Prologue : Nœud insurmontable

Pourquoi noir ? Pourquoi pas jaune, vert, ou bleu ? Non c'est ... noir. Noir, c'est terne. Comme si on ne ressentait rien, comme si nous n'étions que de simples enveloppes corporelles sans émotions, comme si nous aussi nous étions morts.

Je balaie du regard l'espace autour de moi. Tous ces gens qui ont le regard rivé sur le sol en écoutant les paroles du prêtre qui résonnent dans l'église, tous vêtus de cette couleur fade. De cette couleur triste. Accablante. Funèbre.

Une larme roule silencieusement sur ma joue.

En apparence, je n'ai jamais eu l'air si calme, pourtant en moi, ce n'est que tempête, guerre, hurlements, déchirements et supplice. En me voyant simplement avec mes cheveux châtain clair remontés en chignon tressé, ma robe-trapèze, et mon mascara mettant en valeur mes yeux qui hésitent entre le vert et le marron, on peut penser que je vais bien.

Malheureusement, c'est tout le contraire.

Il suffit de remarquer la petite goutte qui trace un chemin sur mon visage et qui casse l'harmonie.

Cette simple perle prouve que je suis tout sauf bien. Elle prouve que les évènements que j'ai vécus étaient loin d'être sympathiques. Elle prouve la douleur qui enfle dans ma poitrine à chaque instant. Elle prouve ma colère, ma culpabilité, ma haine, ma soif de vengeance...

Comme quoi, une larme peut symboliser beaucoup de choses.

Elle dégringole, laissant une traînée salée sur ma peau et s'arrête un instant, arrivée au bout de mon menton. Ici, elle incarne le renouveau, le tournant que va prendre ma vie à partir de maintenant.

Je baisse les yeux et la regarde s'écraser au sol.

Voilà.

Suis-je destinée à la même chose ?

Mes paupières papillonnent pour chasser une nouvelle rebelle qui tente de s'échapper et je me reconcentre sur le moment présent.

- Si vous êtes tous réunis aujourd'hui, c'est pour célébrer ce triste évènement...

Je replace nerveusement une mèche derrière mon oreille.

- ... nous regrettons tous cet homme à qui la vie a été ôtée violemment...

Très violemment même, songé-je avec dégout.

- ... il aurait dû être à nos côtés à cet instant, mais malheureusement, la violence et la haine existent sur cette planète...

Un gout de bile envahit ma bouche.

- ... et à présent il est parti.

Il est parti et c'est ma faute. Uniquement et purement ma faute.

Mes jambes se mettent en marche et je suis la longue file, ma rose à la main. Je la serre tellement fort qu'une épine déchire ma peau. Mais cette douleur, ce n'est rien. Rien comparé à l'autre. Celle qui habite ma poitrine.

Je ne sais par quel miracle, mes pas se succèdent, un à un. Je me force à focaliser mes pensées uniquement là-dessus, mettre un pied devant l'autre. Ne pas pleurer. Ne pas crier. Ne pas craquer. Juste tenir bon.

Je suis tellement concentrée sur ma démarche que ce n'est qu'en relevant la tête que je me rends compte que c'est à mon tour. Le cercueil et à quelques centimètres de moi. Du bout des doigts, j'effleure le bois sombre.

Si je veux respecter la tradition, je dois prononcer mes dernières paroles, poser ma fleur et laisser la place au suivant. C'est simple non ? Une phrase, une fleur, et c'est fini.

- Adieu papa.

Deux mots. C'est tout ce que j'arrive à articuler avant de lâcher la rose à côté des autres et m'éloigner. Je passe devant maman qui accepte les condoléances de chacun des invités sans la regarder et je sors de l'église.

Ce dernier mois après sa mort a été tellement étrange que j'ai à la fois l'impression qu'il a duré une éternité mais en même temps, il semble s'être déroulé en un claquement de doigt. Une chose est sûre, je l'ai vécu à travers mes larmes, ma rancune, ma colère et tous les sentiments qui l'accompagnent.

Ça a d'abord été un choc, j'avais l'impression d'être tombée de dix étages. Je revois encore maman s'approcher pour me l'annoncer, sa voix brisée, ses sanglots étouffés. Elle s'est avancée avec une mine désolée et m'a annoncé la pire nouvelle qu'il puisse y avoir. Ensuite, il y a une période de flou où aucune de nous deux ne savait comment réagir. Le corps de papa était à l'examen, nous attendions dans la douleur et le silence un silence glacial et insupportable. Nous attendions une explication. Nous ne parlions pas. Que veux-tu dire dans ce genre de moment ? Rien.

Puis.

Le verdict est tombé. Le nom. Le nom du coupable :

Laurent Viallon.

Je n'en avais jamais entendu parler, il s'est avéré être un collègue de papa. Un simple collègue. Comment sont-ils arrivés à ce niveau de haine ? Comment sont-ils arrivés au point de se servir de leurs mains pour frapper ? Pourquoi ? On n'en sait rien.

