Chapitre 4 : Entièrement vide
- Et elle t'a accompagnée ?
Je hoche la tête.
- Elle a bien insisté sur mes troubles de sommeil et mes troubles nutritifs, elle forçait presque la psy à contacter des médecins... Ce qu'elle a fait au passage.
- Mais c'est ta mère, c'est normal qu'elle se soucie de toi, commente Ambre en posant sa tête sur ses genoux repliés contre sa poitrine.
J'acquiesce vaguement.
- Elle fait ça pour ton bien et pour ta santé, ajoute-t-elle.
Une nouvelle fois, ma tête fait un mouvement de bas en haut.
- Tu trouves que je suis horrible ? soufflé-je.
Elle écarquille ses yeux.
- Non, bien sûr que non, m'assure-t-elle.
Il y a un petit silence.
- Pourtant, je le suis.
Ambre ne répond pas, le vent soulève vaguement ses longs cheveux noirs tandis que ces paupières papillonnent. Elle semble chercher quoi répondre. Elle doit sûrement chercher une phrase réconfortante, pour me rassurer et me dire que je suis parfaite. Mais ce n'est pas ce que je veux entendre. Je suis horrible. Je le sais et rien ne pourra faire changer ce sentiment de culpabilité, il a élu domicile juste sous mon cœur et rien ne semble pouvoir le convaincre de bouger. Je vais vivre avec jusqu'à c...
- Non.
Ce mot résonne un instant dans la rue, il semble rebondir contre l'arrêt de bus, taper le panneau de signalisation et s'évader au-dessus des arbres.
- Non tu n'es pas horrible.
J'attends qu'elle développe, qu'elle sorte le lot de mensonges habituels. Mais non. Plus aucun mot ne sort de sa bouche.
Décontenancée, je ne sais plus quoi faire, du coin de l'œil, je l'observe. Elle parait profondément perdue dans ses pensées. Les sourcils légèrement froncés prouvent que ces pensées ne sont pas joyeuses. Brusquement, son expression change, ses traits délicats se tendent, sa bouche se pince et ses yeux se remplissent de larmes.
J'ouvre la bouche avec absolument aucune idée de ce que je m'apprête à dire mais le bus qui s'arrête devant l'abri sur lequel nous sommes assises me coupe.
Ambre se lève et juste avant de franchir les portes qui s'ouvrent lentement avec un pchhh, elle se tourne vers moi et déclare.
- Je sais ce que c'est d'être horrible et crois moi, tu ne fais pas partie de ces gens-là.
Silencieuse, je regarde les portes se refermer avec le même « pchhh » et je suis des yeux le bus qui s'éloigne. Lentement, je me redresse à mon tour et je me mets en route pour rentrer chez moi. Je me sens pleine de réflexion, de honte aussi.
Comme si je n'avais pas assez de tracas comme ça, Maman n'en rate pas une pour me rappeler dimanche midi qu'il faut que je me concentre sur mes études.
Ah le bac. Ce foutu bac de français. Il ne me tracassait pas du tout l'année dernière, on peut même se le dire, je n'en avais rien à faire, j'étais purement et simplement obsédée par mes histoires de morts. J'avais tellement le nez dedans que je n'ai pas pris le recul nécessaire sur la situation pour y voir clair et pour comprendre. Erreur que je ne me pardonnerai jamais.
- Alors ces révisions, ça avance ? questionne maman pour la seconde fois en dix minutes.
- Oui je vais m'y mettre...
Tout en parlant je retourne la purée du bout de ma fourchette en creusant de fins signons. Je n'ai pas tout à fait perdu l'appétit comme ne cesse de le répéter maman, mais je dois bien avouer que je mange moins facilement, le plaisir a comme ... disparu ?
- Lisa ! Tu es trop distraite. Je te parle de tes études, c'est important ; si tu veux trouver ta voie plus tard, avoir une mention ne sera pas négligeable.
Comme à chaque fois, je baisse les yeux, j'attends que l'orage passe.
- Je sais qu'avec les circonstances, un redoublement serait envisageable, mais je ne pense pas forcément que ce serait l'option la plus ...
Je ne l'écoute plus, je contemple avec la plus grande attention le métal qui s'enfonce dans la purée. Je trace un cercle, un autre plus petit à l'intérieur. J'acquiesce quand même de temps en temps. La tête ailleurs. Dans les papiers de papa peut-être ?
- Je compte sur toi Lisa.
Cette phrase sonne la fin de la discussion. Sans réfléchir, je hoche à nouveau la tête.
Tandis que maman fait la conversation, je reprends mes dessins dans la purée. Je vois du coin de l'œil que ma mère suit des yeux mon manège et je comprends aussitôt qu'elle ne me lâchera pas tant que mon assiette ne sera pas vide. Entièrement vide.
Le supplice terminé, je laisse maman dans le salon et je file m'enfermer dans ma chambre, mon havre de paix. Allongée sur mon lit, je réfléchis, enfin je tente d'avoir des pensées cohérentes. Je songe à Laurent, que fait-il ? À quoi pense-t-il ? J'aimerais tellement pouvoir comprendre, comprendre ce qui l'a poussé à ... à tuer mon père. J'ai besoin d'avoir des réponses, j'ai besoin plus que jamais de connaître la vérité.
