Un café à la main
J'ai écrit cette OS à partir d'un tableau de Hopper, un artiste que j'aime bien pour ses tableaux.
Tableau en média.
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Elle rentre tous les soirs, dans ce bar. Elle s'installe à une table pour deux comme un automate, dans un petit coin, près d'une fenêtre et commande le même café.
Le même chapeau coiffant sa tête et le même manteau émeraude qui tombe sur ses épaules, alourdissant sa fine silhouette. Sa peau pâle est toujours aussi bien maquillée, ses lèvres rouges ressortant, ses yeux entourés d'un contour noir tracé au crayon, ses paumettes ressortant rose et ses mains vernis de rouge. Ses yeux sont d'un bleu si profond qu'on pourrait croire qu'elle y a versé plusieurs litres d'eau glacé. Ses cheveux noirs toujours bien coiffés et brillants retombent en ondulation autour de son visage avant de se déposer sur ses épaules. Elle porte toujours cette robe de soirée verte décorée de quelques pierres turquoises. Ses jambes dénudées sont croisées et chaussées d'escarpin noir vernis. Si on s'approche, on peut sentir une douce odeur de jasmin envahir les narines.
"Je reviendrais dans six mois"
Elle reste, chaque fois, toute la soirée seule, buvant son café. Ses yeux faisant des aller retour entre la porte, la fenêtre, son café et la piste de danse. Seulement elle ne bouge pas. Personne ne vient prendre la place qui se trouve en face d'elle et elle, elle continu d'attendre. La clientèle arrive et part, mais elle reste. Elle ne fait pas partit de ces gens qui oublient et bougent sans prendre le temps de respirer. Elle, elle s'accroche, comme une ancre au fond de la mer qui essaierait de retenir un bateau invisible lors d'une tempête.
"Je t'attendrais au café"
Un orage, c'est ce qu'elle vit en permanence. L'eau qui s'abat sur elle son ses larmes, le grondement de tonnerre son cœur qui lâche et les éclairs le peu de lumière qui lui est accordé.
Elle regarde la même montre qui se trouve toujours à son poignet droit, le même mouvement, ses yeux brillants légèrement. A chaque fois, cinq minutes précise après qu'elle ait vérifié l'heure, à 22heures, les soldats rentrent dans le bar, envahissant les tables et rompant le silence des seuls clients qui restaient.
"Je passerais la porte et t'inviterais à danser"
Elle lève, comme à chaque fois, pour la première fois de la soirée totalement la tête. Elle le cherche avec cette même étincelle dans les yeux. Quand ils ont terminé de passer la porte, quand ils se sont tous installés, quand elle les a tous contemplés, le peu de lumière auquel elle a eu le droit s'estompe. Aussi vite qu'un éclair. Aussi vite qu'un battement de cœur. Aussi vite qu'un coup de tambour. Comme une sentence de mort.
Elle reste et continue de fixer la porte.
Comme un automate.
"Je te ferais tournoyer sous les lumières et tu riras de ton rire cristallin"
23 h30.
Personne ne vient, tout le monde part. Elle attend et la dernière étincelle s'éteint, comme une étoile qui meurt, créant un trou noir derrière elle, aspirant tout ce qui peut faire du bien ou tout ce qui peut faire du mal. Une anesthésie complète, une anesthésie qui fait mal mais qui ne se sens pas, comme si le corps avait trop souffert et ne pouvait plus encaisser la douleur.
Abandonnant sa place près de la fenêtre, laissant quelques pièces sur la table, elle se lève lentement et regarde, comme toujours, la piste de danse une dernière fois.
"Quand je reviendrais de la guerre je te le promet."
Elle a mal, elle saigne, une blessure qui ne se voit pas, une blessure interne, une blessure des plus dangereuses car elle se trouve à l'intérieur.
Elle sait qu'elle pourrait renoncer. Elle sait qu'elle pourrait oublier. Mais savoir est-il suffisant ? Il y a toujours se "Et si..." qui la tourmente et l'emprisonne. Elle ne veut pas oublier. L'oublier serait le laisser partir une deuxième fois, le laisser mourir. Continuer serait le trahir. Refaire sa vie le tromper.
Pourtant, il lui suffirait juste de ne plus franchir cette porte tous les soirs, ne plus boire ce café, ne plus porter ce manteau, ce chapeau, ne plus se maquiller, ne plus l'attendre, ne plus continuer d'espérer alors qu'il n'y a plus d'espoir.
Pourquoi continuer de vivre quand la lumière s'est éteinte, comme une bougie sur laquelle on souffle avant de s'endormir ?
" Nous seront réunis et je pourrais de nouveau t'embrasser"
Elle sort, comme chaque soir, à la même heure du bar Les rues ne sont pas sûr, on le lui a répété, mais à quoi bon suivre les ordres ? Elle est déjà morte.
Les cloches sonnent: minuit. Le son résonne comme une sentence irrévocable, tout ce qui lui permettait d'espérer disparaît comme le carrosse de Cendrillon se transforme en citrouille, creuse à l'intérieur, à minuit. Voilà comment elle est: creuse, dépourvu d'émotion. Un automate qui avance seul, une coquille vide. Les larmes ne coulent plus. A quoi bon pleurer ?
La nuit est calme, à l'intérieur d'elle une tempête se déchaîne. Le vent marin est salé par la mer, elle n'a plus le goût à rien.
"Je ne veux pas du chemin des dames"
Parti à la guerre, pour une bataille inconnue, pour défendre un bout de terre qui ne nous appartient pas.
Dans sa poche, une feuille de papier est froissée. Elle n'a pas pu la jeter mais elle ne veut pas la garder.
Cette feuille qui annonce officiellement la mort d'un soldat est froissée, en boule, comme se trouve son cœur, comme se trouve sa vie.
Pourquoi s'attacher à quelqu'un si c'est pour ensuite souffre?
"Ce n'est pas un adieu, juste un en revoir."
La lune éclaire le ciel, mauvaise lune, qui reflète sa douleur. Une ombre se dresse sur son chemin.
Aujourd'hui elle ne rentrera pas comme tous les soirs chez elle.
Aujourd'hui elle ne se laissera pas tomber sur son lit vide.
Aujourd'hui ni demain d'ailleurs.
Elle ne reviendra pas. Ni chez elle, ni au café.
"On se reverra bientôt"
Les heures ont défilé, le soleil c'est levé et à la lumière du jour, un attroupement se forme dans la ruelle en face du café.
Sous le soleil, un corps vient d'être retrouvé, un couteau planté au niveau du cœur.
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