Idées Noires
Cette histoire pourra vous sembler étrange, ou triste, ou peut-être que vous vous identifierez à cette petite personne qui erre sans trop savoir où elle va.
Je l'espère ^^
Ce n'est pas un os triste, au contraire, et j'aimerais vraiment qu'il puisse aider quelqu'un, ne serait-ce qu'une personne, ça me suffirait :)
Bienvenue chères idées noires, et bonne lecture
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● Idées Noires
- 1 partie
- 7800 mots
"- Tu vas me dire à qui est cette voix ?
- Tu n'as toujours pas compris ?"
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- Pourquoi tu pleures ?
Je pleure ?
Mes doigts se posent sur mes joues, maladroits et hésitants, et découvrent ces dernières humides et irritées.
Il semblerait bien.
Mais je ne sais pas pourquoi.
Ces dernier temps je pleure sans raison, c'est comme ça. Des fois ça vient, sans que je comprenne ce qui l'a déclenché, et ça me cloue sur le flanc, jusqu'à ce que la crise passe.
Aujourd'hui je n'ai même pas remarqué qu'elle avait commencé.
Je lève les yeux vers le garçon qui me fait face. Il est bizarre. Je ne pense pas l'avoir déjà vu, pourtant il m'est familier.
Ses cheveux blonds semblent flotter autour de son visage comme une masse aérienne, ça a l'air doux au toucher, j'ai presque envie de passer mes doigts dedans, mais ses yeux me tiennent à distance. Tant qu'ils me fixent je n'ose pas bouger, j'ai l'impression que l'univers me regarde, et je déteste être observée.
Il détourne le regard et le pose un peu partout autour de nous. Je peux enfin respirer.
- J'en sais rien. On est où ? C'est toi qui m'a emmenée ici ?
Il fait noir ici, et chaud. C'est agréable mais ça a quelque chose d'angoissant. On s'y sent bien, mais on a l'impression qu'on ne pourra pas en sortir.
Je tourne sur moi-même à la recherche d'une sortie, mais rien ne nous entoure, la seule source de lumière, c'est cet étrange personnage sur lequel je retombe en pivotant à nouveau.
- Non, c'est plutôt toi qui m'a emmené avec toi, souffle-t-il avec un petit sourire, tu ne t'en souviens pas ?
Mes yeux papillonnent, j'essaie de rappeler mes souvenirs à moi, mais j'ai l'impression de peser une tonne tout à coup, comme si quelque chose essayait de m'étouffer.
Je cesse de fouiller ma mémoire et ma respiration repart, un peu tremblante.
- Non... Comment je pourrais t'avoir emmené ? Je sais pas où on est. Ni qui tu es.
Je lui lance un regard suspicieux, le sien est moins pesant que tout à l'heure, plus doux et léger.
- Moi c'est Jimin.
Jimin, ça me dit quelque chose, et ça me donne envie de sourire, un peu. Mais quand j'essaie, mes lèvres me font mal et refusent de plier, mes yeux coulent à nouveau et les larmes les atteignent, les faisant brûler douloureusement.
Je ne veux pas rester là, ce garçon me fait mal.
- Il faut que je parte, j'affirme.
- Pour aller où ?
- J'en sais rien. Quelque part où je pourrais faire quelque chose, ça ne rime à rien ici.
Je me lève, mais je suis déjà debout, il n'y a pas de sol ici, pas de haut et de bas.
J'ai juste eu à déplier les jambes pour me tenir face à lui. Il est un peu plus grand que moi, même en étant pieds nus.
Il est enveloppé dans une couette jaune, il doit mourir de chaud, cet endroit est déjà étouffant.
- Pourquoi tu veux faire quelque chose ?
- Ne rien faire ce n'est pas bon, c'est comme ça qu'on se perd.
- Et qu'as-tu envie de faire ?
J'ouvre la bouche, une réponse évidente me venant à l'esprit, mais je réalise tout à coup ce qu'elle signifie et m'arrête.
Rien.
J'ai envie de ne rien faire, de rester allongée dans le noir, ici, où il fait chaud.
Mais je dois avoir des choses à faire non ? Si je ne fais rien, ça finira par se retourner contre moi.
- Tu ne sais pas ?
Je secoue la tête.
Jimin ouvre les pans de sa couette et un bras, pale en comparaison de l'obscurité environnante, en sort, me tendant un carnet et un crayon.
- Tu peux me dessiner si tu veux.
- Tu veux un dessin de toi ?
- Pas forcément, tu pourras en faire ce que tu veux après.
J'hésite une seconde puis attrape ce qu'il me tend.
Je ne suis même pas sûr de savoir dessiner, mais s'il insiste.
Je pose le crayon sur le papier mais une voix me glace le sang. Je l'ai déjà entendue, je crois que c'est à cause d'elle que je pleurais tout à l'heure.
Tu ne sais pas dessiner.
C'est très joli hein, mais à quoi ça sert ?
Ma gorge se noue et je suis prise de nausées. Le sol ne peut pas tourner, il n'y a pas de sol, mais Jimin devant moi devient flou.
Je le vois à peine s'approcher, et puis un peu de tissu jaune s'approche de mon visage et se pose doucement sur mes yeux, les fermant en essuyant mes larmes.
Quand il disparait de mon champ de vision, le grand sourire de Jimin l'envahit. Ma gorge est toujours serrée, mais ce n'est plus pareil, j'ai envie de lui sourire, d'oublier cette voix glaçante.
- Ne l'écoute pas pour le moment. Si tu ne l'écoutes pas, elle ne peut rien te faire ici.
Je hoche doucement la tête et prends une inspiration avant de reposer la mine sombre sur le papier encore immaculé.
Ce sourire, j'ai envie de le dessiner.
Peut-être que si je le dessine, je pourrai sourire comme ça moi aussi.
Mais mettre la voix de côté est difficile. Ne pas l'écouter, c'est vite dit, mais dès le premier trait, elle revient, accablante.
Tu ne sais pas dessiner, arrête, fais quelque chose d'utile.
- Ne l'écoute pas, écoute moi à la place d'accord ?
Je hoche à nouveau la tête et il se racle la gorge, semblant en profiter pour réfléchir à quelque chose.
