L'Oiseau Chanteur - Vkook
● L'Oiseau Chanteur [Vkook]
- 1 partie
- 6900 mots
"Je savais pertinemment que certains invités me regardaient déjà en murmurant des choses à mon sujet.
Mais si, vous savez, Jeon Jungkook, de la classe B, celui qui ne sait pas parler... !"
———
Je n'étais pas à ma place ici.
C'était flagrant, évident. Je me contentais d'observer les autres avec les lèvres pincées, ne sachant pas quoi faire de ma personne.
J'avais envie de pleurer, de rentrer à la maison et d'enfouir ma tête dans mon oreiller pour me cacher définitivement du reste du monde.
Ça aurait été facile, il me suffisait de traverser la rue, de marcher quelques mètres, et là, à l'autre bout de l'impasse, j'aurais été délivré.
Mais j'aurais dû affronter encore pire que l'indifférence totale des jeunes gens qui se trouvaient devant moi si j'avais battu en retraite la queue entre les jambes.
Je voyais d'ici le regard désemparé de ma mère.
Ma mère pour qui je n'étais qu'une source de déception supplémentaire. Entre mon père parti avec une femme de trente ans de moins que lui, et ma soeur, Jieun, qui avait arrêté ses études après être tombée enceinte d'un homme qu'elle n'avait pas jugé utile de nous présenter au préalable, elle n'était déjà pas gâtée par la vie...
Je ne tenais pas à être l'ombre de plus au tableau, je ne voulais pas que des larmes coulent encore sur ses joues fatiguées, en écho aux miennes.
Alors comme je le faisais depuis des années, je restai debout tant bien que mal, essayant de me convaincre que tout allait bien.
Si j'y croyais, les autres y croiraient aussi.
C'était ma mère qui avait insisté pour que je vienne. J'avais beau lui assurer que j'étais heureux, elle s'inquiétait de ne jamais me voir sortir avec des amis, alors quand la mère de Kim Taehyung lui avait parlé de la fête qu’organisait son fils ce week-end pour tous les élèves de terminale, elle s'était empressée de me convaincre d'y faire une apparition.
Elle avait sourit tellement fort, elle avait eu l'air tellement heureuse, que je n'avais pas réussi à trouver une excuse pour l'éviter.
Elle m'avait regardé partir pour la maison de notre presque voisin avec un air enjoué de petite fille, et j'avais même cru comprendre qu'elle avait appelé Jieun ce soir, chose qu'elle ne faisait que pour les occasions spéciales, et que moi, je ne faisais pas du tout.
Je m'étais finalement retrouvé ici, dans la dernière maison au monde où j'aurais voulu mettre les pieds.
Pas que les élèves de terminale soient de mauvaises personnes, la plupart étaient même sans doute très gentils. Le problème, c'était moi, ça avait toujours été moi. Je n'arrivais à susciter qu’ennui, au mieux, un peu de pitié. Ceux qui avaient le plus de patience me supportaient quelques instants, mais j'avais toujours douloureusement conscience que se débarrasser de moi était un soulagement.
Je n'avais rien à faire dans le salon de Kim Taehyung. Non, surtout pas de Kim Taehyung...
Je ne connaissais personne ici, sauf lui.
Je le connaissais même assez bien, et j'en savais pas mal sur lui.
Je savais par exemple qu'il souffrait du manque d'intérêt que lui accordait son père, je savais que toute cette attention était toujours tournée vers son frère plus âgé qu'il avait fini par jalouser malgré lui.
Je savais qu'il adorait les chiens, et les étoiles, qu'il adorait les regarder la nuit, je savais qu'il aimait sa petite soeur de tout son coeur et qu'il s'inquiétait plus que tous les autres membres de sa famille réunis quand elle quittait la maison.
Je savais qu'il avait de bonnes notes, mais qu'il aurait préféré pouvoir vivre comme il l'entendait avec un saxophone et un mini van, je savais qu'il aimait l'odeur de l'herbe asséchée par le soleil en été, qu'il aimait le violet par dessus tout, et toutes les fleurs de cette couleur, qu'il aurait pu intégrer l'équipe de basket du lycée s'il n'avait pas été affreusement maladroit.
Je savais toutes ces choses parce qu'il me les avait dites.
Pas vraiment à moi, mais plutôt à un petit oiseau.
Je baissai les yeux sur mon téléphone qui venait de vibrer entre mes doigts.
Ma gorge se serra lorsque je reconnus le destinataire du message que je venais de recevoir.
À croire qu'il avait senti que mes pensées venaient de se poser sur lui.
« Il y a une fête ce soir chez moi, j'aimerais vraiment que tu y sois »
Je faillis sourire devant l'ironie de la situation.
J'y étais, à cette fête, et Taehyung pianotait sur son téléphone dans la cuisine, juste là, au milieu de son groupe d'amis bruyants.
Je savais tout de Taehyung, et Taehyung savait tout de moi, de ce numéro inconnu qui lui avait un jour envoyé un message un peu particulier, assez pour retenir son attention.
« Répondrais-tu à un oiseau qui ne sait pas chanter ? »
La famille Kim habitait au numéro 13, la famille Jeon, la mienne, au 31.
Il avait suffit d'une petite erreur de facteur pour qu'une lettre contenant son numéro de téléphone se retrouve entre mes mains.
