[TaeGi] Dis, Yoongi, est-ce que t'es heureux?

J'aurai aimé lui dire que j'étais désolé. Pour tout. Ça n'aurait rien changé, mais sans doute qu'à moi, ça m'aurait fait du bien. Peut-être que c'était égoïste. Peut-être que je ne pensais qu'à moi, encore une fois. Peut-être même qu'il s'en fichait. Mais moi, j'aurais aimé pouvoir lui dire et j'aurais aimé l'entendre me dire que rien de tout ça n'était grave, qu'il ne m'en avait jamais voulu.

Je regardai son casier résolument fermé et me l'imaginais en train de l'ouvrir. Je restais planté là un long moment à me remémorer ces moments que j'avais passé à le regarder souffrir. Les autres élèves dépassaient son casier comme si de rien n'était, comme s'il n'avait jamais fait partit de cet établissement et je ne pouvais m'empêcher de les détester. Pour ce qu'ils avaient fait, pour tout ce qu'ils m'avaient obligé à faire. Mais sans doute que j'étais le pire de tous.

Si je voulais être tout à fait honnête avec moi-même, je n'avais jamais aimé ce lycée. Je ne m'étais jamais senti à ma place. Pas que j'accordais beaucoup d'importance à tout ça, à dire vrai, je m'en fichais un peu d'être celui qui passait pour l'asocial du lycée. Au départ, je ne me sentais pas franchement concerné par tout ça. Je me contentais de venir en cours, comme tout à chacun, en tentant d'oublier que je détestais tous ces putains de codes sociaux qu'on nous obligeait à suivre.

Puis TaeHyung était arrivé. Il n'était pas tellement différent des autres. Je dirais qu'il dégageait juste un petit quelque chose qui m'attirait. Un peu, au début, puis beaucoup, vers la fin. Il semblait sympa, de loin. Il n'était ni très beau, ni très moche. Il était juste humain. Et de son sourire étrange à sa façon de marcher, il m'était étonnamment attrayant. Son casier était en face du mien, et j'en profitais souvent pour le regarder. Toujours de loin, toujours discrètement. Je n'aimais pas beaucoup le contact humain et même si c'était lui, je ne m'imaginais pas engager la conversation comme si tout était parfaitement normal. Pourtant, c'était tout ce que tout le monde faisait ici. Je trouvais ça bizarre. Bizarre et gênant.

En réalité, je ne le connaissais pas tant que ça. Je voyais de lui que ce qu'il voulait bien montrer. Mais ça me plaisait. Le voir chaque matin ouvrir son casier, récupérer ses cours et rejoindre sa classe me plaisait vraiment. Ça m'était suffisant ainsi. Je n'avais besoin de rien de plus. Ni de bonjour, ni de sourire, ni de regard. Je me contentais de peu. Presque de rien, au final.

Puis avec le temps, je remarquai que TaeHyung n'entretenait pas de bonnes relations avec les autres. Au début, je ne comprenais pas bien pourquoi. Il ne semblait pas être ce genre de personnes à chercher des ennuis là où il n'y en avait visiblement pas. Mais c'était ainsi. Les gens le regardaient étrangement dans les couloirs, le bousculaient souvent, l'insultaient discrètement en passant devant son casier. J'étais un simple spectateur passif de tout ça. Je regardais le film se dérouler devant mes yeux sans rien faire. Je n'étais ni triste, ni en colère, au début. Puis un jour, j'ai croisé son regard.

Je ne saurais dire ce que j'ai réellement pu y lire, à ce moment-là. Mais j'en avais le souffle coupé. TaeHyung n'était pas heureux. Je me rendais compte qu'il ne souriait plus comme au début, que l'étincelle visible dans ses yeux était doucement en train de s'éteindre. J'ai sentis mon cœur battre. Mais vraiment. Je l'ai ressentis comme si je réalisais tout juste que moi aussi, j'en possédais un. C'était curieux, comme sensation. Puis TaeHyung me regardait. Pour la première fois, je me sentais exister à travers le regard de quelqu'un et, sur l'instant, ça m'avait fait du bien.

