Chapitre 4 : Yin-Yang

- Lisa lève-toi, c'est onze heures, me dit maman.

- Mais on est le week-end...

- Et alors ? Tu as des cours à rattraper non ?

Aaah, même le samedi, on ne peut pas dormir tranquille !

Il n'empêche que ma mère a en partie raison, j'étais à la traîne au lycée toute la semaine, il faut que je remette mes cours à jour pour lundi.

- Où est papa ? demandé-je en entrant dans la cuisine.

- Il est encore au boulot, une affaire urgente apparemment.

- Même le samedi ?

- Il faut croire...

Je passe la journée plongée dans mes manuels, certaines notions me rappellent vaguement quelque chose mais encore une fois, tout est flou.

La psy me dit que j'ai sûrement subi une hallucination somatique due à certaines substances prises ou à un manque de sommeil. Il est vrai que je ne dors pas des masses, mais de là à « rêver » avec tant de précision d'un futur, c'est très étrange non ? Elle m'a dit qu'il fallait que je me sorte au maximum de la tête tout ce dont je me souvenais pour m'en remettre. Je ne dois surtout pas restée focalisée dessus. Je tente d'appliquer ses conseils malgré mon antipathie pour elle.

Le lendemain, Jade vient à la maison pour m'aider à finir de rattraper mon retard et discuter. Je vois à son front plissé qu'elle est toujours inquiète pour moi mais elle a le tact de ne rien dire.

- Romane devient insupportable, me dit-elle.

- Pourquoi ?

- Bah tu sais, à toujours courir après Julien, elle ferait mieux de lui avouer simplement ses sentiments.

Je hoche la tête. Que répondrait Julien ? Je n'en sais absolument rien... La dernière fois qu'il est sorti avec une fille, c'est quand il était en sixième, ça remonte.

- Tu penses qu'il dirait oui ? demandé-je.

- Je ne sais pas, mais au moins Romane arrêtera de me demander toutes les cinq minutes si sa coiffure est belle, si je n'aurais pas du parfum ou si son mascara est assez bien appliqué...

Aussi loin que je m'en souvienne, Romane a toujours aimé Julien, et Julien n'a jamais prêté grande attention à elle. Pourtant cette fille a réellement besoin d'attention, elle a été adoptée à ses deux ans et n'a pas eu de nouvelle de ses parents biologiques. Je pense qu'elle a juste profondément besoin d'être appréciée et chérie. C'est triste quand on y pense.

- Peut-être qu'il aime secrètement une autre fille, proposé-je.

- Moui... peut-être bien. Ah ! Au fait, j'ai un cadeau pour toi.

J'incline la tête intéressée. Jade sort de son sac deux petits bracelets Yin-yang.

- Un pour chacune ! Ils te plaisent ?

J'attrape d'une main tremblante la chaine dorée.

- Ils sont magnifiques.

Au fond de moi, une petite voix me rappelle que je les ai déjà vus, mais je la fais taire et j'accroche le bijou à mon poignet. Je me sens étrange comme à chaque fois que des souvenirs de cette « hallucination » remontent. Alors, je les refoule et je me dis que ce n'est qu'un rêve bizarre, c'est la seule explication rationnelle. Sinon, comment serait-ce possible ?

- On va faire un tour, j'en peux plus, dit Jade en s'étirant.

J'acquiesce vaguement.

Quand nous enfilons nos chaussures, maman semble si heureuse que je redevienne « normale ». Elle est rassurée que je me remette à travailler et à voir des amis.

- Ne rentre pas trop tard.

- Promis.

Comme avant ce « rêve » qui a chamboulé mon quotidien, on se balade en riant dans les rues et en parlant beaucoup trop fort. Je me sens bien et c'est le principal. Maintenant j'en suis quasiment persuadée, ce n'était qu'une simple vision, de toute manière, Jade ne prend quasiment jamais le bus... Je me détends au fil des jours, et je me remets à vivre pleinement le présent.

- Julien organise une fête dans quelques jours, tu iras ? me demande Jade.

- Sûrement, s'il y a tout le groupe.

Les jours qui suivent, je vais cours normalement, je me rends à cette fameuse fête, je discute, Je me trouve même un peu stupide d'en avoir fait tout un plat, finalement...

Je retrouve ma vie d'avant, ma vie normale. Même si le mot « normal » ne me convient pas... à partir de quand est-on considéré comme une personne normale ? Quand on se sent bien dans notre peau ou quand les autres pensent qu'on est bien dans notre peau ?

- Maman, on va faire un pique-nique demain midi, je peux ?

- Tu veux encore sortir avec tes amis ? Mais tu as déjà fait une fête l'autre jour non ?

Elle se mordille la lèvre.

- J'en parlerai avec ton père.

Les discussions entre parents, ce n'est jamais très bon, surtout si maman arrive avec cet état d'esprit.

