Jeux d'enfants || Larry.


Tu te souviens, il se demande.

Bien sûr, qu'il s'en souvient.

Comme si c'était hier.

Comment oublier ?

Du bois. Beaucoup de bois. Des branches.

De la poussière sur le sol instable. Qui craque sous les pieds. Menace de céder.

Les feuilles mortes, marrons, qui le recouvrent. Deviennent sèches.

Un escalier en corde presque cassée. Sur le point de lâcher.

La peinture qui s'écaille, s'efface. Disparaît.

Mais les souvenirs les souvenirs, eux, restent intactes. Le temps ne les affecte pas.

Il les voit encore petits, enfants, dresser ce projet qui leur paraissait insensé à l'époque.

Harry se souvient parfaitement du regard de Louis cette après-midi là, et sa bouche souriante qui disait lançons-nous allez nous n'avons qu'une vie.

Et ils l'ont fait.

Ils l'ont construite.

Un refuge au milieu de la forêt, caché entre les arbres.

Inaperçu.

Ils se sont salis les mains, rentrés des échardes dans les doigts.

Grondé par leur parent car ils rentraient sales.

Ils ont portés des planches, des charges assez lourdes.

Couverts de terre et de boues, ils ont grimpé à l'escalier en corde et se sont hissés. Tout en haut. Là où leurs mains peuvent presque effleurer la texture cotonneuse des nuages et où ils ont l'impression de pouvoir saisir les étoiles.

Cachés derrières les branches, le rideau de feuilles.

Personne à part eux n'y a jamais mis les pieds. C'est leur secret, leur cachette comme ils aimaient l'appeler.

Ils y ont grandis, dans la cabane.

Ils ont joué aux pirates, aux princes charmants, aux chevaliers, aux aviateurs, à la guerre, à la paix.

Plongés dans des mondes fantastiques, créés par leur imagination débordante d'enfant.

Des centaines d'histoires s'y sont écrites, des centaines d'aventures s'y sont déroulées.

Mais la leur n'a jamais cessé d'exister, même après des années de séparation. Malgré la distance et l'éloignement.

Harry la regarde, d'en bas, onze ans plus tard.

Il a vingt ans.

Mais il a la vive impression que ce fut hier encore qu'ils venaient de la construire. De franchir le seuil fragile de la petite porte.

Il a regarde et il se dit rien n'a changé tout est pareil j'ai simplement vieilli.

Délicatement, il saisit la corde mousseuse et grimpe. Escalade.

Il retombe en enfance.

Ils ont dû la changer trois fois, elle finissait par céder sous le poids.

Mais ils n'ont jamais eu peur d'escalader le tronc, s'agripper aux branches pour se hisser en hauteur.

Il arrive tout en haut, debout sur les planches.

Poussiéreuses.

Des feuilles mortes, humides, de la terre, des cailloux.

Le rideau qui cache l'entrée, en guise de porte, ondule légèrement sous le souffle du vent.

Son coeur bat la chamade à l'intérieur de sa cage thoracique.

Onze ans.

Cela fait onze ans qu'il n'a pas revu cet endroit.

Onze ans qu'il l'a quitté. Onze ans que Louis est resté derrière lui mais que ses souvenirs d'enfance se sont accrochés à son corps comme des sangsues.

Il a peur. Peur de découvrir quelque chose qui ne lui plaît pas.

Peur de voir un univers réduit à néant, dévasté, derrière ce rideau.

Celui qui le sépare de la réalité.

Il a peur de découvrir quelque chose qui ne lui appartient plus, qui ne lui est plus familier.

Il sait, il sait que derrière ce bout de tissu se cache un autre monde.

Un autre univers.

Celui qu'il a construit pendant toutes ces années avec Louis.

Mais aussi celui qu'il a quitté en l'abandonnant onze ans plus tôt.

Même si sa main tremble, il soulève le rideau.

Une vague immense de souvenir s'abat sur lui. Il en tomberait presque dans le vide.

Rien n'a bougé.

Tout semble encore intact. Simplement plus terne et plus sale.

Plus petit aussi, sa tête touche le toit, il est obligé de s'abaisser légèrement.

Au sol, le tapis fin et bleu nuit.

A gauche, contre le mur, le canapé deux places avec les trous sur le dossier.

Le vieux coussin récupéré dans sa chambre d'enfant.