Puis il se met à chanter.
Doucement au début, puis de plus en plus fort, jusqu'à ce que l'autre voix se fasse engloutir et finisse par se taire.
Je l'observe un moment, ce garçon qui a des étoiles dans les yeux. Je ne sais pas du tout ce qu'il dit, mais je n'en ai pas besoin, c'est doux et rassurant, pas sombre et moite comme cet endroit. C'est doré, ça illumine comme un phare au milieu de nulle part.
Je peux entendre tout ce que je veux.
Je veux qu'il me dise que tout va bien, de compter jusqu'à trois, de prendre une inspiration, et de n'écouter que moi, d'être ma propre lumière, jusqu'à briller autant que lui.
Je le dessine sans avoir peur du résultat, juste pour me sentir mieux, parce que j'en ai envie.
Je pose les yeux sur mon dessin terminé et la musique s'arrête.
Quand je relève la tête, il n'est plus là.
Mais il fait moins sombre dans cet endroit, et une couette abandonnée gît devant moi.
Je déchire la feuille où subsiste le portrait de Jimin et pose le carnet et le crayon qui ne me servent plus, puis je me redresse en emportant la couverture avec moi.
Elle est toujours douce, et elle a la température idéale.
Je la mets sur mes épaules et j'ai un peu moins la sensation d'étouffer.
À quoi tu sers, hein ?
Je resserre le tissu épais autour de moi et avance, sans trop savoir où je vais. Je me contente de fredonner cet air qui reste dans ma tête, pour ne pas l'écouter elle.
Je marche un moment, sans compter les secondes, je ne sais pas trop ce que je cherche. Quelque chose, sûrement. Jimin m'a aidée à faire baisser la voix qui me poursuit d'un ton, mais pas à comprendre où je me trouve.
Plus je marche et plus ma rencontre avec le petit blond me paraît perdre de son effet. La voix devient accablante, elle me force à m'arrêter et à froisser mon dessin entre mes doigts crispés.
Tu peux pas sourire un peu ? Tu pourris l'ambiance là... C'est pas difficile pourtant, même ça tu sais pas le faire ?
Je m'enveloppe encore un peu plus dans la couverture, et j'essaie de fredonner, mais elle devient à nouveau insistante et envahissante.
Je ferme les yeux. Il fait encore plus noir comme ça, mais je ne veux rien voir. J'aimerais ne rien entendre mais la voix refuse de me laisser tranquille.
Je plaque mes mains comme je peux sur mes oreilles mais ça ne l'atténue même pas.
Je manque de crier lorsque quelque chose frôle ma peau et je me sens vaguement perdre l'équilibre une seconde. Forcée d'ouvrir brusquement les yeux, je tombe nez à nez avec les visages inquiets de deux hommes accroupi devant moi.
- Ça va ? demande le premier, les doigts en suspend dans ma direction.
Il a des cheveux d'un roux vif et des yeux sombres et en amande. Si Jimin m'a fait penser aux étoiles, lui est de toute évidence solaire.
- On t'a entendue pleurer, précise avec douceur le deuxième. Tu as besoin d'aide ?
Oh... J'ai encore pleuré alors ?
Celui-ci est brun et plus grand que son camarade, il a le visage agréable et avenant, et il a l'air plus âgé que ceux que j'ai rencontré jusqu'ici.
La voix s'est presque tue à leur arrivée, elle se contente de murmurer, alors ils m'ont déjà beaucoup aidée sans le savoir.
Mais j'ai une autre requête, qui se formule presque seule, poussée par l'angoisse et par cette sensation d'étouffer que la couette a de plus en plus de mal à masquer.
- Je dois sortir d'ici...
Les deux hommes devant moi se regardent une secondes, semblant s'interroger mutuellement, puis ils se retourne vers moi, et le rouquin m'adresse un sourire désolé.
- Te faire sortir comme ça, c'est impossible pour nous.
- Mais on peut t'aider en changeant un peu le décor.
Le plus grand se relève et aide son ami à faire de même avant de me tendre la main.
- Viens, on va te montrer quelque chose de sympa.
Au point où j'en suis.
J'attrape la main qui se présente devant moi en rassemblant toutes mes affaires contre moi d'un bras et laisse le grand brun m'entraîner. Il ne me relève pas vraiment, il m'attire à lui jusqu'à ce que je me retrouve brusquement à nouveau soumise à une gravité.
Un sol est apparu, un ciel et un horizon aussi. Il y a un haut et un bas, les choses sont dans l'ordre.
Devant nous s'étale la mer.
Elle a une couleur magnifique, elle est d'un bleu gris apaisant et s'étend sous un ciel rosé.
Les vagues sont douces et régulières et viennent lentement lécher un sable épais qui s'étend en une petite plage fine pas très loin de nous.
Je me sens mieux ici, il fait moins chaud et lourd, la couette dorée est presque de trop, mais je n'ose pas la laisser, je la garde pliée en deux sur mon avant-bras en observant la danse de l'eau devant moi.
- Vous aviez raison, c'est très beau... je souffle.
- Et t'as encore rien vu, explique la voix du garçon solaire, il y a plein de choses ici, trop pour qu'on puisse tout voir.
La silhouette du second entre dans mon champ de vision et il tend à nouveau les mains vers moi. Je pensais qu'il allait m'entraîner à nouveau ailleurs mais ses yeux se posent sur la couverture.
- Si tu n'en as plus besoin, je peux la prendre, on la rendra à Jimin.
- Vous connaissez Jimin ?
Je ne suis pas si étonnée que ça, ils viennent tous trois de l'endroit sombre après tout.
- Bien sûr qu'on le connaît, s'amuse la voix du plus petit, tu ne te souviens pas de ça ?
- Elle doit encore être désorientée Hoseok, elle finira par s'en rappeler.
Je fronce les sourcils, effectivement désorientée, et un peu déçue qu'on juge bon de ne rien me dire.
- Si vous savez quelque chose, dites le moi...
- On ne peut pas, affirme le brun, nous n'avons pas accès à tes souvenirs. On peut te dire qu'il te manque quelque chose, mais c'est à toi de faire le lien.
