[Thriller]_«Jet trap»
(🔺 langage grossier)
Ruby dut fermer les yeux quand le coffre s'ouvrit, pour ne pas être ébloui par la lumière du jour. Il n'était pas sûr du nombre d'heures passées recroquevillé dans cette voiture. Le type lui saisit les jambes, les détacha, les lui sortit du coffre et le fit asseoir.
- Ça va ? demanda-t-il, d'un ton détaché.
En guise de réponse, Ruby le fusilla du regard. Il remua les épaules pour s'étirer un minimum, malgré ses mains attachées derrière le dos. L'épais morceau de scotch sur sa bouche l'empêchait de parler. L'homme termina sa cigarette sans le regarder. Il était chauve, grand et fin, il avait les yeux vairons et de puissantes mains couvertes de cicatrices. Ruby avait cru entendre plusieurs fois ses ''collègues'' l'appeler Steve. C'était peut-être son nom de code. Peu importait. C'était lui que Ruby voyait le plus depuis son enlèvement, avec son idiot de complice -plus petit, plus enveloppé, barbu et les cheveux bouclés-, Greg. Deux demeurés qui se partageaient une neurone commune, toujours à se contredire et à se regarder éternellement dans les yeux avec des tronches de poissons morts au moment d'exécuter un ordre. Un vrai cliché de duo de bras cassés. Ruby rageait intérieurement de réaliser qu'il n'avait toujours pas réussi à échapper à de tels débiles.
L'adolescent secoua la tête pour dégager ses yeux de sa mèche blanche rebelle. Il observa les alentours : le sol tout bétonné avec quelques marques au sol lui faisait passer à un gigantesque parking. Il ne vit pas de bâtiment. Il y avait une rangée d'herbes au loin, c'est tout. Il n'eut pas le temps d'analyser plus longtemps l'environnement : Steve le saisit par le bras et l'obligea à le suivre. Ils contournèrent la voiture et Ruby fut stupéfait de découvrir un jet, à quelques mètres. Il s'arrêta et le contempla.
C'était la première fois qu'il en voyait un en vrai. L'engin n'était pas aussi grand qu'un véritable avion mais n'en était pas moins impressionnant. Il était d'une blancheur immaculée, avec deux longues lignes sur la coque, une rouge et une noire. Vers l'avant, un homme en uniforme était au téléphone. Sûrement le pilote. Steve entraîna Ruby vers l'avion. L'otage lui lança un regard interrogateur. Non... Non ! S'il quittait le territoire, il était fichu ! Son père et la police ne le retrouveraient jamais ! Des jours qu'il était trimballé de gauche à droite, privé de sa liberté, sans comprendre l'exacte rançon exigée de son père l'ambassadeur... Il ne laisserait pas emmener une nouvelle fois ! Surtout pas dans un lieu suffisamment loin pour nécessiter un jet pour le déplacement ! Ruby grogna et résista.
Steve, pas d'humeur, le tira en avant. Ruby lui asséna un coup de pied dans le tibia et recula, sans parvenir à se défaire de son emprise. Le chauve l'empoigna par la nuque pour le faire avancer. Ruby ancra ses pieds au sol et se cambra en arrière. Il tourna la tête dans tous les sens, à la recherche d'une issue, de quelqu'un. Steve entoura sa taille avec ses bras et le souleva de terre. Ruby poussa de grands cris de gorge en battant des jambes dans le vide. Il essaya de se faire le plus lourd possible. Steve posa enfin un pied sur la première marche de la passerelle. L'adolescent écarta et tendit les jambes, pour le bloquer. Steve le poussa en avant, en vain. Il soupira bruyamment. Il n'était pas un mec violent, mais l'envie de gifler cet enquiquineur le traversa. Il avait malheureusement la formelle interdiction de lui faire du mal. Il prit sur lui, descendit, retourna l'adolescent pour le mettre en face à lui, lui saisit les cuisses et le hissa sur son épaule droite, comme un gros sac de farine. Ruby s'époumona à essayer de crier, tandis que Steve monta l'escalier. Par un effort irréel, le scotch autour des poignets du prisonnier céda enfin ! Aussitôt, ce dernier prit appui sur le dos de son kidnappeur d'une main pour se redresser et, de l'autre, lui agrippa le visage, en plantant ses ongles courts dans ses joues ! Steve jura et faillit perdre l'équilibre. Il se rattrapa in extremis à la rampe. Cela suffit à l'adolescent pour lui échapper. Il redescendit en quatrième vitesse.