Une couverture tricotée par la grand-mère de Louis.

Une table à l'opposé. Deux chaises.

Une caisse de jouets.

Mais surtout tous leurs dessins encore accrochés aux murs. Et les gravures faites avec un couteau suisse. Leurs initiales.

Certains dessins sont légèrement effacés par le temps, l'humidité.

Il s'approche, les larmes aux yeux.

Ses doigts glissent sur le papier gondolé.

Harry a l'impression de recevoir une décharge électrique de souvenirs dans son corps.

Avant de s'asseoir dans le canapé, il allume les bougies posées sur la table, puis ouvre le couvercle de la caisse à jouet. Ses yeux se mettent à briller d'émerveillement et d'émotions. Ils sont toujours là. Tout est resté en place.

Leurs figurines. Leurs costumes. Leurs fausses armes de guerre.

Harry ne peut pas s'en empêcher, ou les retenir, il laisse les larmes couler sur ses joues.

Ses larmes d'enfant qu'il n'a jamais eu l'occasion de laisser sortir.

En arrivant ici, il avait eu peur. Peur que la cabane soit détruite, réduite à de simples planches de bois suite à l'épreuve du temps.

Que d'autres enfants se soient accaparés, appropriés leur endroit, leurs souvenirs pour les effacer, les bousculer dans le noir et en créer des nouveaux.

C'est égoïste. Mais comme Louis l'avait dis à l'époque ce n'est que pour eux deux. C'est leur univers.

Et en réalité, maintenant, Harry a la gorge serrée car il se dit que Louis n'a jamais dû remettre les pieds dans leur cabane.

Rien n'a été rajouté, changé de place ou même simplement enlevé. Louis aurait pu décidé, lui même, de tout déconstruire, d'emporter leurs affaires, de décrocher les dessins des murs, de ne laisser aucune trace de vie.

Harry a le sentiment de voir danser leurs fantômes devant ses yeux.

Leurs fantômes d'enfants. Il revoit tous leurs moments défiler sous ses paupières humides.

Épuisé, il s'allonge sur le canapé trop petit pour accueillir tout son corps allongé. Mais il ne s'en préoccupe pas, il plie les genoux et serre la couverture tricotée contre lui.





« Harry... ? »

Le concerné se réveille en sursaut, ses doigts refermés autour de la couverture.

Il lui faut quelques secondes pour s'habituer au noir. Il fait nuit. Les flammes vacillantes des bougies servent de seul éclairage dans l'obscurité.

Autour de lui, ça sent le bois humide et la boue.

Quand ses yeux s'adaptent au filtre noir de la nuit, son coeur loupe un battement. Cette voix qui l'a tiré du sommeil, qui semblait faire partie de son rêve, ce n'est pas un songe. Il ne l'a pas imaginé. Elle est réelle.

Il est réel, devant lui et Harry murmure son prénom, accablé par la surprise et l'émotion. Comme si le seul écho de sa voix peut le faire disparaître à tout jamais.

« Louis... ? »

Il est là.

Le visage sombre. A moitié éclairé.

Le visage changé. Mais il l'a tout de suite reconnu, malgré les onze ans, sans aucun doute, sans aucune difficulté.

C'est son regard, surtout, qui a trahi son identité. Ses yeux bleu perçant, ils dégagent toujours autant d'ambition et de vivacité. Et pourtant, il y retrouve encore cette candeur et l'enfant en lui qui n'a jamais disparu et qui ne disparaîtra sûrement jamais.

Louis est comme ça, un éternel enfant. Il n'a jamais voulu grandir et entrer dans le monde des adultes.

« Tu m'as reconnu ? »

Harry ose engager la conversation, même s'il redoute que Louis ne lui demande de partir. Que maintenant, il est considéré comme un étranger dans ce refuge qui ne lui appartient plus.

Mais Louis se redresse de sa position accroupie, il sort un briquet et un paquet de cigarettes.

Un sourire étrange orne ses lèvres.

Harry y perçoit une trace de nostalgie.

Tout en faisant attention à ne pas se cogner la tête au plafond, il allume sa cigarette coincée entre ses lèvres fines. Harry quitte sa position allongée et lui laisse une place dans le canapé.

Maintenant, il a l'occasion de mieux le voir, à la lumière tamisée des bougies.

