Innommé : 8.2

Shōta fit une pause dans ses explications, la craie maintenue en l'air, alors que son oreille cherchait à saisir les bavardages dans son dos. Cela n'avait pas arrêté depuis le début de l'heure, mais il aurait eu un bref espoir que le bruit finisse par cesser au bout d'un temps. Il avait tort. Et cela commençait à réellement l'irriter. La mâchoire crispée, sa craie toujours en main, il dit sans se retourner :

« Si mon cours ne vous intéresse pas, je vous prierais de quitter la classe.

- Sinon quoi ? »

Il se retourna et croisa le sourire mesquin de Katsuki Bakugo qui se balançait sur sa chaise.

« Si on ne vous obéit pas, qu'est-ce que vous allez faire, hein ?

- D'où te vient cette soudaine insolence ? interrogea platement le professeur qui cherchait dans ses rubis quelque chose qui permettrait de déceler la raison de son impertinence.

- Je sais pas, et vous alors, d'où vous est venu cette idée ringarde de vous implanter un pénis pour ressembler à un gars ? »

S'il avait eu la capacité de le mettre à néant, Shōta ne se serait pas gêné pour l'y réduire. Ses camarades eurent diverses réactions ; les uns avaient le regard fuyant, et les autres se forçaient pour ne pas éclater de rire. Izuku tremblait sur sa chaise, une main sur la bouche et les perles aux coins des yeux. En voilà un qui n'a pas tenu sa langue, songea l'enseignant, silencieux.

« Alors quoi, vous aussi vous faites partie de ces personnes qui vont au-delà des lois de la nature ?

- Mais qu'est-ce qui te prend, Bakugo-san ?! s'énerva le délégué en se levant brusquement de sa chaise. Aizawa Sensei, veuillez l'excuser !! Il ne sait pas ce qu'il dit !!

- Il me prend qu'il y a des choses à respecter, souffla le cendré en croisant les bras derrière sa nuque, ignorant royalement Iida et ses gestes robotiques. Mais bon, je respecte, hein ! mentit-il avec un sourire moqueur. »

Le seul moment où il décida de perdre son regard railleur, ce ne fut que parce que la craie que tenait l'adulte dans la paume de sa main se retrouva brisée en deux sous la poigne de celui-ci. Et sous la surprise de tout le monde, Shōta quitta la salle de classe dans un silence que seul lui maîtrisait. Et lorsque la porte se referma derrière lui, plusieurs élèves osèrent se lever de leur assise respective pour insulter comme il se devait leur camarade aux cheveux explosifs qui n'avait que des arguments haineux pour se défendre, ainsi que tous ceux qui avaient osé en rire.

Pendant qu'ils se recevaient un savon de la part de leurs camarades, leur professeur principal marchait d'un pas ferme jusqu'à la salle dédiée à sa fonction. Fort heureusement, personne ne s'y trouvait, ses collègues étant tous en cours. Ignore-les. Ignore-les comme tu l'as toujours fait. Il posa une main sur son thorax pour réguler sa respiration, mais n'y parvenant pas, il attrapa sans les voir plusieurs livres abandonnés dans la petite bibliothèque et les jeta violemment contre la porte, extériorisant sa rage dans un cri de colère. Une chaise se trouvait inopportunément là, remplissant sa fonction depuis quelques années sans jamais flancher, la seconde suivante, il donna un coup de pied dedans et l'envoya valser au centre de la pièce. Après l'avoir lorgné plusieurs secondes, comme s'il attendait une réaction défensive de la part de l'objet inanimé, il s'en rapprocha, et frappa brutalement de son pied l'un des siens. Les quadruplet qui lui faisaient tenir debout cédèrent comme des biscottes. Il tortura sa nouvelle cible, son punching ball de fortune, brisa tout ce qu'il y avait à briser pour ne pas être le seul dans cet état, le souleva par le dossier et frappa violemment le sol pour la diviser plus qu'elle ne l'était déjà. Le bruit ne l'atteignait plus. Il trouvait que la chaise était encore en trop bonne état pour cesser sa folie.

Puis soudainement, deux bras glissèrent sous ses aisselles et lui compressèrent la cage thoracique tout en le faisant reculer de force. Aizawa se débattit comme un beau Diable pour continuer son vacarme, si bien qu'il finit par envoyer accidentellement son coude dans le visage du nouvel arrivant. Toutefois, au lieu de perpétuer son acharnement contre cette chaise qui n'avait rien demandé, il s'en retrouva pantelant, debout fasse à Hizashi qui se tenait la joue d'une main, l'autre bras tendue devant lui pour l'empêcher de faire un pas de plus comme s'il avait affaire là à une bête sauvage. Doucement, lentement, au fur-et-à-mesure que les secondes s'écoulaient, sa respiration se régula et ses pensées s'alignèrent correctement. Le noiraud détendit ses muscles et jeta un vague coup d'œil par-dessus son épaule. La chaise - si on pouvait toujours l'appeler ainsi - ne ressemblait plus qu'à un tas de bois pour un joli feu de camp. Il refit face à son meilleur ami, son compagnon, et lut dans son regard autant de l'incompréhension que de l'angoisse.

