Chapitre 8 : Garder ses distances

Cette jolie fille aux cheveux noirs, je la connais, très bien même. Mais elle, ne me connait pas encore. Ambre. Pleins de souvenirs remontent, cette fête où je devais aller avant que ...

- Du coup ? Tu viens avec nous ?

Je sursaute à nouveau.

- Euh ... oui !

Je plaque un sourire sur mon visage. De toute façon, ça ne pourra pas être pire que de manger toute seule dans mon coin, si ?

- On est par là-bas.

Je la suis, mon plateau à la main.

Les gens se retournent et m'observent, je leur lance mon regard le plus mauvais.

- Je te présente, Louane et Amélie, dit Ambre en s'asseyant. Les filles, c'est ... Lisa je crois ?

J'acquiesce. Et Louane prend immédiatement la parole.

- On te connait, tu es la meilleure amie de la fille ... celle qui est mo ...

- Oui de Jade, coupé-je

- C'est ça. Jade.

Je me sens mal à l'aise, toutes ces filles me disent vaguement quelque chose mais pour elles, je ne suis qu'une inconnue.

- Tu vis comment son décès ? demande impoliment Amélie.

Je manque de recracher ma bouchée.

- Les filles ! On va parler d'autre chose enfin ! s'exclame Ambre en venant à ma rescousse.

Je la remercie à voix basse et elle a le tact de porter le sujet sur un devoir d'espagnol. Ces filles ne sont pas dans ma classe, mais nous sommes un petit lycée, il n'y a que très peu de secondes, on a donc presque toutes les mêmes professeurs.

Quand le repas se termine, Ambre m'accompagne vers mon casier tandis que Louane et Amélie se rendent aux toilettes.

- Je suis désolée, elles sont un peu ... disons qu'elles parlent avant de réfléchir, marmonne Ambre.

- Ce n'est pas grave, c'est gentil de m'avoir invitée à votre table.

Elle sourit en hochant la tête et elle m'assure que c'est normal. Je vois qu'elle aussi brûle de me poser des questions mais elle ne dit rien. Nous nous remettons à parler et j'évite soigneusement tout ce qui pourrait toucher Jade. Je ne suis pas encore prête.

J'attrape mes manuels et je referme mon casier. Les parents de Jade sont déjà venus récupérer toutes ses affaires mais il reste l'autocollant Yin-yang sur le cadenas. Je souris tristement à sa vue.

Juste après la pause, pour mon plus grand malheur, j'ai maths. Ce qui signifie Mathis à côté, la prof insupportable avec ses remarques presque racistes, elle dénigre les élèves qu'elle ne juge pas à la hauteur et ne se concentre que sur trois assis au premiers rangs, conclusion : une nouvelle heure interminable.

Je ne m'étais pas trompée, le cours passe à deux à l'heure. Mathis tente d'engager la conversation mais je ne réponds rien en faisant mine d'être absorbée par ma fiche d'exercices. Il me fait presque de la peine à insister mais je n'ai clairement pas la tête à ça aujourd'hui.

Quand enfin la dernière sonnerie de la journée me libère de ce calvaire, je fourre mes affaires dans mon sac et je sors de la salle la première.

Sur le trajet du retour que j'effectue seule, je consulte mes messages en espérant que Julien me dise qu'il me croit, qu'il me pardonne et qu'il va m'aider. À la place de ça, rien. Je suis tentée de lui écrire juste un « Ça va ? » mais je me souviens de ses paroles : j'ai besoin de garder mes distances quelques temps ... Je me contente donc de l'éteindre et de le glisser dans ma poche.

Quand je rentre, maman est déjà là. En ce moment, elle est en permanence à la maison ma parole !

- Tu es déjà rentrée ? dis-je en guise de bonjour.

- Oui.

- Tu ne travailles pas ?

- Si, mais je me suis libérée la fin de journée pour être là à ton retour.

Maman travaille dans une boutique du centre-ville. Elle et la patronne sont très amies et je suppose que maman lui a fait les yeux doux pour se libérer des heures. En réalité, c'est une bonne intention mais je commence à trouver tout ça un peu envahissant...

- Bonne journée ? me demande-t-elle.

Je suis tentée de lui répondre « Non pourrie » mais je sais que ça entrainera une série de questions et d'inquiétudes que j'aimerais autant éviter. Je choisis donc d'opiner.

- Parfait. Et tu as bien mangé à la cantine ? Tu veux grignoter quelque chose ?

Je lève les yeux au ciel, elle devient carrément maman-poule !

* * *

Le lendemain, c'est le week-end, j'attends tout le samedi des nouvelles de mon meilleur ami : rien. Je passe le dimanche au fond de mon lit en déprime, et en multipliant les crises de larmes. Je trouve quand même le temps de préparer mon discours pour l'enterrement.

Le lundi, je ne retourne pas en cours car la cérémonie a lieu à dix heures. Je redoute ce moment. Rien que d'y penser mon estomac se tord.

Mais je n'ai pas le choix, il est neuf heures quinze, il faut que je me bouge.