Ses traits sont plus définis, vieilli, sa mâchoire mieux dessinée. Sa mèche de cheveux châtain, lisse, fine, recouvre la moitié de son front et lui tombe d'une manière désinvolte, de temps en temps, devant son œil.

Il semble plus mature. Il a grandi, bien sûr. Onze ans, ça change un homme, forcément.

« Bien sûr, j'ai vu de la lumière et je me suis dit que ça ne pouvait être que toi. Parce que tu es le seul à savoir où est la cabane. Et quand je t'ai vu ici, même caché dans l'ombre, je n'ai eu aucun doute. Personne à part toi ne dort avec la couverture de ma grand-mère. »

Ils rient ensemble. Leurs rires cognent contre les murs. Ne quittent pas la bâtissent en bois.

Harry est heureux d'entendre sa voix à nouveau. De ne pas l'avoir oublié. Qu'elle ne soit plus qu'un souvenir du passé, un vestige.

Il baisse ses yeux vers la couverture tricotée, caresse le tissu qui la compose puis tente de remettre ses idées en place.

Louis est là, devant lui, onze ans après. Et des tas de questions lui brûlent les lèvres, les explications courent sur sa langue.

Il entend Louis souffler la fumée de sa cigarette devant lui, appuyer son dos contre le dossier et le voit jouer délicatement avec son tube de nicotine entre ses doigts fins.

« Je croyais que tu ne reviendrais jamais... »

Finalement, c'est Louis qui lance la conversation. Prend le sujet à vif, au coeur des choses.

Il n'a jamais mâché ses mots, il a toujours été franc et ambitieux, déterminé.

C'est son caractère, mais c'est ainsi que Harry l'apprécie, depuis le début. Depuis leur première rencontre. Tout entier. Lui, ses yeux ravageurs comme les vagues agitées d'un océan en pleine tempête, lui et la rage de vivre qui anime ses veines, lui et sa volonté de toujours vouloir vivre son existence comme une aventure.

Louis n'a jamais eu peur de rien. Et Harry a toujours trouvé cela admirable.

Louis est un être éblouissant, débordant de lumière et de vie. Même dans les moments les plus sombres, c'est lui l'étoile flamboyante qui éclaire le chemin.

Et cette nuit, Harry a l'impression d'avoir retrouvé la bonne voie.

La gorge serrée, il observe Louis tirer une nouvelle bouffée de sa cigarette. Son étincelle n'est pas partie ou éteinte, elle est simplement faible.

Elle attend d'être rallumée, ravivée par un souffle nouveau et puissant qui la ferait brûler ardemment pour l'éternité.

« C'est long à expliquer. »

« J'ai toute la vie. »

Son visage se tourne vers le sien, ses yeux se plongent ceux de Harry. Ils ont tous les deux l'impression d'avoir dix ans à nouveau.

Avant que Harry ne commence son discours, Louis lui propose de faire comme avant. Il se lève, coince sa cigarette entre ses lèvres et fouille au fond de la malle à jouets pour sortir deux grosses couvertures, quelques coussins. Harry affiche un sourire heureux, touché de cette attention et qu'ils soient, eux aussi, toujours là.

Ils couchent, étendent les couvertures au sol, y déposent des coussins et Louis se lève totalement pour ouvrir une petite partie du toit.

Une partie qui laisse à leurs yeux ébahis la contemplation du ciel étoilé et noir.

Ils faisaient ça, quand ils étaient encore enfants, il observaient les étoiles et Harry racontait l'histoire des constellations, celle qu'il avait lu dans les livres de la bibliothèques.

Louis essayait de trouver la Grande Ourse ou Dragon, parce que ça le fascinait toujours d'entendre la voix de Harry lui expliquer les phénomènes de l'Univers. Ce grand vide qu'ils ne comprendront jamais vraiment.

Avant de s'allonger, Louis se penche derrière la malle et allume une guirlande qui fait le tour de deux murs. Un jeu de lumières alimenté par des piles.

Il s'installe ensuite à côté de Harry, son épaule touche la sienne.

Leurs regards sont tournés vers le plafond lumineux.

Louis fume, Harry se lance.