À l'époque Taehyung n'était que mon voisin, monsieur parfait, que je voyais partir en jogging les samedis matins pour faire le tour du quartier, ce garçon de la classe d'à côté au sourire si particulier qu’il captait immanquablement votre regard, cette personne qu'on rêvait un peu tous d'avoir dans nos vies mais qui ne semblait bénir de sa présence qu'un nombre restreint de chanceux.
Chanceux dont je n'aurais jamais pensé faire partie un jour.
Nos mères se parlaient parfois, habitant dans la même impasse, mais Taehyung ne savait probablement rien de moi, il ne connaissait sans doute pas mon nom, je doutais même qu'il ait déjà prêté attention à mon visage ou même à mon existence.
J'avais envoyé ce message sur un coup de tête, prenant une citation au hasard dans un de mes livres favoris, pensant qu'il allait l'ignorer, ou peut-être, au mieux, qu'il y réfléchirait quelques instants.
Mais tout était parti de là en réalité.
Taehyung avait répondu à cet oiseau étrange et nous n'avions pas arrêté de parler depuis, partageant tout avec une facilité déconcertante.
Peut-être qu'écrire m'apportait assez de détachement, peut-être qu'il s'agissait plutôt de l'anonymat, en tout cas je n'avais jamais eu peur d'en dire trop, peur d'être sincère, et les mots avaient toujours coulé très facilement.
Je lui avais dit des choses que je n'avais jamais dites à personne d'autre, et cela m'avait poussé à réfléchir beaucoup plus que je ne l'avais jamais fait sur moi même. Je m'étais compris en même temps que j'apprenais à le comprendre, et j'avais l'impression qu'il avait fait de même de son côté.
« Tu chanteras pour moi ce soir petit oiseau ? »
Ce nouveau message m'obligea à ravaler mes larmes.
C'était cet endroit, il me faisait me sentir mal... Je savais pertinemment que certains invités me regardaient déjà en murmurant des choses à mon sujet.
Mais si, vous savez, Jeon Jungkook, de la classe B, celui qui ne sait pas parler... !
Je me concentrai sur mon écran en rentrant la tête dans les épaules. Plus que quelques heures et je pourrais rentrer, faire un grand sourire à ma mère et aller me cacher dans ma chambre.
Plus que quelques heures et mon retour à la maison n'aurait plus l'air suspicieux.
Mes doigts moites pianotèrent sur la surface lisse de mon portable.
« Qu'est-ce que tu voudrais que je chante ? »
En réalité, le petit oiseau savait chanter. Son grand problème était qu'il ne savait faire que ça.
Taehyung savait tout de moi, mais il ne m'avait jamais entendu parler.
Il connaissait ma façon de m'exprimer par coeur, anticipant la moindre de mes réactions, mais ironiquement, il ne savait rien des difficultés que j'aurais éprouvé à lui dire toutes ces choses à voix haute.
Pourtant j'aurais aimé. De tout mon coeur.
J'aurais voulu avoir le courage et les capacités de traverser cette foutue allée un beau matin, de me planter devant sa porte jusqu'à ce qu'il m'ouvre et lui dire tout ce que je ressentais, de lui dire que je voulais être plus qu'un petit oiseau à ses yeux, même si j'avais adoré endosser ce rôle pendant des mois.
J'aurais aimé qu'il soit si facile de m'exprimer. De lui dire à quel point il avait pris de la place dans ma vie en un peu moins d'un an.
C'était peut-être parce que je n'avais pas pour habitude de parler, mais je ne m'étais jamais vraiment senti écouté, je n'avais jamais su vers qui me tourner lorsque je rencontrais une difficulté, et je me retrouvais toujours invariablement roulé en boule dans la couverture la plus confortable que j'avais sous la main en attendant que les choses passent.
Taehyung, lui, était là, tout simplement.
Même si je ne pouvais pas lui parler, il était là.
Quand je me sentais seul, quand j'étais triste, quand je ne savais plus vers qui me tourner, il était le seul à être encore présent. Même si son sens de l'humour laissait à désirer parfois, il était le seul à essayer de me faire rire quand j'avais envie de pleurer.
Il ne l'avait jamais dit explicitement, qu'il était toujours prêt à m'écouter, mais il n'en avait pas besoin, je le savais.
« Chante moi ce que tu ressens, là maintenant »
« Hyung, ça ne serait pas très joyeux »
Et puis je me voyais mal me mettre à chanter au beau milieu du salon, surtout en sachant qu'il était tout proche. À portée de voix.
« Je veux t'entendre maintenant, s'il te plaît... »
Je me mordis la lèvre et jetai un regard furtif dans sa direction.
Entre les épaules de deux grands joueurs de l'équipe de basket, je l'aperçus, les yeux penchés sur ses messages, l'air absent des conversations qui l'entouraient.
Il était vraiment magnifique, en tout cas à mes yeux. J'avais rarement vu quelqu'un dont l'apparence rende aussi fièrement le cœur.
Ses cheveux blonds cachaient sa nuque et la moitié de ses yeux chocolats. Son nez droit, ses lèvres fines et ses yeux en amande lui apportaient cette douceur qui contrastait avec sa mâchoire carrée et ses sourcils épais.
Tout le monde était fou de Kim Taehyung.
Mais il m'avait souvent dit qu'il aurait préféré être un peu moins entouré et pouvoir compter sur plus de vrais amis.
Le grand Taehyung était adoré, mais très seul. Il avait une poignée d'amis qu'il aimait beaucoup, mais il n'y avait pas grand monde à qui il puisse se confier comme il le faisait avec moi.