Finalement, le premier à briser l'effet du mutisme commun fut le blond qui baissa ses bras, rassuré de le voir recouvrer sa rationalité mentale.

« J'ai entendu du bruit jusque dans ma classe, je voulais voir ce qu'il se passait. »

Shōta baissa les yeux sur ses phalanges rouges, la bouche entrouverte. Comme il ne répondait pas, ne réagissait pas à l'inquiétude du professeur d'anglais, deux mains se collèrent à ses épaules et il sentit Hizashi le secouer au rythme de ses mots.

« Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu as fait ça ?! »

Déconcerté par les derniers événements, le noiraud recroisa le regard trop vert du bilingue avec trouble, la gorge serrée et peu certain de ce qui lui est arrivé.

« Dis-moi... est-ce que je rêve... ? demanda-t-il faiblement, espérant de tout cœur ouvrir les paupières dans son éternel sac de couchage jaune soleil.

- Non, tu ne rêves pas mais on dirait que tu ne te contrôlais plus. Que t'est-il arrivé ? Je ne t'ai jamais vu aussi en colère depuis le lycée ! Tell me, tu étais en classe ? What happened ? »

Le noiraud ferma les yeux et prit une profonde inspiration.

« Mes élèves ont fouillé dans mes affaires. Ils savent pour moi.

- ... Oh... »

Il plissa des paupières pour constater la moue attristée de son vis-à-vis. Pour être honnête, il ne savait pas quelle réaction il attendait de la part de son compagnon. Il développa :

« Un élève m'a manqué de respect, je ne savais même plus comment réagir. Alors me voilà. »

Un léger sourire tenta de se dessiner sur les lèvres de l'anglophone.

« Je comprends mieux... »

Il fit soudainement glisser ses mains dans son dos pour serrer Aizawa contre lui, pour le rassurer, le calmer, l'apaiser...

« Je vais faire parvenir à la direction ce qui est arrivé, don't worry... »

Shōta, hésitant, finit par accepter la réponse de son aîné et s'abandonna à l'enlacement jusqu'à coller son front contre l'épaule du blond, le cœur prêt à exploser sans jamais oser se laisser aller.

꒱࿐♡ ˚.*ೃ

Le noiraud fixa sa photo avec animosité et referma ses doigts, les lames de la paire de ciseaux avec, qui vinrent étreindre la carte d'identité de trois coups bien placés. Une pluie de morceaux tomba dans la poubelle, et il la referma avec le couvercle sans même formuler l'ordre de le faire. Ses gestes étaient machinaux et, dans ce même automatisme, il rangea l'outil dans son tiroir. Il rejoignit ensuite son compagnon dans le salon de ce dernier, dans un appartement qui n'était pas celui de Shōta, et s'allongea sur lui pour nicher son visage dans son cou. Le blond se vit contraint de poser son livre pour ne pas gêner la nouvelle position de son cadet.

« Qu'est-ce que tu es allé faire ? demanda le plus grand en caressant avec affection l'arrière de la tête d'Aizawa.

- Rien du tout, mentit-il en se laissant happer par la tendresse de son ami d'enfance. »

Hizashi n'eut aucune peine pour poser ses lèvres sur le front du noiraud. Il s'inquiétait pour lui. Sincèrement. Et le voir dans cet état lui faisait mal.

« Je veux que tu arrêtes d'y penser.

- Ne t'inquiète pas, Zashi. Ce n'est rien. Ça passera. »

Il se blottit contre le blond, les yeux fermés, bercé par les battements de son cœur qu'il pouvait écouter d'une oreille contre sa poitrine. Le tempo était doux.

« Shō-chan, ce n'est pas rien. C'est grave ce qu'il s'est passé ce matin.

- Bien sûr que non. C'est humain.

- Precisely, no ! Ce n'est pas humain de réagir comme ça avec les siens ! »

Ses paupières se rouvrirent et il se plongea dans le trop vert de ce regard qui le faisait tant rêver, mais qui actuellement le fusillait d'une vérité qu'il n'arrivait pas à admettre. Hizashi était en colère.

« Peut-être que je ne suis pas un humain, marmonna le plus jeune d'une voix blanche.

- Don't tell that, tu es la personne la plus humaine que je connaisse !!

