La Secte (Chap. 3)

*P.D.V Louis*

J'ouvre les yeux. 

L'envie de vomir me prend.

Ce soir, c'est mon tour de combattre les démons. 

Je me redresse sur ma couchette et observe les autres constellations. Tous dorment encore paisiblement. Il doit être encore très tôt bien que les rayons de soleil pointent le bout de leur nez. Je retire la mince couverture sur mes jambes et enfile ma tunique blanche, ma tenue spéciale. Elle montre que ce soir, je serai au côté de Solaris pour l'aider dans sa lutte. 

Aujourd'hui, je vais pouvoir obtenir plusieurs faveurs. La plus importante est que je ne suis pas obligé d'effectuer ma tache quotidienne. Ainsi, je pourrai aller me balader dans la forêt tranquillement, à l'abris des regards. Normalement, il est assez compliqué, voir interdit de sortir de la Bulle, seuls certaines Étoiles et certains Astres sont autorisés à mettre les pieds dehors mais j'ai réussi à trouver une faille. Le premier jour que je l'ai vue, j'ai eu si peur que je n'en ai pas dormi pendant plusieurs nuits. En effet, je pensais que c'était par ici que les démons s'introduisaient chaque nuit dans la Bulle mais après plusieurs réflexions, je me suis dis que ce serait également un moyen pour moi de sortir et de découvrir les alentours. Mon premier pas en dehors de la Bulle a été redouté mais agréable. La fraicheur de l'herbe sous mes pieds m'a surpris et envouté. Je ne connaissais pas cette sensation jusqu'alors et elle est devenu importante pour moi. Je l'attends comme un enfant attendrait le jour de sa luminescence. À ce jour, j'ai obtenu dix-huit luminescences, une par année et ce jour-là est un jour de fête. Je sais qu'au bout de dix-huit luminescences, il faut passer le Sceau. Je le passerai donc dans l'année avec d'autres constellations. J'ai hâte mais je redoute énormément l'épreuve. 

Je me ballade dans les couloirs de la Bulle et quelques Poussières d'Étoiles me saluent et m'embrassent dans leurs bras tout flagada. J'arrive à la salle du Bonheur et celle-ci est encore vide. Je regarde le solarium affiché au mur et en déduit que les Constellations, les Astres et les Étoiles se lèveront d'ici quelques minutes. Je m'assois sur un des bancs, au premier rang et commence à prier doucement. 

"Grand Solaris, je me présente face à toi ce matin pour te demander de me donner la force de t'aider dans ta lutte nocturne. Grand Solaris, je sais qu'il n'est pas honorable de ma par de te demander cela mais je t'en prie, protège-moi de ces douleurs abominables qui me traverseront le corps à la nuit tombée...". Une larme s'échappe du coin de mon oeil et je l'efface avec le revers de ma main rapidement, ne voulant pas montrer aux autres mes sentiments. 

Tu dois sourire sans cesse et te montrer heureux. 

Je me redresse et regarde le grand vitrail qui orne la Salle. Les rayons de soleil ne le traversent pas encore et il parait froid, immense et effrayant. 

- Louis ? Tu es déjà réveillé ?

- Bonjour Loris, oui je suis venu prier pour trouver la force d'aider Solaris ce soir. 

- C'est très bien Louis, je suis extrêmement fier de toi tu le sais, tout le monde ici compte sur toi ce soir. Me dit Loris en s'approchant de moi. 

Je souris légèrement et baisse le visage. Il s'assoit à mes côtés et pose deux doigts sous mon menton pour le relever. Il les fait glisser lentement vers mon cou puis derrière mon oreille en se pinçant les lèvres. 

- Tu vas être un bon garçon ce soir hein Louis ? 

- Oui Loris, je promets d'aider Solaris et d'aider les constellations, dis-je en sentant une boule de nerfs se former dans ma gorge. Serait-ce de l'appréhension ou du dégoût ?

- C'est bien, tu sais qu'aujourd'hui tu n'es pas obligé d'assister à la Ronde hein ? 

