[Thriller]_«Ne vous baignez pas seul»

pour public averti


Un jour d'été, sur le lac de Bouget, en Savoie.

Darius, qui allait fêter sa majorité dans quelques semaines, avait loué, avec ses deux meilleurs amis, un petit bateau pour passer l'après-midi sur l'eau. Le temps était idéal pour nager un peu et se détendre loin de la civilisation. Darius, en maillot, descendit la courte échelle et goûta l'eau du bout des orteils. La température lui plut. Il se mouilla rapidement la nuque et plongea. Son ami Walter se reposait dans l'unique cabine du bateau ; il ne se sentait pas bien depuis qu'ils avaient quitté le port et s'était écroulé de fatigue après avoir avalé un médicament. Sûrement le mal de mer. Ça lui passerait. Son amie Zélia était sur le pont, en train de dorer au soleil, des écouteurs dans les oreilles. Elle lisait enfin autre chose qu'un bouquin de bio-chimie. Bien que les trois amis n'étaient pas occupés à la même activité, ils étaient ravis d'être réunis. Seule comptait la présence de chacun.

Darius fit quelques brasses sans trop s'éloigner de l'embarcation. Il se laissa flotter sur le dos et regarda tranquillement le ciel. Il y avait peu de monde sur le lac ce jour-là et le jeune homme apprécia. Il s'enfonça dans l'eau, tourna sur lui-même et émergea de nouveau pour reprendre son souffle. Il réfléchissait s'il y avait un ballon à bord. Si ses amis ne se baignaient pas tout de suite, il pourrait se faire des passes à lui-même, tout seul, en envoyant le ballon rebondir contre la coque. Cela ferait un bon entraînement pour le water-polo. Il fit le tour du bateau en crawl, puis s'en éloigna un peu pour essayer d'apercevoir Zélia, allongée sur le pont. L'eau était calme, tiède à la surface, avec un courant froid plus bas. Le ciel était dégagé juste au-dessus du lac, le vent presque inexistant. Darius était bien. 

La tranquillité des flots se perturba légèrement quand le jeune homme sentit des vaguelettes attaquer ses épaules. Il se retourna : un jet-ski arrivait dans sa direction. Darius avait vu, une fois, un épisode de Les vacances de l'amour où une femme meurt accidentellement le crâne brisé par un jet-ski qui fonçait à travers la mer sans faire attention. Il se décala un peu, avant de se dire que c'était inutile car il était encore relativement près du bateau et que le jet-ski ne pouvait ne pas le voir. Pourtant, ce dernier s'approchait toujours...

La conductrice de l'engin était une grande femme vêtue d'un gilet de sauvetage et un bermuda. Elle avait le visage allongé, des épaules carrées, les cheveux longs, noirs et ondulés plaqués derrière le dos, et portait de petites lunettes de soleil sombres. Elle ralentit sa course, sans la détourner. Une fois près du bateau, elle avança prudemment et vint à un mètre de Darius. Ils se dévisagèrent un instant. Bien sûr, le lac appartenait à tout le monde, mais Darius la trouvait culottée de venir squatter l'endroit où ses amis et lui étaient alors qu'elle pouvait aller où elle voulait. Derrière ses lunettes, la femme paraissait sérieuse mais ne dit pas un mot. Elle observait le nageur. Assez gêné, désintéressé, Darius lui tourna le dos.

C'est alors qu'il sentit une main lui saisir le crâne et le couler ! Surpris, Darius lâcha tout son air dans un cri sous l'eau ! La main se referma férocement sur son épaisse tignasse brune frisée. Il essaya de la griffer, mais ses ongles rongés ne purent faire le moindre mal à celle qui lui en faisait ! Il sentit une secousse sous l'eau, puis entendit un moteur gronder et il fut tiré dans l'eau. La vitesse lui indiqua ce qu'il se passait : le jet-ski avait démarré et l'inconnue l'emportait ! 

Elle le traînait à travers le lac par les cheveux ! La prise était puissante et la poignée de cheveux tenue était trop épaisse pour parvenir à l'arracher ! Où allait cette malade ?? Alors qu'il sentait tout son oxygène partir, Darius fut tiré hors de l'eau. Il cria de douleur. Ses jambes pesaient une tonne dans l'eau, il les serra pour ne pas perdre son maillot dans la course ! Il respira à plein poumons mais avala au passage toute l'écume que produisait le jet-ski. Il toussa, agrippa le poignet de son agresseuse, imperturbable, qui conduisait d'une main. Sa force effraya sa victime. Darius aperçut son petit bateau réduire à l'horizon ! Même si quelqu'un, sur le lac ou sur la rive, le voyait, il ne verrait qu'un jet-ski se baladant. Lui était immergé dans l'eau, personne ne pouvait le voir ! Il était plaqué contre l'engin, traîné par les cheveux, comme une vulgaire bouée ! Où allaient-ils ?? 

- ARRÊTEZ !!

Son cri fut couvert par le bruit du moteur. Darius donna un minable coup de poing de colère dans le genou de cette inconnue.

- LÂCHE-MOI, PUTAIN, ESPÈCE DE...

La conductrice plongea son bras dans l'eau, entraînant la tête du jeune homme ! Darius voulait hurler, pleurer, la frapper. Son cuir chevelu l'irritait au plus haut point. Il étouffait, il avait mal. Allait-il mourir ?? La femme le tira une nouvelle fois à l'air libre. Juste assez pour qu'il puisse respirer un peu, mais pas suffisamment pour qu'il puisse ouvrir les yeux, dérangés par toutes les éclaboussures causées par la folle course du jet-ski. Il but la tasse, plusieurs fois et toussa. Il se tint au bras de cette folle. Ça ne l'amusait pas du tout !! Qui était-elle et que lui voulait-elle ??