Pour le moment, je n'ai qu'une seule et unique piste : ses papiers. Je sens que dedans, je peux découvrir beaucoup. Mais en même temps, je ne peux m'empêcher de me dire : et si je faisais tout à pour rien ? Et si je fonçais droit dans le mur avec cette piste ? En attendant, c'est ta seule et unique piste, me rappelle une petite voix dans ma tête.
Alors, je me redresse et ce geste représente beaucoup. Il prouve que je ne vais pas passer une énième après-midi à me lamenter dans mon lit. Je quitte silencieusement ma chambre, prête à sortir une excuse à maman justifiant ma soudaine envie d'aller voir ses anciens manteaux, mais elle est au téléphone, assise dos à moi sur le canapé. Je bifurque donc vers l'escalier que je descends en faisant le moins de bruit possible. Une fois face au placard, j'écarte d'une main les vêtements et de l'autre je déverrouille le coffre. La pile n'a pas bougé, comme si elle m'attendait paisiblement. J'en attrape une liasse et je la glisse sous mon sweat.
De retour dans ma chambre, j'ignore mon lit qui m'accueillerait bien à bras ouvert et je m'assois à mon bureau, une lueur déterminée brillant dans mes yeux dans lequel ni le vert ni le marron n'arrive à prendre le dessus.
Concentre toi Lisa, allez !
Mes mains tremblantes extirpent le tas de feuille et le déposent devant moi. Sans réfléchir, j'en attrape une remplie de l'écriture italique de papa.
Qui précisément à cette soirée ?
Quelles circonstances ?
Taux alcoolémie supérieur à 0.7g/L.
Consommation de stupéfiant et de cocaïne.
22h08
Je fronce mes sourcils et je plisse mes yeux, comme si ce charabia allait soudainement devenir plus clair. Découragée, je la pose sur le côté. J'étale légèrement les autres et je cherche une du regard qui semblerait plus ... lisible.
Laurent Viallon. Ce nom retient mon attention et j'extirpe immédiatement le post-it.
Envoyer infos soirée à Laurent V.
Meeting avec l'équipe 10h00
Imprimer rapport
Rien ne semble prouver une quelconque haine, « Envoyer infos soirée », non rien de tout ça. Je poursuis mes recherches. Il s'avère que Laurent Viallon y figure très souvent et à chaque fois dans le même type de message. Comme deux collègues travaillant ensemble et non comme deux collègues se frappant.
Une photo sombre attire soudain mon attention mais je n'ai pas le temps de l'attraper que trois petits coups sont frappés à la porte. Un long soupir m'échappe et je glisse rapidement les papiers dans mon tiroir.
- Oui ! crié-je.
Sans surprises, c'est maman qui passe la tête dans l'entrebâillement.
- Je ne voulais pas déranger, dit-elle. Tu travailles ?
Elle sourit doucement en me voyant à mon bureau, et ne voyant pas d'autres options, j'acquiesce et ses lèvres s'étirent encore un peu plus.
- Je viens d'avoir le médecin au téléphone et ...
- Je n'ai pas besoin de médecin !
En me rendant compte que j'ai haussé le ton, je reprends plus calmement.
- Non, maman, je t'assure, je vais m'en remettre, c'est normal de traverser une période de trouble mais je te promets que ça ira mieux très vite.
- Ma chérie, tu ne manges presque rien, tu dors mal, il faut que tu ailles te faire aider.
Je fais non de la tête en lui assurant encore une fois que je vais bien et que tout sera réglé très rapidement.
- Je vais me reprendre en main, promis maman.
Elle se mordille nerveusement la lèvre mais elle finit par acquiescer en marmonnant.
- S'il n'y a pas d'évolution, nous irons Lisa. Travaille bien, ton bac approche.
Je me retourne face au bureau et je reste immobile jusqu'à ce que j'entende le petit bruit de porte signifiant que je suis à nouveau seule dans la pièce.
Ses paroles résonnent encore dans ma tête et résignée, pour la première fois depuis longtemps, je sors mon agenda et je contemple les devoirs qui m'attendent lundi. « Ton bac approche », et si je me plantais en beauté ? Et si je redoublais ? Une bouffée de stress m'envahit progressivement et je sors mon manuel et une feuille.
* * *
- Je suis désolée pour ce que j'ai dit quand on attendait le bus ... commencé-je, mais elle me coupe aussitôt.
- Non, ne t'excuse pas, c'est moi qui m'excuse.
Et voilà c'est aussi simple que ça avec Ambre. Nous voilà pardonnées et parées pour une nouvelle journée. En y réfléchissant, je n'ai pas souvenir de m'être un jour fâchée avec elle ... Pas de rancune, pas de rancœur entre nous. On ne peut pas en dire autant de Julien, qui me fixe d'ailleurs. Ses yeux chocolat ne quittent pas les miens et c'est comme s'il venait de prendre une décision car ses jambes se mettent en route vers nous, sa bouche s'entrouvre, il s'apprête parler.
Et moi ? Moi je suis figée au milieu du couloir.
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