- Oui, je prendrais ce temps pour faire une introspection comme nous l'a montré Ambra et ainsi canaliser mes forces. 

Je vois Loris sourire et je sens la peur s'infiltrer en moi. Ce sourire me fait peur et me rassure en même temps. Je ne sais jamais comment interpréter celui-ci. 

La porte de la Salle du Bonheur s'ouvre et la première constellation vient s'asseoir. Loris se redresse en me caressant une dernière fois le visage et va se placer devant l'autel. La deuxième et la troisième constellation arrivent un peu plus bruyamment et s'installent. La quatrième constellation arrivent avec les Étoiles et les Astres et après que les Poussières d'étoiles se soient assises, nous sommes tous réunis. 

- Mes chers enfants, nous sommes réunis ce matin pour accueillir Solaris dans nos vies après la lutte nocturne. Cette nuit, je suis allée en dehors de la Bulle. 

Les constellations s'affolent et Loris calme la petite foule en levant les mains. 

- Je ne suis pas revenu seul de ma traversée et j'ai l'honneur de vous présenter deux nouvelles Lunes : Anna et Harry. 

Nous nous retournons vers la grande porte et celle-ci s'ouvre sur deux personnes vêtues en tuniques grises. Tous les regards sont braqués sur eux. Les jeunes constellations chuchotent quelques mots à leur passage mais à part cela, le silence règne dans la Salle du Bonheur. Lorsqu'elles passent devant moi, je remarque qu'elles ont l'air épuisées de leur périple. Arrivé devant Loris, l'Homme se retourne vers la foule et nos regards se croisent. Je reste hypnotisé par la profondeur de ses orbes vertes et finis par détourner le regard, trop dérouté. 

- Mes enfants, je vous demande d'être respectueux et bienveillants vis-à-vis de nos nouveaux venus. Quand à vous, nouvelles Lunes, il sera désormais interdit de parler de vos anciennes vies, remplies de démons et d'obscurité. Vous êtes des Lunes, reflétant la Lumière de Solaris et nous attendons de vous que vous deveniez des Étoiles et des Astres, émanant votre lumière intérieure. 

Après ces quelques mots, les quelques rayons de soleil présents commencent à traverser le vitrail et nous entamons tous ensemble la prière du Soleil. 

- Grand Solaris, baigne-nous de ta bonté et de ta protection. Protège nous la nuit quand tu nous tournes le dos pour te reposer et que nos frères reprennent le combat. Accompagne leurs cris et soigne leur blessure par ta venue au lendemain. Grand Solaris, ton fils Loris est avec nous et nous protège des démons. Grand Solaris reprend vie en Loris chaque nuit et redevient Lumière au jour.

Les deux Lunes restent silencieuses et nous écoutent réciter la prière. Après un quart d'heure, le silence reprend sa place et Solaris baigne la Salle. Nous nous mettons tous les uns derrière les autres et avançons vers le vitrail pour recevoir le baiser de la lumière. Une fois toutes les constellations passées, les deux Lunes s'avancent elles aussi et reçoivent leur baiser. Après cela, les Poussières d'Étoiles viennent nous récupérer pour les tâches quotidiennes. Je retourne vers l'autel une fois que tout le monde est parti et j'attends encore quelques minutes afin d'être sûr d'être seul. 

Lorsque le silence règne en maître, je sors de la Salle du Bonheur et me précipite dans le couloir Est. Aujourd'hui, j'échappe aux Instructions. Les vitres immenses de la Bulle réchauffent les couloirs et le bois au sol est chaud, apaisant. J'arrive dans une toute petite salle servant à laver les tuniques et je pousse la grosse cuve en métal pour libérer l'étroite fissure dans le mur. Je me faufile dans le trou jusqu'à apercevoir la lumière de dehors. Je sors enfin et cours jusqu'à la lisière de la forêt, me retournant pour être sûr de ne pas être vu. 