Le dénommé Hoseok finit par hocher la tête à son tour.
- Seokjin a raison, ici la plupart des choses dépendent de toi.
- Vous ne pouvez pas m'aider alors ?
Les deux hommes se regardent une seconde, l'air de se poser plusieurs questions muettes. C'est finalement celui que le rouquin a appelé Seokjin qui prend à nouveau la parole :
- Ça dépend, de quoi tu as besoin ?
Je réfléchis une seconde. Ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas me faire sortir d'ici.
La voix s'est tue depuis que je suis arrivée au bord de l'eau. Il ne me reste plus qu'une chose à leur demander, en tout cas une seule me vient à l'esprit.
J'attrape le dessin de Jimin que j'ai plié. En l'observant, quelques notes de sa chanson se rappellent à moi. J'aimerais bien l'écouter à nouveau, un jour.
Je déplie ma feuille vers les deux garçons pour leur montrer ce que je veux.
- Vous pouvez m'apprendre ?
- À dessiner ? demande Hoseok. Pour ça il vaudrait mieux trouver Jungkook...
- Non, à sourire comme ça.
Je tapote du bout du doigt les lèvres de Jimin étirées sur un grand sourire.
J'aurais aimé le lui rendre quand je l'avais encore en face de moi, mais c'était trop difficile. Peut être qu'avec leur aide à eux, ça sera plus simple.
Seokjin fronce légèrement les sourcils et j'ai un instant peur qu'il refuse ou qu'il me dise qu'ils ne peuvent pas non plus m'aider de ce côté là. Mais tout à coup son visage s'éclaire et il lève un doigt en l'air.
- Attends, ça y est ! C'est l'histoire de deux mouettes...
- Ah non pas ça, se plaint immédiatement Hoseok, le coupant dans sa narration, tes blagues, elles ne font rire personne.
Le grand brun se retourne vers son camarade, l'air piqué au vif.
- Bien sûr que si !
- Toi ça ne compte pas...
- Elles font aussi rire Jimin.
Je vois bien Jimin rire à tout et n'importe quoi. De ce que j'ai vu, il a le sourire facile et naturel.
- Laisse tomber, conclut Hoseok, sourire c'est pas difficile, tiens.
Il s'approche de moi sans prévenir et pose ses deux index sur mes joues avant d'appuyer dessus pour étirer mes lèvres.
- Voilà, tu vois.
Seokjin nous observe d'un drôle d'air et il secoue la tête avant de forcer son ami à me lâcher en lui attrapant les poignets.
Je touche mes joues par réflexe, mais ne note aucun changement probant.
- Ça ressemblait plus à une grimace qu'à autre chose, un sourire, ça doit être naturel.
Il insiste bien sur le dernier mot avant de lâcher Hoseok.
- Et un sourire, c'est contagieux, alors vas-y, montre lui ta sale tête de cheval, ça aidera peut être.
Il donne une claque dans le dos au plus petit qui le foudroie du regard avant de se tourner vers moi.
Il hésite une seconde puis son visage s'illumine sur un grand sourire, sa bouche prenant une drôle de forme entre l'ovale et le cœur et ses yeux se plissant jusqu'à disparaître.
Je ne sais pas pourquoi je l'associe au soleil, il ne brille pas réellement, ni pourquoi mon esprit continue à pousser cette image en avant dans mon cerveau.
Hoseok, le soleil.
Je plisse les yeux à mon tour et essaie tant bien que mal de l'imiter, mais la voix me fait sursauter. J'avais oublié qu'elle était aussi forte.
Ça va, tu t'amuses ? Et c'est quand que tu travailles exactement ?
Je frissonne et j'arrête tout, décontenancée.
Elle a raison. Seokjin et Hoseok sont très gentils, mais je dois faire quelque chose d'utile, ce n'est pas comme ça que je vais réussir à rentrer.
- Il est là le problème, souffle le plus âgé. C'est ça qui t'en empêche.
- Ça ?
- Tant que tu ne règles pas ça, tu ne peux pas avancer, ni sortir d'ici d'ailleurs.
- Tu as le droit de sourire tu sais, ajoute Hoseok, tout le monde peut se poser un moment et rire.
Ils me sourient maintenant tous les deux, l'air bienveillants.
Je repense à leurs chamailleries et à leur gentillesse. J'ai envie de sourire moi aussi, mais c'est dur de ne pas écouter.
- Elles font quoi, les mouettes ?
Seokjin s'éclaire de nouveau d'un air triomphant et donne un coup de coude discret à Hoseok avant de sauter sur l'occasion que je viens de lui offrir. Sa voix, où pointe déjà l'amusement, recouvre celle qui me poursuit toujours :
- L'une d'elle a trouvé un sandwich, elle dit à l'autre : tu veux faire mouette mouette ?
Je reste interdite une fraction de seconde, puis Seokjin se met à rire.
C'est un rire bruyant, entre le gloussement et l'étranglement, et la mine déconfite de Hoseok rend la chose d'autant plus drôle.
Je me focalise sur eux et sur le visage hilare de Seokjin, et je cesse de penser, laissant juste mes lèvres parler pour moi.
Le grand brun est toujours occupé à s'étouffer en tapant sur son genou, mais le rouquin se retourne vers moi et me rend mon sourire.
Mon sourire.
- C'est comment ? je lui demande.
Il joint son pouce et son index et ramène sa main au niveau de son visage dans un clin d'œil, me laissant deviner que ça ne doit pas être trop mal.
Seokjin s'essuie les yeux et se redresse avant d'aviser mon visage à son tour.
- Tu vois bien, les mouettes c'est efficace.
- Allez, arrête un peu de dire des bêtises, on doit y aller.
Je perds immédiatement mon sourire durement acquis et mes mains se replient sur le papier.
- Vous partez ?
- Tu n'es pas toute seule va, m'assure Hoseok, il te reste du monde à croiser. Et puis t'as pas besoin de nous pour sourire, ça vient de toi petite tête.
Ça vient de moi...
Mais sans eux je n'aurais pas réussi.
Pourtant, je les regarde s'éloigner sur la plage sans rien dire, attendant sans bouger qu'ils disparaissent à l'horizon.
