Chapitre 26 : Lilie-Rose
Sur le coup, je ne sais plus quoi dire. Est-ce que j'ai mal entendu ?
- C'est injuste pour toi de ne pas savoir après ce que tu me fais pour que j'aille mieux ... je vais t'expliquer.
- Quoi ?! Comment ? Là, maintenant ?
Nous sommes accoudées contre son arrêt de bus qui ne va d'ailleurs pas tarder à arriver.
- Non tu as raison, allons ailleurs.
Elle m'entraîne par le bras d'un pas décidé, je me laisse faire, décontenancée.
- Et ton bus ?
- Pas grave ! s'exclame-t-elle.
Comme quoi, quand elle s'y met, elle est déterminée ! Rapidement, la surprise laisse place à la curiosité et un sourire apparaît sur mes lèvres. Je vais savoir !
- Asseyons-nous là, dit-elle ne désignant un banc. On va tout reprendre depuis début.
Ses mains tremblent légèrement, elle est visiblement très nerveuse à l'idée de me dévoiler son secret. J'ai tant attendu cette révélation, mais c'est comme si tout d'un coup, je regrettais, je renonçais...
- Tu es sûre ? m'enquis-je.
- Oui, il est plus que temps.
Elle s'assoit en tailleur sur les maigres planches de bois et pose sa tête sur ses mains.
- Commençons par le tout début. J'ai une jumelle.
Je retiens un petit cri.
- Maman disait que nous étions inséparables, Lilie-Rose et moi. Nous faisions toujours tout à deux, les jeux, les siestes, les caprices, les colères, tout. Tout allait parfaitement bien, jusqu'à son décès.
Elle marque une légère pause.
- On n'a jamais voulu me donner les détails, mais mon père insiste sur le fait que je suis impliquée et responsable.
Une larme roule sur sa joue.
- Depuis ... depuis, tout a changé. J'avais trois ans et demi. Au fil des jours, c'est triste, mais j'ai commencé à apprendre à vivre sans Lilie-Rose, je l'ai gardé dans un coin de ma tête, comme une amie imaginaire qui m'accompagnait durant mon enfance.
Papa, depuis ce jour horrible, m'en veut. Il m'en veut à mort, son regard est plein de dégout.
- Et ta mère ? questionné-je.
- Au début, elle s'est effacée. Elle a continué à prendre soin de moi, mais elle est restée en retrait. Elle n'a jamais pris ma défense toutes les fois au papa me hurlait dessus. C'est comme si elle était devenue ... soumise et indifférente.
Elle renifle légèrement tandis que je n'ose plus prononcer le moindre mot, figée.
- Papa ne m'a plus regardée de la même manière. Tout ce que je faisais, il insistait sur le fait que Lilie-Rose aurait dû être à mes côtés. Il me reprochait chaque chose, m'accusait de tout. C'est devenu un homme brisé.
Elle sort un mouchoir de sa poche et reprend.
- Ces dernières années, il a sombré. Il est devenu alcoolique, violent. Il traîne avec des gens louches, et même s'il ne nous le dit pas, je sais qu'il est impliqué dans des trafics de drogues et autres. Maman et moi fermons les yeux la plupart du temps... sauf quand il est en « crise ».
J'enroule les bretelles de mon cartable autour de mes doigts, silencieuse. J'ai l'impression qu'il n'y a que nous deux sur cette planète. Je l'écoute. Elle me parle. Ambre me raconte que son père est parfois pris de violentes colères et que ça lui arrive de la frapper.
- Il n'est jamais sobre dans ces moments-là, c'est sous l'impulsion d'alcool ou d'autres trucs que je ne veux même pas connaître, précise-t-elle, comme pour le défendre.
- Vous n'avez pas porté plainte, dis-je doucement.
Elle secoue la tête.
- Non... il revient toujours en s'excusant et ... il n'a pas conscience de ses gestes.
Je reste silencieuse, elle fait de même. Que dire après ça ?
- Quelques soirs, je vois à sa tête qu'il va nous faire une « crise », alors je fuis de chez moi.
- Comme le soir de mon anniversaire ?
- Oui.
J'acquiesce doucement. Soudainement, je me sens si stupide. Dans mes moments de réflexion, je repoussais Ambre sans scrupules. Je lui reprochais de ne pas me dire la vérité, j'étais vraiment horrible avec elle.
- Je suis tellement désolée, murmuré-je.
- Tu ne devrais pas, tu m'as beaucoup aidée !
Cette fille est si courageuse ...
Je m'avance sur le banc et la serre contre moi. Un câlin vaut tous les mots du monde.
Elle continue à me parler, nous regardons les gens passer, j'ai un bras par-dessus son épaule et ses larmes mouillent mon tee-shirt.
