Dead Leaves - Taehyung


Les doigts entremêlés à l'acier, le front contre le grillage, je contemple l'extérieur. Ce pays où je ne pourrais probablement jamais entrer, ce pays qui ne veut pas de moi. Je me tiens à la frontière entre un chez-moi que j'ai fui et un étranger qui ne me veut pas, à cet endroit qui n'appartient à aucun état, dans ce morceau d'infini que l'on espère ne jamais avoir à quitter tout en le haïssant du plus profond de notre être.

Je suis un sans-papier. Un clandestin. Quelqu'un qui n'existe pas. Qui n'existe plus. Je suis devenu un chiffre, un chiffre parmi tant d'autres, une statistique. Mais derrière ces statistiques, qui cherche à savoir qui je suis ? Qui se préoccupe de ma petite personne, de mes rêves, de mes espoirs, de mes attentes ?

Les journalistes disent que nous avons traversé la mer par dizaines sur des petites embarcations. Les journalistes parlent-ils de la peur, du désespoir, un désespoir si sombre et si profond qu'il vous bouffe l'âme et vous ronge le cœur ? Les journalistes parlent-ils des économies d'une vie entière qui sont passées dans la poche de ce passeur, les journalistes parlent-ils de cette angoisse omniprésente, de cette crainte de retourner au pays sans un sou en poche à donner à sa famille ? A sa sœur qui crève de faim ? Parlent-ils de cet enfant qui est mort sous mes yeux, le corps aussi sec et déshydraté qu'une branche de bois mort ? Parlent-ils de cette vague, cette vague gigantesque qui semblait se dresser jusqu'aux cieux, qui est venue tuer notre courage et détruire notre barque ?

Moi, je la revois, à chaque fois que je ferme les yeux, elle se terre derrière mes paupières, elle attend, assoiffée de sang, de s'emparer de mes rêves et de les transformer en noirs cauchemars, elle se repaît de mes insomnies et de ma terreur, elle me détruit à petit feu de l'intérieur.

L'eau qui s'engouffre dans mes poumons en me brûlant, les tentatives désespérées de regagner la surface alors que le courant, implacable, me repoussait inlassablement vers le fond, cette étendue de bleu-gris qui jamais ne semblait se terminer, les rayons du soleil qui perçaient la voûte aqueuse, me narguant, les vains mouvements de bras, et cette lave, cette lave en fusion qui s'emparait peu à peu de chacun de mes membres alors que l'oxygène les quittait. Ces points de couleur qui m'empoisonnaient l'esprit, peu à peu détrônés par un noir abyssal qu'il m'était impossible de chasser.

Je suis claustrophobe. Oui, je l'ai toujours été. Est-ce qu'à travers ce chiffre dont-vous m'avez affublé vous pouvez le voir, que je suis claustrophobe ? Est-ce que cela vous intéresse seulement ?

Vous avez déjà vu un claustrophobe nager au fond d'une piscine ? Vous en avez déjà vu un, une seule fois ?

Vous avez déjà imaginé ce que pouvait ressentir un claustrophobe perdu dans l'étendue glacée de la mer, sous une vague haute de plusieurs dizaines de mètres, incapable de regagner la surface ? Non, vous ne l'avez jamais imaginé, et vous vous en foutez, parce que pour vous je n'existe pas, je ne suis qu'un immigré clandestin parmi tant d'autres. Je vais vous le dire, moi, ce que ressens un claustrophobe perdu dans l'étendue glacée de la mer. Ca le détruit.

Détruit. Oui, je suis détruit. Pourtant, je n'ai pas toujours été un sans-papier, vous savez. Il fut un temps où j'étais un adolescent souriant et rieur, toujours prêt à faire une connerie, qui dévorait la vie de ses grands yeux innocents. J'avais des amis, j'avais une famille, j'allais en cours, je séchais les cours. J'avais encore tant à vivre, à expérimenter, à apprendre, à goûter. Je ne suis même pas encore tombé amoureux. Pourtant j'ai toujours cru à l'âme sœur. Mon plus grand rêve était simplement de me marier pas trop vieux, de rendre ma femme heureuse, d'avoir un gosse ou deux, d'être un papa cool. Mais vous vous en foutez, n'est-ce-pas ?