Je n'aurais jamais pensé cela s'il ne me l'avait pas avoué. Pour moi, quand on avait l'air de tout avoir comme lui, on était heureux. Pour moi, il était à des kilomètres des problèmes qu'un garçon comme moi pouvait avoir.
Je n'aurais jamais imaginé pouvoir partager cela aussi avec lui.
Lorsque sa tête amorça un mouvement pour se redresser, je détournai le regard à toute vitesse, avisant presque aussitôt la porte vitrée entrouverte qui donnait sur le jardin.
J'hésitai quelques secondes puis finis par quitter ma place près du mur pour traverser la foule en me faisant tout petit.
Je ne savais pas si j'allais chanter. Mais je n'étais pas mécontent de quitter cette atmosphère étouffante et ce mur qui m’exposait trop aux regards des autres, comme une drôle d'oeuvre d'art sans cartel qu'on ne saurait pas trop comment interpréter.
Je sortis dans l'air frais de la nuit, refermant doucement la vitre coulissante sans que personne ne fasse mine de me suivre ou de m’arrêter, et pris immédiatement une inspiration qui me fit un peu de bien.
J'étais mieux ici, je ne comprenais pas pourquoi je n'y étais pas venu plus tôt.
Le jardin était désert et le printemps bien avancé était doux contre ma peau.
Je fis quelque pas vers le fond pour m’éloigner de la musique qu’on entendait encore et m'assis doucement sur le bord de la terrasse, les pieds dans l'herbe. Je jetai un coup d'oeil aux étoiles avant de baisser les yeux vers les derniers messages du propriétaire des lieux.
Il voulait que je lui chante mon état d'esprit. Cela arrivait souvent depuis qu'il m'avait demandé de lui prouver que je ne savais pas chanter.
Le chant d'un oiseau était son premier moyen de s'exprimer.
Ce n'était pas de la musique que j'avais voulu parler à ce moment-là.
Ne sachant plus trop comment expliquer le contenu de ce premier message devenu gênant, puisque non destiné à aboutir, j'avais tout simplement chanté pour lui, et il en avait redemandé, encore et encore.
Avait-il demandé à m'entendre en pensant s'amuser de mes fausses notes la première fois ? En tout cas il avait finalement apprécié ce que j'avais eu l'audace de lui envoyer.
Comment est-ce que je me sentais là maintenant ?
Depuis que j'avais quitté la pièce principale, je ne me sentais plus oppressé ni écrasé par les regards des autres. Ici il n'y avait que les étoiles pour me fixer de leurs yeux brillants et bienveillants, et une profonde envie de pouvoir partager cette vue avec Taehyung fit trembler ma lèvre inférieure.
Je n'avais que rarement été aussi proche de lui. Je l’évitais autant dans la rue qu'au lycée.
Tout mon être le voulait, je voulais être à côté de lui et l'écouter parler, je voulais lui répondre, je voulais découvrir à quoi ressemblait son odeur, comment était la chaleur de ses bras, je voulais passer mes doigts dans ses cheveux décolorés, je voulais observer pendant des heures ses yeux bruns et m'y perdre en ne songeant même pas à retrouver un jour mon chemin.
Si nous nous étions rencontrés autrement, peut être que tout cela aurait été possible. C'était ce que j'aimais à penser en tout cas.
Oui, Taehyung aurait sûrement été l'un des rares à pouvoir m'accepter sans faire aucune différence, à être à mes côtés sans se soucier des autres, comme l'avait déjà fait quelques rares personnes au cours de ma vie, mais je m'en étais rendu compte trop tard, et me révéler maintenant aurait sans aucun doute brisé notre relation actuelle, telle que nous l'avions construite. En tout cas, elle aurait changé, elle n'aurait plus été pareille...
C'était la dernière chose que je voulais, j'en avais bien trop besoin.
Il tenait à moi, du moins à ce qu'il pensait connaître de moi, à son petit oiseau. Seulement rien ne disait qu'il pourrait aimer Jeon Jungkook.
L'oiseau chanteur n'avait aucun problème, c'était un moi idéal, tel que j'aimerais être, plein d'assurance. Je ne voulais pas qu'il soit déçu, qu'il me voit bafouiller et me ridiculiser, que cette image de moi qu'il avait se brise...
Alors c'était mieux comme ça.
Mais est-ce que cette situation pourrait durer éternellement ? Taehyung finirait par en avoir assez de discuter avec un petit oiseau sans visage, il finirait par trouver quelqu'un qui lui apporterait le peu que je lui offrais et plus encore, quelqu'un qui serait réellement là pour lui.
J'écrasai le bouton de l'enregistreur, ne sachant même pas si j'allais réussir à produire un son.
Il était tout proche et pourtant il était encore trop loin. Il serait toujours trop loin, incapable de m'entendre.
- "Ma mère m'a dit que la mer est bleue, elle m'a dit de faire porter ma voix aussi loin que je le pouvais."
La première fois que j'avais entendu cette chanson, j'avais pris une claque.
Ma mère en avait griffonné le titre sur un petit morceau de papier et l'avait laissé traîner longtemps sur la table de la cuisine, au milieu d'un petit bazar organisé qui prenait la place que son mari aurait sûrement dû occuper s'il avait été parmi nous.