- Pourquoi tu essayes de me rassurer par des mensonges ? Je suis allé à l'encontre de la nature. J'ai changé mon genre assigné à la naissance. Ce n'est pas normal. Et toi, tu n'es pas normal à aimer ce que je suis, peu importe ce que je suis. »

Le plus âgé des deux hommes fronça des sourcils, vexé.

« Mais parce que je t'aime, idiot. Parce que quand tu aimes quelqu'un tu le prends en entier, avec ses convictions, ses rêves, ses défauts, tout. Otherwise you have nothing. Et moi, j'ai choisi de te prendre, de te garder tout entier, parce que je suis fou amoureux de ton esprit, de ton visage, de ton corps, de tes mots, de ta façon de penser et d'agir. Et qu'elle aille se faire foutre la nature, ce n'est pas toi qui es allé à son encontre, mais elle qui ne t'a pas respecté. Et ceux qui ne nous respectent pas, on les ignore, on les envoie balader. Fille, garçon, non-binaire, transgenre, c'est fictif, at the end. Pourquoi on s'entête à vouloir se catégoriser si c'est pour te faire tenir des discours pareils ? On est tous humains, c'est ce qu'on doit retenir. Human and alive. »

Il ponctua son monologue par un très léger soupir, avant de reprendre, bien déterminé à lui imprimer dans le crâne sa vision des choses.

« Peut-être que tu n'aimes pas la personne qu'on a voulu te faire devenir. Mais souviens-toi que c'est cette fille renfermée à qui je me suis liée d'amitié à l'époque qui a, un jour, décidé de mourir pour mettre un terme à un mensonge, à une illusion, pour renaître humain. Alors on s'en fout de ces assholes qui jugent qui tu es et qui veulent te modéliser à leur image. Ils n'ont juste pas encore trouvé leur identité et te jalousent d'y être parvenu. »

Il était presque furieux à en croire le ton de sa voix. Si bien que son compagnon en frissonna.

« Then, au lieu d'haïr ton passé tu devrais le remercie car sans ça, qui serais-tu ? A lie. A fucking lie. »

.

.

.

Shihō quitta le bâtiment, deux pas derrière ses parents. Il était bien content d'en avoir fini avec cette photo de carte d'identité, mais il en voulait tellement aux deux adultes...

Il se laissa tomber sur la banquette arrière de l'automobile, mais s'immobilisa avant même d'avoir bouclé sa ceinture. Sa mère remarqua que son enfant n'allait pas s'attacher, et se tourna vers lui, inquiète.

« Chaton, qu'est-ce qui t'arrive aujourd'hui ? Tu as l'air différente...

- Maman, papa, je ne me sens pas bien, mon corps me dérange. Pourquoi est-ce que vous m'aviez fait ainsi ? »

Il était tellement en colère. Et sa colère devait bien s'extérioriser, même si son timbre luttait pour ne pas se lever. Il parlait d'un trait neutre. Mais on y lisait une haine imperturbable. Il voulait cracher à la gueule de ses parents cette haine. Il en avait marre. Marre. Marre.

« Ce n'est pas juste. Je ne veux pas être obligé d'être considéré comme une fille, je n'en ai ni l'envie, ni le besoin. Je me sens tellement mal à l'aise que ça me fait du mal. C'est dégueulasse de me faire du mal comme ça. Je croyais que vous m'aimiez. Vous n'avez pas le droit de me faire du mal... »

Sa respiration était plus prononcée. Ses yeux couleur nuit fixèrent ses parents avec un sentiment nouveau ; de la peur. La colère avait fait sa place à la peur. Il avait peur de leur réaction. Peur de ce qu'ils pouvaient bien penser de leur enfant, à présent.

« Qu'est-ce que j'ai fait de mal pour mériter une torture pareille ? ... »

Les trois Aizawa s'étaient figés pour se regarder autant avec de l'incompréhension que de l'inquiétude. Le père, qui serrait le volant entre ses doigts, dévisageait Shihō à travers le reflet du rétroviseur.

« De quoi parles-tu enfin, demanda faiblement la mère.

- J'ai onze ans. Je vais entrer dans la puberté et je n'ai aucune envie de me voir pousser de la poitrine et devoir être obligé de mettre des jupes ou des robes. C'est pas normal pour moi, d'accord ? Je ne veux pas aller au travail en talons hauts, me faire draguer par un gars et devoir lui faire des enfants ! Ce n'est pas moi ! Je refuse de vivre dans un mensonge !

- Shihō, Shihō, calme-toi... ordonna doucement le père en se retournant sur son siège, ne pouvant se résoudre à hausser le ton.

- Ne crie pas sur nous ! Tu crois que c'est notre faute ? Tu crois qu'on a voulu te faire du mal ? On t'aime, on t'aime si fort, tu es le fruit de notre amour, jamais on n'a voulu te blesser d'une manière quelconque, expliqua sa femme avec plus de fermeté.

