Chapitre 24 : J'aimerais que tu m'accompagnes...en prison

- Il y avait une lettre à ton nom, répète-t-elle.

- Et tu en as fait quoi ? demandé-je d'une voix que je tente de rendre la plus calme possible.

- Je l'ai posée sur ton bureau, je pense que c'est de ton lycée, ça m'avait l'air assez officiel.

Je hoche la tête, en faisant mine de ne pas y prêter grande attention. Pourtant, j'aimerais hurler qu'il ne faut surtout pas y toucher, mais j'ai peur que ça attise sa curiosité. Alors je tourne les talons et j'entre dans le cabinet blanc. Dans cinquante minutes j'aurais ma réponse.

Et s'ils refusaient ?

- Bonjour Lisa.

Et s'ils acceptaient ?

- Hum... oui, bonjour, marmonné-je en m'asseyant.

Dans quarante-cinq minutes, je saurais.

J'acquiesce, je réponds, je souris.

Dans trente minutes, je saurais.

Je note mes ressentis, je ferme les yeux et j'inspire à pleins poumons, je visualise ce qu'elle me raconte.

Dans vingt-trois minutes.

- Tu me parais légèrement stressée aujourd'hui, peut-être que le lycée te...

- Non. Non ça va très bien au lycée, assuré-je.

- J'aimerais quand même m'entretenir avec ta maman à ce sujet. Il ne faut pas que les cours deviennent une source de tracas pour toi.

- Ça ne l'est pas. Ce n'est pas nécessaire d'en parler à ma mère.

J'aimerais lui dire la vérité mais je ne suis pas sûre qu'elle l'approuve. J'ai un maigre sourire en m'imaginant sa réaction si je lui disais : « Vous vous souvenez de mes hallucinations ? Ça n'en était pas et il se trouve que j'ai vu le père de mon amie poser une bombe sous ma voiture. Je veux donc aller voir l'assassin de mon père en prison pour essayer de savoir si il était bel et bien responsable ».

- Bon, on va terminer sur un exercice très simple.

Plus que quatorze minutes.

Plus les secondes défilent et plus mon cœur bat fort, plus mes mains sont moites, plus mon esprit s'évade. J'ai la même sensation qu'avant un gros examen.

- On se revoit la semaine prochaine Lisa.

- Oui.

Je n'ai jamais été aussi rapide pour quitter les lieux. J'ai un petit soupir de déception en n'apercevant pas la voiture de maman garée mais je ne me décourage pas et je me dirige au pas de course vers l'arrêt de bus.

Quand j'arrive à la maison, toute essoufflée, maman me demande comment s'est passé la séance et je lui assure que c'était très bien.

- Prend ta douche rapidement on va manger tôt, me dit-elle.

Un vague hochement de tête plus tard, je me précipite enfin dans ma chambre. Je me jette sans scrupule sur l'enveloppe effectivement posée sur mon bureau. Mais au moment d'en extraire le papier décisif, j'ai une légère hésitation.

De toutes manière, il est trop tard, la réponse est entre tes mains et elle est définitive, me dis-je. Allez.

Mes doigts tout tremblants déplient la feuille officielle et mes yeux s'empressent de la parcourir.

Suite à votre demande de permis de visite au détenu M. Viallon, en raison de sa position en tant que détenu provisoir et compte tenu de vos arguments, nous avons accepté votre demande sous quelques conditions détaillées si dessous.

- Accepté, répété-je un sourire se dessinant progressivement sur mon visage.

Je ne sais que ressentir, je suis soulagée, heureuse et en même temps une dose d'angoisse vient de se déposer sur mes épaules. Je m'assois sur mon lit, encore abasourdie.

Plus je lis les différentes conditions, et plus le stress m'envahit.

- Tu n'oublieras pas ta douche le repas est prêt ! crie maman depuis la cuisine.

- J'arrive, murmuré-je pour moi-même.

Je range la précieuse lettre dans mon bureau et j'attrape un débardeur et un jogging à enfiler après la douche.

- Maintenant, on passe à l'étape suivante : prendre rendez-vous aux services des parloirs, murmuré-je.

Je laisse l'eau chaude couler sur mon corps et détendre mes muscles après ce trajet retour dans la nuit tombante. L'été s'éloigne doucement, emportant avec lui les périodes de canicule et les grands ciels bleus.

* * *

Le problème que je retourne en boucle dans ma tête ces derniers jours est : qui va m'accompagner ?

- Quelque chose te tracasse, attaque Ambre à la récréation. Ne me dis pas non, je l'ai lu sur ton visage. Alors ?

Mon premier réflexe serait de dire non mais elle vient de me l'interdire.

- Ne t'inquiète pas, assuré-je. Dis-moi plutôt toi comment ça va ?

Cette fois c'est elle qui a un regard fuyant.

- Quoi ? questionné-je.