Tu devrais t'y habituer. Tu n'es pas suffisamment intéressante pour que les gens aient besoin de ta présence tu sais.
Sans doute.
Leur dire de rester avec moi n'aurait rien changé, ils voulaient partir.
Je me mords la lèvre et suis pour une fois les directives de la voix.
Pars toi aussi, tu n'as pas besoin d'eux. Tu es mieux toute seule de toute façon.
J'avance vers un grand arbre entouré de quelques restes de neige.
Je ne sais pas où nous sommes, ni quand. Ça ressemble à un début de printemps, les plantes commencent à pousser ici et là. Il n'y a pas grand chose à l'horizon, alors je quitte l'arbre et garde les yeux fixés sur mes chaussures.
J'ai l'impression que comme ça, l'ombre menaçante qui me suit me laisse un peu plus tranquille.
Peut être que Jin et Hoseok m'ont amenée dans un désert sans fin. Il n'y a rien ici, il n'y a personne. Il ne fait plus noir mais ça n'a pas plus de sens...
Si ça en avait un, je ne viendrais pas de poser le pied sur un grand carreau de marbre.
Je l'observe sous ma semelle et lève les yeux pour en apercevoir tout plein de semblables.
Je regarde précipitamment derrière moi mais la grande plaine, l'arbre, et la mer ont disparu. Je suis juste dans une grande pièce aux murs hauts et décorés de moulures. Des statues se dressent ici et là sur des piédestaux blancs et des tableaux sont accrochés aux murs entre de grandes colonnes lisses.
Encore une fois, je ne sais pas où je suis. Mais il y a des portes ici, et peut être que l'une d'elles mène à la sortie.
Le premier de mes pas me paraît faire un vacarme monstre dans la grande salle presque vide. L'écho est énorme, il m'écrase, comme l'atmosphère du premier endroit.
Je fais quelques pas mais j'ai du mal à avancer, de plus en plus, lever les jambes me paraît à chaque instant plus insurmontable.
Je finis par tomber à genoux, à quelques mètres de la porte la plus proche.
Je lève un bras en direction de la poignée mais mon corps bascule et je me retrouve complètement clouée au sol, recroquevillée.
Tu penses vraiment que tu mérites qu'on se donne autant de mal pour toi ? À quoi bon te soutenir si tu ne peux même pas avancer ? Ne t'étonne pas si on te laisse en arrière...
J'ai encore envie de pleurer, mais si je cède et laisse les larmes couler, elles seront amères, me faisant me sentir encore plus faible et incapable que je le suis.
- Relève toi.
Je cherche du regard la personne qui vient de parler, et mes yeux finissent par se poser sur une silhouette assise en haut d'un piédestal vide.
C'est un garçon tout pâle mais aux yeux et à la chevelure noir corbeau. Il me scrute de son regard félin et son petit visage est baissé vers moi.
Il n'a pas l'air de me mépriser comme j'aurais pu le croire, mais il n'y a pas cette même bienveillance chez lui que chez les autres.
- Je peux pas...
- Tu crois que tu es la seule à être accablée ? Ici tous tes remords, tes regrets et tes idées noires pèsent sur ton dos si tu ne fais pas attention.
Il pose ses mains sur la surface blanche de son perchoir et s'en laisse doucement glisser. Ses pieds touchent le sol avec légèreté et souplesse, pourtant le bruit est bien supérieur à celui que faisaient mes propres pas tout à l'heure.
Il a l'air de peser des tonnes, pourtant il s'avance vers moi à un rythme normal, mesuré.
L'écho est monstrueux, il me vrille les oreilles.
Le boucan ne s'arrête que lorsqu'il s'accroupit devant moi pour m'observer de plus près.
- Les choses qu'on a faites, ou pas faites... On ne peut pas les changer. Tu dois pas les laisser te tirer en arrière. Peu importe à quel point elles sont lourdes, porte-les.
Elles ont l'air lourdes, ces choses qu'il porte. Plus lourdes que les miennes.
- Comment tu fais... ?
- C'est difficile, ça ne se fait pas comme ça, mais même quand c'est dur, faut pas baisser les bras.
Tu aurais dû leur dire avant qu'il ne soit trop tard. Tu n'aurais pas dû partir. Où est-ce que t'étais ? Qu'est-ce que tu as fais ?
Je sens la voix s'énerver, elle est plus forte ici que nulle part ailleurs.
Le garçon aux yeux corbeau, lui, me regarde toujours avec attention.
Tu les as abandonnés ! Regarde ce qui arrive par ta faute ! Tu aurais mieux fait de ne jamais entrer dans leur vie...
Des images commencent à s'imposer à moi contre ma volonté, ma tête se met à me faire mal.
Je veux crier mais rien ne vient.
Une paume se pose sur mon front et la voix s'arrête, remplacée par une autre, plus lointaine, déformée, mais tout aussi virulente, si ce n'est plus.
Tu n'as pas de rêve Min Yoongi, à quoi est-ce qui rime ta vie ? Pourquoi tu ne l'arrêterais pas, tout simplement ?
Le garçon retire sa main de mon visage et tout se tait, le silence envahit de nouveau mes tympans, lourd et creux à la fois, attendant d'être comblé.
- On en a tous une. Laisse-la crier, comprend-la, et avance. Le plus souvent, ça en vaut la peine.
Yoongi, je pense que c'est son nom, me montre la porte que j'avais presque atteinte.
Je me sens toujours aussi lourde, mais je dois pouvoir mobiliser assez de volonté pour parcourir les quelques mètres qui me manquent.
- Je ne t'aiderai pas. Ici chacun porte son propre passé. Mais j'espère de tout cœur que tu réussiras.
Il se redresse pour me laisser la place de faire de même et je pose mes mains à plat sur le sol glacé.
Je pousse de toutes mes forces et mon buste se relève lentement.
C'est quoi ton but ? Pourquoi tu n'arrêtes pas de mentir ? Tu veux à ce point être seule ? C'est gagné, personne ne voudra plus être avec toi maintenant.
Je ne dois pas l'écouter, je ne dois pas y prêter attention.
Mais plus je l'ignore, plus elle m'accable.
