Chapitre 26 : S'il y parvient, je suis foutu
Le bâtiment se dessine au loin. L'angoisse que je ressentais en quittant la maison est à présent bien atténuée. Julien est à mes côtés.
Dans quelques dizaines de minutes, je sortirais d'ici avec, je l'espère, des réponses à chacune de mes questions.
- Tu y vas pourquoi ?
- Pour voir Viallon. J'ai besoin de comprendre les évènements, et des liens éventuels avec...
Je me tais. Il n'est pas au courant pour le père de Ambre et ce n'est pas plus mal. Ce n'est pas à moi de l'en informer. C'est pourtant le seul qui est au courant de ce que j'ai vécu, ou plutôt revécu. C'est le seul qui est au courant de ma culpabilité vis-à-vis de Jade et de mon père.
- Tant que je n'aurai pas tout compris, je ne pourrai pas passer à autre chose, terminé-je maladroitement.
- Je comprends, dit-il en simple réponse.
C'est si particulier que nous nous retrouvions une nouvelle fois côte à côte après tout ce qu'il s'est passé, et toutes les fois où je me suis jurée de ne plus l'approcher. Peut-être que j'en suis incapable et peut-être que j'ai réellement besoin de lui ? Que va-t-il se passer demain ? Comment serons-nous ?
Ce soir, on se concentre sur Viallon. On verra la suite plus tard.
En entrant dans la prison, nous sommes fouillés, et l'homme chargé de qui effectue le contrôle remarque que Julien n'est pas Louna comme annoncé dans la demande. Je lui explique la situation et il réclame alors les papiers d'identité de Julien, il les observe un long moment, fouille à nouveau Julien et pour mon plus grand soulagement, nous laisse entrer.
- Bonjour mademoiselle et monsieur, selon la procédure, les visites ont lieu dans cinq minutes, vous pouvez patienter ici. Dans votre demande, vous indiquiez vouloir être seule lors de l'entrevue, c'est toujours le cas ?
Je jette un petit coup d'œil à Julien.
- Oui. Oui c'est toujours le cas.
L'homme acquiesce.
- Comme inscrit dans le protocole, étant donné que vous êtes mineure, il y aura un gardien présent dans la pièce. Vous serez évidemment protégée par le secret professionnel. Il sera juste là pour veiller à votre sécurité tout au long de l'entrevue qui, je le rappelle, dure trente minutes. Si vous ne vous sentez pas bien, ou si vous souhaitez l'écourter, il vous suffira de faire un signe au gardien dans la pièce. Avez-vous des questions ?
Je fais non de la tête et Julien et moi nous dirigeons dans la salle d'attente.
- Tu es sûre de vouloir être seule ?
En réalité, non. Mais je ne me sens pas d'expliquer à Julien que le père de Ambre est impliqué dans l'affaire. Et depuis le début de ce projet, je préfère être seule avec moi-même. Cette entrevue devrait pouvoir me permettre de mettre les choses au clair, et je ressens le besoin de ne pas en parler à ma mère, à Ambre ou à Julien.
- Oui, je suis sûre.
Une petite sonnerie retentit et un gardien entre dans la pièce. Je me lève. Ça y est, c'est le grand moment.
- A tout à l'heure, dit Julien avant que je quitte la pièce.
- Oui et...
Je plonge mon regard dans le sien.
- Merci, murmuré-je en emboitant le pas du gardien.
Mon cœur bat fort. Mon cœur bat vite.
Il me mène dans un grand couloir avec des portes peintes en bleu toutes identiques et toutes rapprochées. On finit par s'arrêter devant l'une d'elle.
- Quel est votre nom ? demande le gardien, la main sur la poignée.
- Lisa Creuze.
- Très bien Lisa, en cas de soucis, ou au moindre problème, vous me faite un signe et j'interviens, sinon je reste au fond de la pièce en silence.
Je hoche furtivement la tête et il déverrouille la porte. La pièce est assez petite et étroite. Elle est séparée par une table qui prend toute la largeur et une grande vitre est posée dessus. En face c'est la symétrie, le reste de la table et la même porte bleue.
Un homme est assis en face de la table de l'autre côté de la vitre. Son regard est pénétrant, intrigué et presque...amusé ? Je suis alors tentée de fuir, là tout de suite. Mais je me suis promis. Je ne veux pas de regrets. Je veux connaître la vérité. Mon menton se redresse. Je croise ses yeux. Ils sont très clairs avec des petites touches de vert et de jaune.
Un peu intimidée, je m'assois sur la chaise et je me retrouve face à lui. Comment démarrer une conversation ?
- Je suis curieux de savoir pourquoi tu es venue. C'est pour ça que j'ai accepté l'entrevue.
- Je suis venue pour avoir des réponses.
Il incline la tête.
- J'ai découvert des choses, j'en ai vu certaines qui me font douter de... je ne suis pas sûre que ce soit vous le coupable.
Il a un petit rire.
