Chapitre 6 : J'ai dit non !

Douleur, détresse, solitude, horreur, dégout, haine, amour, tristesse...Deuil.

Je pense que ce cocktail de ressentis résume exactement mon état d'esprit. Je suis au plus mal. Je me sens sans énergie, j'ai la tête qui tourne et je n'arrive pas à réfléchir.

Je me répète en boucle : « C'est ma faute ». Car j'aurais pu l'empêcher, j'aurais pu la prévenir de façon plus convaincante, je n'aurais pas dû croire la psy et puis j'aurais...

On toque à la porte.

- Lisa on mange, me dit maman. Tu viens ?

- Non.

- Il faut que tu prennes des forces, on sait que c'est dur mais...

- J'ai dit non !

Il y a un petit silence puis j'entends ses pas s'éloigner dans le couloir.

Je me roule en boule sur mon lit et je ferme mes paupières. Peut-être qu'à mon réveil ce ne sera qu'un cauchemar. Je donnerais tout pour que ce ne soit qu'un cauchemar.

* * *

J'entrouvre mes paupières, éblouie par la lumière de ma lampe. Je me sens faible. Vide. Seule.

Je me redresse et j'appuie sur l'interrupteur pour éteindre et me replonger dans mes oreillers, mais le mal est fait, je suis réveillée. Je rallume. En jetant un coup d'œil à mon réveil, je vois qu'il est presque minuit. Mes yeux se posent ensuite sur le carnet abandonné sur un coin de mon bureau.

Je finis par l'attraper et je poursuis ma lecture, je me plonge dans un autre univers. Je lis ces phrases qui sont sorties si vite et si violement de ma tête. Je lis la mort de Jade, je lis la séparation du groupe, puis la réconciliation, je lis... ma mort. Je n'entends même pas maman entrer dans ma chambre et je ne remarque sa présence que quand elle s'assoit à côté de moi sur le lit.

Je referme brutalement mon carnet.

Maman me caresse la joue. Je tressaille.

- Tu lis quoi ?

- Rien.

Nerveusement, je glisse le carnet sous mon oreiller pour la décourager de poursuivre son interrogatoire.

- Comment te sens-tu ?

Apparemment, elle a compris le message.

- Bien.

Que veut-elle que je réponde ? Que je pète la forme et je n'ai jamais été aussi heureuse ? Elle soupire.

- Il faut que tu manges quelque chose Lisa, je suis inquiète.

Je hausse les épaules, je n'ai même pas faim.

- Tache de te reposer un peu au moins...

J'acquiesce faiblement.

Ses bras m'encerclent et me protègent, je me blottis contre son épaule. Elle passe ses doigts dans mes cheveux et me berce comme un bébé. Je pleure, elle pleure, nous pleurons.

- Nous sommes là pour toi ma chérie.

Après son départ, papa passe à son tour dans la chambre et me soutient maladroitement. Il a l'air lui aussi bouleversé. Les deux semblent réellement touchés par l'accident ce que je peux parfaitement comprendre, Jade venait très souvent à la maison et je sais que ma mère se dit « Et si ça avait été Lisa ? ».

Quand je termine ma lecture du carnet et j'ai l'impression d'être encore plus embrouillée qu'avant. Alors, je me dis qu'un peu de sommeil ne me ferait pas de mal. Je m'enroule dans mes couvertures et j'éteins une nouvelle fois la lumière. Mes étoiles phosphorescentes au plafond apparaissent une à une...

Les minutes s'écoulent, interminables. J'alterne les sanglots, les moments de méditation, et les vagues de colère qui déferlent en moi. Une fois ce cycle terminé on repart au début : sanglot, méditation, colère, sanglot, méditation, colère...et ainsi de suite. Les heures passent, lentement, tel un supplice.

Je suis responsable de la mort de ma meilleure amie. À porter de main, j'avais de quoi éviter ce terrible accident. C'est ma faute, tout est ma faute. Je sens les larmes monter une nouvelle fois et j'enfouis mon visage dans mon oreiller.

Mon téléphone vibre. Je me tourne. L'écran éclaire mon visage. Julien.

- Allo ?

- Lisa ? Tu ne dormais pas ?

- Non.

Silence.

- Je n'arrive pas à trouver le sommeil, murmure-t-il.

- Moi non plus.

Nouveau silence.

- Lisa tu es à ?

- Oui...

- Elle me manque déjà.

Sa voix semble se briser, mais il reprend :

- Tout va me manquer chez elle, son sourire, elle arrivait toujours à mettre de la bonne humeur, et puis...

