souriant, je pense que beaucoup de mes anciens amis diraient « par erreur » mais à vrai dire, c'est à cause d'un coup de cœur. Je devais avoir peut-être quinze ans quand j'ai vu l'interview d'un acteur très connu, je ne sais plus vraiment lequel, où il présentait ses tatouages, qu'il avait sur la totalité de ses bras. Sur le coup, j'ai surtout été impressionné, on ne voit pas ce genre de choses chez nous. Alors j'ai commencé à me renseigner, à rechercher comment on pouvait dessiner de façon indélébile sur la peau et je suis tombé amoureux de cet art.

Il sourit alors qu'il repensait à l'époque où il regardait avec culpabilité des photos et des vidéos de tatouage de la même façon qu'un garçon de son âge cachait d'habitude de la pornographie à ses parents.

- J'ai cherché tout ce qui existait et que j'arrivais à trouver sur internet sur le sujet. Comment construire une machine, quelles encres utiliser et j'ai aussi commencé à dessiner. J'étais plutôt un matheux et ma famille ne voulait pas que je perde du temps à griffonner au lieu de travailler, surtout qu'au début je n'étais pas du tout doué. Alors au lieu de réviser pour mon diplôme tous les jours, j'allais me cacher dans les rues de Séoul pour dessiner tout ce que je voyais et recopier les tatouages qui me plaisaient. J'ai tellement dessiné durant ces années-là qu'il m'arrivait parfois de ne pas pouvoir tenir un stylo durant plusieurs semaines ensuite.

Il se massa par réflexe le poignet droit avant de reprendre tranquillement et déjà plus à l'aise qu'au tout début.

- Dès que j'ai été diplômé, j'ai dit à mes parents que je préférais trouver du travail plutôt que de continuer mes études, ce qu'ils n'ont pas du tout apprécié. Mais moi ce que je voulais, c'était concrétiser sur le corps des gens leurs rêves et leurs souvenirs. J'ai tout de même voulu satisfaire mon père donc j'ai essayé de rentrer en médecine, parce qu'en faisant ça, j'aurais pu tatouer comme je le voulais mais je n'avais pas le courage ni la force. Alors j'ai commencé à sécher les cours et j'ai passé des heures à parcourir les petites rues pour réussir à trouver le premier de salon de tatouage de ma vie.

Il regarda de nouveau Jiwon et Hanbin qui étaient de toute évidence concentrés à lire les nombreux commentaires qui affluaient à toute vitesse en bas du direct.

- L'endroit était vraiment bizarre, comme s'il n'y avait rien et l'homme qui m'a accueilli la première fois m'a fait tellement peur que j'ai failli partir en courant, raconta-t-il en souriant, j'étais à peine majeur mais j'ai pris mon courage à deux mains et je lui ai dit que je voulais devenir tatoueur. Il ne m'avait pas vraiment pris au sérieux, surtout quand il m'a demandé si j'avais déjà des tatouages. Alors je lui ai montré mon carnet de dessin, que j'avais toujours sur moi pour éviter que mes parents ne le trouvent et à ce moment-là, j'ai été encore plus sûr que jamais de mon choix. Il m'a dit qu'il m'apprendrait les bases si je dessinais pour lui.

Jinhwan sourit tendrement à ce souvenir, continuant ensuite joyeusement son récit.

- Je suis resté plusieurs mois dans son salon, mes dessins avaient beaucoup de succès et de plus en plus de clients venaient pour passer commande, ce que je n'aurais jamais osé imaginer possible. Puis un jour, j'ai eu ma première machine entre les mains, je dois l'avouer, dit-il avec un rictus, j'ai pleuré quand je l'ai allumée et que j'ai senti ses vibrations faire trembler mes doigts et remonter jusqu'à mon cœur.

Il changea ensuite de position, se rapprochant de nouveau légèrement pour montrer l'intérieur de son bras gauche à la caméra de son téléphone.