Les policiers ont la certitude que cet homme est le responsable et il n'y a visiblement aucun doute. Son sang et son ADN étaient partout. Tout laisse à penser que c'est une simple bagarre qui a dégénéré.

Pourtant, je connais mon père, du moins je croyais le connaître et il serait bien le dernier à frapper à ce point un collègue. Jamais il n'aurait pu infliger de telles blessures. C'est illogique. De toute manière, il n'y a pas que ça qui est illogique dans l'histoire. Tout.

Au début, j'ai tout simplement refusé d'y croire, je n'écoutais même pas ce que la police avait à me dire, je me refermais simplement dans ma bulle. Ma bulle pleine de remords et de culpabilité. Ma bulle de mal-être. Mais je savais que cette bulle qui causait tant de douleur, je la méritais amplement. J'en méritais même dix. Vingt. Mille.

Une main se pose sur mon épaule, par réflexe, je me retourne vivement et je croise deux yeux chocolats qui me fixent avec inquiétude, j'ai un mouvement de recul.

- Lisa...

Sa voix est lasse. Il a bien dû remarquer que ces dernières semaines j'étais plus que distante avec lui, alors pourquoi s'acharne-t-il à venir me voir ? Sans un mot, je m'écarte de quelques pas et je m'assois sur le rebord du trottoir. Du coin de l'œil, j'observe sa réaction, Julien semble décontenancé, puis il secoue légèrement la tête et retourne dans l'église.

C'est bien mieux ainsi.

Qu'il reste avec sa Romane et qu'il me fiche la paix. C'est tout ce que je demande.

Julien a été mon meilleur ami, mon frère et peut-être même plus. Mais depuis peu, notre lien s'est, en quelques sorte, brisé. En partie à cause de Romane qui lui tourne autour depuis des années, et l'autre partie, je pense que j'en suis responsable. Tout a démarré cette nuit. Lui seul est au courant de ce qu'il s'est passé, de mes heures à guetter pour voir qui allait poser cette bombe qui était censée causer ma mort. Je n'ai pas parlé à Julien de l'étrange comportement de mon père, je ne lui ai pas parlé de ses coups de téléphone, de mon incompréhension. Un fossé s'était creusé entre lui et moi. Quelques jours plus tard, le drame. Le décès de mon père.

Les minutes passent, j'entends des discussions, des souvenirs sont évoqués mais je ne peux ni les écouter, ni y prendre part. J'ai besoin de tranquillité. Et je suis tout simplement incapable de prononcer un seul mot devant tous ces visages vaguement familiers. Rien que d'y penser ma gorge se serre violement. Pourtant, ça n'a pas été le cas à la mort de Jade, ma meilleure amie, il y a un peu plus d'un an. À cette époque, j'avais parlé, j'avais enlacé des proches, j'avais même souri, tristement, mais j'avais souri ... je ne sais même plus quel effet ça fait sur les lèvres, de sourire. Sûrement que je n'y arriverais plus si l'envie me prenait. Mais lors de l'enterrement de Jade, j'étais simplement triste et dévastée. À présent, je suis triste, dévastée ... et responsable.

Malgré les nombreux jours qui se sont écoulés depuis ce jour fatidique, j'ai l'impression que je n'ai toujours pas réussi à démêler mes pensées chaotiques. J'ai juste un énorme nœud qui parait insurmontable à défaire. Un entrecroisement de sentiments, de phrases, d'évènements, de questions, de suspicions ... Un gros tas.

Un jour, vais-je réussir à y voir clair, et à défaire couche après couche cette montagne ? Est-ce qu'une colline restera à la place ? Ou vais-je tourner la page et faire table rase sur mon passé ? Je l'ignore et seul le futur nous éclairera.

Laurent Viallon.

Ce nom résonne dans ma tête.

Je le sens mal. D'après les photos de cet homme ce n'est pas le même que celui qui a posé la bombe sous la voiture. Peut-être qu'ils sont complices. Mais ça me parait totalement invraisemblable. Mon père se battre ? Faire saigner un collègue ? Lui infliger des bleus et des lésions ? Ça ne lui ressemble absolument pas. Pourtant la police est certaine d'avoir trouvé le responsable. Laurent Viallon. Il est actuellement en détention provisoire, en attente de son procès. Donc l'histoire est réglée.

Laurent Viallon a tué mon père.

Laurent Viallon. Les paroles de l'officier me reviennent en mémoire. Il a baissé la tête et a dit calmement ce foutu nom.

Laurent Viallon.

Les mots prennent de l'ampleur et je l'entends de plus en plus fort dans mon esprit. Comme un long hurlement qui irait crescendo. Il sonne si violement contre les parois de mon crâne que je suis obligée de plaquer précipitamment mes mains contre les oreilles. Je n'ai que vaguement conscience de ma tête qui tape contre le goudron. Mes oreilles sifflent à mesure que la douleur se répand.

Je hurle. Je souffre.

Je ne suis plus que tourment.

Souffrance.

Bruit.

Mal.

Noir.

Rien.

Alooors ? Vous en pensez quoi de ce prologue ?😊

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