[Thriller]_«Plus belle la vie à Montargis»
Younès embrassait Safiétou avec fougue. Serrés l'un contre l'autre sur un banc devant le Loing, le reste des mortels n'existait plus pour eux. Du haut de leur dix-huit ans, ils exposaient leurs étreintes, narguaient les âmes esseulées et agissaient comme s'ils étaient le prince et la princesse de Galles.
Pourtant, ils ne se connaissaient que depuis cinq jours et habitaient Montargis !
Sacré tour du destin qui s'était joué en si peu de temps pour le jeune Younès. Une semaine auparavant, il en voulait à la terre entière d'avoir été envoyé dans ce patelin, privé de téléphone, de véhicule personnel et de carte bleue. Lui qui avait été élevé à Monaco, dans le luxe et l'oisiveté, se retrouvait à fréquenter le troisième âge et de vieux châteaux déprimants ! Tout ça à cause de ses parents. D'après ce qu'il avait compris, ces derniers avaient joué aux cons avec plus fort qu'eux. Une confuse histoire de yachts, de business clandestin et de quelques dizaines de millions d'euros ''envolées''... Ses parents avaient reçu de sérieuses menaces de tous les côtés et avaient fini par envoyer leur fils unique (leur faiblesse numéro une) chez un vieil ami, à Montargis, pour le protéger, en attendant que tout se tasse.
Les deux premiers jours avaient été une torture pour le jeune homme. Le ciel était gris, les bâtiments en pierre, pas la moindre connexion internet, tout sentait l'herbe mouillée, il s'emmerdait... Les fêtes lui manquaient, ses amis lui manquaient, les sorties, le shopping, les compét'... Il détestait cet endroit.
Jusqu'à Safiétou.
Il était tombé sur elle à la librairie (où il n'avait évidemment rien trouvé d'intéressant) et avait tout de suite été hypnotisé par l'ossature de sa colonne vertébrale dégagée par ses deux tresses hollandaises parfaitement symétriques. Puis, quand elle s'était retournée après avoir réglé ses achats, leurs regards bruns s'étaient croisés et c'était comme s'ils s'étaient reconnus depuis une ancienne vie.
Dès lors, Montargis baignait dans le soleil et ils ne s'étaient plus quittés !
L'histoire que Younès vivait avec Safiétou le comblait de bonheur et lui faisait oublier tous les fléaux terrestres. Il n'avait jamais connu une telle plénitude en couple. Rien à voir avec les -nombreuses- filles avec lesquelles il était sorti sur la côte d'Azur. Safiétou était...Exceptionnelle !
Elle avait été repérée à quinze ans par une agence de mannequinat, elle avait participé aux défilés les plus prestigieux, voyagé aux quatre coins du monde, elle était une personnalité très suivie sur les réseaux, elle était drôle, généreuse, raffinée... Parfaite à tous les niveaux ! Rentrée temporairement dans la région pour veiller sur son grand-père mourant, de nombreux projets l'attendaient, dont une campagne publicitaire pour le nouveau parfum d'une grande marque parisienne et un premier rôle dans le prochain long-métrage d'un grand réalisateur américain. Et Younès.
Ils ne voulaient plus se quitter.
Adieu Monaco, le riche héritier souhaitait maintenant finir sa vie ici, dans les bras et entre les jambes de la belle Safiétou !
La jeune mannequin l'embrassa à nouveau et posa sa tête sur son épaule. Il passa son bras autour d'elle et la serra contre lui. Ils rendaient jaloux tous les petits vieux qui se promenaient. Un homme s'avança sans hésiter vers eux. Il devait avoir une quarantaine d'années, il portait un bob bleu, une grosse paire de lunettes de soleil et une veste en daim trop large.
— Salut les jeunes ! Ça boume ?
Rien ne pouvait troubler les tourtereaux. Il s'assit juste à côté de Safiétou.
— Une fleur pour ta beauté ?
Amusé, le couple jeta un coup d'œil à l'étrange gros bouquet verdâtre de l'inconnu. Safiétou s'étonna d'y trouver essentiellement des branches de lierre et des pavots aux tiges molles. Alors que son petit ami allait refuser gentiment, Safiétou s'immobilisa : elle sentit un objet métallique appuyé sur sa taille, dissimulé par le bouquet. Elle baissa les yeux et vit le canon d'un pistolet noir pressé contre son corps.
Elle échangea un regard affolé avec Younès. Il aperçut l'arme et pâlit.
— Fais ce que je te dis et il ne lui arrivera rien. dit simplement l'homme.
— Qui que vous soyez, laissez-la tranquille...
— Ta bouche ! Ça fait des jours qu'on te cherche. On commençait à désespérer dans cette ville de ploucs. Heureusement que t'es assez con pour t'exposer dehors avec une telle poupée, super facile à repérer !
La respiration de Younès s'accéléra. Depuis sa rencontre avec la top-modèle, il n'avait plus fait attention à rien, malgré les avertissements de ses parents. Il sortait et rentrait tard sans prévenir la personne chez qui il logeait secrètement. Quel débutant ! L'amour l'avait rendu aveugle.
— On peut s'arranger... commença-t-il.
— J'crois pas. Regarde derrière, sur le pont.