Elle n'y avait jamais touché, n'était jamais allée écouter cette chanson qu'elle avait pourtant jugée assez intéressante pour la noter, alors j'avais commencé à comprendre qu'elle l'avait fait pour moi.
À l'époque où tout avait si mal tourné.
- "Mais que faire ? Il fait noir ici. Et les autres baleines ne sont pas comme moi. Elles ne parlent pas la même langue."
J'essuyai mon visage qui avait commencé à s’humidifier.
Je savais pourquoi j'étais comme ça ce soir, mais je trouvais ma propre réaction pathétique.
J'étais jaloux de toutes ces personnes qui pouvaient aller parler à Taehyung sans peur, j'étais désespéré par ma propre envie de le prendre dans mes bras et par mon incapacité à agir autre part que dans mon esprit.
- "Je n'y arrive pas, maman. Je voudrais pouvoir dire je t'aime. Je voudrais revenir sur cette partition que je ne fais que chanter en boucle. La mer est trop profonde..."
Il y avait une suite mais j'étais incapable de la chanter. J'arrêtai l'enregistrement et l'effaçai, posant mon téléphone devant moi en me mordant la lèvre inférieure. Je ne pouvais pas lui envoyer ça, il n'aurait probablement pas compris...
Ou alors il aurait trop bien compris, et j'avais peur d'en dire trop et qu'il cherche à m'en faire dire plus.
J'aurais aimé pouvoir lui expliquer, l'écrire, le dire à voix haute ou avec quelques mots griffonnés un soir comme celui-ci, mais je ne pouvais pas.
Cette sensation frustrante, celle d'être privé de la capacité la plus élémentaire, celle de s'exprimer, était insupportable. Plus elle me bouffait, année après année, plus elle me poussait à me renfermer sur moi même et à tout garder pour moi, plus elle me faisait mal...
- "Malgré tout, j'ai de la chance, car même si je pleure, personne ne le saura..." compléta une voix douce, quoique pas très juste, ramenant à la vie cet enregistrement effacé sous le coup de l'émotion.
Je me retournai vers l'entrée et me figeai, mort de honte et d'angoisse, en voyant une silhouette masculine se découper sur la lumière provenant de la baie vitrée.
L'ombre s'avança vers moi, devenant un homme aux cheveux blonds et aux yeux sombres.
Alors je cessai complètement de respirer.
Sa voix était impressionnante, aussi douce que dans mes rares souvenirs, mais plus profonde que ce que j'avais pu entendre de loin, par bribes.
Et elle venait de s'adresser directement à moi, me clouant sur place.
Taehyung s'approcha encore un peu et me demanda du regard s'il pouvait s'asseoir à côté de moi, sur le rebord de la terrasse qui me servait de siège depuis quelques minutes.
Pour toute réponse, je ramenai mes genoux contre ma poitrine en détournant des yeux, lui laissant plus de place.
Je l'entendis se poser lourdementà mes côtés, comme si lui aussi était soulagé d'être sorti.
Il ne disait rien.
J'avais envie d'engager la conversation pour avoir le plaisir d'entendre à nouveau sa voix. Au delà de toutes les questions qui se battaient dans mon esprit, y mettant une pagaille monstre, je voulais l'entendre.
Mais je ne pouvais pas, je préférais encore qu'il me croie muet.
Je tentai l'espace d'un instant de mettre mon cerveau sur pause. De regarder la lune et les étoiles, seulement conscient qu'il était là à côté de moi comme j'avais osé le souhaiter un peu plus tôt.
Mais mes pensées affolées finirent par revenir me torturer à mesure que son silence s'éternisait.
Il avait entendu ma voix non ? Il l'avait reconnue n'est-ce pas ? Ou peut-être que non... Peut-être n'y accordait-il pas autant d’importance que ce que j'avais eu la prétention de croire...
- Qu'est ce que tu fais seul dans le jardin ? La fête ne te plaît pas ?
Sur le coup, l'euphorie provoquée par sa voix prédomina. Puis lorsque je me rendis compte qu'il attendait une réponse, ma réponse, la panique fit se serrer mon coeur.
J'osai tourner le regard vers le sien et manquai de me mettre à pleurer en voyant que ses yeux étaient posés sur moi.
Ce moment, je n'avais pas cessé d'en rêver. Me retrouver seul avec lui de cette manière avait été mon voeu le plus cher.
Mais ce n'était qu'un rêve. Et dans mon imagination, je lui répondais doucement, sur le même ton que lui.
Aujourd'hui je savais que cette tornade qu'il me faisait ressentir en étant juste assis à mes côtés allait m'empêcher d'aligner deux mots, même laborieusement.
Pourtant il attendait. Je ne pouvais pas juste rester muet...
- J... Je...
Et puis mes mots furent coincés dans ma gorge, limités à ce simple son.
Peu importe combien je luttais pour les faire sortir, ils allaient mettre une éternité à venir et ses prunelles interrogatives allaient me faire perdre tous mes moyens, les faisant taire à jamais.
J'allais me mettre à pleurer, vraiment.
Je ne savais même pas s'il m'avait reconnu, ce qu'il espérait en venant me parler, si j'étais en train de détruire une sorte de rêve d'un moment idéal qu'il se serait également construit, mais j'étais tout de même sur le point de pleurer.
- Prends ton temps, souffla t-il avec un petit sourire encourageant. Tu veux commencer par plus facile ?
Son ton léger tranchait avec sa voix grave, lui donnant la lourdeur mais la douceur du velours.