« Quand on a déménagé avec mes parents, j'ai eu énormément mal au coeur. Ils savaient qu'ils allaient nous blesser, mais mon père n'avait pas le choix pour son travail. Si je ne t'ai pas prévenu tout de suite c'est parce que je ne savais pas comment te l'annoncer, alors que je savais qu'on serait brisé tous les deux. Je te l'ai dit au dernier moment, par manque de courage et de volonté, te l'avouer ça revenait à me l'avouer à moi-même. Et je ne voulais pas te quitter. Sauf que, je me suis toujours sentis responsable. J'ai le sentiment que je t'ai abandonné. Onze ans Louis... Onze ans sans toi, c'est énorme. Les choses se sont enchaînées, les années ont défilées. Au début, ça a été très dur, j'ai eu tellement mal que je refusais d'aller à l'école. Je ne voulais pas me faire d'autres copains, je voulais retrouver mon Louis. Ma mère me répétait qu'on allait se revoir, que ce n'était qu'une question de temps. Mais moi j'y croyais pas, parce qu'on avait aucun moyen de communiquer à l'époque, j'ai eu un ordinateur, mais pas ton adresse personnelle et je ne te trouvais pas sur internet. Nos parents ne se parlaient pas trop, alors les miens ne connaissaient pas ton adresse postale. Puis, le temps est passé, la douleur n'a jamais cessé mais elle a diminué. Je me suis concentré sur mes études, mes ambitions. Je me suis fait des amis, forcément, mais je ne t'ai jamais oublié. C'était comme si tu étais un fantôme, qui me suivait partout, qui me disait dans quelle direction me rendre quand j'étais perdu. Je suis en école d'ingénieurs aéronautique et spatial maintenant, comme quoi te raconter des histoires sur les étoiles ça m'a marqué. Il exprime un rire léger et mélancolique à la fois. Je sais que onze ans c'est énorme sans nouvelles, j'aurais pu revenir avant, quitter mes parents à ma majorité mais j'ai commencé à penser que peut-être tu avais avancé sans moi, que tu faisais ta vie, que tu ne te souvenais peut-être même plus de moi... »

Comment oublier ? C'est vrai, Harry n'a jamais oublié. Il n'a jamais vécu une journée de ces onze dernières années sans y penser.

Sans penser à Louis.

A son visage. Qu'il pourrait peut-être, un jour, reconnaître dans la foule.

Sans penser à tout lâcher, tout abandonner et venir le retrouver.

Qu'a-t-il attendu tout ce temps ? Un signe peut-être ?

Louis tourne son visage vers lui, quitte les étoiles des yeux, pour le regarder.

Il a des choses à dire aussi, des tas, mais il le laisse d'abord parler, vider ce qu'il a retenu à l'intérieur de sa poitrine bien trop longtemps.

« Bref, je me suis dit que je n'avais pas le droit de revenir comme ça, sans explications en espérant que tu me pardonnerais et que tout serait comme avant. »

« Et pourtant tu es venu... ? »

« Oui, j'ai pensé à ce que tu m'as dit un jour. Quand on construisait cette cabane et que moi je voulais abandonner parce que je n'y arrivais pas. Tu m'as dit : ne baisse pas les bras, la vie est trop courte pour rester sur des regrets ou des déceptions. Et j'ai su que je devais revenir, au moins ici, là où on a nos souvenirs. Mais.. J'ai vu que rien n'avait bougé, que tout était encore là et j'ai cru un instant que... le bouclé tourne son regard vers le sien et soupire. J'ai cru que tu n'avais plus jamais remis les pieds ici, depuis mon départ. »

« Je viens tous les jours. Je t'attends, souvent le soir. Puis je regarde les étoiles et je me rassure en me disant que peut-être tu les regardes aussi en même temps que moi. »

Les étoiles, Harry n'a jamais cessé de les regarder. Tout d'abord parce que ça le fascine mais surtout parce que c'est un rituel qui signifie beaucoup à leurs yeux d'enfants.

C'est aussi pour ça que Harry a choisi de se diriger professionnellement dans cette voie, pour rendre hommage à tous les souvenirs qu'ils ont pu partager. Parce que les étoiles le raccrochent à Louis, quoi qu'il arrive. Parce que Louis est une étoile, celle qui brille bien plus fort que les autres.

Louis termine sa cigarette, jette un nouveau coup d'oeil au ciel.

Là-haut non plus, rien ne bouge. Tout reste intact.

