OS Wakfu

Désormais habitué à être réveillé par les gazouillements des tofus, c'est le silence de mort qui alerta Yugo et le réveilla. Il ignorait combien de temps il était resté inconscient et l'endroit où il se trouvait lui était inconnu. Il était sur une sorte de trône de pierre froid, au centre d'une pièce circulaire, entouré d'un étrange liquide orangé. Une cascade de lave.

Il se redressa péniblement. Ces derniers souvenirs remontèrent : il y avait eu une attaque au royaume Sadida, contre les enfants éliatropes... Il s'y était rendu sans attendre, il y avait Faola qui dégageait une puissante énergie, il avait attaqué sans hésiter... Il se souvenait avoir pris un coup à la tête, comme si son bouclier s'était retourné contre lui, puis le trou noir.

Alors qu'il porta sa main à son front, il eut la désagréable surprise d'y découvrir un lourd bracelet ferré. Pareil à son autre poignet, tous deux liés au sol par une solide chaîne. En l'examinant, il y découvrit des perles verdâtres incrustées : des pierres annihilatrices de magie. Il fronça les sourcils. Il était bel et bien prisonnier. Et il savait de qui... Il l'a senti arriver derrière lui.

- Tu as bien caché ton jeu, Faola...

- Tu trouves ? Merci ! J'avais peur que ton frère réussisse à te faire douter !

Faola contourna le trône et vint se mettre à quelques mètres face à l'éliatrope. Elle était entièrement vêtue de rouge foncé, comme ses cheveux.

- Les dragons sont si méfiants, ils sont difficiles à berner, surtout les plus jeunes.

Faola tenait en effet un petit dragon sombre enveloppé dans sa cape dans ses bras. Il était profondément endormi. Yugo le reconnut tout de suite et se figea d'effroi.

- Grougal'...

- Comme c'est difficile de séparer des frères dragons à cet âge-là... soupira-t-elle, en grattant la tête de la créature.

Le dragon ne bougeait pas. D'ordinaire farouche et turbulent, il était forcément sous l'emprise d'un sortilège.

- Qu'est-ce que...

- Ils ne voulaient pas se lâcher ! Et je ne parle même pas de l'aubergiste qui leur servait de gardien ! Il a fait plus de dégâts avec sa planche en bois que mes...

Avant qu'elle ne put finir sa phrase, Yugo lui fit face, rapide comme l'éclair, les bras dangereusement tirés en arrière. Les chaînes le retenaient à quelques centimètres de sa geôlière. La fureur l'emportait.

- Qu'as-tu fait à mon père ?!

- Du calme, je te taquine. Il a bien essayé de résister mais il n'est qu'humain, après tout...

- Où est Chibi ?!

- Ici. Avec les autres.

- C'était donc ton plan dès le début ? T'emparer des enfants éliatropes ?

- Les rassembler, plutôt. Il ne manque plus qu'Adamaï. J'ai hâte qu'il arrive !

- Je te laisse une seule chance d'affronter ma colère plutôt que la sienne !! Enlève-moi ces chaînes et combat-moi !

- Non merci. fit-elle, en haussant dédaigneusement un sourcil.

- Tu as peur de perdre ?! cracha-t-il.

- Ha ha, je crains d'abîmer ton joli minois, cher roi.

Elle se permit de lui caresser la joue du dos des doigts. À ce contact, il s'écarta vivement et tenta de lui envoyer un coup de pied qu'elle évita d'un pas en arrière.

- Je pensais que la violence était le langage de ton ami le iop simple d'esprit. J'espère que tu perdras cette habitude...

- Lui aussi, tu vas le rencontrer si tu ne me laisses pas partir ! 

- Peu importe, qu'il vienne avec toute sa cavalerie ! Il ne me faut qu'Adamaï et vos Dofus. Le reste peut aller en enfer, ça ne m'intéresse pas.

- Les Dofus...

- Il y a tant de rumeurs concernant leur cachette, j'en ai marre de les chercher ! Adamaï viendra forcément avec pour récupérer ses frères.

- Nous te servons donc d'appât ? Un seul d'entre nous aurait suffit à nous attirer dans ton piège... Pourquoi prendre un tel risque ? Je peux suffire. Libère les autres !