Enfin, la course ralentit. Darius sentit un fond glaiseux sous ses pieds, mais il était trop secoué pour se remettre debout tout de suite. Sa tête tournait, ses yeux le piquaient. 

La femme, sans le lâcher, éteignit le jet-ski et sauta dans l'eau qui lui arrivait aux genoux. Pour vaincre toute la résistance du jeune homme, elle lui enfonça encore la tête dans l'eau, assez longtemps pour qu'il suffoque, puis le redressa et l'emmena de force. Darius tenta de lui frapper la poitrine avec son coude, mais la femme lui saisit le bras et le lui tordit derrière le dos. Elle le fit avancer en le tenant fermement par la nuque et le poignet. La gorge encombrée, Darius ne parvint pas à crier.

Elle le ramena sur le rivage, sortit du lac et, toujours de force, l'entraîna vers un sac à dos posé là. Le jeune homme toussait et crachait de l'eau. Elle le coucha sauvagement par terre, sur le ventre, face contre terre. Darius eut les pieds, la joue, le torse et les genoux éraflés par le sable garni de minis cailloux. Il ne put se débattre, la femme lui ramena les bras derrière le dos et, sans rien dire, les lui attacha avec un serflex en plastique, sorti tout droit du sac, qu'elle sangla au maximum. Le malheureux garçon avait bien trop mal partout et était trop perturbé pour se soucier de cette nouvelle douleur.

Sa ravisseuse le releva pour le mettre à genoux. Il se dégagea pour se pencher en avant et vomit une gerbe d'eau. La femme lui mit la main sur le front et le plaqua contre elle.

- Inspire bien fort.

Terrorisé, il obéit sans s'en rendre compte. Il inspira en tremblant, toussa, cracha le peu de sable qu'il avait dans la bouche, reprit sa respiration du mieux qu'il put, tenta de maîtriser ses tremblements. Les larmes lui montèrent aux yeux. La femme lui intimait l'immobilité et ne décollait pas sa main de son front. Darius, les poings liés, chercha de l'aide des yeux et n'en vit aucune : il n'y avait personne dans ce coin et pour cause ; l'endroit était sale, impraticable, parsemé de galets brisés, jonché de vieux déchets. Personne ne pouvait s'installer ou accoster dans le périmètre. Il était seul. Avec cette étrangère. Que lui voulait-elle ? Le connaissait-elle ? Qui était-elle ? Pourquoi...

Alors qu'il réfléchissait à comment s'échapper, l'inconnue lui enfonça une petite balle en mousse dans la bouche et, avant qu'il ne la recrache, la maintint en place en la couvrant d'un foulard qu'elle serra et noua fermement derrière sa tête. Le jeune homme éclata en sanglots, sans pouvoir se retenir. Il vivait un vrai cauchemar ! La femme ramassa son sac, remit sa victime debout et l'emmena. Il lui résista pitoyablement, sans succès. En marchant, il s'enfonça un morceau de verre dans le pied mais cela ne fit pas ralentir le pas de son agresseuse.

Ils se dirigèrent vers un pick-up garé près de la rive. Il frémit d'effroi et se débattit en poussant de grands cris étouffés. Épuisé, meurtri, Darius sentit toutes ses forces le quitter. Ce qui lui arrivait était irréel : quelqu'un avait planifié son enlèvement. Il ne pouvait croire à un hasard. Quelqu'un savait parfaitement où il serait et à quel moment, quand agir, où l'emmener, comment le maîtriser... Mais dans quel but ?? Il n'avait décidé du lieu de sa sortie que ce matin ! Ils se rapprochèrent du gros véhicule. Darius voulut supplier, raisonner, crier, mais son bâillon l'asphyxiait. La femme déverrouilla sa voiture et ouvrit le coffre. Darius essaya de le refermer d'un coup de pied, mais il avait trop mal pour le lever assez haut. La ravisseuse le fusilla du regard, le saisit sous les cuisses, le souleva et le jeta dedans. Elle lui attrapa les pieds, prit un antivol de vélo qui se trouvait dans une poche du coffre et lui ligota les chevilles avec. Darius se tortilla dans tous les sens, en vain. Il était perdu. 

Les mains sur la porte du coffre, parée à la claquer, son agresseuse le détailla un instant, comme si elle voulait être sûre qu'elle n'avait rien oublié. Détrempé, attaché, bâillonné, presque nu, blessé, son otage la regardait avec des yeux larmoyants, implorants. Pire que de se retrouver dans cette situation, ne pas comprendre pourquoi ! Tant pis s'il allait mourir, Darius voulait savoir, savoir qui et pourquoi ! Après, on pourrait faire ce qu'on voulait de lui ! Il n'attendait qu'une explication, qu'une parole de cette sadique... Cette dernière referma le coffre d'un geste franc, sans un mot. Darius se retrouva dans le noir, ce qui intensifia sa peur. Il se figea et se tut quelques instants, aux aguets. Il entendit une porte s'ouvrir et se fermer. Le contact fut mis. Le pick-up vibra, l'enclenchement d'une vitesse résonna, le volume de la radio monta, sûrement pour couvrir les cris du prisonnier, et le véhicule partit.

Recroquevillé au fond du coffre comme un petit animal apeuré, Darius, vaincu, piégé, sous le choc, s'évanouit.



fin


Juillet 2020.

Bonnes vacances.

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