- Parfois tu dois l'entendre, explique Yoongi, tu dois l'accepter. Elle est là, toujours, mais elle ne doit pas t'empêcher d'avancer. Entend-la mais ne l'écoute pas.
Nier son existence ne sert à rien, elle ne fait que devenir plus forte.
Je dois la laisser parler, sans qu'elle m'atteigne, au moins jusqu'à la porte.
Je réussis à me redresser sur un genou. Mon propre poids me comprime la poitrine et me met les larmes aux yeux, mais Yoongi se place devant moi, comme s'il m'attendait, ou qu'il voulait m'ouvrir le chemin.
Si lui l'a fait. Je peux le faire.
La semelle de ma chaussure touche à nouveau le marbre dans un claquement qui se répercute contre les murs, et même si c'est difficile, je me relève.
Tu ne comprends pas que tout le monde serait plus heureux sans toi ? Abandonne...
Elle peut le dire si ça l'amuse, je refuse de la croire.
Il y a bien des gens que je dois pouvoir rendre heureux et faire sourire moi aussi.
Je parviens à faire un pas, accomplissant ce qui me paraissait impossible.
Si j'ai pu en faire un, je saurai en faire deux.
Meurs, laisse-les tranquille...
- Non.
Je m'élance vers l'avant et réussis à tituber jusqu'à la porte où je m'agrippe désespérément à la poignée.
J'ai l'impression que je viens de courir un marathon, mes jambes tremblent et mon souffle ne veut pas se calmer.
Une main sur mon épaule m'aide à me sentir un peu mieux.
- Va maintenant. Quand tu sortiras d'ici, soit fière de toi, certains n'y parviennent pas.
Je relève les yeux vers Yoongi et mes lèvres s'étirent légèrement comme tout à l'heure, reconnaissantes.
Il semble satisfait de ma réaction et s'éloigne pour me laisser ouvrir la porte.
Il fait noir de l'autre côté, mais je n'ai plus peur.
- Merci, je déclare en me retournant une dernière fois vers lui, je...
Il n'y a plus personne, il s'est évaporé. Le garçon corbeau n'est plus là, mais je sens que je ne resterai plus seule très longtemps.
Il me reste encore des choses à faire avant de sortir d'ici, je le sais.
Je passe la porte et la referme derrière moi, me sentant tout à coup dix fois plus légère.
La voix se tait momentanément, m'offrant quelques instants de répit dans cet endroit sombre.
Il ne fait pas vraiment tout noir comme je l'avais cru au début. Un trait de lumière s'étend de mes pieds jusqu'au plafond bas, un peu plus loin, on dirait le début d'une ouverture.
Je m'en approche et laisse passer le bout de mes doigts par cette fente qui laisse entrer le jour.
Je tire d'abord vers ma poitrine mais comprends rapidement que je dois faire coulisser la porte qui se trouve devant moi.
Je force un peu et elle finit par s'ouvrir dans un grincement métallique désagréable.
La lumière m'agresse un peu, c'est à nouveau celle du jour mais le ciel est blanc, comme un après midi d'automne, lorsqu'on sent que la neige n'est pas bien loin.
Je sors de mon abri exigu, me laissant tomber jusqu'au sol recouvert de graviers.
Un coup d'œil derrière moi me permet d'identifier l'endroit où je me trouvais. Un vieux wagon de marchandise prenant la rouille.
Plusieurs trains s'alignent en face de moi, et une vague musique me fait reprendre ma route. Si j'en trouve l'origine, je pourrai sûrement avancer.
J'erre entre les wagons creux et les vieilles locomotives.
Je parviens à remonter petit à petit la source du son. La musique m'est familière et j'accélère le rythme, me sentant près du but.
Mes pas me mènent jusqu'au bout d'un train qui a l'air de ne pas avoir roulé depuis très longtemps. Les rails aussi sont abîmés par endroit, on dirait une vieille casse abandonnée en réalité.
Le dernier wagon est entrouvert, un peu plus largement que l'était le mien, et c'est de là que provient la musique.
N'approche pas. Qui que ce soit, tu vas le déranger avec tes questions et tes gérémiades.
- Je fais ce que je veux... je souffle pour la contredire.
Je ne veux pas poser de questions de toute manière, juste jeter un coup d'œil, parce que cet air me dit vraiment quelque chose, j'arriverais presque à le fredonner, à lui donner un nom.
Je m'approche de l'ouverture et ma silhouette cache partiellement la lumière qui entrait dans le wagon, faisant se relever deux yeux en amande vers moi.
- Entre, je t'attendais.
La voix se tait. J'avais raison pour une fois, elle n'ose sûrement plus rien dire.
Je monte sur le marche-pied et me glisse dans le wagon, découvrant un petit bureau encombré et un homme aux cheveux gris et au visage doux. Ses lèvres forment un discret sourire et une fossette creuse sa joue.
- Tu savais que j'allais arriver ? je demande doucement, me sentant étrangement petite bien que l'homme soit assis.
- Il n'y a que toi qui puisse arriver ici.
- Pourtant j'en ai croisé d'autres...
Il se contente de m'observer, toujours avec cette même expression.
Je m'intéresse alors à ses mains et à ce qu'il a devant lui.
Des tonnes de feuilles volantes et de petits carnets sont remplis de mots griffonnés dans une écriture que je peine à déchiffrer.
- Tu aimes écrire, affirme-t-il d'une voix calme.
Moi ? Ou lui ?
- Je... Je ne sais pas.
Ces dizaines de feuilles me font me sentir à l'aise, je le reconnais. De même que le petit poste sur le côté du bureau qui continue à diffuser doucement sa musique.
Je ne sais pas si j'aime écrire, mais il a pourtant l'air sûr de lui.
- Qu'est-ce que tu aimerais écrire ?
Je ne sais pas vraiment non plus. Qu'ai-je d'intéressant à raconter ?
Pas grand chose...
Oh tais toi maintenant, j'ai compris. Mais laisse moi essayer.
Je viens m'asseoir devant le garçon qui tient toujours un stylo. Pour le moment incapable de répondre à sa question, je décide de lui en poser une autre :
- Toi, tu écris quoi ?