Je ne relâche mon étreinte que lorsque mon téléphone vibre. Maman.
- Il faut que je rentre, dis-je en voyant son message. Il est presque l'heure du repas ... ça ira pour rentrer ?
- Oui bien-sûr.
Elle me sourit. Comment fait-elle après tout ce qu'elle a enduré ?
- Tu es la fille la plus courageuse, la plus forte et la plus incroyable que je connaisse, dis-je en lui pressant une dernière fois l'épaule.
Sur le trajet retour, j'ai l'impression de ne pas être la même qu'à l'aller. Je me sens changée par ces révélations troublantes, perturbée. J'en oublie presque ce qui m'attend ce soir. Presque.
En entrant à la maison, ma mère m'attend, seule dans le hall. Papa n'est donc pas rentré, pourquoi m'en étonner ? C'est tellement prévisible ...
- Tu étais avec qui ?
- Ambre.
Son visage s'adoucit légèrement.
- Préviens-moi, quand tu ne rentres pas tout de suite.
J'acquiesce. Ces derniers temps, elle semble tendue et je m'en veux de lui rajouter du stress inutilement. Dans ces moments-là, je me félicite de ne pas lui parler de la bombe, de Ambre, de ce que je compte faire cette nuit ... de ma vie.
Je passe le repas à triturer, du bout de ma fourchette, la salade variée de maman, l'estomac noué. Dès que je songe à ce qui m'attend, ma gorge se serre. Dans quoi est-ce que je m'embarque ?
- Tu n'as pas faim ? demande maman.
- Pas trop...
Ses sourcils se froncent instantanément.
- Non, je suis juste un peu patraque, demain tout ira mieux.
Oui demain tout ira mieux, tout sera fini ... du moins je l'espère.
* * *
Je m'allonge sur mon lit, pensive. Il ne faut pas que je m'endorme. De toute manière, ça ne risque pas, angoissée comme je le suis.
Mes pensées se tournent vers Ambre. Lors de ma première vie, elle n'a pas eu le temps de me révéler son secret. J'en suis sure, c'est évident que je m'en souviendrais. J'ai envie de lui poser des questions, de la consoler et de lui demander si elle va bien. Si seulement j'avais su plus tôt ! Mon comportement aurait été différent. Comment fait-elle pour endurer le regard des autres, la solitude et la détresse ?
Et moi ! Moi qui croyais que mon problème et mes soucis surpassaient tous les autres ! Moi, quelle égoïste ... Aaah ce que j'ai pu être stupide, inconsciente et aveugle. Je m'en veux, je m'en veux tellement que je n'ai plus qu'une envie, pleurer, ce que je fais au passage. Je sanglote roulée en boule sur mon lit. Je repense à tous les instants où j'aurais pu, j'aurais dû faire autrement. Je pense à cette soirée qui peut tout changer, je pense à Julien, à Romane, à papa, à cet accident, à tout. Je suis dans une sorte de torpeur et les vibrations de mon téléphone m'en sortent brutalement.
Julien : Ça va ? Tu tiens le coup ?
Quelques secondes, je crois qu'il est au courant pour Ambre, mais la mémoire revient au galop. Ce soir !
Moi : Oui, je vais me préparer à guetter.
Julien : Tu me tiendras au courant 😉 et n'oublie pas ta promesse 😘
Moi : Oui et oui 😇
Je me redresse, m'approche de la fenêtre d'où j'ai une superbe vue sur la petite cour devant la maison. Le ciel est sombre et les étoiles brillent, aussitôt, je me remémore les légendes de mon grand-père et sa voix chaleureuse. Je me revois assise à côté de lui, entourée du plaid de grand-mère... Je m'installe de la même manière, en resserrant une couverture autour de mes jambes, une boîte de biscuits à porter de main et je commence à observer le paysage. Je vois le chat des voisins traverser notre petite pelouse, les arbres ondulent, les volets des maisons se ferment. Tout est paisible, ce qui contraste fortement avec la tempête qui fait rage en moi. Mes doutes, mes peurs, mes regrets combattent.
Papa rentre du commissariat vers vingt-trois heures.
Les heures défilent, j'ai le droit toutes les dix minutes à un message régulier de Julien.
Julien : Toujours rien ?
Et ma réponse.
Moi : Non RAS.
Ce que je fais me parait irréel, insensé, totalement stupide. Mais c'est trop tard pour renoncer.
Les heures passent. On est à présent mardi. Mardi 12 mai.
Quand je commence sérieusement à douter qu'il se passe vraiment quelque chose cette nuit, une ombre attire mon attention.
Que pensez vous des révélations de Ambre ?😬Une idée de la suite ?
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