6. Le chat sous le cerisier - Voletbleu

Le chat sous le cerisier par Voletbleu

Tranche de vie, amitié.

Le chat sous le cerisier


C’est le milieu de l’après-midi, des nuages de coton flottent dans le bleu du ciel. 

Un chat se repose à l’ombre d’un arbre, un grand cerisier en fleur. Il se gratte l’oreille, se redresse un peu et jette un regard vers  le chemin un peu plus bas. Il a été alerté par un bruit familier.

 Un enfant court sur le gravier, son cartable sur les épaules. Ses cheveux blonds encadrent son sourire, qui ne fait que grandir au fur et à mesure qu’il s’approche du félin.

- Salut Pattoune !!!

L’animal se réinstalle confortablement tandis que le garçon se laisse tomber dans l’herbe, à côté de son sac. 

- Comment tu vas Pattoune ? T’as pas trop chaud ? On est bien, à l’ombre. Je voulais t’amener des croquettes, mais j’ai plus d’argent de poche. Désolé. J’ai pas pu venir hier, j’ai été chez ma grand-mère. Elle a des poules, maintenant. Dis, Pattoune, tu manges les poules ? Faut pas, elles sont gentilles, les poules. Même si des fois elles font peur. T’as peur des poules, Pattoune ? 

Le chat regarde le petit humain qui s’agite devant lui et déverse un flot continu de paroles. Habitué à ce fond sonore, il ferme les yeux et ronronne. 

L’enfant sort son goûter de son cartable et caresse le chat en dévorant son pain au chocolat. Il essuie ses mains sur son pantalon, puis lève la tête vers le feuillage au dessus de lui. 

Le soleil perce le bouclier que leur offre le cerisier, il plisse les yeux. 

- C’est joli, tu trouves pas, Pattoune ? Oh ! Je t’ai pas dit !!

Le garçon attrape le chat et le pose sur ses genoux. Le félin se laisse faire sans protester, il se contente d’apprécier les papouilles qu’on lui offre.

- J’ai une amoureuse, maintenant ! Elle est trop sympa ! Elle m’a offert un dessin. Attends, je l’ai dans mon sac, si tu veux. Je vais te le montrer.

Tout sourire, il sort une feuille froissée d’une des poches du cartable, la lisse un peu, puis l’expose aux yeux du chat. Pour toute réponse, il obtient un ronronnement. 

- C’est beau, hein ? Hé, Pattoune, toi aussi, t’as une amoureuse ? 

Le garçon semble réfléchir.

- Ou un amoureux. Mon frère il a un amoureux, ma maman elle a dit qu’il faut accepter tout le monde. J’ai pas tout compris, mais ils sont contents donc je suis content. T’es pas triste, tout seul, Pattoune ? Tu sais quoi, je te laisse un bout de mon dessin. Mon amoureuse saura pas, ce sera notre secret.

L’enfant pouffe et déchire un coin de la feuille. Il repose le chat dans l’herbe et cale le papier sous une de ses pattes. 

- Tu fais attention, hein ? Je te laisse, Pattoune, je dois aller faire mes devoirs. A demain !

Et la petite tornade humaine repart comme elle est venue, laissant l’animal sous le cerisier, avec un dessin d’enfant.  

***

-Pattoune !!

Le chat, qui se repose sous son arbre, ouvre paresseusement les yeux. Le petit blond se rue vers lui, puis s’assoit pour reprendre son souffle. Le félin pose sa tête sur son genou, prêt à se rendormir. 

-Tu devineras jamais !! Aujourd’hui, y’avait un nouveau dans la classe ! Il était tout timide, alors j’ai été lui dire bonjour ! Il s’appelle Minho. Lee Minho. Je l’aime bien ! J’ai pas de goûter aujourd’hui, on l’a partagé tout à l’heure, pendant la récré. Il avait faim. Ah, tu l’as jamais vu, toi, Minho ! Il est trop beau ! Il a des cheveux tout marron, comme le tronc de l’arbre, sauf que lui y’a pas de mousse dessus. Enfin, sauf quand il a descendu la pente en roulant, après il avait de l’herbe partout ! Et puis ses yeux, ils sont trop jolis ! Mais il voulait pas trop discuter, alors je lui ai parlé de toi. Devine quoi,  il adore les chats ! Du coup, on est amis maintenant ! C’est grâce à toi, Pattoune !!

Le chat ronronne, l’enfant continue de le caresser sans ralentir son débit de parole. 

-Faut pas que je rentre trop tard, ce soir, j’ai promis à ma maman. Elle m’a dit : « Han Jisung, si tu rentres après 17h, je te déshérite ! ». Je sais pas ce que ça veut dire, mais ça a fait rire mon papa. Je suis venu juste pour te dire pour Minho, et puis te dire bonjour parce que je voulais pas que tu restes tout seul. 