- Vous voyez cette petite fleur toute tremblante, c'est le premier tatouage que j'ai fait, je tenais vraiment à ce qu'il soit sur moi et heureusement, ça m'a appris à avoir la main légère tellement j'ai eu mal, rigola-t-il joyeusement, après ça, je suis resté deux ans en apprentissage dans le salon qui m'a tout appris. J'ai fait les plus belles rencontres de ma vie, comme Léa et beaucoup d'autres merveilleux artistes et tatoueurs mais surtout, il hésita alors que sa voix venait presque se bloquer dans sa gorge, j'ai rencontré deux étudiants en troisième année d'école d'art, qui sont entrés dans ma vie en venant pour que je dessine sur eux et qui n'en sont jamais repartis.

Il se tut ensuite tandis qu'il relevait un regard presque ému vers Jiwon et Hanbin qui avaient eux aussi redressé leurs visages vers lui. Ses deux petits copains lui sourirent aussi avec la même émotions, dans un silence reconnaissant et hors du temps.

- Ce sont eux qui design et réalisent tous les bijoux que vous voyez sur mon compte, orienta-t-il ensuite, comme pour changer de sujet alors qu'il savait parfaitement qu'il allait devoir y revenir et s'y attarder, merci vraiment pour tous vos retours sur leur qualité et tous vos commentaires positifs, glissa-t-il aussi alors qu'il regardait de nouveau les commentaires.

Une douche froide lui tomba dessus quand il remarqua que beaucoup de personnes s'étaient arrêtées sur le fait qu'il parle de deux étudiants et non deux étudiantes. Il releva prestement son regard sur ses amants qui l'encouragèrent simplement à continuer, en lui mimant de ne pas faire attention à ce qui était dit.

- C'est vrai, dit-il alors en regardant de nouveau la caméra, il s'agit de deux hommes et, il souffla lentement avant de forcer un sourire qui était pourtant sincère dans son fond, à mes yeux, même si le tatouage est ma raison de vivre, ça n'a été qu'un moyen de l'univers pour me permettre de les rencontrer. Si je ne m'étais pas pris de passion pour cette discipline, je n'aurais jamais fini en couple avec eux, avoua-t-il ultimement, ne laissant plus la moindre place pour un malentendu.

Il osa ensuite donner un nouveau coup d'œil aux commentaires et il se dépêcha de rapidement s'éloigner de l'écran. Des injures et des insultes pleuvaient, homophobes pour la plupart, de toute évidence. Il se remit alors à se triturer les doigts avant de regarder ses amants et de voir ceux-ci concentrés à l'élimination des messages virulents.

- Je vois tous vos messages, dit-il ensuite, je les vois et je sais que c'est ce que vous voulez mais je ne suis pas le seul à les voir. Là, devant leurs écrans, il y surement d'autres jeunes, curieux comme je l'étais, qui sont comme moi et qui voient aussi vos messages. Alors si vous êtes dans cette situation, n'ayez pas peur, vous n'avez rien à vous reprocher, peu importe ce que peuvent dire les autres. Nous venons d'un pays qui n'a toujours pas évolué et qui est ancré dans des préceptes qui sont obsolètes depuis déjà des années. Je sais que c'est dur mais si ce pays n'est pas prêt à évoluer, sachez que vous ne lui devez rien, continua-t-il, éprit d'une nouvelle hargne et assurance.

Il se redressa ensuite fièrement sur son siège avant de prendre un air plus que sérieux et inquisiteur.

- Vous pensez que j'ai quitté Séoul et mon pays juste parce que le tatouage y est illégal ? ou alors à cause d'une pression familiale au sujet de ma vie professionnelle ? non, j'aurais surement été capable de tout supporter tant que je n'étais pas seul. Mais des gens comme vous, comme ceux qui sont en train de commenter et de m'insulter ont décidés qu'ils avaient le droit d'entrer dans ma vie privée. Et peu importe ce qu'on peut dire, je ne crois pas que tout ce qui est arrivé m'ait rendu plus fort.

Il souffla lourdement avant de regarder avec tristesse et amour Jiwon.