Mes yeux restaient humides, mais les larmes ne menaçaient plus de couler, balayées momentanément par la surprise.
Je hochai la tête, le regard plein de reconnaissance.
- Alors on va commencer par les bases. Moi c'est Taehyung, enchanté.
Il me tendit une main, toujours avec ce sourire assuré et rassurant qui finit par m'en arracher un en retour, très crispé, plus proche du rictus, mais qui parut lui faire plaisir.
J'avançai mes doigts vers les siens, les effleurant et le laissant serrer doucement ma main, sans me presser.
- J... Je...
Allez, un petit effort, juste quelques mots. Pour lui je devrais bien y arriver...
- M’app... pp... ppelle J... Jun... Jung... Jungkook.
J'étais ridicule, complètement ridicule, et pourtant j'étais fier d'avoir réussi à prononcer mon prénom d'une traite sans l'écorcher, même si mes silences s’étiraient beaucoup trop entre mes tentatives.
- Ravi de te rencontrer Jungkook, tu es venu seul ?
- O... O... Oui.
Qui serait venu avec moi de toute manière ?
J'étais aussi responsable que les autres de cette solitude autour de moi, mais les faits restaient les mêmes, je n'avais personne. Mes amis, ceux de mon lycée précédent... Ceux que j'avais cru être mes amis plutôt, ils n'étaient plus là.
Même ma propre soeur me jugeait du regard quand j'essayais de lui parler, me sifflant que je n'avais plus six ans, qu'il était temps que j’apprenne à parler correctement et que si je n'y arrivais pas, c'était seulement parce que je ne faisais aucun effort.
Et elle n'avait pas entièrement tort. Si j'avais essayé plus souvent de parler, si je m'étais acharné un peu plus, j'aurais sans doute fini par réduire mon problème.
Mais elle était bien hypocrite de me balancer ça au visage alors qu'elle avait passé son adolescence à me dire quelle n'avait pas le temps de me parler, qu'elle était très occupée.
Elle n'avait jamais voulu m'entendre.
Je ne lui en voulais pas, le départ de notre père, cause principale de mon mal à moi aussi, l'avait beaucoup plus ébranlée que moi. Elle était la fille adorée, l'aînée, elle admirait notre père au delà de tout ce qu'un petit garçon comme moi aurait pu imaginer à l'époque, et puis il était sorti de notre vie sans prévenir.
Je me souvenais encore d'une sortie avec Jieun, un des rares et un des derniers moments que nous avions passés tous les deux.
Elle s'était arrêtée en plein milieu de la route, faisant hurler les klaxons des voitures et me faisant couiner de honte. Elle avait fixé longuement un homme qui marchait de dos avec une jeune femme magnifique accrochée au bras, et une petite fille de quelques années suspendue à l'autre.
Je n'avais jamais pu trancher avec exactitude. Je ne savais pas si nous avions croisé mon père ce jour-là et elle n'en avait jamais reparlé avec moi.
Taehyung m'avait dit qu'au final, ce n'était pas le plus important, le fait que Jieun, elle, le pense, suffisait à la faire souffrir. Et il pensait qu'elle avait eu tort d'arrêter complètement de sortir en ville avec moi après ça.
Il n'aimait pas beaucoup Jieun.
Taehyung était toujours rassurant dans ses messages, toujours bienveillant, en tout cas à mon égard. Et ces deux émotions n'étaient pas seulement présentes dans les mots qu'il m'envoyait, elles étaient dans ses yeux ce soir.
- Personne ne s'offusquera si je te monopolise un moment alors ?
Je secouai doucement la tête, ravi autant que terrifié d'être “monopolisé”.
J'aurais aimé lui poser des montagnes de questions mais le silence ne fit que s'étirer un moment.
- Je...
Mes paupières papillonnèrent une seconde. Voir Taehyung buter sur les mots me fit l'effet d'une claque.
Alors quelqu'un d'aussi assuré que lui était aussi capable d'avoir du mal à s'exprimer ?
- Je me suis renseigné, souffla t-il. J'ai vu que c'était parfois plus facile en chuchotant, ou en lisant, ou... en chantant.
Je hochai la tête avec lenteur, par automatisme, presque plus pour m'aider à remettre ses mots et leur sens dans l'ordre que pour lui répondre.
- Alors, tu peux murmurer si c'est plus simple pour toi...
-Pourqu… oi ? demandai-je dans un souffle avec un peu plus de facilité.
Il se remit à sourire et se rapprocha de moi, faisant battre mon coeur plus vite. À parler tout bas, aussi proches, nous avions l'air de nous faire des confidences.
- Pourquoi quoi ?
- Pour... quoi... tu... tu... t'es... renseigné ?
Il écoutait avec attention, son regard ne changeait pas d'un iota, il leva même une main qui hésita à quelques centimètres de ma joue, faisant trembler mes mains et ma poitrine.
- J'adore t'entendre chanter petit oiseau, vraiment, mais je voulais entendre tes mots à toi, pas seulement ceux des autres.
Les larmes que j'étais parvenu à retenir jusqu'ici se firent plus nombreuses, plus pressantes, et réussirent finalement à s'échapper et à dévaler mes joues.
Il n'avait pas seulement reconnu ma voix ce soir, il savait qui j'étais, le vrai moi.
- T... tu sais... depuis lon... longtemps ?
Il laissa échapper un sourire embarrassé et sa main recula, allant frotter l'arrière de son crâne.
