Chapitre 21 : Sur le même terrain d'entente toutes les deux

Quelques jours plus tard, c'est l'anniversaire de Julien. J'hésite entre : ne rien faire ou envoyer un petit message. C'est maman qui se charge de prendre la décision à ma place.

- J'espère que tu l'as appelé ! Les dix-huit ans, c'est probablement l'anniversaire le plus marquant...

- Non, non je ne l'ai pas encore appelé.

- Qu'est-ce que tu attends ? Il est onze heures !

Je ne trouve pas la force ni les arguments pour protester et je rédige un sms. Je dis bon anniversaire en lui souhaitant de passer une bonne journée, la première en tant qu'adulte.

Qui l'eut cru il y a quelques années ? Que je serais si mal à l'aise pour lui écrire une simple phrase. C'était si imprévisible, nous qui étions si proches...

Maman et moi partons au camping demain, il était d'abord question de proposer comme tous les ans à sa famille de nous y rejoindre mais j'ai refusé. J'ai ordonné à maman de ne pas toucher un mot à sa famille concernant cette semaine de vacances en prétextant le besoin d'être seule.

Après cette semaine à la mer, il ne restera que très peu de temps, deux simples jours. Ambre a décidé de reporter son week-end entre amis en septembre.

Ma rentrée en terminale s'approche et si j'en avais la possibilité, je me rajouterais bien un petit mois de vacances. Car le mot « rentrée » entraîne automatiquement les contrôles, les devoirs, les épreuves du bac, le stress, les rendez-vous chez la psy, l'obligation de passer neuf heures par jour enfermée entre quatre murs avec trente autres jeunes... toutes ces choses qui ne me manquent pas du tout, mais alors absolument pas.

Le téléphone vibre dans ma main :

Merci. Mais pour que cette journée soit parfaite, il faudrait que tu sois à mes côtés...

Je sens la rancœur à travers ces simples mots. Mentalement, je réponds : Peut-être un jour, peut-être au prochain anniversaire... mais pas pour le moment. Désolée.

- Quand ta valise est prête, tu l'apportes dans l'entrée ! m'indique maman depuis le salon.

Maman a toujours été de nature angoissée durant ce genre de moment, il faut que tout soit prêt, que tout soit parfait et elle a toujours peur que l'on oublie quelque chose. J'ai l'impression que cette année cette angoisse s'est accentuée. Elle est seule pour tout gérer, et même si papa ne nous accompagnait pas à chaque fois, il était présent et aidait.

Je fais donc de mon mieux pour ne pas lui rajouter du stress, en m'appliquant à respecter chacune de ses consignes. Depuis la soirée que j'ai passée chez Ambre, je culpabilise un peu vis-à-vis de maman, je culpabilise de la laisser seule, de ne pas prendre assez de temps à lui parler, à échanger avec elle...

Je n'ai qu'une pensée quand je quitte la maison pour ces sept jours de détente : pourvu que la réponse pour mon permis de visite soit là à mon retour. J'ai l'impression que ça pourrait vraiment être la clé à toute cette enquête.

* * *

La réponse à cette interrogation, je ne l'ai donc qu'au retour. Après cette semaine au bord de la mer. Ce n'était pas la meilleure semaine passée là-bas mais retrouver mon camping, mes criques et la fête de la semaine, m'a fait un bien fou. J'ai tenté de profiter de ma mère, de la plage et de l'été, en réalisant vraiment que j'étais en vacances. J'ai laissé de côté pour sept petits jours toute l'enquête.

Ce n'est qu'en s'engageant dans notre rue que tout me revient et me heurte de plein fouet. Tout. Les interrogations, les doutes, le père de Ambre, Viallon, le permis de visite, mes longues conversations avec Romane, Julien... absolument tout. Je suis alors incapable de prononcer le moindre mot. Maman ne se rend pas compte de ma soudaine crispation, elle agite la tête au rythme de la musique qui passe à la radio. Mises à part les deux semaines chez mes grands-parents au début des grandes vacances, c'était les seuls jours de congés qu'elle s'est accordés et je vois à son visage plus détendu que ça lui a fait beaucoup de bien.

Nous avons discuté, ri, bronzé et partagé des bons moments toutes les deux. Ce n'était probablement pas les meilleurs et il y a toujours un petit fossé qui nous sépare, mais nous avons chacune avancé l'une vers l'autre. Qui sait peut-être que nous serons un jour réunies sur le même terrain d'entente toutes les deux.

Elle ne se doute pas tandis qu'elle agite ses cheveux fraichement raccourcis qu'une pression énorme vient de s'abattre sur mes épaules, elle ne se doute pas que mon cœur bat bien plus vite que quelques minutes auparavant, elle ne se doute pas que les prochains instants vont être déterminants.