Harry a mal au coeur, cet endroit lui fait remonter des tas d'images et de souvenirs en travers de la gorge. Et il a été celui qui a créer une énorme fissure entre eux et les souvenirs qui les reliaient. Pour ça, il s'en voudra toute sa vie.

« Je suis vraiment désolé Louis... Pour tout ça. »

C'est au tour de Louis de s'exprimer. Mais avant, il glisse sa main vers celle de Harry, fait descendre délicatement ses doigts contre son poignet puis les nouent aux siens.

Harry n'hésite pas une seconde à les serrer, fort, il s'y accroche. Pour qu'ils ne se laissent plus partir. Il ferme les paupières, inspire un grand coup et retient les larmes qui menacent de couler.

Comme avant, quand Harry avait peur de l'orage ou du noir complet. C'était pour cela qu'ils avaient installé des sources de lumière dans leur cabane. Louis a toujours eu l'habitude de lui tenir la main quand il sentait qu'il n'allait pas vraiment bien, qu'il était apeuré ou angoissé.

Et ça a toujours eu comme effet, immédiat, d'apaiser le bouclé.

« Harry, je n'ai jamais pensé une seule seconde que c'était de ta faute, ni que tu m'avais abandonné d'accord ? C'est vrai, j'ai fini par penser que tu ne reviendrais pas et oui ça a été atrocement dur pour moi aussi. Ma mère m'a envoyé voir un psychologue parce que je ne voulais pas parler aux autres enfants et je passais mon temps enfermé ici. Je sais pas... J'ai l'impression d'être en sécurité ici. Et j'ai toujours eu la sensation que tu étais là aussi, même si en réalité tu te trouvais à des kilomètres. Disons que, une part de toi ne m'a jamais vraiment quitté. Certes, au bout d'un moment, je me suis fait à l'idée et j'ai pris ma vie en main aussi. Mais ça ne m'empêchait pas de revenir ici tous les jours. Je travail à la boulangerie où on passait des fois acheter des sucreries, tu te souviens ? Je vends et je fais des viennoiseries. C'est pas exceptionnel mais ça m'a permis de penser à autre chose que toi. Mes parents vivent toujours ici, mes sœurs sont parties en ville, mais elles reviennent dès qu'elles le peuvent. Je n'ai jamais voulu partir parce que... Si jamais tu revenais, comme aujourd'hui, je voulais être là pour te découvrir. Évidemment, tu fais et tu feras toujours partie de moi, de ma vie. Tu es un peu comme la moitié de moi-même. Je ne croyais jamais te revoir ici, oui, parce que je pensais que après onze ans tu avais refais ta vie autre part. »

« Je suis revenu, je suis là. »

« Tu vas repartir ? »

La question qui fâche. Qui fait trembler les coeurs et serre la gorge.

Louis tourne son regard vers lui. Ils se fixent, sans rien dire d'abord.

Dans le silence.

Louis joue avec son briquet, nerveusement. Il attend la réponse qui le plongera peut-être au fond du gouffre.

Harry ne réfléchit pas, il n'a pas à le faire, il regarde Louis. Son Louis. Son meilleur ami d'enfance.

Et il sait qu'il ne fera plus jamais la même erreur.

« Pas si tu veux que je reste. »

Louis serre ses doigts autour des siens, relâche sa respiration qu'il retient depuis un moment. Comme si toute la fumée de sa cigarette était restée coincée dans ses poumons, toutes ses années.

Harry admire son profil éclairé par la guirlande, les petites bougies. Il remonte ensuite la couverture tricotée sur eux et approche sa tête de son épaule.

Il sent encore la même odeur. Mais avec juste une touche de mousse à raser en plus.

C'est réconfortant, Harry a l'impression de rentrer à la maison après des années de flou et d'errance.

« Devoir te laisser partir une deuxième fois ça me tuerait. »

Le regard à nouveau rivé sur les étoiles, Louis murmure ces quelques mot qui doivent rester un secret, qui doivent demeurer dans leur univers.

A son tour, Harry serre ses doigts et son pouce vient caresser le dos de sa main lentement. Par sa gestuelle, il lui dit moi aussi je mourrai de t'abandonner.

Peut-être qu'aujourd'hui les rôles s'inversent.

Peut-être qu'aujourd'hui c'est à Louis d'être rassuré.