-Depuis le début, en fait. Ta mère m'avait donné ton numéro un jour où elle passait chez moi prendre le thé avec la mienne. Elle disait que tu ne ferais jamais le premier pas et qu'elle comptait sur moi, que c'était dommage que deux voisins n'essaient pas d'être amis.
Taehyung laissa échapper un bref rire avant de continuer à parler tout bas, tout près de moi.
- Même ma mère était emballée par l'idée, mais à cette période, comme je te l'ai déjà dit, les relations humaines ne m’emballaient pas trop, je n'en espérais plus grand chose. Si on leur avait dit que c'était toi qui viendrait me parler le premier...
Donc mon nom avait accompagné mon premier message... Et depuis tout ce temps Taehyung ne disait rien.
En voyant l'incompréhension dans mon regard trempé, il se mit à expliquer.
- L'image de l'oiseau était bien choisie, j'avais peur que tu t'envoles et que tu ne reviennes jamais en apprenant que je savais. Tu étais venu me parler encouragé par l'anonymat et je ne voulais pas te faire fuir. Grâce à nos messages j'avais fini par retourner voir mes anciens amis, mais j'avais besoin de toi surtout.
Son sourire s'effaça et ses mains serrèrent nerveusement le tissu de sa chemise au niveau de sa poitrine, tordant les imprimés colorés.
Moi je me contentai de l'observer avec de grands yeux, espérant qu'ils ne feraient pas passer que mon étonnement mais aussi toute mon admiration et mon affection, mon désespoir de ne pas être capable de tout lui dire, et mon émotion face à cette personne qui se souciait réellement de moi et ce que je pouvais ressentir.
- Ce soir j'ai hésité longtemps à venir te voir. Depuis un moment, je sentais que le moment de tout dire approchait. Je sentais que quelque chose de solide s'était créé mais il restait toujours une part de doute... Et si tu t'envolais si j'essayais de te parler ? Mais tu es venu, et tu as bien failli chanter alors...
J'avais eu peur, j'avais eu envie de pleurer, j'étais resté tétanisé, mais pas une seule seconde je n'avais songé à m'enfuir. Je le réalisais maintenant, je n'avais absolument pas pensé à cette option.
Dans ma tête, c'était moi qui avait affreusement besoin de lui, c'était lui qui se lassait et finissait par partir, déçu, en me laissant seul et brisé derrière lui, je n'aurais jamais pu imaginer la situation inverse.
Les gens étaient toujours impatients de quitter ma vie et de me rayer de la leur. Mon père, ma soeur, les quelques amis que je m'étais fait en primaire et au collège et qui s'étaient empressé de m'oublier des qu'ils l'avaient pu.
J'avais toujours vu les autres s'éloigner et aller faire leur vie sans moi, pire, me rejeter plus ou moins violemment.
Je n'avais jamais rien fait pour les retenir non plus, je m'étais contenté de les regarder sans bouger, sans dire le moindre mot, je n'avais jamais rebellé. Pour moi il était devenu normal de contempler le dos de ceux que j'aimais en silence.
Pourtant j'aurais pu faire quelque chose. J'aurais pu essayer de retrouver mon géniteur et lui demander pourquoi. J'aurais pu dire à ma soeur que même si notre père n'avait pas su l'aimer assez, moi et ma mère tenions à elle et qu’elle n'avait pas le droit de l'oublier.
J'aurais pu essayer de me faire d'autres amis après le désastre qu'avait été mon année de seconde, j'aurais pu faire encore plus d'efforts chez l’orthophoniste et essayer de réduire mon problème...
Cela faisait dix ans maintenant que mon père était parti et que mon bégaiement enfantin avait pris une toute autre tournure.
Dix ans que les améliorations étaient minimes parce que je sabotais tous mes efforts en thérapie en me persuadant que parler aux autres ne servirait à rien, parce qu'ils finiraient tous par me fuir, par se rendre compte que je n'en valais pas la peine.
Seulement Taehyung se tenait là à côté de moi, et il semblait avoir vraiment peur de me voir partir.
Moi, Jeon Jungkook, et pas seulement un petit oiseau de passage.
- Je… Je ne vais pas... M'envoler. Je v… Veux rester… Rester là. A… Avec toi.
Je réussis à sourire, chassant les dernières bribes de larmes de mes yeux.
Je laissai Taehyung attraper ma main, serrai cette fois-ci ses doigts entre les mains.
Nous nous promettions ainsi de ne pas fuir.
Parler n'était pas insurmontable face à quelqu'un qui désirait vous écouter.
Personne n'avait jamais bu mes paroles comme le fit Taehyung ce soir-là.
Il m’écouta patiemment pendant très longtemps, parla aussi de tout et de rien, de choses que nous ne nous étions encore jamais dites.
Je lui parlai de mon bégaiement, de ma mère que je n'avais pas trop osé décrire de peur qu'il ne la reconnaisse à travers mes mots, il m'expliqua comment, sans s'en rendre compte, il s'était retrouvé à me chercher des yeux presque chaque jour dans les couloirs, et à s’attrister à chaque fois qu'il me découvrait en train de regarder le sol pour éviter le monde extérieur.
- Tu mérites de regarder fièrement vers l'horizon, de défier du regard ceux qui osent se moquer de toi. Mais je t'assure qu'ils ne sont qu'une minorité Jungkook, il n'y a que toi qui pense que tout le monde te déteste.