Dès lors que je suis loin de la Bulle, un sentiment de liberté prend place au fond de mon être et je peux enfin respirer et crier à pleins poumons, jusqu'à m'en écorcher les cordes vocales. Ma mère, Johanna a disparu il y a maintenant quatorze ans et je crie dès que je sors pour la faire revenir, pour qu'elle m'entende et vienne me chercher, mais à chaque fois, je me retrouve seul. Elle n'a pas réussi à passer le Sceau et les démons l'ont prise. Je ne m'aventure jamais trop profondément dans la forêt, l'obscurité me fait peur. Une fois, j'y ai rencontré une bête effrayante. Elle était petite, noire et velue avec de longues oreilles tombantes et sautait partout sans que je ne puisse savoir où elle allait atterrir. Au début je l'ai trouvé mignonne mais quand j'ai vu à quel point elle pouvait aller vite, j'ai pris peur, ne sachant pas si elle m'attaquerait. Depuis, je reste à la naissance de la forêt, derrière un grand rocher marron qui me protège de la vue des immenses vitres de la Bulle. 
Les rares fois où je me suis aventuré Dehors, j'ai écouté les bruits de la forêt et j'aime les oiseaux qui chantent pour moi. J'aime l'odeur de l'herbe et de l'écorce qui recouvre les arbres. Je sursaute encore au moindre bruit mais je crois que je m'habitue à ces nouveaux sons. En réalité, je crois que j'aime me sentir loin de cette Bulle. J'aimerai découvrir ce qu'il se trouve derrière la forêt même si une voix au fond de moi me crie de rester en sécurité derrière les murs de la Bulle. Les démons sont Dehors et je sais que s'ils m'attrapent ici, je ne pourrai rien faire pour m'échapper. Je suis donc très prudent et fais attention à ne laisser aucune trace où que j'aille. Je reste ici presque deux heures, à respirer et profiter de la douce de la matinée jusqu'à ce que les cloches me surprennent. Je me leve en sursautant et cours jusqu'à la fissure pour rentrer. Je me faufile dans le mur et m'écorche malheureusement le visage. Je pousse la cuve et me dirige vers la Salle au Feu. Lorsque j'arrive, les constellations sont déjà attablées et tout le monde me regarde. Je croise le regard vert de cette Lune et je sens un long frisson dans mon dos. Je déglutis et avance vers mon siège. Le silence règne dans la Salle et je baisse le visage, honteux.

- Où étais-tu Louis ? Me questionne Loris.

- Je priais Loris...

Le silence me répond et les Poussières d'Étoiles arrivent avec le Nélandre. Lorsque tous les regards ne sont plus braqués sur moi, je me retourne légèrement et observe la Lune, Harry si je me souviens bien... Il est étrange, il n'est pas comme les Hommes d'ici. Ses yeux rencontrent les miens et je me retourne rapidement, pris en flagrant délit. Mon coeur bat la chamade et je sens mes joues me picoter.
Je mange tranquillement en redoutant les heures qui défilent, me rapprochant de la soirée. Une fois le repas terminé, je relève le regard et n'ose pas le poser sur la table où dejeunent les Lunes. Une fois la table débarrassée, je pense à cette après-midi. Les Poussières d'Étoiles vont me préparer pour ce soir, me laver, me peigner, m'orner et m'habiller. Je me dirige vers la chambre des Poussières d'Étoiles, tête basse et mains jouant avec ma tunique.

Je toque doucement et Micha m'ouvre. Micha est celle qui me prépare depuis que je suis tout petit. Nous avons toujours eu un lien un peu spécial tous les deux, un lien que je ne retrouve pas avec les autres Poussières. Du plus loin que je me souvienne, elle a toujours fait parti de ma vie et m'a toujours protégé. Elle est un peu plus petite que moi en taille, même si je ne suis déjà pas très grand et cela m'amuse beaucoup.

- Louis, viens je t'en prie.

J'avance en silence et entre dans la Salle qui sent la rose et les vieilles personnes. Les Poussières d'Étoiles sont toutes des femmes. Je me suis demandé une fois où les Astres âgés finissaient mais on m'a puni pour avoir posé cette question et depuis, je ne pose plus de questions, de peur des représailles.