- Ce que j'aime, ce qui me fait peur, ce qui m'agace aussi, tout ce qui me fait ressentir quelque chose. En espérant que quelqu'un d'autre le ressentira aussi en lisant ou en écoutant ce que j'ai écris. Si je partage mon expérience, peut-être que je pourrai en aider certains.
C'est beau comme but. Les gens peuvent écrire pour eux, ou pour l'argent. Lui il pense aux autres, souvent, ça se voit sur son visage quand il en parle.
- Tu es Namjoon, je déclare.
Je ne sais pas comment je le sais, mais je le sais. C'est là, ce n'est pas loin. J'ai tout ce qui me manque sur le bout de la langue.
Il semble s'en apercevoir lui aussi, il sourit de plus belle.
- Gagné. Tu y es presque Moonchild.
Moonchild, c'est ce que dit le poste radio parfois.
Moonchild, don't cry.
- C'est toi qui a écrit ça aussi ? C'est ta voix.
- Oui, pour les gens un peu comme toi, ou juste ceux qui se sentent seuls et tristes.
- Je me sens moins seule et triste maintenant.
Au début, c'était horrible. Je ne sais pas combien de temps j'ai passé dans le noir avant que Jimin me trouve, mais j'y étais depuis beaucoup trop longtemps.
C'est difficile, toujours, mais maintenant j'avance, et je ne pleure plus.
- Quand je sortirai, je veux écrire comment j'ai fait. Pour que les gens seuls et tristes gardent espoir. Si je réussis à rentrer chez moi, alors ils pourront le faire aussi.
Namjoon hoche doucement la tête.
- C'est une bonne idée. Tu y es presque, tu pourras commencer bientôt.
- Presque ?
- Il te reste deux personnes à voir, et quelque chose à comprendre. Après ça, tu te réveilleras, tu verras.
Je me réveillerai ?
Ne compte pas trop là dessus, comme si tu pouvais partir, t'échapper.
La voix a l'air anxieuse, elle est moins assurée qu'au début, comme si elle cherchait des arguments, des moyens de me retenir.
Elle me fait moins peur qu'avant.
- Je vais y aller, j'explique en me relevant. Merci.
- Pas de quoi, n'oublie pas de saluer Jungkook de ma part.
Je médite ces mots quelques instants. J'ai déjà entendu ce nom, c'est Hoseok qui l'a prononcé.
Je finis par hocher la tête et me détourner du grand enfant aux cheveux d'argent, pressée de découvrir ce que me réserve la suite.
Je saute du wagon et suis à peine surprise lorsque mes pieds rencontrent du sable au lieu de gravillons.
Je suis à nouveau ailleurs, dans une pièce fermée. De l'eau coule à côté de moi, en fait, tout le mur n'est rien d'autre qu'une grande cascade.
L'eau vient presque jusqu'ici. Au bord, accroupi sur le sable, un jeune homme en recueille un peu entre ses mains en coupe.
Je le regarde quelques instants, curieuse de voir ce qu'il va faire, mais il se contente de faire glisser le sable entre ses doigts. Il a l'air de s'ennuyer.
- Tu es Jungkook c'est ça ? je demande.
Il tourne la tête vers moi, une expression très surprise sur le visage, puis il hoche la tête sans rien ajouter de plus.
- Tu es tout seul ?
Il acquiesce à nouveau.
- Namjoon m'a demandé de te saluer de sa part.
Un sourire fait finalement son apparition sur son visage.
Ils ont tous souri, de Jimin à Jungkook. Leurs sourires sont tous différents, mais ils me mettent tous autant de baume au cœur.
- Merci, je me sentais un peu seul. Ils comptent beaucoup pour moi.
Tu vois comme s'attacher à quelqu'un fait mal ? Une fois qu'ils sont partis, il ne reste plus rien. Reste seule avec moi, tu n'as besoin de personne d'autre.
Jungkook est vraiment si triste...?
- Ils te manquent ?
Je m'approche de lui, le rejoignant sur le sable qui s'enfonce doucement sous mes pieds.
- Oui, mais je sais qu'ils sont là pour moi. Et toi aussi, tu peux compter sur tes amis tu sais.
Non, tu es seule, ne l'écoute pas. Tu ne peux parler à personne, personne ne t'écouteras, tu n'as que moi.
Je déglutis, la voix est vraiment insistante ici, elle est dérangeante. Mais comme me l'a appris Yoongi, je la laisse parler sans m'atteindre. Les vraies réponses, c'est Jungkook qui les a, c'est pour ça que je suis là.
- Mes amis ? Vous tous ?
Il laisse échapper un petit rire avant de s'asseoir dans le sable, face à la grande fontaine murale.
- Non, pas nous. Les gens qui t'aiment. Ceux qui t'attendent dehors.
Personne ne t'attend dehors. Il dit juste ça parce qu'il veut se débarrasser de toi.
- Comment tu sais que des gens m'attendent ?
- Je ne sais que ce que tu sais. Même si tu refuses souvent de l'admettre, tu sais qu'ils tiennent à toi, et que tu tiens à eux. Tu peux leur parler, tu n'es pas toute seule, moi non plus, même si parfois on se sent un peu isolé, comme maintenant.
Il trace de petits dessins sans véritable forme dans le sable.
Je m'accroupis aussi, je le touche du bout des doigts, dessinant quelques vagues.
Il est chaud et doux, il me rappelle des choses sur lesquelles je peine à mettre des mots.
Les images viennent, de plus en plus nettes. Un petit visage entouré de cheveux bruns, des yeux noisettes et des taches de rousseurs, un nez retroussé et des dents de lait, des mains abîmées par le froid, des lunettes fines et rafistolées,... Ces personnes défilent lentement sous mes paupières. Elles me regardent avec inquiétude. Elles m'attendent et veulent que je revienne.
- Il faut que je me dépêche... je réalise.
- Oui, ça fait un moment que tu es là, ils doivent se faire du soucis pour toi.
Tu parles, personne n'a remarqué ton absence... Personne n'a vu tes cernes et tes yeux rouges, personne n'a su entendre tes appels au secours.
