Tueur à gage (Part. 2)

Je rentre chez moi et mets la tarte aux fraises au frais. 

Je sais comment je vais procéder. 

Je vais le séduire, je vais me rapprocher de lui pour mieux l'atteindre au moment voulu. Je vais venir à la boulangerie tous les jours, lui faire du charme et l'inviter un soir. Je ne le tuerai pas au premier rendez-vous, c'est beaucoup trop cliché et trop risqué. Après tout, je ne sais pas s'il va dire à quelqu'un qu'il a un rencard avec un autre homme. Par ailleurs, la première chose que je dois faire est de trouver un autre prénom et un autre nom pour créer ma couverture. 

Je commence à établir mon plan et penser aux moindres détails pour ne pas me faire avoir. Tout d'abord, il faut que je paye mon avocat pour être sûr qu'il continue de me protéger au cas où. Je ne suis pas fou, j'ai enregistré sur plusieurs disques durs des preuves pour l'incriminer si l'envie lui prenait de retourner sa veste, ou sa robe en l'occurrence. J'ai beau être quelqu'un d'assez bordélique dans le quotidien, lorsqu'il s'agit de mon travail et de survivre, je suis l'homme le plus organisé de l'univers. Je ne laisse rien trainer, j'ai un espace aménagé dans ma chambre pour ranger mon sac d'armes et mes billets. Je place mon argent dans des comptes offshore pour ne pas être emmerdé mais je garde toujours un peu d'argent de côté au cas où je devrais filer pour échapper à la police ou à des clients qui pensent pouvoir m'avoir. Je m'assieds sur mon canapé et commence à réfléchir à ma couverture.

Vers le milieu de la nuit, tout est établi. Mon nouveau moi sera : Audran Pierce, 28 ans, au chômage technique après un déménagement. Audran vient du nord de l'Angleterre et il a du partir à cause de la mort de ses parents dans un accident. Une touche de drame rend toujours mon personnage plus attachant. L'envie de s'en sortir en cherchant du travail rend mon personnage fiable et la confiance s'installe plus rapidement envers une personne qui veut s'en sortir et qui parait accablée par les malheurs de la vie plutôt qu'une personne qui n'en a rien à faire et qui se laisse porter par la flemme. 

Une fois satisfait, je me dirige vers la porte de chez moi, vérifie que celle-ci est bien fermée et que mon alarme est activée. Après cela, je me couche, le sourire aux lèvres, sachant que dans quelques semaines, ma mission sera accomplie. Je n'aime pas particulièrement "chasser" mais lorsque l'argent rentre, je suis tranquille pour de longs mois et je n'ai pas besoin de "travailler". Je finis par m'endormir avec pour dernière pensée, ce jeune homme aux yeux verts. 

* Ellipse de deux semaines *

Je me suis considérablement rapproché d'Harry, ou Harold. Nous avons prévu de nous voir au parc après son service. J'attends patiemment devant la boulangerie où il travaille, montre en main. Au fur et à mesure de mes passages à la boutique, nous avons instauré un petit rituel. C'est toujours lui qui me sert même si sa collègue est libre. Nous discutons de plus en plus à chaque rencontre et j'ai appris qu'il vient d'avoir la vingtaine et qu'il travaille pour aider sa mère après le départ de son père. Je n'ose pas lui demander plus de choses sur son père car je connais déjà les raisons de son départ et je ne veux pas l'embarrasser. 

Il est charmant, je ne peux pas le lui enlever. 

Il est sans cesse de bonne humeur et son sourire est plus que communicatif. Dans quelques minutes il devrait sortir et on devrait aller se poser, tranquilles, pour apprendre à se connaitre davantage. En deux semaines, j'ai réussi à connaître son emploi du temps, je sais qu'il n'a pas de voiture mais qu'il a son permis, qu'il aime tel genre de musique, qu'il adore les fruits et qu'il veut couper ses cheveux car il veut oublier un passé douloureux. Passé que je connais sans que lui ne le sache. 

- Audran !

- Harry ! Lui dis-je en souriant, sans pouvoir m'en empêcher. 

- Ça va ? Tu ne m'as pas trop attendu ?

- Ne t'inquiète pas pour moi, ça a été ta journée ?

- Oui oui et regarde, je nous ai apporté un petit quelque chose ! 

Il sort une petite boite de son sac et lorsqu'il l'ouvre, je peux apercevoir une mini tarte aux fraises et une autre mini tarte aux fruits. 