- Bon, je vais réviser, j'ai un contrôle de physique demain, annoncé-je.

Il vaut mieux mettre toutes les chances de son côté...

* * *

- Alors, comment te sens tu ? me demande la psy.

- Bien.

- Tu vois de l'évolution ?

Haussement d'épaules.

- As-tu beaucoup pensé à cette hallucination ces derniers jours ?

Nouveau haussement d'épaules.

- Que penses-tu de cette hallucination ? C'est réel pour toi ?

- Pas vraiment...je...

- Tu crois que tout a été inventé par ton cerveau ?

- Sûrement.

- Vois-tu d'autres possibilités ?

- Non.

Elle se cale contre son dossier.

- Donc je répète penses-tu que c'est réel ?

- Je...n...non.

- Ton esprit a tout inventé ?

- Oui.

Elle fait tourner son stylo entre ses doigts.

- Eh bien Lisa, on peut dire que tu as fait d'énormes progrès ! Nous allons continuer à nous voir quelques temps mais tu as accepté ton problème puis tu l'as résolu, c'est fan-tas-tique.

Je tente un demi-sourire.

- Ce sera tout pour aujourd'hui. À jeudi !

Ma chaise racle contre le sol tandis que je me lève pour sortir, je salue ma psy d'un signe de main et je sors dehors. L'air. Je l'inspire à pleins poumons.

* * *

Je glisse une boîte de Pringles aux oignons dans mon sac et je suis fin prête.

- Tu y vas avec Jade ? demande papa.

- Oui elle ne devrait plus tarder, je vais l'attendre.

- Sois prudente, me recommande maman.

Je lève les yeux au ciel.

- C'est juste un pique-nique...

La sonnette l'empêche de répliquer.

Depuis mon hallucination, ils sont beaucoup plus inquiets et protecteurs qu'avant. Je sais qu'au fond, ma mère a peur que je me sois droguée et que ce soit ça qui ait déclenché mon problème. Je ne peux pas vraiment le leur reprocher.

- Salut !

Jade et moi sommes les premières à arriver dans le petit parc, on s'installe dans l'herbe en attendant les autres. Julien nous rejoint quelques minutes plus tard, aussitôt suivi de Romane, évidemment. Cette-dernière s'assoit le plus près possible de lui en déballant son sandwich. Le plus drôle dans cette affaire, c'est que Julien ne semble absolument rien remarquer, il se décale légèrement et lance la discussion.

À cet instant, en les écoutant parler je me sens parfaitement moi-même. Je ne fais pas attention à ce qu'ils racontent j'écoute simplement leurs voix et je balaie le paysage du regard...

- Et toi Lisa ?

Je sursaute.

- Euh...oui ?

Je tourne la tête vers Jade en cherchant de l'aide.

- On te demande ce que tu fais ces vacances ? me souffle Ganaël en levant la tête d'un énième livre.

Rassurée, je m'empresse de répondre et je tente de suivre plus attentivement les sujets de conversation.

Au bout d'un moment, Jade me donne un coup de coude en désignant Mathis qui me fixe, je baisse la tête, gênée.

- Il est lourd avec ces coups d'œil, marmonne-t-elle en fronçant les sourcils.

J'acquiesce sans grande conviction. Est-ce qu'un jour, il passera à autre chose ? Oui notre relation s'est mal terminée et je sais que j'en suis en partie responsable, mais les mois se sont écoulés, de l'eau est passée sous les ponts comme on dit.

- Je vais rentrer, il est tard, finis-je par annoncer.

- Je t'aurais bien accompagnée mais ma mère a dit que je la retrouvais directement au centre commercial, s'excuse Jade.

- Je rentre avec toi, de toute façon, c'est le même chemin, dit Julien.

Le regard noir de Romane me suit tandis qu'on s'éloigne. Je l'ignore superbement en mettant mon sac sur une épaule et en remerciant Julien.

- Tu veux qu'on se voit ce week-end ? me propose ce dernier. Ça fait longtemps que je ne suis pas venu chez toi, et inversement.

- Je crois que mes parents ont d'autres projets, mais ça ne coûte rien de demander, hasardé-je.

Petits, Julien et moi passions beaucoup de temps ensemble. C'était comme le frère que je n'ai jamais eu, nous avons grandi tous les deux, nos parents partaient en vacances aux mêmes endroits.

- Tu me diras alors. Et tu sais que maman a repeint le salon ?

Il me raconte la nouvelle et je ris en entendant la réaction de son père qui n'avait pas été prévenu. Quand vient le moment de tourner dans mon allée, je le salue.

- Ça fait plaisir de retrouver notre Lisa, dit-il.

Je souris.

J'ai passé une excellente après-midi et je sens que jerentre à nouveau dans les rangs.

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