Chapitre 28 : Totalement l'effet inverse
Je le regarde enfiler une veste, mi-impatiente, mi-terrorisée par ce qui m'attend.
Papa paraît sceptique, mais je distingue autre chose dans ses yeux ... comme s'il priait pour que ce ne soit pas vrai. Et si lui aussi savait ? Et si lui aussi avait eu une seconde chance ? Non, c'est absurde, je le saurais et je l'aurais remarqué.
Alors pourquoi ce visage soucieux ?
On sort dehors en silence et on avance, éclairés à la lampe de nos téléphones. On marche jusqu'à la voiture, et je me sens extrêmement mal-à-l'aise. Comment va-t-il réagir ?
- Bon tu m'expliques ? dis papa d'une voix tendue.
- Il s'est allongé ici, sous la voiture.
Je m'accroupis et tente d'apercevoir quelque chose. Une lumière rouge attire mon attention et je distingue un boitier scotché. Scotché ? Sérieux ? C'est quoi ce travail ?
- Je la vois, dis-je.
- Tu vois quoi ? s'impatiente papa.
- La bombe.
Il ouvre grand les yeux tandis que je me redresse.
- Elle est scotchée sous...
- Scotchée ?! Une bombe ? Tu te fous de moi Lisa !
Je secoue la tête, totalement chamboulée. Il se frotte la barbe, lui aussi perturbé. Je vois une nouvelle fois dans son expression qu'il craint quelque chose. Je ne dis ni ne fais plus rien pendant quelques secondes où il semble perdu dans ses pensées. Et puis, brusquement, il semble se ressaisir et s'accroupit à son tour vers la voiture. Je vois son visage pâlir quand il aperçoit la lumière rouge.
Moi, je sens un soulagement immense m'envahir. Je ne vais pas mourir, papa va s'en occuper, je ne suis plus la seule au courant. Mes épaules se relâchent, celles de papa se tendent. La pression est passée de moi ... à lui.
Plusieurs fois, il gratte distraitement sa barbe puis il finit par déclarer.
- Je m'en occupe.
- Comment ça ? m'exclamé-je. Tu vas la désactiver tout seul ?
- Non, je vais appeler des démineurs, des experts du commissariat. Retourne te coucher.
Je croise les bras.
- Pourquoi tu n'es pas plus étonné ? demandé-je.
Il tourne son visage fatigué vers moi.
- Si Lisa, mais je ne pense pas que ce soit sérieux. Tu peux retourner dans ton lit, et pas un mot à maman.
Les mots me manquent. Pourquoi un tel comportement ? Pourquoi le cacher à maman ? Pourquoi ... ?
- Allez file te rendormir jeune fille, je vais les appeler.
J'attends qu'il compose effectivement un numéro avant de rentrer à contre cœur. Je n'y comprends plus rien. Sans compter que la probabilité que je m'endorme est extrêmement faible. Je passe silencieusement dans le couloir et ferme délicatement la porte de ma chambre derrière moi.
Mes yeux se posent sur mon carnet, mon portable, mon lit, pour finir rivés sur la fenêtre. La curiosité l'emporte et je me réinstalle avec mon plaid devant ma fenêtre pour ne pas perdre une seule miette de ce qu'il va se dérouler. J'ai l'impression que je portais tout toute seule, mais qu'au moment de conclure cette affaire en désactivant cette foutue bombe, on m'a laissée à l'arrière. Les première minutes, je vois seulement papa parler au téléphone plutôt calmement, puis il raccroche et appelle quelqu'un d'autre visiblement. Cette fois ses lèvres s'agitent plus rapidement et plus violement. Il semble agacé. Je le regarde depuis mon poste d'observation, recroquevillée sur moi-même.
Les minutes défilent, papa s'assoit dans un coin, la tête appuyée contre ses mains. Au loin, des lueurs orangées apparaissent, le soleil va bientôt pointer le bout de son nez. Je me perds dans la contemplation des étoiles qui disparaissent quand soudain, notre petite cour est brutalement éclairée par des phares blancs.
