Way Back Home - Namjoon
Elle comptait tellement pour moi, cette compétition. La boxe, c'était toute ma vie.
Dans ma chambre sur mes étagères s'étalaient d'innombrables coupes et médailles, souvenirs de victoires passées.
Mais je n'y arrivais plus. Pourquoi ? Je ne sais pas. J'avais beau m'entraîner et m'entrainer encore, je n'y arrivais plus. Mon mentor a fini par se détourner de moi, et moi j'ai continué à taper et à cogner dans le vide, jusqu'à m'effondrer de fatigue et de désespoir. Je n'y arrivais plus.
Une famille monoparentale, juste une mère et un petit frère, muets tous les deux. Des difficultés financières, des problèmes, toujours plus de problèmes. Mais ce n'était pas grave, parce qu'on s'aimait et qu'on était soudés.
Je n'ai plus quitté mon lit, pendant un temps. A quoi bon ? Je n'arrivais plus à boxer. Ma passion, mon rêve, mon but, ils m'abandonnaient. Alors à quoi bon ? Je me souviens, mon petit frère essayait de me changer les idées, de me tirer hors de mon matelas. En vain. Je déprimais, et il n'y avait rien qui pouvait me détourner de mes idées noires.
J'étais devenu figé, en cours je ne suivais plus, non, je me contentais de fixer le vide, ruminant, attendant la fin de l'heure. Je me souviens du regard de mon pote qui me faisait passer un polycopié que je n'ai pas saisi. De leurs tentatives de me faire rire, de m'entraîner dans une partie de basket. Ca ne servait à rien, je n'y arrivais plus.
Et puis j'ai rencontré une fille, je suis tombé amoureux. Rien de sérieux, rien de concret, mais ça a suffi pour me changer les idées, pour me dire que j'étais en vie et que ma vie, elle valait la peine d'être vécue.
J'ai recommencé à sortir avec mes potes, je me suis forcé à rire et à sourire. Au début c'était difficile, et puis c'est venu plus naturellement. Je ne suis pas retourné à la salle d'entraînement. Non. De parties de billards en parties de baby-foot, de soirées karaoké à conneries et insouciance, des nuits à traîner en ville, des ramen mangés sur un banc, le soir.
J'ai réappris à m'amuser, à profiter de mon quotidien de lycéen, et j'étais heureux.
Et puis je me suis réconcilié avec mon frère, j'ai aidé ma mère avec les tâches ménagères, et tous les trois, on s'est encore rapprochés. Il y avait ces repas qu'on partageait en famille, ces rires, ces regards complices. On avait notre langage à nous, notre propre façon de communiquer, et c'était parfait.
Mais les problèmes d'argent ne s'en vont pas comme ça, vous savez. Bientôt il a fallu que je prenne un petit emploi, que j'essaie de revendre des affaires. Mon téléphone, quelques trucs personnels, pas mal de choses. Je n'en tirais que quelques billets, trois fois rien, c'était tellement rageant. Mais ça nous offrait de quoi manger, le soir. A peine, juste un maigre repas, mais je le mangeais avec ma famille ou mes amis, alors c'était largement suffisant.
Et puis je suis retourné à la salle de boxe, finalement. L'un de mes meilleurs amis est venu avec moi. C'était idiot de ma part d'avoir abandonné comme ça. J'avais été bon, et je voulais le redevenir. La compétition approchait, et je comptais bien y participer. Mais je n'ai pas réussi. Debout sur le ring, mes points gantés, je n'ai été capable de rien. La technique, insuffisante. La précision des coups, insuffisante. Je me suis fait humilier et réprimander par mon mentor, je me suis énervé, on s'est engueulés. La boxe, elle ne voulait plus de moi. J'avais l'impression de perdre, de perdre tellement.
Et un soir, alors qu'on traînait le soir avec les copains, quelques sous en poche qu'on avait durement gagné, ils ont débarqué. Ces cherche-merdes qui nous tabassé et racketté, qui nous ont abandonné gisant sur la chaussée en emportant notre argent. Et je n'ai même pas été capable de me battre, de me défendre.
Mais mes amis étaient là, et ils m'ont aidé à tenir bon. Remonter la pente, non, ce n'était pas possible, elle était bien trop abrupte, mais au moins, je tenais encore debout.
Je me souviens de tout, ces après-midi passés allongés dans le sable à la plage, à contempler l'eau jusqu'à ce que le soleil se couche sur l'océan, ces course-poursuites où on riait aux éclats, ces matinées de cours où on arrivait à rester motivés que parce qu'on était ensembles, ces siestes que je faisais sur mon bureau, ces délires avec mon pote quand je me réveillais en sursaut et que je me faisais engueuler par un copain, ces coucous que me faisait cette fille à travers son miroir en classe, ces heures passées sur le ring avec mon pote qui voulait me faire plaisir à échanger des coups de poing, le regard attendri de ma mère et exaspéré de mon frère quand je lui donnais le reste de mon repas, ces gants de boxe qui reposaient sur une étagère de ma chambre.