Peut-être qu'aujourd'hui Harry doit revêtir son rôle de protecteur.

Peut-être qu'aujourd'hui ils ont tous les deux peur de se perdre, que la vie ne les sépare à nouveau.

Peut-être qu'aujourd'hui ils sont angoissés de grandir, en dehors de leur univers, et de devoir laisser derrière eux tous ces souvenirs, coincés dans le monde de l'enfance.

Harry ferme les paupières.

L'odeur du bois. La chaleur des couvertures. L'odeur de Louis. La sensation chaude de son corps près du sien, à nouveau.

Il se retrouve plongé onze ans en arrière, les heures, les journées où ils restaient enfermés ici à jouer, discuter, imaginer des aventures et des histoires.

La respiration de Harry se fait plus lente, les minutes défilent et il finit par somnoler un petit peu.

Quand il se réveille à nouveau, il ouvre les yeux et la première chose qu'il voit c'est le visage de Louis.

Allongé sur le côté, leurs mains encore jointes.

Ses yeux azur posés sur son visage, encore à moitié endormi, pas tout à fait tiré du sommeil.

Louis affiche un sourire amusé.

« Quand tu dors, tu as toujours la même tête que quand tu étais petit. »

Un léger grognement, les joues rosées, Harry ne peut s'empêcher toutefois de sourire.

Puis il se tourne aussi sur le côté, fait face à Louis.

Dehors, il fait encore nuit noire.

Harry n'a plus peur, Louis tient sa main et ne le laissera plus partir.

Plus jamais plus jamais de la vie.

Finalement, Louis demande d'une petite voix timide, que Harry n'a pas l'habitude de lui connaître :

« Je peux te dire un secret ? »

« Oui ? »

« Tu te souviens, tu devais avoir neuf ans, quand je n'ai pas voulu que tu ramènes Juliette dans la cabane pour ton rendez-vous et qu'on s'est fait la tête ensuite pendant une semaine ? Harry acquiesça. J'étais jaloux, c'était notre cabane, nos souvenirs et je ne voulais pas qu'on partage ça avec une de tes copines, puis aussi... Je ne voulais pas que tu l'embrasses dans notre univers. C'est totalement égoïste et idiot, mais je réfléchissais même à des moyens de t'enfermer ici avec moi, pour qu'on soit toujours à deux et que je n'ai jamais à te partager avec quelqu'un d'autre. Je ne sais pas si tu te rends compte, Harry... c'est vraiment notre endroit cette cabane. Elle renferme tout ce qu'on est. »

L'ombre d'un sourire fier passe sur le visage de Harry.

Il regarde ce petit Louis vulnérable, celui qui se cache derrière son air indomptable et satisfait. Il le regarde et il se dit que finalement Louis n'a jamais été aussi fort qu'il le laissait entendre. Que chaque être est forcément touché par quelque chose, a un point sensible même s'il le cache bien.

Harry se mordille la lèvre, sent ses joues chauffer.

Il comprend ce que ces mots impliquent, mais il aime aussi voir une nouvelle facette de Louis. Alors, il joue l'ignorant, celui qui ne comprend pas.

« Si ça peut te rassurer, je n'ai jamais embrassé Juliette au final. Elle n'avait pas aimé le film au cinéma puis elle a dit que j'étais nul pour les rendez-vous. »

« Parce qu'elle n'est jamais venu ici. »

« Et j'ai fait une erreur en l'invitant. Tu as raison, c'est notre endroit. »

A nouveau, la détermination reprend le dessus dans le regard de Louis qui hoche vivement la tête.

La jalousie.

C'est bien pour cela que Harry n'a jamais su, depuis qu'il a quitté Louis, s'engager dans une quelconque relation.

C'est bien pour cela que Louis n'a jamais cherché à effacer ses sentiments envers Harry, que jamais personne n'a su lui arriver à la cheville. Personne n'égalera jamais son Harry.

Harry lui a raconté des histoires sur les étoiles, il a parlé de l'univers, de leur univers, il se sont construit leur cabane, leur monde où ils ont vécu des milliers d'aventures ensemble.

Et Louis se dit qu'il est peut-être temps qu'ils imaginent celle de leur vie, tous les deux, ensemble. Une histoire qui n'a pas à être fictive, inventée.

La réalité.