Dans la voiture, sous le choc du spectacle, Greg avala son chewing-gum et se dépêcha d'agir. Tant pis pour Chroniques Criminelles. Il s'était déjà fait assez engueuler de toute cette histoire ! Le gamin saisissait la moindre occasion pour essayer de leur filer entre les doigts malgré les menaces ! Il sortit en trombe du véhicule, en même temps que Ruby regagnait la terre ferme. Ils échangèrent un bref regard, puis Ruby prit ses jambes à son cou ! Greg le talonna. Presque par miracle, il réussit à le plaquer au sol ! Steve arriva. Fou de rage, Ruby arracha son bâillon et cria à l'aide. Greg lui couvrit la bouche de sa main, mais l'adolescent le mordit sauvagement. Sous la douleur, Greg cria plus fort que lui. Steve le poussa, remit leur proie debout de force et l'entraîna à nouveau vers le jet. Ruby se débattait comme un beau diable, en braillant.
- Salauds !!
Les deux complices le tenaient chacun par un bras et le tiraient difficilement jusqu'à la passerelle.
- Lâchez-moi, les enculés !
Il leur donna des coups de pieds et de tête. D'un regard, ses ravisseurs s'entendirent : Greg passa ses bras sous les aisselles du jeune homme et Steve s'empara de ses pieds. Ensemble, ils le firent basculer et le portèrent dans l'escalier. Épuisé par les cris et les insultes de Ruby, Greg tenta de lui fermer la bouche en lui tenant fermement la mâchoire. En retour, le fils de l'ambassadeur lui agrippa la barbe et la tira. Greg couina, son collègue l'engueula. Il secoua l'adolescent et lui emprisonna les doigts dans ses poings, et le porta ainsi, la tête frôlant les marches, jusqu'à l'entrée de l'avion.
Une fois à l'intérieur, rien ne fut plus facile : Ruby continuait de crier et de se débattre.
- J'vous jure que vous allez me le payer, bande de cons, attendez un peu et j'vais vous faire bouffer vos dents !! Lâchez-moi, j'vous dis, je veux descendre !!
Les deux hommes le trimbalèrent dans le jet comme un cochon pendu. Greg transpirait. Ils traversèrent un salon beige, flambant neuf. Ruby eut la surprise d'y découvrir une femme, tranquillement assise dans l'un des sièges crèmes de l'appareil. Elle était vêtue d'un tailleur pourpre impeccable et avait les cheveux bruns, plaqués en un élégant chignon. Elle jeta à peine un regard à l'adolescent et rédigeait un document sur sa tablette numérique. Sa présence déconcerta Ruby et il se tut un instant. Qui était-elle ? L'avait-il déjà vue ? Son visage ne lui était pas inconnu...
Il fut entraîné vers le fond, toujours à portée de vue de la femme. Il se ressaisit. Grâce à la moiteur des mains de Greg, il libéra l'une de siennes, la passa sous le tee-shirt de l'homme aux cheveux bouclés et lui pinça aussi fort que possible son bourrelet au ventre. Greg poussa un cri de douleur qui fit sursauter son acolyte. Ils lâchèrent subitement leur prisonnier. Ce dernier bondit comme une panthère et s'enfuit. Steve insulta Greg et rattrapa le jeune homme par les cheveux avant qu'il n'ait pu repasser devant la femme en tailleur. Il le força à reculer.
Ruby aperçut la femme lui sourire, le menton appuyé sur le dos de sa main.
Il se retourna et gifla Steve. Ce dernier devint rouge de colère. Il aurait du le frapper quand il en avait l'occasion : maintenant, devant la patronne, il ne pouvait se permettre de lever la main sur lui. Hors de lui, il poussa le fils de l'ambassadeur sur le canapé en cuir. Greg lui vint en aide et ils l'allongèrent de force sur le ventre. Steve planta son genou entre les omoplates de Ruby et lui ramena péniblement les bras derrière le dos.
- Lâchez-moi ! J'irai nulle part ! Je partirai pas !
Steve lui enfonça la tête dans un oreiller pour ne plus l'entendre. Ruby battit des pieds, Greg les lui immobilisa.
- Dégagez ou j'vous crève ! leur hurla-t-il.
Il se tortilla dans tous les sens en hurlant. Le chauve réussit enfin à lui croiser les poignets dans le dos et les lui maintint ainsi d'une seule main. De l'autre, il tâta ses poches, sans trouver ce qu'il cherchait. Il se tourna vers son complice.
- Le scotch, putain !
- Il est dans la voiture !
