What the Wind Told me - Hoseok

Assis dans ma chambre, les fesses posées sur mon lit et les pieds au sol, face à la fenêtre, je regarde dehors. En cette fin d'après-midi tout est de plus en sombre, la lumière laisse peu à peu la place à un gris-bleu délavé, qui précède l'obscurité de la nuit. Le ciel est pâle et triste, on ne voit plus le soleil, seuls quelques nuages s'étendent sinistrement à perte de vue. C'est moche.

Je reporte mon regard dans ma chambre. Elle n'est pas grande sans être vraiment petite non plus, c'est une pièce simple, pragmatique. Une vieille moquette bleu délavé, du papier peint pomme qui se décolle en haut. Une armoire, un lit, un bureau et une chaise. Une étagère avec quelques livres dessus. Très peu, quelques titres d'héroïc fantasy, parmi les seuls qu'on nous ait autorisé à conserver. Un ou deux livres de cours, aussi, remontant à quand j'y allais encore. C'est moche, ici aussi.

Je regarde ensuite mon visage dans le petit écran de mon téléphone. C'est un portable tout bête, basique, qui n'a que la fonction « téléphoner ». Et encore, les lignes sont surveillées. Mais ça reste utile ; quand je vais au travail, il faut parfois pouvoir contacter la famille, dire « je vais bien », « je suis en retard, c'est normal », « ne m'attendez pas », « non, je n'ai pas eu de problème », ou toutes ces phrases que l'on prend l'habitude de dire. On voit pas grand-chose, dans cet écran noir, mais je peux quand-même clairement distinguer mon visage ovale trop pâle, ma mâchoire trop carrée, mon nez trop droit, mes yeux trop petits. Mes cernes bien trop développés, ma mine épouvantable. Ma frange désordonnée, mes cheveux en bataille. C'est moche. Ouais, moi aussi, je suis moche.

Au fond, qu'est ce qui est beau ?

Bah, y'a probablement pas mal de choses à dire. Dépend simplement de la personne à qui vous posez la question.

Demandez à mon ancien voisin, Park Heechul, il aura toute une liste à vous dire. Son porte-monnaie bien rempli, il doit sûrement le trouver magnifique. Le visage de notre cher président, séduisant. Ce pays, merveilleux. Vous pouvez aussi demander à Choi Samdong, un autre de mes anciens voisins, qui vivait au-dessus de chez-nous, histoire de voir les choses différemment. Lui, il aura encore moins de réponses que moi à vous fournir. Quoique ça risque d'être difficile de lui parler, il a soudainement disparu dans la nature, un beau matin.

Vous voyez, le beau, le moche, finalement, tout n'est qu'une question de point de vue. D'où on regarde, de comment on regarde. D'où on se place sur l'échelle sociale. De ce qu'on a fait ou dit, de ce qu'on a sacrifié, de ce qu'on a subi.

Je soupire, me relève. Maman m'avait demandé d'aller acheter du pain pour le repas du soir, il ne nous en reste plus. Il faut que je me dépêche, la nuit va bientôt tomber, et arrivant avec elle, le couvre-feu. Je suis peut-être parfois idiot et téméraire, mais celui-là, jamais je ne le dépasse. Y'a une différence entre être idiot et carrément con, quand-même. Je suis pas inconscient, non plus.

Je descends les escaliers, attrape quelques pièces dans le pot en verre qu'on laisse sur la table, rempli à environ un tiers. Nouveau soupir. On a déjà dépensé autant ? Faut qu'on fasse plus attention. On ne fait que soupirer, ici. Faut dire que y'a peu de raisons de sourire, aussi. Enfin, je vous l'ai dit, tout est question de point de vue.

Et encore, je ne me pleins pas. Parce que certes, quand moi je soupire, d'autres rient, mais il y en a d'autres encore qui geignent, gémissent ou sanglotent, et ça, je ne dois jamais l'oublier. Parce que ces gens-là, ils sont tout proches de moi, j'en connais certains, même. Et si je ne peux rien faire d'autre, au moins je le sais, et je m'en souviens. C'est rien, mais c'est quand-même quelque chose.

En sortant, je croise ma sœur, dans notre petit salon. Elle est vautrée sur le canapé. Le regard dans le vide, les cheveux emmêlés, les joues creusées. Elle est comme ça depuis quelques semaines maintenant, et je doute qu'un jour elle aille mieux. Pourquoi ? Parce qu'elle est comme ça depuis qu'elle a dû arrêter les études, et que dans trois semaines, elle va se marier avec un homme qu'elle n'aime pas, qui a dix ans de plus. Et ça, ça a de quoi lui coûter tous les sourires du monde qu'elle aurait pu nous offrir jusqu'à la fin de ses jours.

Je soupire. Encore ? Oui, encore. Et puis j'enfile mes chaussures et mon anorak, ouvre la porte. Une bourrasque de vent froid me cueille au visage pour me souhaiter froidement la bienvenue, et la rue m'absorbe.

Le beau, le moche, tout n'est que question de point de vue, certes, mais je doute quand-même que le véritable beau existe toujours dans nos cœurs, à nous autres, ici, qui que nous soyons.

Parce que nous sommes nord-coréens.

Hoseok

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