Tous ces souvenirs insouciants, avec ma bande de potes et ma famille, ces sourires, ces bons moments. La vie n'était pas facile, le sort s'acharnait sur nous, nous le savions tous, mais malgré l'adversité, on finissait toujours par réussir à garder la tête haute, parce qu'on était ensembles.
Ouais, tous ces souvenirs, ils me portent. Ce soir-là, les copains me raccompagnent jusque chez moi, on marche tranquillement en discutant, il fait nuit. Et alors qu'on approche, on voit des banderoles, et sous elles, tous les habitants du quartier, par petits groupes. Une manifestation contre le prix des loyers, trop élevé. C'est pacifique, ils ne font de mal à personne.
On avance encore, et là, dans un crissement de pneus, il y a ce van noir qui s'arrête, et tous ces mecs qui descendent. Parmi eux, je reconnais les petits merdeux qui nous ont rackettés, mes potes et moi. Ils se tiennent devant nous, ils nous regardent, et moi, je le sens mal. Pas de la peur, non, un simple mauvais pressentiment, qui grandit dans ma poitrine. Ouais, je le sens mal. Soudain, je reconnais l'un des mecs, un des plus âgés. Et merde, je souffle. Ce sont eux, les prêteurs sur gage.
Et d'un coup, tout se déchaîne. Ils se jettent sur les habitants, ils les poussent au sol, ils les tabassent, les cognent, toujours plus facilement. J'ai du mal à réaliser ce qu'il se passe, je regarde un petit moment la scène, les yeux exorbités, c'est surréaliste. Je vois mon voisin, un mec gentil, dans la quarantaine, chauffeur-livreur, aux prises avec un homme, un bras serré autour de la nuque. Deux violents coups de coude s'abattent sur son crâne, et il tombe au sol.
Les habitants du quartier se défendent comme ils peuvent, les cris se mêlent aux injures de leurs agresseurs, des gémissements féminins se mêlent aux plaintes des hommes.
Soudain mon pote crie, il me montre une silhouette du doigt. Il y a une femme qui essaie de claquer son agresseur, elle se fait repousser au sol avec violence. Bordel de merde. Maman ! Une de ses amies la tire par le bras, elles tentent de s'enfuir dans une ruelle, elles se font suivre par plusieurs hommes. L'autre femme se prend un violent coup de pied en pleine poitrine et s'effondre, ma mère mord avec toute sa rage et tout son désespoir la jambe du connard. Il la frappe avec violence, une claque monumentale la fait tomber en arrière, et son agresseur attrape un bâton qui traînait au sol.
Il n'est plus temps pour moi d'hésiter. Je joue des pieds et des poings , je me débat, je parviens à rejoindre la ruelle. A rejoindre ma mère.
- Maman ! Je hurle.
Et tout se déroule au ralenti. Le bâton qui s'abat, la douleur sourde, lancinante. Je me sens tomber en avant, dans les bras de ma mère qui crie et gémit, une pluie de coups de pieds et de poings s'abattent sur mes épaules. J'ai mal, j'ai mal, j'ai tellement mal... Je me sens partir, ma vision se floute, tout devient noir. Je vois ma génitrice qui essaie faiblement de chasser nos assaillants d'un bras, par-dessus mon épaule, en me gardant contre elle. Mais que peut-elle faire... ? Des coups, des coups, toujours des coups. La tête me tourne, un liquide chaud dégouline le long de ma nuque, c'est collant. Mon dos est en feu, je n'arrive plus à penser correctement. Je cligne des paupières, une fois, deux fois, mais ne parviens pas à chasser ce voile sombre qui peu à peu prend possession de mon regard. J'ai vaguement conscience que les mecs dans mon dos sont brutalement repoussés, et que la baston reprend de plus belle.
Mes amis... Ils sont venus nous aider... Non, pas ça...
Alors que je me sens partir loin, si loin, je crois les voir un à un s'effondrer, se relever, tomber à nouveau, rendre un coup, hurler de rage, se battre encore, se faire repousser et rouler au sol, les bruit de coup et les grognements se mélangent dans ma tête, les cris, les gémissements, les sirènes de police, les insultes, tout, tout se mélange, tout se...
Alors que je lâche prise, que j'accepte l'étreinte du noir, je me dis que je n'ai peut-être pas été jusqu'à la compétition, mais que ce soir, je me suis battu pour quelque chose qui en valait la peine. Je sais pourquoi je me suis battu.
Et je m'en vais.
Namjoon
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top