- Comment ça ?
Je faillis laisser échapper un cri de joie en prononçant ces deux mots correctement. Taehyung ne fit aucun commentaire, sûrement par peur qu'attirer l'attention sur cette réussite mette à mal mes efforts, mais je remarquai son sourire.
- J'ai entendu parler de ce qui s'est passé dans ton ancien lycée... Mais tu sais, je t'ai beaucoup observé, les gens d'ici ne te regardent pas tous de haut, ils ne sont pas tous prêts à te tourner le dos. Tu ne les remarques pas, mais je ne suis pas le seul à m'intéresser à toi. Il y a la prof de chant et les élèves de musique qui te regardent tous avec des étoiles dans les yeux, cette fille qui s'assoit toujours le plus près possible de toi au réfectoire sans oser s'approcher, le concierge qui te regarde passer dans les couloirs avec un petit sourire triste, l'oeil vert de jalousie des gars de l'équipe de taekwondo parce que tu as un visage d'ange et la taille fine. Si tu osais lever la tête plus souvent tu les verrais, et tu m'aurais vu, moi.
Comme pour illustrer ses propos, Taehyung passa son index replié sous mon menton et releva mon visage faisant se croiser nos regards.
- Il n'y a pas que des gens que tu ennuies. Il y en a qui t'admirent de loin, il y en a qui te jalousent, d'autres que tu mets en colère en ne t’impliquant jamais... Tu n'es pas différent des autres Jungkook. Il y en a même qui t'aiment...
- Je... Je ne les avais pas... Pas vus...
Je ne les avais jamais remarqués, je ne leur avais pas prêté attention. Je n'avais pas seulement été muet, j'avais été complètement aveugle.
- Ça peut faire peur, l'indifférence et la haine. Moi aussi, tu sais, il y a tout plein de gens qui ne m'aiment pas. Il y a cette fille de ta classe qui meurt sûrement d'envie de me cracher au visage dès qu'elle me voit depuis que je lui ai dit qu'elle était pas mon genre, le groupe d'amis de Taeyang, qui me fait la gueule par solidarité depuis que je me suis battu avec lui pour une histoire stupide de vélo au collège, la prof de philo, parce que j'arrête pas de sécher son cours en lui disant que je vais à l'enterrement de ma grand mère, qui, la pauvre, doit être au moins morte douze fois cette année. Il y a aussi ceux qui pensent que je me la joue parce que je porte des chemises et qui refusent ne serait-ce que de croiser mon regard, et puis ceux qui n'aiment juste pas ma tête, ou mon caractère, sans que je sache trop pourquoi.
Il leva les yeux, semblant réfléchir, comme s'il faisait une liste de course et se demandait ce qu'il avait bien pu oublier.
- T... Tout ça ?
- Il y en a sûrement bien plus, personne ne peut être aimé par tout le monde.
J'allais répondre lorsque la porte vitrée derrière nous coulissa, laissant s'échapper de la musique et un groupe de personnes qui héla Taehyung.
Il était l'hôte de cette soirée, et il venait de passer près d'une heure avec moi, il était inévitable que les autres se mettent à le chercher.
Mais je ne pus m'empêcher de me mordre vivement la lèvre, sentant ce moment arriver à sa fin. Ses amis l'appelaient, et il allait se lever et les rejoindre, quitter l'atmosphère calme et reposante de la lune et des étoiles.
Il leva un bras pour leur faire signe qu'il les avait entendu et leur cria qu'il arrivait, faisant se serrer mon coeur.
Est-ce que Taehyung allait vraiment rester avec moi après avoir lâché ma main ? Est-ce qu'il n'était réellement pas déçu par ce qu'il avait vu et entendu ce soir ?
Est-ce qu'il n'allait pas me laisser derrière et m'oublier comme mes anciens amis ? Me dire qu'il n'avait pas besoin de moi, que je ferais mieux d'aller me jeter sous un pont...
Il tourna la tête vers moi et s'approcha trop vite pour que je réagisse. Je ne pus que fixer ses cheveux restés dans mon champ de vision en le laissant déposer ses lèvres rapidement sur ma joue, presque timidement.
Il s'écarta légèrement et planta ses yeux dans les miens, son visage restant à quelques centimètres du mien, les joues un peu plus colorées que tout à l'heure.
Il hésita une seconde avant de se pencher à nouveau. Inconsciemment, j'avançai également de quelques centimètres, comme pressé de faire se rencontrer nos lèvres.
Ce fut bref, presque un souffle sur la peau, mais cela balaya tous mes doutes et mes peurs sur le moment.
Je ne pensais plus qu'à Taehyung, son odeur, sa douceur, son goût sur ma langue quand j'en passai le bout sur mes lèvres après qu'il se soit écarté.
- Viens avec moi, souffla-t-il, je vais te présenter.
- N… Non attends… !
- Ils vont t'adorer tu verras. Tu dois laisser les gens t'approcher si tu veux qu'ils rentrent dans ta vie Jungkook.
L'angoisse était revenue se frayer un chemin dans ma poitrine mais son large sourire était toujours là, et je décidai de lui faire confiance.
Je voulais découvrir ces gens qui ne me détestaient pas autant que je le pensais, je voulais le laisser me montrer ce que je n'avais pas voulu voir toutes ces années.
- D… D'accord.
Alors, sans lâcher ma main, il se releva et m'emmena vers la musique.