Ça va ? Tu n'y répondais même plus, c'était au dessus de tes forces. Tu te souviens, de ce que tu disais à chaque fois ? Tu te souviens comme tu espérais que quelqu'un le remarque, te repose mieux la question ?
Ma gorge se serre brusquement. Ça, je m'en souviens.
Ça va aujourd'hui ?
Et toi ?
Voilà ce que je répondais. Mes yeux hurlaient ma détresse, mais jamais personne n'avait reposé la question.
- Ils avaient remarqué tu sais, explique doucement Jungkook, la plupart en tout cas. Mais c'est dur à voir, surtout quand tu gardes tellement pour toi. Comment tu veux qu'ils comprennent tout si tu ne leur parles pas ?
Mes lèvres tremblent légèrement et mes yeux piquent. Mais il a raison. C'est de ma faute.
Oui, tu ne sais pas y faire avec les gens.
- À toi de leur dire cette fois, n'oublie pas.
Jungkook pose une main sur mon bras, et lève l'autre en direction de l'eau qui s'étend sous la cascade.
- La suite est par là, plonge, sans te poser de questions.
Oui mais et si...?
- Pas de questions.
Il me pousse en arrière avec un grand sourire et je me sens tomber.
Je prends une grande inspiration avant de crever la surface et de m'enfoncer dans l'eau fraîche, y tombant entièrement.
Je n'aurais jamais pensé qu'elle serait aussi profonde. Je dois déjà me trouver ailleurs.
Je retiens mon souffle et avise une grande source de lumière émanant du fond.
En haut, tout est très sombre, alors je me résous à nager vers le bas, sans trop savoir comment je vais me sortir de là.
Je peux mourir dans un endroit pareil ? Est-ce que je peux me noyer ?
Je plonge toujours plus, essayant de rester le plus calme possible, jusqu'à ce que mes mains percent la surface et que je me retrouve soudain à demi hors de l'eau. Le fond est sous mes pieds, il l'a toujours été.
Une plateforme métallique rase la surface juste devant moi.
Je n'aurai pas à nager beaucoup, et heureusement, je n'ai jamais été très douée dans l'eau.
Je pose les mains dessus et hisse mon corps hors de l'eau avant de me retourner pour m'asseoir sur le bord.
Devant moi, il n'y a plus que du vide, l'eau, la mer de tout à l'heure me semble-t-il, se prélasse en contrebas, à plusieurs mètres.
Je suis sur ce qui ressemble à un plongeoir, ou peut-être à un échafaudage.
Un léger vent se lève et je me tends par anticipation, mais ma peau et mes vêtements sont curieusement sec et l'air se contente de m'effleurer sans me glacer le sang.
Il a une odeur de sel et de fleur d'oranger, encore un élément familier sur lequel je n'arrive pas à mettre le doigt.
Si j'en crois Namjoon, il ne me reste plus qu'une personne à rencontrer, et une chose à comprendre.
C'est peut être le dernier endroit que je visite, alors j'ouvre grand mes yeux et essaie d'imprimer cette vue quelque part dans mon esprit, pour ne pas l'oublier.
Je suis un peu fatiguée, j'ai l'impression de ne pas avoir eu une minute pour souffler depuis bien trop longtemps.
De légers bruits de pas m'indiquent que quelqu'un arrive derrière moi.
Je me retourne au moment où un garçon aux cheveux châtains plie les genoux pour s'asseoir à côté de moi, laissant également ses pieds pendre dans le vide pour regarder l'horizon.
Il reste un moment comme ça, silencieux et songeur, puis il s'anime à nouveau.
- Nous y voilà, dit-il simplement, sans même se présenter ni me regarder.
J'avais raison, c'est donc bien la fin.
- Tu es vraiment le dernier ?
Il tourne enfin la tête vers moi et je croise son regard, n'osant plus dire un mot de plus.
Je crois que je n'ai jamais été aussi près de me souvenir.
- Oui, mais on se recroisera, ne t'en fais pas. T'es loin d'en avoir fini avec nous.
Je n'avais pas conscience d'être inquiète avant d'être soulagée.
J'aurais été triste de ne plus jamais les recroiser. Ils avaient fait beaucoup pour moi, juste en quelques gestes, quelques phrases anodines.
Et qu'est-ce que ça t'as apporté ? Tu te sens plus forte ? Tu crois que ça va suffir à faire de toi quelqu'un de bien ? Tu crois que c'est une bonne chose d'être aussi dépendante de sept types que tu connais à peine ?
Qu'est-ce que ça m'a apporté... Probablement pas grand chose, mais je me sens un peu plus légère à présent.
- Vous êtes des sortes d'anges gardiens ? Est-ce que je suis morte ?
C'est une question qui a beaucoup tourné dans ma tête. Mais je n'osais jusqu'ici pas la prononcer à voix haute.
Est-ce que c'est à ça que ressemble l'autre côté ? L'au delà ?
Le garçon éclate de rire.
- Je suis pas un ange non, je suis Kim Taehyung. Enfin, pas tout à fait. Je suis juste là pour représenter quelque chose dont tu as besoin en ce moment, comme les autres.
Je le regarde sans trop comprendre. Il croise à nouveau mon regard perdu et cesse de rire, redevenant plus sérieux.
- Jimin t'as redonné l'inspiration, Seokjin, Hoseok et même les autres t'ont faite sourire, Suga t'as inspirée et t'as poussée à te surpasser parce qu'il est passé par là lui aussi, Namjoon t'as donné une nouvelle raison d'écrire, et Jungkook t'as fait réaliser que tu n'étais pas seule.
La voix hurle dans ma tête à ces quelques mots. Elle ne dit plus grand chose de cohérent, on dirait juste qu'elle souffre.
C'est peut être trop dur à entendre pour elle, peut-être qu'elle aimerait y croire aussi mais ne le peut pas.
Elle me ferait presque de la peine.
- C'est pour ça que j'étais ici ? Pour que vous me disiez tout ça ?
- Non, on a rien dit en définitive. Ici, il n'y a que toi qui parle.
Ici, mais où ?
Ne me laisse pas, ne me laisse pas derrière toi, tu as besoin de moi...