- Tu sais, ça fait des mois que je suis ici en attente de mon procès et tu es la bien la première personne autre que mes proches à me dire ça. Tout est si évident, l'ADN, le sang, ma présence, les marques de coups sur son corps et sur le mien. Tout concorde non ?
J'ai l'impression que sa voix est pleine de sarcasmes.
- Non justement, tout ne concorde pas. Le père de... Éric Lahe.
Son visage trésaille.
- Vous le connaissez n'est-ce pas ? reprends-je. Je l'ai vue poser une bombe sous la voiture de mon père, une nuit. Et j'ai trouvé dans sa maison...
- Dans sa maison ? Dans quelles circonstances es-tu entrée chez lui ?
Cette fois, il paraît réellement intéressé par ce que je lui raconte.
- Peu importe. Il y a votre ordinateur.
Nerveusement, il passe la main dans ses cheveux qui mériteraient un bon shampoing.
- Je n'ai qu'une question, enchainé-je. Avez-vous tué mon père ?
Je retiens mon souffle.
Une nouvelle fois, il tente de discipliner ses cheveux.
- C'est très compliqué...
- Je veux juste un oui ou un non, insisté-je.
- Je... disons que...
Il semble réellement mal-à-l'aise.
- J'ai ma part de responsabilité mais non.
Non. Non. Non ! Il a dit non.
- Mais tu as conscience que je pourrais dire n'importe quoi, commente-t-il.
- Oui, j'en ai parfaitement conscience, mais je vous crois. C'est Éric Lahe n'est-ce pas ?
- Sous un certain angle oui, mais ce n'est peut-être pas lui qui est passé à l'acte, dit Laurent Viallon. Je ne peux pas en dire plus, vous n'êtes pas mon avocate.
- Je sais ! Mais j'ai besoin de comprendre. Vous êtes ici en étant innocent. Parler ne peut qu'améliorer votre cas, non ?
Il soupire.
- L'ordinateur est chez Lahe ? questionne-t-il.
- Oui.
- Et que fait-il avec ?
Un sentiment d'angoisse semble le traverser.
- Il tente de déverrouiller une boite mail, réponds-je.
- Il y est parvenu ?
- Je ne crois pas... avancé-je prudemment.
Il parait aussitôt soulagé.
- Cette boite est primordiale pour mon procès. Elle est particulière et ne s'installe qu'entre quelques ordinateurs avec un système hautement protégé. C'est impossible d'y accéder par un autre ordinateur, ni de retrouver des archives. Si Éric Lahe arrive à supprimer son contenu, je suis foutu. Je pensais que c'était fait, personne ne parvenait à mettre la main sur mon ordinateur, et ce n'est pas faute d'avoir d'essayer...
Ses paupières sont plissées.
- S'il y parvient, je suis foutu, répète-t-il. Il faut en faire une sauvegarde.
- Je peux m'en charger si vous me donnez le code pour le déverrouiller et que vous m'expliquez comment tout copier sur une clé.
Je me surprends moi-même, pourquoi est-ce que je propose ce genre de chose bon sang ?
Ses sourcils se froncent aussitôt.
- Et qui me dit que vous n'allez pas tout effacer dès que je vous donnerais le code ? Et qui me dit que vous n'êtes pas du côté de Lahe ?
Je tente de protester mais il me coupe.
- Il faut faire une demande de mandat de perquisition et récupérer cet ordinateur.
- Mais si j'ai bien compris, dis-je. Il profitera de la moindre occasion pour le détruire si les policiers arrivent chez lui. Et d'ailleurs, pourquoi ne le détruit-il pas dès maintenant.
- Il ne veut pas, dans l'absolu, détruire la boite mail parce qu'il y a dessus des informations concernant une enquête qui est toujours d'actua...
Il s'arrête, comme s'il en avait trop dit.
- Si tu as accès à l'ordinateur, ramène-le-moi.
Je mordille ma lèvre inférieure.
- Lahe va s'en rendre compte. Je ne peux pas risquer ça.
- Mais qu'est-ce qui me prouve que tu es digne de confiance ? dit-il d'un ton presque agacé.
Je reste un instant silencieuse puis je prends la décision d'être honnête.
- Éric Lahe, c'est... c'est le père d'une amie, il lui fait du mal. Je ne veux pas que vous soyez injustement en prison, je ne veux pas qu'il se balade injustement en liberté.
Ses yeux me transpercent, il semble scanner mes moindres mouvements.
- D'accord, lâche-t-il. Mais on va préciser quelques points tout de suite.
Je me redresse vivement sur ma chaise.
Il accepte donc de me donner le code et de m'expliquer comment générer une sauvegarde, mais ses conditions sont claires et je les accepte.
- Il est l'heure mademoiselle Creuze, intervient le gardien.
- Reviens quand tu as la sauvegarde.
- Et la prochaine fois, vous me raconterez toute l'histoire, de A à Z, dis-je sans attendre une réponse.
Et me voilà sortie de la pièce étroite. Suis-je la même Lisa qu'en entrant ?
C'est la question que se pose visiblement Julien en me voyant, mais il ne dit rien.
On sort côte à côte de la prison.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top