- C'est pour te remercier de m'avoir attendu, me dit-il en me tendant la boite, je sais que tu aimes la tarte aux fraises, tu en avais achetée une la première fois où tu es venu.

Il s'en souvient ? Je suis étonnement touché de son geste. Nous nous dirigeons vers le parc et rapidement nous trouvons un banc pour que nous puissions nous asseoir. Une fois fait, nous dégustons chacun notre tarte avant d'entamer une petite conversation.

- Et donc, ça avance ta recherche de travail ? Me demande-t-il.

- Difficilement tu sais.

- Tu veux que je demande à mon patron s'il a besoin d'aide à la boutique ? Dit-il, enthousiaste.

- Non ne t'inquiète pas, puis je ne pense pas être doué dans la vente. Je suis plus doué pour les travaux en solitaire, sans interaction avec des clients euh, des personnes. Ou du moins, pas directement. 

- Tu préfères travailler seul ? Me demande-t-il en croquant dans sa tarte.

- J'arrive mieux à gérer les situations oui, lui dis-je essayant de ne pas trop ruiner ma couverture. 

Un peu de sirop se dépose au coin de ses lèvres et je suis obnubilé par cette goute translucide qui perle et qui nacre avec les rayons de soleil. 

- Tu as un peu de...

- De ? 

Il passe le bout de son pouce sur ses lèvres et rougit lorsqu'il comprend qu'il y avait un peu de sirop. Je souris en voyant ses joues se teinter de cette couleur carmin et je me ressaisis en me rappelant pourquoi je suis là. Je dois recueillir encore plus d'informations afin de gagner sa confiance pour pouvoir mieux remplir ma mission. 

- Et tu as quelqu'un dans ta vie ? Me demande-t-il innocemment. 

- Euh, non je... J'ai du mal à m'attacher aux gens, dis-je en réunissant et ma couverture et ma véritable identité. 

- Oh... Dit-il d'un air que je pourrais qualifié de... Déçu ? 

En un instant je comprends que ma réponse peut compromettre l'entièreté de ma mission. S'il ne me sent pas réceptif alors mon approche peut ne pas aboutir. 

- À dire vrai, il est compliqué de trouver la bonne personne et j'ai souvent été abandonné par mes derniers amants. 

- Tes derniers amants ? Dit-il en se retournant vers moi, l'air surprit.

Je ne sais pas comment interpréter sa surprise. Est-ce car il est heureux de savoir que nous partageons une sexualité et que nous pouvons potentiellement être compatibles ou bien est-il répugné par mon orientation sexuelle ? 

- Oui... Ils ont toujours fini par me reprocher ma naïveté ou ma gentillesse qu'ils pensaient parfois mal placée. Tu sais, la phrase "trop bon trop con" est devenu mon mantra... Dis-je en pouffant, jouant avec la carte sensible pour rattraper le coup si jamais il n'est pas homosexuel. 

- Je ne pensais pas que tu été attiré par...

- Des hommes ? Dis-je pour couper court au malaise.

- Ou.. Oui. 

Je regarde devant moi et pendant un instant j'ai peur de tout avoir mal interprété et que lui ne le soit pas. Si c'est le cas, alors tout mon plan tombe à l'eau et ma technique d'approche ne fonctionnera pas. Il faudra que je passe à une technique beaucoup plus radicale et expéditive. 

- Ils sont stupides, lâche-t-il d'un coup.

- Je te demande pardon ? Dis-je, soulagé de comprendre qu'il ne me repousse pas. 

- Il sont stupides de t'avoir abandonné. S'ils avaient pu voir à quel point tu es la bonté incarnée...

Si tu savais Harold...

- Merci Harry... Dis-je en souriant sincèrement. 

Sans que je ne m'y attende, il me prend dans ses bras et avant qu'il ne se recule, je le serre moi aussi contre mon torse et je me surprends à plonger mon nez dans ses cheveux. 

Il sent la vanille.

Après quelques secondes, on se détache l'un de l'autre et nous nous fixons. Je sens quelques crépitements dans mon estomac et je détourne le regard. Nous finissons de discuter et vient le moment de rentrer. Je raccompagne Harry chez lui et quelques crépitements refont surfaces lorsque nos mains s'entrechoquent quand nous marchons côtes à côtes. Arrivés devant sa porte, il se retourne et me regarde. La nuit commence à tomber et l'air devient frisquet. Je le vois frissonner et je lui dis doucement :

- Tu devrais rentrer avant d'attraper froid.