Le garçon se relève déjà, puis se tourne soudainement vers le chat.

-Dis, Pattoune, t’as toujours le dessin ? 

L’animal le regarde avec un air de profond ennui, puis baille. 

-Bon, pas grave, je demanderai à mon amoureuse de m’en faire un autre. Bye bye, Pattoune !!

Et le garçon s’en va en courant, mort de trouille à l’idée de se faire déshériter. 

***

-Paaaaaaaaaattoune !! 

L’animal sursaute de la brusque apparition de l’enfant derrière l’arbre. Le blondinet s’installe à côté de lui et le regarde avec des étoiles dans les yeux. 

-J’ai des croquettes !! Tu vas jamais me croire, c’est Minho qui les a achetées pour toi ! Comme je lui ai parlé de toi, il voulait te rencontrer, mais son papa veut pas qu’il sorte après l’école. Alors il a dit qu’il t’offrirait plein de friandises à la place. Aujourd’hui, on avait un cours de sport, et Minho il a épaté tout le monde ! Je te jure, il danse trop bien ! Mon amoureuse elle est pas contente, elle dit que je passe trop de temps avec lui, mais je crois qu’elle est juste jalouse. Parce que Minho, c’est un ami trop génial ! Il parle pas trop aux autres, alors ils disent qu’il est méchant, mais il est super gentil. La preuve, il t’a acheté des croquettes !

Semblant se souvenir de l’existence des dites croquettes, le garçon les sort de son cartable pour nourrir le chat. Celui-ci grimpe sur ses genoux en miaulant. 

-Attends un peu, Pattoune ! Tiens. C’est bon ? Elles sont au poulet. On dirait que tu peux manger des poules, du coup, continue l’enfant avec philosophie. Faut juste pas manger celles de ma grand-mère, elle sera triste. J’essaierai d’amener Minho, un jour. Quand son papa sera d’accord. Et tu sais pas, Pattoune ! Demain, mon frère vient me chercher à l’école avec son amoureux, et on ira tous les trois à la fête foraine ! J’ai trop hâte ! D’ailleurs, faut que je te laisse, ma maman veut bien que si j’ai appris ma poésie par cœur. 

L’enfant pouffe avant d’avouer qu’il ne sait même pas le titre. Il laisse le paquet de croquettes au chat qui le gratifie d’un miaulement affectif en le voyant partir. 

***

Le temps est morne. Les nuages couvrent le soleil de leur triste grisaille. A l’image du ciel, Jisung est abattu. Il se blottit dans l’herbe, le chat contre lui, et essuie morve et larmes dans la fourrure de l’animal. 

-Désolé, Pattoune. C’est pas grave. Mon amoureuse, c’est plus mon amoureuse. Elle est trop méchante. Hier, quand mon frère est venu me chercher avec son amoureux, elle a dit plein de trucs pas beaux. Elle a dit que c’était pas normal, et que j’allais être contaminé, et que si je reste tout le temps avec Minho c’est parce que je suis une pédale. J’ai pas tout compris, mais c’était pas gentil. Mon frère, il était triste. Mais Minho il est venu me faire un câlin avant que je parte. Et il a dit qu’il fallait pas l’écouter, et qu’elle disait que des trucs bêtes. Et il lui a même tiré la langue ! 

Le garçon reprend un peu de son sourire, mais reste allongé contre le chat.

-Mais du coup, j’ai moins profité de la fête foraine. Mon frère il a dit que c’est pas grave, on y retournera. J’espère qu’on pourra emmener Minho. Il m’a dit qu’il avait jamais mangé de barbe-à-papa, je lui ferai goûter ! Oh, en parlant de goûter, on avait plus de confiture, alors ma maman m’a fait un sandwich au jambon. T’en veux un bout ? 

L’enfant de redresse et sort le sandwich de son sac. Il sort la tranche de jambon du pain et la tend au chat. Celui-ci l’attrape entre ses dents, et ils mangent tranquillement, dans l’herbe. 

***

Aujourd’hui, le soleil brille, et Jisung aussi. Il serait compliqué de dire qui est le plus lumineux des deux. L’enfant se jette par terre, tout excité, et éclate de rire sous le regard blasé du félin.

-C’était trop bien aujourd’hui Pattoune ! Minho m’a offert un bracelet, regarde ! 

Le garçon exhibe fièrement son poignet autour duquel un bracelet est noué.