Ça n'avait duré qu'une fraction de seconde, mais ce regard là me hantait encore aujourd'hui. Peut-être que c'était un appel à l'aide. Peut-être qu'il m'avait remarqué depuis longtemps. Moi, cet élève insignifiant, collé à son casier. Celui-là même qui le regardait souffrir en silence. Peut-être même qu'il tentait de me faire passer un message, ce jour-là. Message que j'avais fais semblant de ne pas comprendre.

Ça avait duré des mois. TaeHyung subissait, jour après jour. Des insultes, des humiliations, il recevait des tonnes de messages anonymes qui tombaient de son casier dès qu'il avait le malheur de l'ouvrir. Et j'étais là, à assister au spectacle de sa lente descente en enfer. J'étais là, à ne pas savoir quoi faire pour l'aider, à me demander si je méritais seulement le droit de le regarder.

Puis il y avait eu ce jour-là, dans une boutique où j'avais l'habitude d'aller. Comme toujours, j'avais salué le propriétaire et je m'étais pressé dans le rayon confiserie. J'étais en pleine révision, j'avais besoin d'énergie. Et mon énergie se renouvelait grâce à mes bonbons préférés. Ceux au caramel. Je me souviendrais toujours de l'expression de son visage, au moment où nos mains avaient saisit le même paquet. Il semblait embarrassé. Peut-être même plus que moi.

Il s'était excusé et j'avais encore cette image de lui en train de se gratter la nuque. Il souriait. Mais ce n'était pas ce sourire qu'il montrait au tout début de son arrivé au lycée. Il n'était plus aussi prononcé, plus aussi beau. J'étais vraiment intimidé par lui, ce qui ne m'arrivait que très rarement avec d'autres personnes. Mais je savais qu'avec TaeHyung, c'était différent. Ma façon de le regarder était différente et ce que je ressentais n'était sans doute pas tout à fait normal.

Cette fois-là, je m'étais contenté de l'excuser, avait récupéré mon paquet de bonbons et était rentré chez moi après l'avoir payé à la caisse. Mais ce genre de rencontre se renouvela souvent. A croire qu'on faisait exprès de se retrouver à la boutique au même moment, les mêmes jours. Dans un sens, c'était plutôt drôle. Dans l'autre, je me surprenais à espérer qu'il soit là à chaque fois que j'y allais. Ce lien qui nous unissait, bien que très faible, voir inexistant, me rendait heureux. Et ce n'était pas ce TaeHyung du lycée à qui j'avais affaire. Ce n'était pas celui qui recevait tant de haine et qui résistait comme il le pouvait. C'était juste TaeHyung, ce lycéen du même âge que moi, qui souriait quand il était gêné de me voir et qui s'excusait à chaque fois qu'il s'apprêtait à se servir en bonbons avant moi.

Et j'aimais énormément ce TaeHyung là. Celui qui existait en dehors de l'école et que j'avais le bonheur de connaître.

On avait alors pris l'habitude de faire un petit bout de chemin ensemble, nos sachets de bonbons respectifs dans une main, les pieds traînants, comme si on se refusait à se séparer trop rapidement. On ne se parlait pas beaucoup, mais je me souviendrais toujours de cette question qu'il m'avait subitement posé, comme sur un coup de tête.

Dis, Yoongi, est-ce que t'es heureux ?

Je n'avais rien répondu à ça. Je lui avais juste jeté un coup d'œil et j'avais espéré qu'il comprenne que je l'étais seulement les soirs comme ça, où on marchait l'un à coté de l'autre, comme si on était deux amis en quête de quelque chose qui n'existait certainement pas. Mais nous n'étions pas amis. J'ignorais ce qu'on était, mais amis, sans doute pas. Ou alors on ne l'était que quand ça nous arrangeait. Nous ne l'étions pas quand on se regardait furtivement, tous les deux flanqués devant nos casier respectifs. Nous ne l'étions pas non plus quand je le regardais de loin se faire bousculer et insulter par les autres. Et nous ne l'étions certainement pas quand je l'entendais pleurer dans les toilettes du lycée.

