Chapitre 29 : Heureuse
Les larmes ont mouillé mes joues, ma gorge est sèche.
Ma tête déborde de questions, ma bouche reste muette.
J'ai mal, mais un soulagement intense m'envahit.
Trois petits coups sont frappés à la porte.
- Les trente minutes se sont écoulées, nous informe le gardien en passant la tête dans l'entrebâillement.
- Je... commencé-je.
J'ai l'impression que ces trente minutes étaient coupées du monde. J'ai oublié que Julien était là. J'ai oublié où nous étions. J'ai oublié pourquoi.
- J'ai la clé, murmuré-je. J'ai tous les mails.
D'une main tremblante, je la glisse sous la vitre qui nous sépare.
- Merci, dit-il.
Lui aussi semble ému.
- Je suis sincèrement désolé pour votre père, à présent vous connaissez la vérité.
- Oui. Oui je connais la vérité.
- Il est l'heure, insiste le gardien en entrant dans la pièce.
Je regarde Viallon.
- Que va-t-il se passer maintenant ? demandé-je.
- Maintenant, nous allons monter notre dossier pour le procès. La clé nous sera cruciale, dit Viallon.
- Le procès... répété-je un peu perdue. Et si le juge ne vous croit pas ?
- Nous verrons, nous verrons. Mais même s'il me croit, je suis loin d'être innocent dans cette histoire.
Tu es plus innocent que certains ! ai-je envie de crier, mais mon esprit est encore trop embrouillé pour que je réalise.
- Nous allons nous remettre à la décision de la justice.
J'acquiesce lentement sans le quitter des yeux.
- Il faut y aller, me dit Julien calmement.
- Merci, dis-je à Viallon.
Julien me prend la main et nous sortons de la petite pièce.
J'ai l'impression d'assister à ce qu'il se passe vu de l'extérieur. Je me laisse entraîner dehors et j'inspire l'air frais de l'automne naissant.
Des milliers de sentiments me traversent.
- On peut aller s'assoir ? dis-je d'une petite voix.
- Bien-sûr.
On marche côte à côte jusqu'à un banc au bord de la route.
- Tu te sens comment ? questionne Julien.
- Perdue. Il a dit tellement de choses, j'ai peur de les oublier. Il a tellement parlé, que j'ai peur de ne pas tout avoir enregistré.
Il ne répond rien mais l'avoir assis à mes côtés me suffit.
- Si tout est vrai, il s'est passé des choses...
- ...horribles, complète-t-il.
Oui. Des choses horribles. Des choses injustes. Et elles continuent, me dis-je en pensant à Ambre et à ce qu'elle subit.
Le vent soulève mes longs cheveux. Les voitures circulent devant nous. Des passants promènent leur chien. Ça parait tellement différent de ce qu'on vient d'entendre comme si nous avions plongé dans un monde parallèle.
De longues minutes s'écoulent pendant lesquelles je me remémore ce que j'ai entendu. Je fais le lien avec les soirées de mon père, ses heures enfermées dans son bureau, son pli entre les sourcils, son inquiétude, la bombe... Je commence lentement à assimiler toutes ces informations qui ont atterri brutalement dans mon cerveau.
- J'ai l'impression de ne plus connaître mon père.
Julien se décale vers moi et attrape une nouvelle fois ma main.
- J'ai l'impression d'avoir été si aveugle !
- Tu n'y es pour rien. Tout ce que tu as fait était positif. Oui, tu aurais pu te rendre compte de plus de choses, mais ce n'est pas ton rôle. Ton père était grand, assez pour prendre ses propres décisions.
Je hoche la tête sans pouvoir me retenir de pleurer.
Je ne saurais dire combien de temps nous sommes restés assis. Je n'ai plus de notion du temps tandis que nous discutons. À cet instant, j'ai envie de le remercier mille fois d'être là, mais je ne sais vraiment pas comment m'y prendre.
- Alors tout est fini ? dit-il.
- Non il reste de nombreuses choses à régler, affirmé-je.
Je me tourne vers lui.
- On va commencer par ça.