Sans lâcher la main de sa copine, il obéit.
— Tu vois la voiture ?
Il n'y avait qu'un véhicule à l'horizon, une camionnette noire sur le pont, avec un homme devant, le regard braqué vers le banc où ils étaient tous.
— C'est mon collègue. Fais coucou.
Le jeune homme préféra s'abstenir.
— Tu vas aller le voir et faire sagement tout ce qu'il te dit.
Younès ne bougea pas, tant la situation ne lui paraissait invraisemblable. L'inconnu plaça son arme entre les côtes de Safiétou.
— Tout de suite !
— Fais pas ça, Younès ! intervint la jeune femme.
— Tais-toi, beauté.
— Il bluffe ! Il osera pas tirer, pas en plein jour, dans un lieu public...
— Alors qu'il n'y a ni témoins, ni caméra de surveillance ? C'est comme si cette ville suppliait pour que je tue quelqu'un ! Tu sais autant que moi que j'aurais le temps de balancer son joli corps à la flotte et de te traîner par la peau du cul jusqu'à Dunkerque avant que le moindre vioque rapplique ! Ce serait un beau gâchis, mais j'hésiterais pas !
Il avait raison. Ils étaient piégés.
— Et, sans vouloir t'effrayer, j'en suis pas à mon premier crime impuni. Loin de là.
Il souriait de toutes ses dents. Safiétou déglutit, mais refusait de lâcher la main de son petit ami. Ce dernier commençait pourtant à se détacher d'elle.
— Qu'est-ce qui me garantit que vous n'allez pas lui faire du mal quand j'aurais le dos tourné ?
— Rien, voilà, c'est pour ça que tu dois t'enfuir, Younès !
— Tu veux prendre le risque ? défia l'homme.
— Ne l'écoute pas !
— Vos gueules ! Tu vas voir mon pote, je te surveille, et quand tu seras dans la voiture, je te rejoindrais. Tu verras tout. D'ailleurs, ma belle, va falloir que tu me files ton téléphone !
Sur ce, il agrippa le petit sac en bandoulière de la jeune femme. Elle le laissa faire. Younès s'avoua vaincu.
— Laissez-moi lui dire au-revoir...
— Et puis quoi encore, un p'tit thé et une baise d'adieu ? Dépêche-toi !
Safiétou tenta de se relever mais l'homme lui enfonça son gros pouce dans le creux de sa clavicule. Elle était bloquée. Les larmes lui montaient aux yeux. Elle était la faiblesse de son copain. Elle était un boulet.
— Je suis désolée...
— C'est moi...
— N'y vas pas... supplia-t-elle.
— Ça va aller...
En réalité, il n'en avait aucune idée. Il voulait juste la rassurer. Il appuya son front contre le sien en inspirant un grand coup.
— Safi', je t'aime, d'accord ? Je t'aime, je t'aime, je t'aime et je me fous de ce qui peut m'arriver parce que-
— Abrège ! tonna le preneur d'otage.
Ils s'embrassèrent sur la bouche. Puis Younès se leva lentement du banc et marcha en direction de l'escalier près du pont. Il se retourna pour voir une ultime fois le délicieux visage de la mannequin.
— Prends ton temps, surtout !
— Tire-toi, bébé, cours !! l'implora-t-elle.
Il ravala ses larmes et monta les marches comme un condamné. Il arriva sur le trottoir. Le fourgon noir aux vitres teintées était garé en warning. Le ''collègue'' l'attendait. Il était entièrement vêtu de gris. Younès le fusilla du regard et se demanda s'il était armé.
— Je suis là, dis à ton pote de laisser Safi' partir !
Au lieu de lui répondre, le complice fit coulisser la portière arrière.
— Monte.
Younès se retourna. Il voyait nettement l'ignoble inconnu debout à côté du banc, le pistolet braqué sur la tête de Safiétou. Cette dernière ne tremblait pas. Elle n'avait pas quitté son amoureux du regard. Il admirait son courage. Il s'avança vers le fourgon. De l'autre côté du pont, un très vieil homme promenait son teckel en laisse. Il n'y avait personne d'autre. Il était perdu. À peine mit-il un pied dans la camionnette que le complice le poussa sur la banquette et grimpa à son tour.
Younès vit deux paires de menottes pendre de la poignée de maintien. Il se laissa attacher les poignets au-dessus de sa tête. Ses chevilles furent liées avec une courroie en cuir. L'homme sortit un bâillon de sa poche, qui effraya le riche héritier. C'était un bâillon-boule comme il n'en avait vu que dans les sex-shops, avec une boule en caoutchouc au milieu d'une épaisse sangle.
— Je ne vais pas crier, je ne vais rien dire... promit-il.
— Tant mieux, commence maintenant.
Et il lui enfonça le bâillon dans la bouche, et l'attacha fermement à sa nuque. Younès poussa un gémissement étouffé. Il vit le premier homme rejoindre son collègue au moment où celui-ci fermait le fourgon. Ils montèrent à l'avant et démarrèrent. Le jeune homme secoua inutilement ses menottes.
Il pensa fortement à Safiétou, pour se donner de la force pour affronter ce qui l'attendait... Sans se douter que cette dernière courait derrière le fourgon.
fin
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