Je me mords la lèvre, rongée par la culpabilité. À cet instant, je suis tentée de lui dire trois petits mots : C'est-ma-faute. Mais rien ne sort.

- Je comprends que tu ne veuilles pas trop en parler, dit Julien devant mon absence de réponse. Tu préfères que je raccroche ?

- Non, non pas du tout.

Alors il continue à me parler, on arrive même à rire une fois ou deux. On se souvient de vieilles anecdotes, on discute longtemps. On reste même en ligne sans parler, personne n'ose couper la communication.

Je sens que je m'assoupis légèrement et visiblement, je ne suis pas la seule. Sa respiration se fait plus lente et plus sonore à travers le téléphone.

- Tu dors ? demandé-je.

J'entends un bruissement.

- Quoi ? Non, non pas vraiment.

- Julien, il vaudrait mieux qu'on tente de dormir.

- J'ai juste un dernier truc à te demander, dit-il.

Je tends l'oreille.

- Au moment de l'annonce, quand la surveillante nous a emmenés à part, tu étais bizarre, comme si tu savais déjà.

Je ne réponds rien et il semble comprendre que ce n'est pas le moment d'en parler.

- Bonne nuit Lisa.

- Bonne nuit.

Le téléphone est chaud dans ma main et la batterie est presque morte. Je le branche et je m'affale lourdement sur mon lit. Parler avec mon meilleur ami m'a calmée et m'a rassurée, je ne suis plus aussi seule.

* * *

Le lendemain, maman a la bonté de me laisser dormir. Quand j'ouvre les yeux, il est déjà presque midi. Il n'empêche qu'à mon réveil je suis d'une humeur massacrante. J'ai mal à la tête d'avoir trop pleuré et mes yeux sont gonflés et rouges.

Je suis pourtant forcée de sortir de ma chambre car ma vessie va exploser, je me traine jusqu'aux toilettes et je referme la porte un peu brusquement.

En me voyant sortir de la petite pièce, ma mère me fonce dessus en m'étouffe contre elle.

- Ma chérie ! J'ai demandé un rendez-vous à la psy aujourd'hui, elle pourra bien t'aider.

- Non !

Je m'écarte aussitôt d'elle.

- Mais... elle t'a fait beaucoup de bien pour oublier ton hallucination... bégaye-t-elle.

- Justement !

Si seulement elle pouvait me comprendre...

- Maman, c'est justement à cause de ça que Jade est morte ! Si je n'avais pas oublié mon hallucination, elle serait à mes côtés !

À nouveau, je sens la colère m'envahir. Les yeux de maman sont emplis d'incompréhension.

- Mon hallucination, n'en était pas une. Je ... je savais tout ce qu'il allait se passer, je suis revenue en arrière, j'ai...

- Lisa, calme-toi. Tu es en train de paniquer, je sais que tu viens de vivre un choc énorme, c'est normal que tu veuilles te remettre la faute dessus mais...

- Mais tu ne comprends pas ?! Je ne veux pas me remettre la faute dessus puisque c'est ma faute !

Soudain, j'étouffe. Je la dépasse et je sors dehors.

Je culpabilise de la rendre triste en lui criant dessus, mais pourquoi ne veut-elle pas me croire bon sang ?

Aujourd'hui, nous sommes mercredi, j'ai manqué une matinée de cours et franchement, je ne vais pas m'en plaindre.

J'inspire l'air et les senteurs du jardin mais ma tête tourne, je sens que je vacille et je me rattrape à la porte.

Je n'ai rien avalé depuis plus de vingt-quatre heures. Il faut que je mange quelque chose. Malgré ma colère, je pousse la porte d'entrée et je me dirige vers la cuisine.

Tandis que je grignote sans grand appétit des fruits secs, mon téléphone vibre.

Un message de Mathis. Je l'ouvre à peine.

Je ne sais pas comment je vais réussir à affronter ce deuil avec ce poids et cette responsabilité sur mes épaules. Je ne sais pas non plus comment vont le vivre mes amis et si un jour, j'aurai le courage de leur avouer...

Je passe une nouvelle journée dans ma chambre. En début de soirée, Julien m'a rappelée et depuis, nous parlons. Sa voix, me fait du bien. C'est vraiment un frère pour moi.

- Et du coup, pourquoi étais-tu si étrange avec la surveillante ?

Il ne va pas remettre ça sur le tapis, si ?

- Je... j'avais un ... pressentiment.

Il ne répond pas tout de suite.

- Julien ?

- Oui, Lisa on se retrouve demain, il faut qu'on parle.

J'acquiesce et il raccroche. Aurai-je le courage de tout lui expliquer demain ?

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