Flash-back

L'histoire est longue et loin d'être gaie. Ce que je vais raconter aujourd'hui, je l'ai déjà prononcé une fois, devant mon avocat. Je ne dis pas que je détiens la vérité absolue, simplement que je vais tout vous dire, tout ce dont je me souviens, tout ce que je sais, tout ce que j'ai déduit.

Avant, il y a quelques années, nous étions une bande de potes. Le genre de potes malsains qui partagent une soirée illégale mais qui ne se connaissent pas tant que ça. On savait ce qu'il y avait à savoir pour chacun de nous. On avait tous, nos raisons de faire partie de cette bande de délinquants. Malheurs, solitude, égo, dépendance... on avait chacun notre problème, moi le premier. Et tous ces problèmes, on les noyait dans les nuits toutes aussi nuisibles que nous. À chacune de ces soirées, il y avait drogue, alcool et tout le bazar.

J'étais le plus réticent de nous quatre pour toutes ces conneries, mais il faut avouer que j'y prenais régulièrement part. Lahe, Renon et Mithau les enchainaient à tour de bras. Le plus ironique dans cette affaire, c'est que je bossais au commissariat, j'avais un poste plutôt haut placé, je gagnais ma vie et je passais mon temps à traquer des gens comme nous. C'est peut-être ce foutu métier qui m'a fait sombrer qui sait...

Un jour, un soir, j'étais toujours au bureau, je n'avais pas le choix, quand il se sont rendus à une soirée. Évidemment, ils m'ont proposé de venir, mais je ne pouvais pas dans un premier temps. Vers vingt-deux heures, quand je suis sorti du commissariat, j'étais fatigué, et je ne voulais pas les rejoindre avec autant en retard. Je ne pourrai pas intégrer le groupe et intégrer les conversations si j'arrive sobre trois heures après. J'ai malgré tout hésité un peu puis je suis rentré chez moi. Seul, mais sobre et conscient de mes actions.

Une fois dans mon appartement, je me suis rapidement endormi, rien ne me retenait, je n'avais personne à qui parler, personne à voir, personne. Vers trois heures et demi du matin, j'ai reçu un coup de téléphone. La voix paniquée de Lahe m'a immédiatement réveillée ; aussi efficace que si on m'avait versé un seau d'eau glacée sur la tête. Ses mots résonnent encore dans ma tête aujourd'hui, ils ont marqué un tournant décisif dans ma vie. C'est là que la bande a basculé du mauvais côté.

- Viallon ramène toi ! hurle une voix que j'identifie très mal dans le bruit.

- Quoi ? marmonné-je.

- Un gars est inconscient ! Ça se trouve qu'il est mort, mort putain ! Tu m'entends ? Ramène -toi immédiatement !

Mon sang ne fait qu'un tour, je me redresse comme un ressort.

- Qu'est-ce que vous avez foutu ? crié-je à mon tour.

- Tu sais ce que c'est ce genre de soirée, c'est partie en couille, et il nous a tapé sur les nerfs ce petit con. Viens !

- Pour quoi faire ? Tirez-vous c'est tout ce que je peux vous conseiller. Que je sois là ne changera rien, dis-je.

Lahe se tait un instant.

- On en fait quoi du type ? crache-t-il.

- Rien du tout. Partez. Partez en priant fort pour qu'on ne remonte pas jusqu'à vous.

Après cette soirée, tout a changé. Deux jours plus tard, le gars est décédé et on peut dire que ça s'est accéléré. Une enquête a été ouverte. Creuze devait s'en charger mais Lahe, Renon et Mithau étaient paniqués. Ils me disaient qu'il fallait absolument que je m'en charge et que je les écarte rapidement de la liste des suspects.

J'étais sceptique, je n'étais pas réellement concerné par cette soirée puisque je n'y avais pas participé. Mais j'avais répondu au téléphone, je côtoyais ceux qui étaient responsables de la mort de ce pauvre mec, ça me rendait complice d'un homicide et ça, j'en avais parfaitement conscience. À ce moment, j'avais deux possibilités, les soutenir ou les dénoncer, mais je ne pouvais pas me positionner au milieu.

De nombreuses fois j'ai été tenté de les dénoncer mais ils savaient me menacer, me violenter un petit peu, un petit peu mais suffisamment pour me convaincre de m'associer à Creuze durant l'enquête en planifiant d'écarter les trois de la liste des suspects.

Les premiers mois, ça n'avançait pas tellement et je m'appliquais à tenir au courant Lahe des moindres découvertes. Plus ça durait, plus Creuze s'investissait dans cette enquête et plus je me sentais mal. Plus je me sentais responsable.

Ça allait trop loin des deux côtés, Lahe me mettait la pression pour que je dévie l'enquête, chaque jour, je recevais une quantité de mails, d'appel et il venait me voir jusque chez moi pour que je lui raconte l'enquête, pour me forcer à brûler des documents et faire disparaître des informations.

Mais ça allait trop loin aussi pour Creuze, il a compris que des choses étranges se passaient et que des papiers disparaissaient et il a commencé à ramener tout chez lui. Il s'investissait encore plus dans cette affaire en sachant qu'une personne concernée lui tournait autour. Plus le temps passait et plus il s'y impliquait en bravant un à un tous les codes et tous les protocoles.