———
Il me fallut bien une semaine avant de prendre mon courage à deux mains et d'attraper mon téléphone.
Durant cette semaine, j'avais plus parlé et échangé que durant l'année passée dans sa totalité.
Avec Taehyung d'abord. Étant presque voisins, il lui avait été très facile de revenir toquer à ma porte dès le lendemain de la fête, les restes des différents gâteaux dans les bras, disposés en plusieurs piles de boîtes en plastique à l'air instable.
Il avait dit à ma mère qui lui avait ouvert qu'il avait besoin d'aide pour les finir et qu'il avait pensé à moi.
Ma génitrice m'en avait reparlé à peu près toutes les heures, depuis le départ de Taehyung, jusqu'à son retour le surlendemain pour m'emmener au lycée.
Elle était d'ailleurs la deuxième personne avec laquelle j'avais fait beaucoup d'efforts pendant cette semaine.
Les autres, c'était une vaste palette des amis de Taehyung, qu'il était certain de réussir à me faire appeler mes amis d'ici la fin de l'année.
Je devais bien reconnaître que même si leur parler et leur faire confiance avait quelque chose de terrifiant, certains d'entre eux étaient très gentils.
J'avais même des cours de chant en commun avec le plus jeune, Jimin, qui était le seul à être encore au lycée avec nous et qui n'arrêtait pas de me répéter que ma voix était magnifique et que je devais absolument persévérer dans ce domaine.
J'aimais bien tous ces hyungs, ils arrivaient à me faire sourire, ils y étaient en fait arrivés dès le premier soir, quand Taehyung m'avait emmené vers l'intérieur et qu'il m'avait présenté à tout le monde comme “la personne dont il n'arrêtait pas de parler depuis des mois”.
Ce samedi soir avait marqué un changement radical dans ma vie et dans ma vision de moi et des autres.
J'avais essayé de lever les yeux, j'avais remarqué ces regards plein de mépris et d'agacement que je redoutais, mais aussi ceux qui se posaient sur moi avec jalousie ou admiration, parfois seulement avec bienveillance.
J'étais passé de Jungkook le reclu, à Jungkook, le “meilleur ami” de Kim Taehyung.
C'était comme ça que les élèves du lycée m'avait étiqueté, et ça m’allait, même si Taehyung était un peu plus qu'un très bon ami.
On n’embrassait pas un ami dès que sa mère avait le dos tourné pour voir rougir ses oreilles, on ne s'endormait pas allongé sur un lit en caressant les cheveux d'un ami.
Il était d'ailleurs encore assis sur le coin de mon matelas aujourd'hui, me regardant avec curiosité.
Je venais de lui dire qu'il y avait quelque chose que je devais faire, quelque chose d'important.
Le Jungkook que je voulais offrir à Taehyung était celui qu'il avait créé. Le Jungkook plus sûr de lui, celui qui n'était plus terrifié à l'idée de parler, celui qui faisait vraiment des efforts.
Et il m'en restait un dernier à faire avant de m'autoriser à être complètement heureux avec lui, avant de me sentir vraiment à la hauteur de ce qu'il m'offrait.
Mon interlocuteur décrocha à l'autre bout du fil, mais aucun mot ne me parvint. Mon coeur se serra davantage et je dus prendre une légère inspiration avant de parler :
- S... Salut...
- Salut Jungkook.
Je jetai un regard effrayé à Taehyung, qui, même sans tout comprendre, devait avoir entendu et tendit une main pour attraper la mienne et la presser doucement dans un geste rassurant.
- Ça... Ça va ? demandai-je pratiquement d'une traite.
- Je... Oui, oui ça va. C'est mon jour de congé, je le passe avec Jisoo.
- Il d... doit avoir gran... grandi, soufflai-je.
Je n'avais aperçu Jisoo qu'une seule fois, peu après sa naissance, et ce souvenir semblait si lointain.
La voix à l'autre bout du fil marqua un long temps d'arrêt, si long que je manquai de reprendre à sa place avant d'être coupé :
- Pourquoi tu ne viendrais pas le voir à la maison un week end ? Il y a la place ici tu sais, et maman serait contente. Elle m'a dit que tu t'étais refait des amis.
Son ton intéressé et soulagé faillit me faire monter les larmes aux yeux.
Elle était partie, c'est vrai, mais c'était moi qui l'avait faite sortir de ma vie, pas elle.
Adolescente elle s'était repliée sur elle même, rejetant ce petit frère qui ressemblait bien trop à son père adoré, mais au lieu de comprendre sa douleur et d'essayer de la soutenir, j'avais baissé les bras et j'avais arrêté d'essayer d'aller vers elle, nous laissant devenir peu à peu des étrangers.
C'était moi, aussi, qui secouait doucement la tête les rares fois où ma mère essayait de me passer le téléphone depuis son départ.
- Tu m'as manqué sale gosse, reprit sa voix vibrante, presque sur le point de pleurer, à la limite entre deux émotions.
Les doigts de Taehyung pressèrent à nouveau ma main, sans doute que mes larmes menaçaient de couler aussi.
- Toi aussi... Jieun.
———
Et voici le dernier OS que j'ai écrit l'année dernière pour le Calendrier ^^
Je l'aime moins que les deux autres personnellement, même si cette version passe déjà un peu mieux :')
J'espère que vous aurez tout de même apprécié ce petit moment de douceur ^^
Chuss ^^
💜
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