J'enfile une robe noire, simple en trapèze, j'attache mes cheveux et je me rends dans la salle de bain. Une fois devant le miroir, j'observe mes cheveux châtain clair et mes yeux presque mi-vert, mi-marron. Même en regardant longtemps, je n'arrive pas à définir laquelle de ces deux couleurs surpasse l'autre.

Parfois je me demande, pourquoi Jade et pas moi ? Un accident peut survenir à tout moment et pour n'importe quelle raison, alors pourquoi il a fallu que ce bus emporte Jade ? Tout aurait été plus simple si je m'étais trouvée à sa place...

J'attrape un tube de rouge à lèvres, la couleur est sombre, presque violette, ça suffira pour aujourd'hui.

Maman s'est mise sur son trente-et-un. Papa, lui, avait prévu de venir mais il a dû annuler à la dernière minute pour une affaire urgente, de mon point de vue, son métier est beaucoup trop prenant ! Je les ai entendus se fâcher tellement de fois à ce sujet. Et sur ce point, je suis d'accord avec ma mère, papa n'est vraiment jamais à la maison.

Maman et moi n'échangeons pas une seule parole de tout le trajet. Son regard reste braqué sur la route, le mien sur mes chaussures. Elle pince les lèvres qui forment une barre rouge sur son visage et ses mains serrent plus fort que nécessaire le volant.

Une fois arrivées, nous nous dirigeons vers le lieu de cérémonie, près de la salle des fêtes et je me mêle à la foule. Je connais vaguement certaines têtes, d'autres me sont inconnues. Au loin, je vois Julien et Roman en pleine conversation, cette dernière pose sa main sur son épaule. Je détourne la tête.

- Lisa, c'est gentil d'être venue, me dit la mère de Jade, me sortant de mes pensées.

- C'est normal.

Sa mère a la même peau brune que Jade, et leurs visages se ressemblent énormément, je sens les larmes monter. Elle me manque ! Sa mère me presse l'épaule et s'éloigne saluer d'autres invités. Les parents et la famille de Jade sont adorables, et je les connais plutôt bien. Depuis le décès de ma meilleure amie, je ne les ai pas revus.

Tout en me remémorant les nombreux repas que j'ai partagés avec eux, je m'avance car la cérémonie débute. Le silence se fait.

Ses parents parlent, ainsi que ses grands-parents, ses oncles et tantes, toute la famille y passe. Nous pleurons tous ensemble. C'est dur, très dur. J'aurais aimé que mon meilleur ami soit à mes côtés pour surmonter cette épreuve, comme il l'a été lors de la « première cérémonie » celle de mes souvenirs, malheureusement il ne m'adresse même pas un regard. C'est maman qui me tient la main en m'encourageant.

Je stresse, je sais que mon tour au micro arrive bientôt, je ne sais même pas si j'aurai le courage de prononcer un mot, pourtant il le faudra.

Mes jambes tremblent, mon cœur bat vite, mes larmes coulent. Mais je dois le faire. Pour elle.

- Je...

Ma voix se brise, je ferme yeux. Allez Lisa !

- Jade était ma meilleure amie depuis des années et...

Je suis forcée de fermer à nouveau mes paupières, trop d'émotions.

- Nous formions le Yin-yang. Jade aimait dire que nous étions jumelles de l'intérieur et opposées de l'extérieur. Avec elle, je me sentais bien, on parlait de tout et de rien, on s'est toujours soutenues l'une l'autre. S'il y en a une sur cette planète avec qui je pouvais discuter pendant des heures, c'était elle.

» Elle ne méritait pas, si brusquement. Jade a toujours été la meilleure de nous deux, au collège mais aussi ailleurs. Je ... je ne sais pas comment je vais survivre sans elle, nous étions faites pour avancer à deux, je suis comme un vélo à qui on enlève la roue avant.

Je prends une grande inspiration.

- Jade, si tu m'entends où que tu sois, sache que je suis désolée et que je t'aime cocotte.

Je repose le micro sur son socle provoquant un raclement qui résonne dans les baffles et je descends de l'estrade. Maman m'étreint et c'est au tour des suivants. Julien vient dire quelques mots, de même pour Romane, Mathis et tout le groupe. Je les regarde passer, la gorge nouée. La cérémonie se termine vers midi puis nous nous rendons au cimetière. Je ne compte plus le nombre de mouchoirs que j'ai utilisés. Je dois vraiment avoir une tête horrible, heureusement que je n'ai pas mis de mascara. Ma tête bourdonne, comme à chaque fois que je pleure trop.

Tandis que nous passons nous recueillir et déposer une fleur devant la tombe, une main chaude se glisse dans la mienne. Je me retourne. Julien.

- Qu'est-ce que ... ?

Il ne répond rien et m'entraîne à l'écart, la mine sérieuse. Je me laisse faire tandis qu'on s'éloigne de l'attroupement.

- Lisa, j'ai beaucoup réfléchi et...

Je retiens mon souffle.

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