- Euh ouais.... Merci de m'avoir raccompagné jusqu'à chez moi.

- Je t'en prie, ça m'a fait plaisir, lui dis-je doucement.

Il redescend une marche et il se place en face de moi. Je sens ces crépitements revenir dans mon bas ventre et je sais que je ne devrais pas y faire attention. J'écarquille les yeux lorsqu'il dépose tendrement un baiser sur ma joue. J'ai l'impression que ses lèvres laissent sur moi une caresse embrasée tellement son touché est chaud. 

- Bonne soirée Audran... Dit-il en chuchotant.

- Bonne soirée Harry... Dis-je, en chuchotant aussi, perdu dans ses yeux verts.

Nous rougissons tous les deux et il finit par rentrer chez lui. Je redescends les marches de son perron, je fais quelques pas et je m'appuie contre un mur, derrière sa rue. 

- Mon dieu Louis mais tu fous quoi là ! Me dis-je. 

J'essaie de calmer ma respiration, de ne plus ressentir cette chaleur sur ma joue et mon bas ventre. Ce gamin me retourne et c'est la première fois que je me sens attiré par quelqu'un. Attiré ?! Non mais Louis tu t'entends ?! 

Je secoue la tête pour me remettre les idées au clair et je rentre chez moi en courant, tentant de penser à autre chose que ses lèvres pulpeuses sur ma peau.

* Ellipse d'un mois *

Cela fait maintenant un mois qu'Harry et moi entretenons une "relation". Je suis souvent allé chez lui, dans sa grande maison et je ne comprends toujours pas comment un père peut faire ça à sa famille. Il avait tout ce que je n'ai pas, une famille présente, un enfant qui l'idolâtrait et une personne douce qui partageait sa vie. Harry, lui, n'est jamais venu chez moi. Je ne peux pas faire entrer la cible chez moi et prendre le risque que mon plan tombe à l'eau. 

En parlant de plan, il est de plus en plus difficile pour moi de maintenir cette couverture. J'ai découvert une personne douce, attachante, drôle et fleur bleue. J'essaie de ne pas trop m'attacher car le soir, en rentrant et me retrouvant seul à la maison, je me rappelle pourquoi j'ai rencontré Harry et ce que je dois faire. Je ne dois absolument pas perdre mon objectif de vue, je dois tuer Harry pour remplir mon contrat. Le problème est que plus je passe de temps avec ce jeune homme de vingt ans, plus je m'attache à lui. Je sais que je ne devrais pas et que je devrais mettre de la distance entre nous mais je n'y parviens pas. Je ne dirais pas que je ressens quelque chose pour lui car je n'ai rien ressenti pour personne depuis des années mais je pense que ce jeune homme aurait pu avoir une belle vie si son père n'avait pas trempé dans de telles emmerdes. 

Ce soir, Harry m'a invité à boire un verre au café de la place. J'ai accepté et je me prépare dans ma salle de bain depuis une vingtaine de minutes. Je ne sais pas quoi mettre et je ne veux pas paraître mal habillé, surtout qu'Harry à un style à lui et qui, avouons-le, lui va comme un gant. J'opte pour un jean noir et un petit pull léger de couleur crème. C'est la première fois depuis un très long moment que je prends le temps de m'apprêter. Après quelques minutes de plus dans ma salle de bain, je sors enfin et me trouve correct par rapport à ma couverture. Je m'avance dans ma chambre et me dirige vers la cachette secrète de mon appartement. J'y trouve mon sac d'armes et je bloque devant, me questionnant.

Dois-je prendre une arme avec moi ? Dois-je agir ce soir ? 

Après plusieurs minutes de réflexions, je décide de prendre mon silencieux. C'est au moment où je range mon arme dans le bas de mon dos que je me rends compte que mon contrat va être compliqué à remplir. 

Ce que je redoutais le plus est arrivé : Je me suis attaché à ma cible. M'en rendre compte me met en colère car c'est le B-A-BA de mon "métier". Ne pas s'attacher à sa cible.

Je prends une longue inspiration et je sais que je dois le faire ce soir avant que je ne sois trop attaché à lui au point de ne plus pouvoir terminer ma mission. Si jamais je n'exécute pas le gamin alors mon patron du moment va être furieux et voudra certainement récupérer son argent. Je relève les yeux vers mon miroir et acquiesce, me donnant la force d'aller jusqu'au bout. 

- Ce soir, tout sera terminé. 

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