En l'observant un peu, je remarque une marque violacée vers son épaule et elle s'empresse de remonter le col de son chemisier pour la cacher.

- Est-ce qu'i...

- Ne t'inquiète pas, dit-elle en reprenant les mots que j'ai employé quelques secondes auparavant.

Comme toujours, quand nous sommes dans ce genre de situation, c'est comme si on signait une trêve silencieuse. Un accord commun. Aucune de nous n'insiste.

- Dis, tu as dix-huit ans ? demandé-je à Louna quelques minutes plus tard.

- Oui pourquoi ? Tu veux aller acheter de l'alcool ?

- Non ! Non pas du tout, dis-je.

Je souris et la sonnerie marquant le début des cours me dispense de toutes autres questions.

Louna peut être une solution, mais comment lui demande de m'accompagner voir le tueur de mon père ? C'est un peu délicat... Je dois avouer que mon esprit n'est pas vraiment captivé par le cours d'histoire du jour. Je note comme une automate les leçons, mais mon cerveau est branché sur autre chose.

- Alors pourquoi tu voulais savoir si j'avais dix-huit ans ? questionne Louna dès la fin de l'heure.

Je fais mine d'être absorbée par mon activité : réunir mes stylos pour les glisser dans ma trousse.

- Rien de spécial, je voulais juste savoir, mens-je.

- Non, je sens que ce n'est pas simplement de la curiosité, tu caches quelque chose.

D'un geste sec, je ferme mon sac et on se dirige vers le couloir.

- J'aurais effectivement un service à te demander, marmonné-je.

- Je le savais ! s'exclame Louna avec son sourire en biais. De quoi s'agit-il ?

- C'est un peu particulier, j'aimerais que tu m'accompagnes... en prison.

Les lèvres de Louna retombent aussitôt.

- En prison ? Et pourquoi ça ?

Je soupire.

- C'est un peu compliqué, mais en gros, j'ai besoin de rendre visite à un détenu mais ma mère n'est pas au courant. Vu que je suis une mineure de plus de seize ans, j'ai besoin d'un accompagnateur majeur.

- Mais ce n'est pas si simple de rendre visite à quelqu'un en prison il faut obtenir...

- ... un permis de visite, complété-je. Je l'ai.

Elle reste un moment silencieuse, de toute manière, le flot d'élèves que nous croisons nous empêche d'avoir une réelle conversation. Quand nous nous retrouvons côte à côte à nouveau, elle pose la question que je redoutais le plus.

- Et qui est la personne à qui tu veux rendre visite en cachette ?

- Je ne suis pas sûre de pouvoir te le dire.

Nous voilà devant la salle d'anglais.

Je n'arrive pas à cerner ce que pense Louna à cet instant. Sûrement qu'elle me prend pour une folle, ce ne serait ni la première, ni la dernière. Mais comme toujours son regard semble certes intrigué mais est aussi extrêmement bienveillant.

- Et c'est quand cette affaire ? finit-elle par dire.

- Je n'ai pas encore décidé, le plus tôt possible.

Elle hoche une nouvelle fois la tête, visiblement un peu perdue.

- Et tu es sûre que c'est légal ?

- Du point de vue de la loi, oui. Du point de vue de ma mère, non.

Louna, sourit légèrement.

- On en rediscutera, dit-elle.

- Please coming girls ! nous appelle le professeur.

Je m'en veux un peu d'embarquer Louna dans mon aventure, mais au moins, elle n'est au courant de rien, et elle ne peut pas tenter de me dissuader comme les autres.

Finalement, après quelques jours, je fixe une date, ce sera un vendredi soir, deux semaines plus tard. Je préviens ma mère de cette soirée, je serais sûrement avec Louna et je fais ma demande aux parloirs. Je prie pour que mon amie accepte. Et que la prison accepte aussi.

- Tu t'y prends tôt, vous allez faire quelque chose de particulier ? s'étonne maman.

- Non, je ne crois pas, mens-je.

Ambre aussi paraît surprise de mes comportements, elle me dit qu'elle sait que je manigance quelque chose

- Et je sais aussi que Louna est dans la confidence, déclare-t-elle.

- Elle ne l'est pas, assuré-je.

Et ce n'est pas vraiment un mensonge puisqu'elle n'est au courant de rien. Je ne sais pas vraiment ce qui me pousse à refuser d'en parler avec Ambre, j'ai peut-être peur qu'elle le prenne mal et qu'elle se remette à défendre son père. En ce moment, je lui parle moins, il faut dire qu'elle est souvent avec Julien et je tente d'éviter la présence de ce dernier.

Comme si elle lisait dans mes pensées, Ambre décide d'enfoncer le clou.

- Il me parle beaucoup de toi Julien, je vois bien qu'il t'aime toujours. Tu es vraiment sûre de vouloir rester si distante ? Vous êtes faits l'un pour l'autre.

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