Il n'avait pas insisté. Ni rien dit de plus. Et arrivé à l'intersection suivante, il m'avait salué silencieusement, prenant un chemin différent du mien. Je l'avais regardé s'éloigner, jusqu'à ce que sa silhouette disparaisse dans l'obscurité. Ce soir-là, je me suis sentis triste, parce que j'avais l'impression d'avoir loupé quelque chose d'important. Quelque chose que j'aurais du saisir avant qu'il ne soit trop tard.

Le lendemain il n'était pas au lycée. Ni les jours suivants. Je ne l'avais pas revu non plus à la boutique, quand bien même je prenais un temps infini à choisir mes bonbons alors que je savais parfaitement lesquels j'allais acheter. Je passais tout mon temps à le chercher du regard à l'école, espérant le voir apparaître de nulle part. Mais cela n'arriva jamais. Et la semaine suivante, quand notre professeur principal nous annonça qu'un malheur était arrivé à l'un des élèves de l'établissement, je sus directement de quoi il en retournait.

Pour être franc, je n'avais pas écouté un traître mot de ce qu'il avait raconté par la suite. Ce n'était qu'avertissement, prévention, choses inutiles maintenant que TaeHyung n'était de toute façon plus là. Je repensais à cette lueur dans ses yeux, celle qu'il n'avait définitivement plus le soir où il m'avait demandé si j'étais heureux. Je repensais à ses demi-sourires, faux pour la plupart. Je repensais à ses doigts se refermant sur le paquet de bonbons qu'on convoitait tous les deux. Je le revoyais marcher près de moi la nuit, silencieux, pensif et si beau.

Et je repensais à ce regard. Ce premier regard qu'on avait échangé et toutes ces choses que j'avais eu l'occasion d'y voir. Y avait tant à faire pour lui, mais je n'avais rien fait. J'étais resté planté là, à le regarder mourir de l'intérieur. Je repensais à tous ces gens qui avaient fait de sa vie un enfer, juste parce que sa tête ne leur revenait pas. Toutes ses personnes qui s'étaient ligués contre lui parce que c'était apparemment ce qu'il fallait faire pour être bien vu. Tous ces élèves qui avaient participé à sa mort sans même s'en rendre compte.

Et j'en faisais partit. Sans doute même que j'étais le pire de tous. Parce que j'aimais TaeHyung. Je l'aimais dans mon coin, discrètement, sans même savoir pourquoi j'en étais arrivé à l'aimer à ce point-là. Je ne pensais pas que ressentir autant de culpabilité était possible. Je m'en voulais de ne pas avoir eu le cran de lui dire que sa présence comptait pour moi, même si ça aurait pu lui paraître stupide. J'aurais aimé avoir le courage d'être amis avec lui, et pas seulement ces soirs-là où on se retrouvait à la boutique, mais partout et aux yeux de tous. J'aurais aimé pouvoir marcher à ses cotés dans les couloirs de ce lycée et prendre un peu de son fardeau sur mes épaules.

Mais c'était trop tard.

TaeHyung n'était plus là.

Alors, les yeux rivé à son casier verrouillé depuis longtemps maintenant, je me l'imaginais débarquer et l'ouvrir. Chaque matin, je me représentais cette scène et j'essayais d'y croire très fort. Je revoyais son dos tandis qu'il ouvrait ce fichu casier. Puis sa routine habituel s'enclenchait, il récupérait ses cahiers, vérifiait plusieurs fois qu'il n'oubliait rien, parfois même il restait de longues minutes à passer au crible tous ses bouquins, comme pour se couper un instant du monde qui l'entourait.

Et à ce moment-là, je me le représentais en train de se tourner vers moi et me sourire. Un vrai sourire. Pas un grand, pas un resplendissant, juste un vrai sourire. Puis je me l'imaginais se diriger vers moi, naturellement, comme si tout était parfaitement normal. Et alors, à ce moment-là, il me reposait la question. Celle à laquelle je n'avais jamais répondu. Celle à laquelle j'aurais assurément du répondre.

Dis, Yoongi, est-ce que t'es heureux ?

Et à cet instant, sans aucune foutu hésitation, je lui aurais répondu que non, je n'étais pas heureux, mais qu'on pourrait très bien essayer de l'être à deux.

Au moins rien qu'un peu.

[...]

Comme prévu, je commence à mettre quelques OS déjà postés ici.
Des câlins.

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