Je secoue la tête, remettant ses supplications à plus tard, il me reste une question, et j'ai l'impression que c'est celle que je devais poser, depuis tout ce temps. Cette dernière chose qu'il me restait à comprendre :
- Et toi, tu dois me dire quoi ?
- À ton avis ?
- Tu vas me dire à qui est la voix qui me poursuit depuis que je suis là ?
Taehyung sourit mais ne répond pas tout de suite. Il s'appuie sur ses bras et se penche un peu en arrière, faisant balancer ses jambes en rythme avec les quelques souffles irréguliers du vent.
- Tu n'as toujours pas compris ? Au fond de toi, tu sais à qui elle appartient. Et puis, je viens de te le dire...
Elle hurle encore à mes oreilles, elle ne veut pas me laisser entendre, pourtant la voix du garçon arrive à la recouvrir l'espace d'un instant, sans qu'il ait besoin de hausser particulièrement le ton, les yeux toujours perdus sur l'eau.
- Ici, il n'y a que toi qui parle.
La voix s'arrête de hurler. Elle pleure doucement à présent.
J'ai l'impression d'avoir déjà entendu ce son.
Non, c'est plus qu'une impression, ces pleurs, se sont ceux qui me secouaient dans le noir, avant tout ça.
- C'est moi... ?
- Oui, en définitive, ton pire ennemi, c'est toi-même. Mais ce n'est pas un adversaire qu'il faut vaincre, c'est un opposant qu'il faut savoir rallier à son camp. Pourquoi tu ne lui parlerai pas toi aussi ?
Mes yeux s'agrandissent et mon souffle se coupe.
Je sais comment sortir d'ici, je sais comment j'y suis entrée.
Je sais soudain ce qui se trouve devant moi, et des larmes me piquent les yeux.
Je lève une main vers le visage de Taehyung et lorsque mes doigts effleurent sa joue, il sourit et commence à s'effacer, comme du sable qui s'envolerait au vent.
La mer le suit, tombant en poussière, l'échafaudage aussi, et tout ce qui m'entoure, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que du noir.
Parce qu'il n'y a jamais rien eu. Mon esprit a créé ces images réconfortantes pour me faire arriver à ce point précis.
Plus d'artifices, plus d'illusions, plus de questions.
Je suis seule, mais pas vraiment.
Ils sont là avec moi. Ces garçons chers à mon quotidien, qui m'ont fait réaliser beaucoup de choses et m'ont aidée plus que je ne l'aurais cru, mais surtout tout ceux qui m'attendent là dehors, tout près, et puis, elle.
Elle est recroquevillée devant moi, la tête dans les genoux, et elle pleure toujours. Elle a l'air toute fragile, sur le point de se briser, elle tremble et grelotte alors qu'il fait toujours aussi chaud ici, c'est étouffant.
Je m'approche d'elle et m'assoie à ses côtés. Je passe une main dans son dos pour la réconforter.
- Je suis désolée. J'aurais dû comprendre. Mais il faut que tu arrêtes maintenant, tout va bien se passer.
La petite fille devant moi relève la tête et ses yeux humides font écho aux miens. Ce qu'elle fait, je le fais aussi.
- Ça va ? je demande.
- Et toi ?
- C'est de toi qu'on parle, pas de moi.
Elle ouvre de grands yeux désemparés avant de se ressaisir, mordant doucement sa lèvre inférieure pour se donner du courage.
- C'est difficile en ce moment...
Je la prends délicatement dans mes bras et elle se laisse faire, arrêtant de pleurer un moment et s'accrochant à moi avec ses mains froides.
- Viens avec moi, il faut qu'on s'en aille.
- Pourquoi tu ne m'en veux pas ? C'est à cause de moi que tu es là... C'est parce que je n'ai pas été assez forte, je me suis laissée couler et je t'ai entraînée avec moi.
- Si j'ignore mes faiblesses rien ne bon n'en ressortira.
C'est ce qu'elle est.
Elle est cette part de moi qui a peur, qui est au premier plan, celle qui est blessée par les mots et les actes des autres, celle qui fait rempart entre moi et le monde.
Quand elle craque, plus rien ne tient debout, tout s'effondre, et elle devient celle qui me tire vers le bas, cette voix dans ma tête qui m'empêche continuellement d'avancer.
Quand l'ennemi c'est soi-même, ce n'est pas un adversaire à vaincre.
- Je vais te ramener à la maison, je m'occuperai de toi tu verras.
Elle soutient mon regard un long moment, puis elle finit par acquiescer et ses lèvres se détendent, m'offrant finalement un sourire.
J'admets avoir eu honte d'elle, avoir voulu la cacher.
C'était elle qui brûlait de s'exprimer lorsqu'on lui demandait si ça allait. Je l'ai brimée, ignorée, méprisée, tout était de sa faute, parce qu'elle n'était pas assez forte, pas assez talentueuse, pas assez motivée, jamais assez en fait.
Elle me laisse la soulever.
Elle pèse lourd mais je saurai la porter.
Un beau jour, un jour qui arrivera bientôt, j'en suis convaincue, elle ira mieux.
Et alors elle me portera à son tour.
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Janvier 2018, un matin, je me suis réveillée.
J'ai regardé derrière moi et j'ai vu tout ce qu'on avait fait pour moi jusqu'à présent.
Aussi étonnant que ce soit, les bangtan avaient fait leur part. Ça me paraissait ridicule, mais ils m'ont redonné envie de faire beaucoup de choses, m'ont inspirée, beaucoup, et m'ont fait rencontrer des gens formidables.
Alors ce matin là je me suis réveillée, et pour la première fois depuis trop longtemps, je me suis habillée, et je suis sortie.
J'ai dis à ma petite moi intérieure, la toute brisée et recroquevillée, que je l'aimais quand même, même si elle n'était pas belle, pas très présentable.
J'ai parlé, enfin, j'ai mis des mots sur ce que je ressentais, j'ai osé pleurer devant les autres.
Ça fait un an que je la porte sur mon dos, que je ne la laisse plus traîner derrière moi comme un boulet, et aujourd'hui elle est beaucoup plus légère.
Ma petite idée noire.
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Donnez beaucoup d'amour à l'artiste du média, madame Haenuli *^*
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