- Je ne pense pas que le fait que l'un des amours de ma vie se fasse gifler puis presque frapper à mort par sa propre famille puisse rendre plus fort, je ne pense pas que devoir supprimer ses réseaux sociaux à cause d'appels au suicide rende plus fort, continua-t-il en laissant son regard passer sur Hanbin qui s'attrista à l'entente de ces mots qui le concernaient lui cette fois, je ne pense pas que le fait de vendre toutes mes affaires, tous mes dessins, tout mon matériel de tatouage, ma première machine, mes premiers croquis, l'air se bloqua dans sa gorge en un pleur étouffé, tout ce que je possède, pour acheter trois billets d'avion pour le premier vol quittant le pays rende plus fort, sa voix se coupa ultimement dans sa gorge et il laissa un sanglot lui échapper tandis qu'une larme glissait sur sa joue aux souvenirs froids et douloureux de cette époque qu'ils avaient traversés ensemble, la seule chose que ça fait, c'est de vous détruire.

Il n'eut ensuite pas le temps de renifler que déjà le plus jeune de ses amants s'était levé et sans pudeur, avec courage même, venait dans le cadre de la vidéo pour le prendre dans ses bras et lui donner un mouchoir. Sentir alors la chaleur réconfortante de Jiwon contre lui aida Jinhwan à se calmer et il rendit l'étreinte à son compagnon, glissant un bref instant sa tête dans le cou de celui-ci pour respirer son odeur réconfortante. Puis après un baiser aussi insolent que plein d'amour, Jiwon repartit derrière l'écran. Le jeune tatoueur se moucha ensuite discrètement en se tournant sur le côté, puis il revint de nouveau prêt de son téléphone.

Cette fois, parmi encore de nombreux messages insultants, se faufilaient des blocs entiers de cœurs et d'encouragements qui vinrent en un fragment de seconde réchauffer le cœur de l'artiste. Une joie nouvelle naquit sur son visage et ramena ses bras contre lui par réflexe, comme pour se réconforter encore un peu plus.

- Vous voyez, dit-il, je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans eux. Suivre ma passion, épouser mon art avec tout ce que cela a engendré, chaque épreuve et étape qui en sont nées, tomber amoureux non pas d'un homme mais de deux, tout cela, fait qui je suis et comment je vis aujourd'hui. Alors même si une part de moi quémande encore l'amour de ma famille, le pardon de ma sœur, je n'en ai pas besoin. Je n'ai jamais été plus moi qu'en suivant ce qui était important à mes yeux, il sourit en regardant par-dessus le petit appareil face à lui, en vous suivant vous et en vous demandant de venir avec moi ici à Paris. Nous sommes arrivés ici tous les trois, sans jamais être sortis de notre pays, sans expérience, presque sans rien et simplement notre présence les uns pour les autres et nous avons été accueillis par ce pays-ci et par cette communauté qui nous soutient encore aujourd'hui.

Un sentiment de fierté et de reconnaissance profonde se faufila en lui et il en frissonna de joie.

- Nous lui en devons beaucoup, j'ai déjà remercié Léa il y a quelques minutes mais vraiment, si elle et d'autres tatoueurs ne nous avaient pas accueillis, logés, nourris, nous serions restés dans la rue et certainement que je ne serais pas là, devant vous, pour vous partager mon expérience.

Puis lentement, alors que les commentaires haineux disparaissaient un par un, étant remplacés par des vagues de positivité, Jinhwan continua de raconter des anecdotes sur leur arrivée en France et leurs premières semaines de galère. Joyeusement, il se remémorait tout ce qu'ils avaient vécu et étrangement, il avait le sentiment d'être reconnaissant envers le destin, de lui avoir donné autant de soutient. Certes, tout avait été loin d'être rose ou un long fleuve tranquille, mais ce qu'il lui restait au moment du bilan, c'était de belles choses et des souvenirs inestimables.

Des curieux se manifestèrent ensuite dans la conversation, lui demandant d'expliquer certains de ses tatouages et le jeune homme de vingt-sept ans s'exécuta avec plaisir. Il expliqua ainsi qu'après qu'il ait trouvé son style de prédilection dans les genres esquisse, floral et graphique, il avait fait beaucoup de tests et de dessins qu'il avait appliqué sur sa propre peau. Pour souligner ses dires, il fanfaronna en exposant pleinement ses bras recouverts de magnifiques fleurs ainsi que d'un dessin fin de trois tigres entrelacés, qu'il avoua être lui et ses amants. Il montra aussi avec joie les décorations ornant son cou et sa gorge, fleuris eux aussi et allant à merveille avec le reste des autres encrages.