- On essaie de ranger les valises sans trop trainer pour avoir une petite soirée tranquille, propose maman.

Je hoche la tête, la gorge trop nouée par le stress pour répondre. À peine la porte franchie, je dépose ma lourde valise dans l'entrée et je fonce sur les clés de la boite aux lettres. Je n'ai jamais été si pressées d'ouvrir ce petit compartiment qui détient sûrement la réponse tant attendue.

D'un geste sec, je l'ouvre en ignorant le grincement qui retentit. Une pile d'enveloppe me fait alors face tandis qu'une bouffée d'espoir m'envahit.

- Allez, allez, allez... marmonné-je entre mes dents. Faites qu'il y ait une réponse positive...

En calant la pile contre ma poitrine je les fais toutes défiler une par une. Des factures, des pubs, une lettre pour la boutique de maman et pour finir, un prospectus d'abonnement à un journal. C'est tout.

Mes lèvres retombent, suivant le même mouvement que mon moral.

Peut-être que les délais sont plus longs qu'une semaine, me dis-je pour me rassurer. Ou peut-être que c'est un moyen de me dire que ma demande a été refusée...

Maman semble surprise de me voir déposer les enveloppes sur la table basse, la dernière fois que je suis allée récupérer le courrier, c'était au nouvel an de l'année passée, quand Mathis m'avait envoyé une carte de vœux que j'avais cachée sous mon sweat. Cette pensée m'arrache un faible sourire mais il s'estompe rapidement.

J'avais placé tant d'espoir en ce retour, fracassant.

À la place, je me retrouve comme tous les ans à vider ma valise en me disant que la rentrée approche, que les vacances arrivent à leur terme, qu'il va falloir reprendre le lycée... Autant vous dire que je ne dois pas être rayonnante, loin de là. Mais quel ado l'est dans ce genre de moment ? Au début des grandes vacances, elles paraissent toujours infiniment grandes mais on arrive si vite au bout ! J'ai souvent la même impression pour les années scolaires, quand je les vis, en octobre, novembre, j'ai l'impression qu'il me reste une éternité mais à partir de mars, tout s'enchaîne très vite. Peut-être que c'est le même processus pour la vie. Peut-être qu'en la vivant, on a l'impression qu'elle est extrêmement longue, mais à quatre-vingt-dix ans, quand on réfléchit, on se rend compte qu'elle a filé entre nos doigts.

- Tu viens, la commande est là ! m'appelle maman.

C'était à mon tour d'être surprise quand elle m'a annoncé que ce soir elle préférait faire livrer des bons petits plats plutôt que de les cuisiner. Avec ses cheveux plus courts et son teint bronzé, elle, au contraire de moi, rayonne bien.

- J'ai contacté Clémence, c'est formidable, vous aller pouvoir reprendre dès la semaine prochaine !

Je souris, elle est plus heureuse que moi à l'idée de la reprise de ces séances. Moi, il y a quelques mois, j'aurais râlé et soupiré mais là je n'en ai plus envie.

- Parfait, déclaré-je.

- Tu es prête pour la rentrée ? Tu veux qu'on aille acheter le matériel demain ?

Une nouvelle fois je me contente d'approuver.

Et c'est donc notre activité principale du lendemain. Durant la nuit, j'ai beaucoup réfléchi à cette histoire de permis de visite et j'ai tout simplement réalisé que c'était normal, les délais sont généralement entre deux à trois semaines voir plus, et j'en suis à peine à une et demi. Patience. C'est le maitre mot.

Demain, c'est une rentrée et à chaque rentrée une petite pression vient délicatement se poser sur nos épaules.

- Je ne suis pas sûre que cet agenda soit vraiment le meilleur choix, indique maman. La place pour noter les devoirs n'est pas assez grande. Regarde celui-ci.

J'accepte le nouveau sans rechigner. J'ai toujours à cette partie de l'année une pensée pour Jade avec qui j'aurais dû faire ces courses. Mais maman semble absolument ravie de m'accompagner, et elle espère tellement que mon année de terminale va être parfaite. Moi j'en doute, je suis sûre que l'avenir me réserve encore beaucoup de choses dont je n'ai pas idées.

Mais en réalité, la vraie question est : vais-je réussir à surmonter les obstacles qui se présenteront à moi ? Les obstacles qui surgiront aux derniers moments ? Ceux que je verrai venir de loin et qui sembleront grossir à chaque pas en avant ? Et les tous petits, les piquants ? Il n'y a qu'une seule façon d'avoir la réponse : les vivre. Et c'est ce que je vais faire... de toutes mes forces.



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