- Les libérer ? Mais ils ne sont pas prisonniers : ils sont réunis.

- Et dans quel but ? Qui es-tu réellement ? s'exaspéra-t-il.

- Je viens accomplir ce qu'aucun de vous n'a réussi à faire : rendre au peuple éliatrope sa gloire d'antan !

- ... Quoi ?

- Tu sais ce qu'il est arrivé au peuple éliatrope pour se retrouver sur cette si ennuyante planète ?

- ... Il y a eu une guerre entre les Méchasmes et les Eliatropes... Déclenché par mon frère Qilby...

- Exact. Une guerre terrible... Deux peuples qui se sont détruits... Mais tu ne t'es jamais demandé pourquoi, à l'origine, ils cohabitaient ?

- Non.

- Tu n'es pas bien curieux.

- Ce sont de vieilles histoires qui remontent à la nuit des temps et qui ont causé du tort à beaucoup d'innocents... Aujourd'hui, les éliatropes sont libres et prospères dans ce monde, et je me battrais pour qu'il en reste ainsi !

- Tu peux déposer les armes, mon beau, je suis là maintenant.

Yugo fronça les sourcils.

- Les Méchasmes et les Eliatropes s'étaient alliés. Ensemble, ils devaient devenir un seul et même peuple. Sans cette guerre, ils formeraient la nation plus puissante du Krosmoz ! Et puis, Qilby... Nous avons tous été manipulés par un seul idiot qui, par ennui, a bousillé la paix et cet avenir brillant !

- Nous ?

- Tu n'as pas compris qui j'étais, n'est-ce pas ? ricana-t-elle.

Il recula lentement d'un pas et la dévisagea quelques secondes.

- Tu es une... Méchasme ?

- En chair et en os ! Malheureusement. Disons que je suis une de leurs descendantes.

Elle se rapprocha de lui, qui recula jusqu'au siège sans s'en rendre compte.

- Comment est-ce possible ?

- Nous n'avons pas compris tout de suite que ton frère nous avait manipulé et comme nous avons remporté le combat, nous sommes passés pour le plus grand danger du Krosmoz et les Dieux nous ont punis ! Les descendants des Méchasmes ont été dénués de leur pouvoir, de leur statut, ils sont devenus des pauvres êtres de chair humaine !

- C'est difficile à croire : tout le monde sait que la force des Méchasmes surpasse celle des dieux.

- Il n'y a pas eu d'affrontement entre eux. Mon peuple était affaibli après avoir battu le tien et cette punition divine nous est tombée dessus avant que nous ne puissions comprendre pourquoi !

Ses poings et ses dents se serrèrent soudainement.

- Nous n'étions pas fautifs ! Nous pensions avoir été trahis par les vôtres, nous pensions nous défendre ! Nous ne sommes que des victimes et, depuis des siècles, nous payons l'issue de ce combat provoqué par un éliatrope !

Elle abattit son poing sur le dos du trône de pierre dans lequel Yugo se laissa tomber, déstabilisé par ce qu'il venait d'apprendre. Les Méchasmes avaient donc payé leur victoire sur son peuple. La traîtrise de Qilby avait donc fait tant de martyrs.

Avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, Faola se détendit en inspirant un bon coup et reprit, d'un ton plus calme :

- Mais nous allons tout arranger...

- Vous comptez finir le travail de vos ancêtres et supprimer les derniers éliatropes ? Pas sûr que tes dieux apprécient cette vengeance !

- Non, "nous", toi et moi ! Nous sommes leurs élus ! Ensemble, nous réunirons les Méchasmes et les Eliatropes, comme jadis !

- Pourquoi faire ? souffla-t-il.

Faola se figea.

- Si ce que tu racontes est vrai, cela remonte à des millénaires et n'a plus d'importance aujourd'hui. Nous avons tous souffert de cette guerre mais nous nous sommes reconstruits. Nous n'avons aucune haine pour vous. Ce qui est fait est fait, pourquoi ressasser le passé ?

- Parce que ma place n'est pas ici ! Et la tienne non plus, mon bel éliatrope ! Parce que nous méritons mieux ! Parce que je veux regagner notre gloire perdue ! Parce que telle est ma mission ! Parce que les dieux doivent nous rendre notre honneur !

- Tu délires...