« Donc la seule personne que je peux embrasser, ici, c'est toi ? »

Timidement, Louis hoche la tête. Mais il n'hésite pas.

Onze années sont passées, il n'a plus de temps à perdre.

Pendant ces longs mois, il a eu le temps de réfléchir. De concrétiser tout ce qui se trouve à l'intérieur de son coeur, tous les secrets qu'il renferme et les émotions réfutées pendant un long moment.

Harry lui adresse un sourire. Par n'importe lequel. Ce sourire. Celui qui l'a fait tomber dans les bras de l'amour, celui qui dévoile sa petite fossette sur le côté de sa joue et fait briller ses yeux.

Et même si Louis ne comprend pas pourquoi il se met soudainement à sourire, il ne peut pas s'empêcher de le trouver d'une beauté renversante.

Viril, la mâchoire carrée, les lèvres rosées et pleines, son regard qui scintille toujours autant, la même étincelle de l'enfance, de l'innocence.

« Tant mieux. »

C'est tout ce que murmure Harry avant de pencher son visage et fondre ses lèvres sur celles de Louis.

Ce genre de moment où il ne doit pas réfléchir, se poser trop de questions. L'intensité même de la vie repose dans ces instants uniques auquel il ne faut pas penser, se laisser guider par les sens et le coeur.

Leurs doigts s'accrochent plus forts les uns aux autres. Ils ne veulent plus se lâcher. Ils n'y parviennent plus, maintenant qu'ils se sont retrouvés.

Louis ne met pas plus de deux petits secondes à répondre au baiser, à accrocher ses doigts aux boucles de Harry et lui transmettre tout ses sentiments qu'il retient enfermés à l'intérieur de son être.

La langue de Louis a le goût de la cigarette mais c'est agréable.

Harry ne se refuse pas à découvrir cette saveur.

Son sourire s'étend.

Parce qu'il entend, il sent, le coeur de Louis battre excessivement fort sous sa poitrine.

Aux même rythme que le sien.

Toujours sur la même longueur d'onde.

Quand ils se détachent, le souffle court, ils se regardent sans rien dire d'abord.

Un nouveau silence.

Puis ils se mettent à rire, harmonieusement.

Sûrement nerveux, mais ça n'a aucune importance car ils ont franchi le pas.

Ils n'ont pas besoin de poser des mots dessus pour savoir ce que ce baiser veut dire, pour savoir que ce ne sera pas le dernier.

« Juliette, ce n'était rien de plus qu'un prétexte pour te rendre jaloux. Et ça a marché. Je ne l'ai jamais su, parce que tu ne l'a jamais dit avant aujourd'hui. Mais j'ai fais exprès d'en parler devant toi, de te demander si elle pouvait venir pour voir comment tu réagirais. »

De nouveaux éclats de rire.

Harry regarde, admire, dévore, aime Louis,

Louis tout entier.

Louis qui le sauvait des montres lorsqu'ils étaient enfants, qui le berçait dans le noir, qui caressait ses cheveux et embrassait son front.

Louis qui soignait ses blessures, ses plaies au genou et ses bobos au coeur.

Louis qu'il n'a jamais cessé d'admirer et d'envier et d'aimer.

Ses petits yeux en amande plissés, alors qu'il rit encore.

La couverture tricotée descend sur sa hanche, il la remonte sur eux, comme une protection.

Elles aussi, les étoiles, les protègent.

Même s'ils savent qu'à deux, ils n'auront jamais plus peur de rien.

Leur cabane, leur univers a résisté au monde, au temps, à la pluie, au vent.

Eux aussi peuvent le faire.

Ils peuvent résister à tout. Surmonter les obstacles.

Après tout, ils ont bien tenu onze ans en s'accrochant au seul souvenir de leurs jeux d'enfants.

De leur monde imaginaire qu'ils avaient façonné entièrement et qui maintenant se cristallise en une existence réelle.

Ce n'est plus un jeu.

C'est la voie qui se dessine sous leurs yeux.

C'est une nouvelle cabane, un nouvel univers qu'ils appelleront maison.

C'est le début d'une nouvelle histoire qu'ils écrivent déjà ensemble. Concrète, véritable.

Ils n'ont pas besoin de l'imaginer, elle est là depuis le début, elle gît et vit au creux de leurs souvenirs qu'ils n'ont jamais cessé d'alimenter.

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