Une fois le tour terminé, il répondit encore à quelques questions, retenant un soudain flot d'émotion quand il vit un message, simple, de la part d'un inconnu : « merci de m'inspirer comme tu le fais, je suis gay et j'aime l'art, grâce à toi, j'espère avoir le courage de me choisir moi ».

Puis après encore quelques minutes, son attention fut happée par Hanbin lui faisant de grands signes. Cela faisait presqu'une heure qu'il avait commencé et il était enfin temps pour lui de clôturer le Live.

- Je viens de remarquer que cela fait presque une heure que la diffusion a commencé et sincèrement, je ne pensais pas que je tiendrais aussi longtemps ni même que je passerais un aussi bon moment. J'avais vraiment imaginé le pire et même s'il y a eu beaucoup de mauvais commentaires, vous m'avez aussi tellement encouragés et soutenus que je sais, maintenant, que j'ai fait le bon choix en m'exposant ainsi à vous. Je voulais vraiment être sincère envers mes abonnés et même si vous êtes là pour mon travail, je voudrais que vous puissiez aussi vous sentir bien dans un espace qui pour certains d'entre vous, vous respectera toujours et où vous pouvez être libre de vous confier. Il est souvent dur d'être dans des situations similaires à la mienne, parce qu'on est seul mais sachez que même si vous avez le sentiment que personne ne peut vous soutenir ou vous comprendre, le monde est plus grand et plus vaste que votre horizon et qu'il est aussi beaucoup plus bienveillant que ce que certains veulent vous faire croire.

Et alors qu'il allait ajouter autre chose, son regard se mit à osciller entre ses deux amants qui venaient de se lever d'un même mouvement et qui venaient vers lui. Sans rien dire, les deux jeunes hommes vinrent s'asseoir de part et d'autre de leur ainé, glissant chacun une main dans son dos, avant de l'embrasser ensemble sur la joue de leurs côtés respectifs. Jinhwan accueillit l'étreinte avec bonheur et en profita alors pour les embrasser l'un après l'autre à son tour, posant ses lèvres sur celles de Jiwon puis sur celle de Hanbin, en savourant leur proximité et de les sentir contre lui, oubliant même quelques secondes la présence de la caméra de son téléphone.

Puis après un ultime petit mot d'encouragement et d'autres remerciements, il s'avança une dernière fois vers son écran et souriant cette fois avec soulagement, il mit fin à la vidéo.

A peine cela fut-il fait qu'il se leva et se retourna à toute vitesse pour sauter dans les bras de ses petits amis, glissant ses mains dans leurs nuques pour les serrer chaleureusement contre son corps fin, qui se trouva vite lui aussi entouré. Sentant ainsi leurs souffles dans sa nuque, il souffla longuement, relâchant enfin ce qu'il lui restait de pression dans le corps. Oui, en cet instant, plus encore que d'autres fois, il avait la conviction que quitter Séoul avait été le bon choix. Et même si cela avait été la décision la plus folle qu'il n'ait jamais prise, et il en avait pris des tas, elle était celle qu'il se remerciait presque tous les jours d'avoir faite.

- Tu as réussi Jinhwan, lui susurra Hanbin avec tendresse en le serrant toujours contre eux, tu l'as fait.

- Nous sommes fiers de toi, tellement fiers de toi, compléta Jiwon avec cette même douceur et chaleur.

- Je vous aime tellement, répondit simplement le plus vieux en se reculant pour les regarder avec des yeux embués par le trop-plein d'émotion qui venait l'assaillir, je vous aime, de tout mon cœur.

- Nous aussi, lui répondirent d'une seule voix ses deux âmes sœurs, en l'attirant de nouveau vers eux.

Ainsi, là, dans le silence d'une matinée d'hiver parisienne, entre les murs d'un salon de tatouages encore vide, trois jeunes hommes, follement amoureux les uns des autres, s'offraient la tendresse de baisers, comblés par la vie et ce qu'elle leur avait offert, en plus de l'amour et de l'art.

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