- Alors quoi ? Le résultat est le même ! Je reste piégé dans ce corps, c'est pas vous qui êtes obligés de vous cachez les yeux dans les vestiaires, vous n'êtes pas forcés d'aller dans les toilettes des autres, c'est trop facile de me demander de me calmer. Vous n'êtes pas à ma place. »

Jamais il ne s'était énervé ainsi. Jamais. Mais il voulait être entendu. Entendu par-dessus son silence habituel. Il n'agissait pas comme il le faisait usuellement. Mais il n'a jamais eu le droit d'être lui-même, finalement. Il voulait changer cela. Il voulait être lui-même, agir comme il le ferait et être considéré comme il le voulait.

« Je veux... »

Il voulait quoi, au final ?

« Je veux arrêter de faire semblant. Je veux qu'on me voie comme moi je me vois...

- Et comment te vois-tu, mon chaton ? demanda faiblement sa mère, les larmes aux yeux.

- ... Comme un garçon... »

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.

.

« Tu as raison, murmura Shōta aux creux de l'oreille du nippon-anglais, les yeux à moitié fermés par la fatigue.

- Tu as enfin compris que tu étais magnifique ?

- Toi aussi tu es magnifique, Zashi. Et je t'aime. Je t'aime à en crever. Je ne remercierais jamais assez Shihō pour m'avoir permis d'être moi-même. Et toi non plus, d'ailleurs, je ne te remercierais jamais assez. »

꒱࿐♡ ˚.*ೃ

Mina rangeait ses affaires en faisant exprès de prendre son temps, allant même jusqu'à prévenir ses amis qu'ils n'avaient pas besoin de l'attendre pour rejoindre la cafétéria. Lorsqu'elle s'assura que plus personne ne se trouvait dans la salle de classe, la lanière de son sac à dos serrée entre ses doigts, elle s'avança jusqu'au bureau de son professeur. Ce dernier, qui était en train de réparer la fermeture éclair de son cocon jaune, leva son regard blasé sur son élève. Elle se racla la gorge, et se pencha en avant.

« Sumimasen, Aizawa Sensei !! C'est moi qui ai fouillé dans votre sac !! »

Shōta dévisageait la jeune fille un certain moment, sans modifier son expression faciale, avant de reposer son attention sur son ouvrage.

« La sincérité est une qualité que seuls les plus courageux en font preuve. Tu peux partir déjeuner. »

Ashido se redressa, surprise.

« Vous n'allez pas me punir ?

- Crois-moi, si je devais punir toutes les personnes qui m'ont jugé, je n'en aurais pas encore fini. J'ai d'autres choses plus importantes à régler. »

Mina cherchait quoi répondre, lorsqu'elle s'approcha avec hésitation du bureau et, sans oser demander l'autorisation, prit délicatement le bout de tissus que tenait l'adulte entre ses doigts et décoinça la fermeture éclair en quelques secondes seulement. Sous l'air perpétuellement indifférent de son professeur, elle recula jusqu'à sa position initiale. Le noiraud dévisagea son sac de couchage à présent réparé, et reposa ses mains sur ses cuisses, acceptant enfin un nouvel échange visuel avec la commère du lycée.

« Je ne voulais pas que vous vous fassiez juger. On aime simplement savoir qui est notre professeur principal, déclara-t-elle, honteuse. Promis, plus jamais je ne m'autoriserais de fouiner dans votre vie privée !

- ... Je te remercie. »

Elle sourit avec un grand soulagement sur le cœur, et s'avança jusqu'au seuil de la porte. Cependant, au lieu de disparaître de le couloir, elle fit halte comme si elle venait de se souvenir d'un détail plus ou moins important.

« Quelque chose à ajouter ? interrogea l'adulte avec un certain intérêt.

- Sur la photo, vous étiez adorable. Enfin, c'est la première chose à laquelle j'ai pensé. »

Elle prit les jambes à son cou, sans même voir l'expression nouvelle qu'elle venait de poser sur le visage d'habitude si blasé de son enseignant. Shōta passa une main sur son visage, exténué par les bêtises de cette lycéenne, et se leva de sa chaise pour déplier son sac de couchage afin de s'y glisser.

Malgré que sa classe ait découvert son secret, il n'en restait pas moins l'homme de trente ans qui professait son savoir dans le plus prestigieux lycée de tout le japon, professeur de science et principal de la classe A, et méritant de quelques années d'activité d'enseignement aux côtés de ses deux meilleurs amis. Il était Shōta Aizawa. Il était amoureux d'Hizashi. Il était le meilleur ami d'Oboro. Tant qu'il répondait à ses trois critères, il ne voulait rien d'autre. Il était un homme parfaitement comblé.

Soyons qui nous sommes.

Aimons-nous pour ce que nous sommes.

Et les autres, on s'en fout.

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