Micha et d'autres Poussières sortent la grande cuve de bronze et commencent à apporter des pichets d'eau chaude. La Bulle a un grand réservoir et les vitres permettent de chauffer l'eau pour que nous ayons toujours de l'eau chaude sans jamais en manquer.

Une fois la cuve remplie au deux tiers, Micha retire ma tunique blanche et je me retrouve nu comme au premier jour. Je rentre mes jambes dans la cuve et m'installe au fond de celle-ci. Micha s'approche et commence à passer l'éponge naturelle sur ma peau. La douceur de son geste me rapelle les caresses de ma mère et l'eau chaude détend mes muscles.

- Micha ?

- Oui Louis ?

- Je vais passer le Sceau dans quelques mois...

Elle lève la tête avec stupeur et me regarde avec un sentiment que je ne saurais qualifier.

- Déjà..? Dit-elle, la voix enrouée.

- J'ai eu ma dix-huitième luminescence alors je sais que cela ne va pas tarder oui...

- Louis, mon chéri je t'en supplie... Dit-elle en plaçant sa main sur sa bouche, retenant ce que je crois être un sanglot.

- Micha ? Que se passe-t'il ? Dis-je en lui prenant les mains, inquiet.

Une autre Poussière d'Étoile arrive vers nous et Micha essuie ses larmes et continue de me nettoyer sans me répondre. Je reste sans voix par son comportement et me laisse faire. L'eau coule dans mes cheveux, les lavant délicatement et je reste moi aussi silencieux, les laissant me préparer.

Une fois le bain fait, je me lève et sors de la baignoire. Micha me sèche délicatement avec les fibres de cotton que les Poussières tricotent et elles m'enfilent une nouvelle tenue, blanche avec un liseré d'or. Je m'assois sur le tabouret en face de la grande vitre, observant l'extérieur pendant qu'elle me peigne les cheveux. Le silence est roi dans la pièce malgré les nombreux allers et venues des Poussières d'Étoiles. Une fois peigné, je me redresse et on m'enfile deux bracelets en or, un a chaque poignet. Je regarde Micha mais celle-ci baisse sans cesse le regard, évitant le mien. Lorsque nous nous retrouvons seuls, je lui prends les poignets tentant d'avoir ma réponse.

- Micha ? Explique-moi ! Dis-je, très sérieux.

- Lou'...

Je sens qu'elle veut me dire quelque chose mais aucun son ne sort. Elle finit par se relever et me faire sortir de la Chambre. Je reste pantois devant la porte sous mes yeux, ne comprenant pas ce qu'il vient de se passer. Je sens les rayons du soleil me bruler la peau et je me retourne, près à aller vers la Salle du Bonheur.

Une fois à l'intérieur de la Salle, je me place devant l'immense vitrail. J'entends les constellations arriver derrière moi et Loris se place devant moi. Il me dépasse de quelques centimètres et ses yeux sont braqués sur mes lèvres. Le frisson que j'avais ressenti au moment de la ronde me reprend. Je me sens transpercé par son regard brûlant, comme les rayons du soleil il y a quelques instants. Je le sens, Solaris entre en moi et me donne force et courage.

- Louis...

- Loris...

Il réduit doucement les quelques centimètres qui nous séparent et je sens mon souffle se couper.

- Au crépuscule, lorsque les démons auront pris possession de la nuit, tu me rejoindras au Royaume.

Je hais cette chambre.
C'est celle de Loris.
Elle est le passage des démons la nuit et c'est là où nous combattons.
J'hoche la tête, essayant de rassembler mes forces pour le combat qui va suivre.

Au crépuscule, comme me l'a demandé Loris, je me dirige silencieusement vers le Royaume. Mes jambes tremblent, mes mains sont moites et j'ai la gorge sèche. Je toque à la porte et Loris vient m'ouvrir.

À ce moment-là, je sais déjà ce qui va suivre. 

J'entre dans la chambre et le noir complet nous englobe, prêt à nous dévorer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top