Moi, aujourd'hui, je m'en fous. Mon cœur est cendres, mon âme est cendres, mon passé et mon avenir sont cendres, mes rêves sont cendres.

Et je suis ici, derrière ce grillage, à regarder l'extérieur depuis de si longues heures, attendant sans y croire que l'on vienne me chercher, que l'on me dise « Tu l'as, ton droit d'asile. »

Taehyung


PS : Je sais que cette note va vous saouler et que personne va la lire, mais voilà je la publie quand-même. En plus elle va être plus longue que mon OS en lui-même, ça craint. Tant pis.

Dans cet OS, Taehyung est un réfugié clandestin, vous l'avez compris. 

Je ne souhaite pas rentrer dans un débat politique sur nos capacités d'accueil en terme de réfugiés ou quoi que ce soit.

Il n'empêche qu'en France, nous avons beaucoup. Et que notre pays ne fait rien pour eux. Il fait même tout le contraire. Et n'oubliez jamais, s'il vous plaît, que ça reste des personnes,comme vous et moi, qui ne demandent rien de plus que de vivre heureuses.

Je vous dis ça parce que je vais parfois passer du temps au centre d'accueil près de chez moi. J'ai appris à connaître un peu certains de ces réfugiés politiques qui viennent de différents pays, du Maghreb en majorité il me semble, mais pas que. Ce qui est dramatique aujourd'hui - en plus du reste - , c'est que les réfugiés viennent de partout. Autant du Maghreb, que de l'Afrique Noire, de l'Europe de l'Est,... Vous vous rendez compte, qu'il va bientôt plus y avoir de pays que les gens essaient de fuir que de pays safe ? Enfin bref. Pour en revenir à nos moutons, j'ai rencontré un garçon qui a mon âge, 18 ans, mais qui a l'air d'en faire dix de plus. J'ai rencontré un homme qui a quitté son chez lui depuis dix ans. Vous imaginez, dix ans à vivre comme un moins que rien, sans aucune nouvelle de sa famille ?

C'est loin d'être l'un des pires centres qui existe, vous savez. Pourtant, ils sont une quarantaine à dormir dans une petite pièce. Ils ont toujours faim. Ils ne reçoivent aucune aide. 

On a fait un ou deux rassemblements avec des associations déjà, mais personne ne vient.

Je publie cette note parce que l'on sait tous que la plupart de ces personnes que j'ai rencontré ne recevront jamais de droit d'asile. Ce n'est qu'une question de jours avant qu'elles ne soient renvoyées dans leur pays, un pays qui est à feu à sang. La date de fermeture du centre a déjà été annoncée, et c'est le mois prochain. Mais vous savez, ce sont des fugitifs, ils l'ont fui leur pays, ce qui veut dire qu'ils se sont opposés à leur gouvernement. Je n'arriverais pas à le dire, mais vous savez comme moi ce que ça signifie. Ce qui les attend quand ils retourneront chez eux. Ça y est, je crois que je vais pleurer.

Alors peu importe d'où l'on vient, peu importe nos opinions politiques ou notre classe sociale, en tant qu'humains, personne ne peut cautionner ça.

Je sais que je suis pénible, je suis désolée, je sais que vous ne venez pas sur Wattpad pour lire ça, mais je voulais vous dire que pour les aider, il y a du travail. Beaucoup de travail. Il y a besoin de beaucoup de monde. Peu importe votre âge et ce que vous faites, vous pouvez vous rendre  utiles. Et vous pouvez montrer que non, vous n'êtes pas d'accord avec les décisions de nos dirigeants.

On a tous une heure de notre temps à donner.

Alors cherchez le CAO le plus proche de chez vous, appelez-les, et proposez votre aide. Il n'y a rien besoin de savoir faire.

Juste aller les voir, essayer d'échanger un ou deux mots avec eux, ce qui les forcera à essayer de parler français, faire une partie de baby-foot. Tout le monde peut le faire.

Et croyez-moi, c'est précieux.

Et urgent.


Ne vous inquiétez pas, la suite de ce recueil d'OS aborde des thèmes totalement différents. C'était la seule fois que je vous prenais la tête avec ça.


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