Au milieu de ça, j'étais tiraillé, conscient d'être tout sauf à ma place. Alors j'ai craqué et je suis allé voir Lahe avec un faux sourire.

- Ne t'inquiète plus, l'enquête a été classée sans suite, dis-je en le regardant dans les yeux.

- Vraiment ? Et pourquoi ça ? demande Éric Lahe avec un regard intrigué, presque menaçant.

- Le temps est écoulé, l'enquête n'a abouti à rien, elle est classée sans suite, mens-je.

Les yeux pleins de soupçons de Lahe ne me quittent pas. Puis il semble se résigner, hoche la tête avec approbation.

- Voilà une bonne chose de faite. Et je te préviens, tu n'as pas intérêt à me raconter de la merde.

À ce stade là, je pensais avoir pris la bonne décision, m'être protégé. Je venais en fait, de signer pour bien pire, mais ça, je ne le savais pas encore.

Creuze a commencé à partir dans son coin, à ne plus me parler de rien et à tout faire à sa manière. Ça m'allait très bien, je me suis reconcentré sur autre chose, sur d'autres enquêtes, j'avais enfin la paix.

Oui j'étais tranquille. Malheureusement ça n'a pas été éternel, loin de là. Tout a une nouvelle fois dégénéré.

Creuze est allé trop loin, il a été jusqu'à frapper Mithau qui ne voulait pas le laisser rentrer dans son appartement sans mandat. Durant cette intervention illégale, j'étais au commissariat, sans me douter de rien, pensant qu'il avait simplement pris un jour de congé. Je ne sais pas ce que Creuze a trouvé dans l'appartement de Mithau mais il avait fait ce qu'il ne fallait surtout pas faire : il avait rappelé à la petite bande qu'il était toujours sur l'enquête.

À partir de là, tout est allé très vite. Le soir même, Lahe m'attendait à la sortie de ma journée. Je ne l'avais jamais vu aussi furieux et haineux.

- Tu nous as menti, je croyais qu'elle était classée sans suite !

C'est la dernière phrase que j'ai entendue avant de perdre connaissance. À mon réveil, la douleur était partout et ils ne s'arrêteraient pas là, je le savais. Ils m'ont frappé jusqu'à ce que je crache du sang. Plus je leur disais que je n'étais pas au courant de l'enquête plus ils frappaient fort.

C'était la panique. Ils ont rapidement compris que Creuze les avait démasqués, que ce n'étais plus qu'une question de jour avant que les preuves ne soient réunies.

Ils ont alors pris une décision stupide, mais qui leur semblait légitime et toute tracée. Ils ont purement et simplement décidé d'éliminer Creuze avant qu'il ne puisse rapporter ce qu'il avait découvert au cours de ses investigations.

Je devais être celui qui allait poser la bombe, Lahe voulait me salir les mains, il voulait que je sois tout autant impliqué qu'eux. Mais je n'étais pas en état ce soir-là. Il s'en est donc chargé lui-même en me promettant de faire de ma vie un enfer.

Par je ne sais quel miracle, la bombe n'a pas explosé. Lahe m'a aussitôt accusé de l'avoir rendue défaillante, chose que je n'avais absolument pas faite puisque je n'avais pas touché à cette bombe.

Plus Creuze courait et plus il devenait capable les dénoncer en réunnissant des preuves officielles. Moi j'étais forcé de rester dans le garage de Renon, seul, enfermé et meurtri. Pendant qu'un étage plus tôt ils élaboraient un nouveau plan pour tuer Creuze. La haine de Lahe était grandissante et je me doutais que j'allais être le centre de ce nouveau plan. Ça n'a pas raté.

- Où sont tes clés ? Les clés du bureau du commissariat ! hurle Lahe dans mes oreilles.

D'un bras tremblant, je montre la poche de mon blouson et Lahe m'empoigne par le bras. Il me fait monter dans la voiture et je le guide jusqu'au commissariat.

Avec du recul, j'ai conscience que j'aurais dû l'emmener n'importe où sauf vers Creuze, mais je n'avais pas tout mon esprit, j'avais mal et je voulais juste que tout ça cesse. Peu importait le prix, je voulais que tout s'arrête.

- On va passer le bonjour à ton petit collègue, ricane Lahe tandis que Renon et Mithau approuvent à l'arrière de la voiture.

À partir de là, mes souvenirs sont flous, mais j'ai conscience que l'on m'a enfermé dans le bureau de Creuze, Lahe, Renon et Mithau s'agitaient et déposaient des preuves. Ils allaient jusqu'à me forcer à répandre de mon sang dans la pièce. Je peinais à garder les yeux ouverts et j'ai eu vaguement conscience qu'ils me ramenaient dans la voiture avec Lahe. Ce n'est qu'une trentaine de minutes plus tard que Renon et Mithau sont revenus en enlevant des gants.

La voiture a démarré avec un vrombissement énorme et nous sommes partis. Ils m'ont ramené chez moi et ont disparu. Je ne les ai jamais revus. Creuze a été retrouvé mort, mes empreintes, mon sang, mon ADN était partout, bien que je n'aie pas touché à mon ancien collègue et j'ai rapidement été transféré ici tandis qu'ils cavalent encore.

Il y a de nombreuses choses que je regrette, je sais bien que je ne suis pas tout blanc, mais une chose est sûre. Je n'ai pas tué Creuze. Il ne me reste plus qu'à le prouver.

La voilà toute l'histoire.


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