Je me redresse en étouffant un bâillement. Visiblement, les nuits blanches ce n'est pas pour moi. Une voiture se gare et trois hommes bien bâtis en descendent. Ils semblent connaitre papa vu les accolades et ils se penchent pour observer sous la voiture. Le regard de papa est inquiet et il navigue entre ceux que je suppose être les démineurs. Pendant près d'une demi-heure, ils s'agitent, faisant des aller-retours vers la voiture, vers mon père et vers leur propre véhicule. Au fur et à mesure que les minutes défilent, le ciel se teinte d'une douce couleur argentée. C'est beau. Mes yeux commencent à s'alourdirent, mais je refuse de céder à la fatigue, je veux avoir le fin mot de l'histoire. Je force mes yeux à continuer de suivre la scène qui se déroule juste sous mes yeux.
Papa discute très sérieusement avec les hommes qui finissent par remonter dans leur voiture et s'éloigner. Emmenant la bombe, mon stress, ma mort avec eux.
J'observe mon père passer plusieurs fois une main nerveuse dans ses cheveux. Même de loin, je vois qu'il est tendu. Il sort une nouvelle fois son téléphone de sa poche et je suppose qu'il compose un numéro car quelques secondes plus tard, l'appareil est plaqué contre son oreille et il parle avec animation. À cet instant, j'ai tellement envie de savoir ce qu'il dit et à qui. Une envie folle d'aller espionner de plus près me prend. Suis-je folle et stupide à ce point-là ? je le crois bien...
À nouveau, je quitte mon lieu d'observation et je franchis le couloir sur la pointe des pieds. Le fait que papa soit debout ne semble pas étonner maman. Ce ne doit pas être la première fois, songé-je en passant devant leur chambre.
Je poursuis mon chemin et entrouvre le plus discrètement possible la porte d'entrée. Je parviens alors à entendre ses paroles
- ... oui je m'en occupe demain ... non ... tu sais bien que ce n'est pas envisageable, je dois aller au bout ! ... on y est presque ... oui ... à tout à l'heure, je vais régler tout ça... merci...
Puis il raccroche et se dirige droit sur moi, nerveuse je bats en retraite mais son regard tombe bien vite dans le mien.
- Qu'est-ce que tu fais debout, demande-t-il.
Vite une excuse !
- Je n'arrivais pas à dormir, mens-je. Je voulais savoir comme ça se passait.
- Ne t'inquiète pas, ce n'était rien, m'assure-t-il.
- Comment ça ?
- Ce n'était pas une vraie bombe, juste une blague entre collèges, tu n'as pas de souci à te faire.
Il tente un sourire, mais il sonne faux. J'ai un mouvement de recul. Pourquoi ment-il ? Pour me rassurer ? Si c'est le cas, ça a totalement l'effet inverse.
- Tu es sûr ? hasardé-je.
- Mais oui ma chérie, tu n'as quand même pas cru que c'était sérieux ?
Il a un petit rire.
- Va vite te coucher.
Il me serre brièvement dans ses bras en me dirigeant quasi de force vers la maison.
Une fois seule dans ma chambre, je ressasse les évènements qui viennent de se dérouler sous mes yeux. Papa avait l'air tendu, stressé, nerveux, tout sauf amusé par une blague. De toute manière, c'est évident que ce n'est pas une blague, je le sais. J'en ai la certitude ... n'est-ce pas ?
Mais alors pourquoi ? Pourquoi le cacher à maman ? Pourquoi ne pas s'en affoler ? Pourquoi me mentir ? Il y a forcément des réponses à toutes ces questions, mais vais-je réussir à les trouver, quel que soit le prix ? Quelqu'un a décidé de me tuer, papa ne semble pas étonné, je dois avoir le fin mot de l'histoire.
Je m'allonge sur mon lit, mais je sais d'avance que c'est peine perdue, il est six heures et demi, ma nuit est fichue. Malgré ça, quand je pose ma tête sur mon oreiller, mes paupières me disent le contraire et m'assurent que même pour une demi-heure il faut que je dorme.
Je ressasse toutes mes interrogations et doutes dans ma tête mais elles ne m'écoutent pas et m'assurent qu'il faut que je me laisse aller. Alors, c'est ce que je fais. Je désactive mon réveil et je laisse mon esprit divaguer pour sombrer dans le monde de la nuit. Même si le soleil projette des rayons rosés dans ma chambre et même si autour de moi, les gens se lèvent et démarrent leur journée, moi je termine la mienne.
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