-On a les mêmes, c’est des bracelets de super amis !! C’est comme un super pouvoir ! Comme ça, si moi ou Minho on est tristes, on peut le savoir. Je te jure que ça marche ! Tout à l’heure, on faisait de la peinture, et la méchante elle a commencé à se moquer de mon frère. Je savais pas quoi faire, j’ai cru que j’allais pleurer devant toute la classe ! Mais Minho il a sentit que j’étais pas content, alors il lui a dit de se taire. Elle a pas écouté, tu veux savoir ce qu’il a fait Pattoune ? Il lui a renversé toute la peinture bleue dessus ! Ça faisait un schtroumf. La maitresse  elle était pas contente, elle a voulu punir Minho, et là tu sais quoi ? Bah y’a un garçon qu’à dit que c’était lui qui avait renversé la peinture et qu’il avait pas fait exprès ! Comme il vient d’Australie, la maitresse lui a rien dit. Il est trop cool ! Il a plein d’étoiles sur les joues, c’est joli. Mais Minho il est encore plus joli, hein. Tu sais, Pattoune, j’aimerai trop que tu le rencontres ! Si tu veux, on te fera un bracelet pour toi aussi, comme ça t’auras aussi notre pouvoir !

L’enfant étincelle de joie, et même le félin peut le sentir. Il frotte sa tête contre son mollet, en quête de caresses. 

-Une autre fois, Pattoune, je dois partir. Mon papa veut m’apprendre à faire un gâteau ! Je t’en rapporterai, si je mange pas tout. 

Le garçon pouffe et fait de grands gestes à l’animal avant de disparaitre. 

***

-Hé ! Pattoune ! 

Le blondinet s’allonge à côté du chat. 

-Il faut que je te parle d’un truc, Pattoune. Mais c’est important, tu dis rien à personne, hein ? Même pas à ton amoureux ou ton amoureuse. Promis ? 

Le garçon sonde le regard du félin, comme pour tenter de sceller leur promesse. L’animal miaule, ce qui contente l’enfant. 

-Minho, c’est une étoile. C’est pour ça qu’il est plus beau que Félix. Félix, il a des étoiles sur les joues, mais Minho, c’est une étoile. C’est pour ça qu’on a un super pouvoir avec les bracelets. C’est parce que Minho, il est magique. Déjà, quand il est là, toutes les couleurs elles deviennent plus colorées. Et il brille ! Comme une étoile. Et en plus, quand les gens sont méchants, il me protège. Je veux le protéger aussi. T’imagines, si quelqu’un lui fait du mal et qu’il arrête de briller ? Les couleurs vont déteindre… Faut que personne le blesse. Parce que sans Minho, je te jure que le monde il arrête de tourner ! Oh, on a vu ça à l’école aujourd’hui ! La Terre elle tourne ! Même là, en ce moment, on tourne ! C’est trop bizarre, hein ? Tu le savais, toi ? 

Le chat s’endort, bercé par le flot de parole du petit blond. 

***

Pendant l’hiver, Jisung doit cesser ses visites au félin. Il n’a pas vraiment peur, il sait qu’il le retrouvera, comme à chaque fois, quand il fera beau de nouveau, sous le grand cerisier. 

Et il a raison. Au printemps, le chat est là. 

Il est là à chaque fois au rendez-vous, et les années passent, bercées par les rencontres quotidiennes du petit humain à l’animal. Les printemps ne se comptent plus. 

Le garçon se rend au grand cerisier, comme tous les jours. Il sourit au chat, et s’installe à côté de lui.

-Salut Pattoune ! Comment tu vas ? T’as le pelage gris, dis donc, mon vieux ! Papi Pattoune, qu’il faut t’appeler, maintenant… Tiens, j’ai des friandises pour toi. C’est Minho qui te les a achetées, il te passe le bonjour. Quand j’y pense, faudra qu’il vienne, un jour… Ce serait cool qui tu voies enfin qui c’est, le fameux Minho, nan ? 

L’enfant –il a beau approcher de la majorité, il en a conservé l’âme- rit, le dos appuyé au cerisier.  Il pose le chat qui ronronne sur ses genoux.

-Au fait, Pattoune, je lui ai dit. Tu sais, que c’est une étoile. Qu’il  brille tellement que je sais pas ce que je ferai sans lui. Que quand je le regarde, j’ai l’impression que mon cœur s’arrête et qu’il accélère à la fois. Que je l’aime peut-être un peu trop. Il m’a embrassé. Au début, j’y ai pas cru, je te jure, j’étais… Wow ! C’était wow ! Et il était… wow… Et devine quoi, Pattoune ! On est ensemble, maintenant. C’est grâce à toi, Pattoune. Merci. 

Le garçon dépose un baiser sur le haut du crâne du félin, et se laisse aller contre le tronc du grand cerisier. Il ferme les yeux et profite, le chat sur les genoux, protégé par les branches de l’arbre. 

Il sourit. 

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