Son regard intrigué se pose sur moi et je l'embrasse délicatement. Cette fois, je ne veux pas que ça finisse mal. Cette fois, je ne veux pas gâcher le moment. Cette fois, je veux simplement me laisser aller.
Il semble surpris au début puis je sens un sourire sur ses lèvres contre les miennes. Je souris à mon tour.
- Je suis si désolée, murmuré-je. Je ne partirai plus.
Ses bras m'encerclent
- Je n'oublierai plus que je ne peux pas rester loin de toi, poursuis-je.
- Tant que tu es là, je suis le plus heureux, répond-il.
Comme à chaque fois qu'il est dans les parages, j'ai l'impression que plus rien ne compte si ce n'est l'instant présent. J'oublie tout ce qui m'attend, le futur ne compte plus, le passé encore moins. Seul son rire, ses baisers, son odeur, ses mots ont de l'importance.
Peut-être que j'ai vu Viallon il y a une heure, ou bien deux, trois ? Je n'en ai aucune idée. Je n'ai pas envie de quitter notre petite bulle. Je n'ai pas envie de briser la magie de cet instant.
Et ce n'est que là que je réalise que Julien ne va pas s'évaporer et que cette magie ne s'éteindra plus. Plus jamais.
- Tu as quoi de prévu ? demande-t-il.
- Je devais rejoindre Ambre et dormir là-bas mais sinon...
- Vas-y, prends soin d'elle, coupe-t-il. On se reverra très vite.
D'un même mouvement, on se lève et on marche jusqu'à l'arrêt de bus.
Quand j'arrive chez Ambre, je me sens légère, heureuse même. Je ne compte pas lui raconter tout ce que j'ai appris tout de suite, il me faut sûrement quelques heures pour avoir les idées plus claires. Mais oui je suis heureuse. Simplement et purement heureuse. Ça n'échappe évidemment pas à mon amie et j'ai le droit à un interrogatoire détaillé. Tandis que je rougis, elle rit. Elle aussi semble étonnement joyeuse et nous sommes interrompues par sa mère qui entre dans la chambre.
- On va passer à table les filles, dit-elle.
À mon grand étonnement Ambre acquiesce. Depuis quand il y a un diner où on mange en même temps ici ? Je croyais que c'était chacun pour soi ?
Mon regard navigue de l'une à l'autre et je comprends que quelque chose d'important a changé. Je n'ose pour le moment poser aucune question. C'est la première fois que j'ai une conversation avec sa mère, bien je lui ai déjà parlé lorsque Ambre avait disparu mais on ne peut pas appeler les vagues phrases que l'on avait échangées « conversation ».
Une fois le repas terminé, je meurs d'envie de questionner mon amie mais je décide tout de même d'attendre qu'elle parle d'elle-même. Elle finit par le faire.
- J'ai discuté avec ma mère. Je lui ai dit que j'étais seule, et que je voulais tout savoir à propos de Lilie-Rose.
J'approuve d'un hochement de tête.
- Grace à toi, j'ai réussi à prendre les choses en main. J'ai arrêté de me laisser faire. Merci.
- Ce n'est certainement pas grâce à moi. Cette force, tu l'as en toi depuis le premier jour. Et si tous les gens sur cette planète pouvaient prendre exemple sur toi le monde serait meilleur.
Le père de Ambre ne pointe heureusement pas le bout de son nez et nous passons une fin de soirée tranquille et détendue. Elle me raconte ses échanges avec sa mère. Aurais-je pu rêver d'une meilleure fin de journée ? Le lendemain, je ne suis pas la seule à quitter le petit appartement en fin de matinée. Ambre et sa mère, me suivent dehors. Je ne sais pas où elles comptent aller mais si mon amie avait voulu me le dire, ce serait fait. J'ai appris à respecter ses silences. Je la serre simplement contre moi et je m'éloigne vers mon arrêt.
J'ai l'impression que chaque pas me fait avancer et me rapproche du bonheur. Chose que je n'avais pas ressentie depuis longtemps. Avant, chaque pas m'obligeait à en faire dix en arrière. Aujourd'hui c'est différent. Tout a changé.
À présent je vais rentrer chez moi, je vais retrouver ma mère. Je crois qu'il est grand temps que nous ayons une discussion.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top