- Nous allons retourner sur la planète qui fut la nôtre et unir nos peuples ! Voilà notre destinée ! Nous allons réparer les erreurs de nos ancêtres, comme si la guerre n'avait jamais existé !

- Mais elle a existé... Si tu veux rendre l'honneur des Eliatropes, alors laisse-les vivre où et comme bon leur semble, au lieu de vouloir effacer les fautes de nos prédécesseurs !

Faola agrippa les accoudoirs du trône et se pencha sur Yugo.

- Ce n'est pas une proposition, Yugo, roi des Eliatropes ! Il est de notre responsabilité de réparer les dégâts causés par nos ancêtres et de faire renaître l'union de nos peuples ! Notre nation sera la plus puissante du Krosmoz !

- Je ne prendrai pas part à ta mission ! Pour la dernière fois, laisse-nous partir !

- Je me doutais bien qu'il serait difficile de faire entendre raison au frère de celui qui s'est servi de nous !

- Mon peuple est en paix et en sécurité ici bas, il a mérité sa place parmi le Monde des Douze ! Je ne te laisserais pas gâcher ça pour valoriser la conscience des Méchasmes !

- Non mais tu t'entends ? ''Mérité'' sa place ? Comme c'est pathétique ! Alors qu'une planète attend leur retour depuis des siècles ! Navrée de te rappeler que ce monde ne voulait pas des enfants éliatropes ! Il est trop petit pour vous, trop fragile, il finira par se détruire tout seul ! Il vous craint !

- Ce monde est le nôtre et il n'est pas question de te suivre où que ce soit !

- Tu me suivras et les Eliatropes te suivront ! Ils suivront tous leur roi qui suivra leur reine !

- Je te demande pardon ?! s'étouffa-t-il.

Faola se redressa, en souriant.

- Bien sûr. Comment crois-tu que nos peuples vont s'unir autrement ? Nous sommes leurs élus, leurs guides ! Grâce à notre union, nous rachèterons nos actes et offrirons l'exemple d'un monde heureux et miséricordieux !

Dans un souffle de désir, elle ajouta :

- La miséricorde est ce qui nous rapproche le plus des dieux !

- Pour qui tu te prends ?! explosa Yugo. Je suis certes roi des Eliatropes, mais aussi roi de Sadida ! Un royaume que je protège et que j'aime ! Je suis marié à la reine Amalia Sheran Sharm et rien au monde ne m'éloignera d'elle !!

- Ta reine trouvera un autre époux, elle aura l'embarras du choix. Pas moi. Il faut que ce soit toi, Yugo, il n'y a que toi. Si cela peut te rassurer, je te promets d'être une reine irréprochable. Nous n'avons pas d'autre alternative, nous devons respecter l'engagement de nos ancêtres ! C'est nous qui portons toute la responsabilité de nos peuples respectifs. Et, entre nous, j'éprouve une grande joie à l'idée de me marier au beau et valeureux Yugo. Ta réputation te précède, Maître des Portails !

Elle fit apparaître un diadème en métal et le plaça sur la tête de l'éliatrope. Sans la quitter des yeux, ce dernier le réduisit en mille morceaux d'une simple pression de l'index.

- Il n'y a aucune chance que ça arrive ! articula-t-il.

Ils s'affrontèrent du regard.

- Il en sera pourtant ainsi... déclara-t-elle. C'est notre destin.

Sur ce, elle lui tourna le dos et s'éloigna, le laissant passer ses nerfs sur ses menottes.

- Tu es folle à lier et tes projets n'ont aucun sens ! Si tu veux une chance de t'en sortir indemne, tu peux encore tout arrêter !

- Seuls les dieux m'arrêteront. Ce sont eux qui ont tracé mon chemin. Aucun mortel, que ce soit toi ou ta bande d'amis, ne me détournera de ma destinée. 

- Mes amis...

Il cessa de griffer inutilement ses chaînes. Il pensa à tout ce que Faola venait de lui dire, puis à ses amis.. Il poussa un soupir et son visage se radoucit. Il se redressa en souriant, croisa les jambes et lança à Faola : 

- Tout compte fait, te voir prendre une raclée par la Confrérie du Tofu va être un divertissement dont je n'aimerais pas être privé !


FIN

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