Tout en lui se crispa de colère. Il en avait marre. Marre de ce gosse, marre de cet abruti de collègue, marre de passer pour un con, marre de devoir penser à tout, marre de prendre des coups sans pouvoir les rendre... Il refusait de prouver une énième fois son inefficacité à sa patronne, qui les observait, ou de lui demander quoi que ce soit.
- Passe-moi ta ceinture !
Greg obéit mollement. Ruby profita de ses jambes libres pour donner des coups dans le canapé. Il les plia et les déplia plusieurs fois, pour empêcher quiconque de les saisir. Il parvint à se mettre sur le côté et vit le gros Greg concentré à retirer sa ceinture. Parfait pour attaquer. Sans crier gare, il se souleva une seconde sur son épaule et envoya un puissant coup de pied en plein dans le visage de Greg ! La violence du coup envoya cogner son crâne sous un coffre à bagages, qui s'ouvrit. Greg se tint la tête entre les mains en geignant. Steve se retenait d'égorger l'adolescent :
- Mais tu vas te calmer, oui !?
- T'en veux aussi, connard ?! Va te faire foutre !! lui répondit-il. Lâche-moi !!
Il le poussa, se remit debout et s'agita : Steve ne lui lâchait pas les avant-bras. Alors Ruby se rapprocha de lui et lui asséna un coup de tête dans le nez avec toute la force qui lui restait. Un bruit sec résonna et Ruby sourit de sa réussite. Steve le lâcha en hurlant. Ruby recula, victorieux, et pensa à lui donner un dernier coup avant de s'enfuir.
Il avait oublié l'autre : Greg se jeta littéralement sur lui ! Ils tombèrent ensemble sur un fauteuil. Coincé sous le poids de son ravisseur, Ruby lui ordonna de le laisser partir. Greg s'installa sur les genoux de l'adolescent, fit passer ses mains devant lui, les bloqua sous son bras et entreprit de les lui lier avec sa ceinture.
- Casse-toi ! Ne me touche pas !
Il devait agir. Vite. Il planta ses dents dans l'épaule de Greg. Ce dernier rugit de douleur et faillit le lâcher. Steve arriva à la rescousse. Il saisit les poignets de Ruby et les attacha à l'accoudoir du siège avec la ceinture, tandis que Greg plaqua ses deux mains sur la gueule de leur prisonnier.
Steve serra au maximum la sangle. Il voyait les doigts du jeune homme gesticuler, mais ses poignets ne bougeaient plus. Il soupira, satisfait. Du coin de l'œil, il vit une étoffe rouge dépasser de l'unique sac dans le coffre à bagages ouvert. Il s'en saisit et l'examina. C'était un long foulard fin. Il n'hésita pas. Il fit une boucle avec et emprisonna le cou de Ruby dedans avant de le coincer dans l'appui-tête. Ruby pâlit et se mit à paniquer. Il était en train de perdre. Il fut forcé de se redresser quand Steve tira le foulard pour ne pas être étranglé. Greg se leva lentement, lui mit la ceinture de sécurité du siège à la taille et la serra, en ricanant. Ils s'affrontèrent du regard.
- Espèce de fils de pute !
Si tôt cette insulte dite, Steve le prit par surprise en le bâillonnant avec la longueur du foulard qui restait. Ruby poussa un juron étouffé et lança des regards affolés tout autour de lui. La dame brune essuyait distraitement une trace de rouge à lèvres qu'elle avait laissé sur la tasse blanche dans laquelle elle venait de boire. Il reporta son attention sur les deux complices débiles.
Ces derniers jubilaient, essoufflés. Côte à côte, ils observaient le jeune homme ligoté, pour s'assurer qu'il ne pourrait plus s'échapper. Ruby n'avait pas dit son dernier mot. Il donna un coup de pied dans la table face à lui mais, solidement fixée au sol, elle ne se renversa pas. Il tenta d'écarter ses poings, de griffer l'accoudoir, il voulut se lever, la ceinture le clouait au siège, il voulut se pencher, le foulard se resserra autour de son cou... Il mordit son bâillon en poussant un cri de gorge inaudible et agita ses jambes. C'était fini. Il ne pouvait plus rien faire. Il était perdu. Retour à la case départ. Il reprit peu à peu une respiration normale et fusilla les hommes du regard.
Steve et Greg s'éloignèrent, le sourire aux lèvres. Steve lui fit un coucou provocateur en se tenant le nez dans son poing. Greg lui envoya un baiser. Ruby leur fit deux doigts d'honneur.
Ils s'en allèrent, abandonnant le fils de l'ambassadeur dans le jet, maintenant prêt à décoller, en compagnie de la mystérieuse femme. Cette dernière lui sourit et reconcentra sur ses occupations.
fin
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