Chapitre 2 : Carnet

Le lendemain, je n'ai pas quitté ma chambre et il me semble que le jour suivant non plus. De toute façon, les jours, les heures, tout est mélangé dans ma tête. Le moins que l'on puisse dire, c'est que je n'ai plus aucune notion du temps.

Maman et papa passent régulièrement m'apporter des repas et ils tentent en vain de me faire sortir.

Papa. La première fois que je l'ai revu, je suis restée figée. Je voulais savoir si lui aussi. Si lui aussi était revenu en arrière. J'ai fait quelques vagues allusions mais il semble parfaitement normal.

Je les entends parler derrière ma porte, une fois sortis de la pièce.

- Je suis inquiet pour elle, on dirait qu'elle sort d'un traumatisme, murmure mon père.

- Je ne sais pas ce qu'elle a fait, peut-être juste une hallucination, propose ma mère.

- Il faut que l'on se renseigne sur les médecins qui pourraient lui venir en aide.

J'enfonce mes écouteurs dans mes oreilles pour ne plus percevoir leur conversation et je me recroqueville sur moi-même.

Je sens que, plus les jours passent, et plus je commence à oublier des détails de l'accident et d'avant. Je ressens l'immense besoin, la nécessité de vider mon sac. Alors, un matin je me lève et je m'habille, chose que je n'ai pas faite depuis mon premier réveil.

- Je sors ! annoncé-je en passant devant la cuisine.

Une chance pour moi, papa est déjà parti au travail. Je n'aurai pas à subir ses interrogatoires encore plus poussés que ceux de maman.

- Tu sors ma chérie... mais où ?

Elle a l'air tellement soulagée de me voir debout.

- Je vais aller acheter quelque chose, marmonné-je.

Elle fronce les sourcils.

- Tu vas acheter quoi ?

Elle doit s'imaginer que je veux prendre de la drogue ou quelque chose dans ce genre.

- Un carnet.

- Promis ? demande-t-elle suspicieuse.

- Promis.

Tandis que j'enfile mes chaussures, elle me tend un billet en me disant que si je sors, demain, je dois retourner au lycée.

- Maman... soupiré-je.

- C'est ma seule condition, et estime toi heureuse, ton père ne t'aurait pas laissé sortir si facilement.

Mon reflet me renvoie mes yeux fatigués et mes long cheveux châtains désordonnées avec ses fichues mèches blondes au milieu.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demande maman en voyant ma mine renfrognée.

- Mes mèches.

- Quoi tes mèches ? Tu viens de les faire, tu étais si contente. Elles ne vont plus ?

- Si, si...

Dehors, l'air me balaie le visage et apporte des senteurs florales.

Je descends les marches du perron en trottinant. Effectuer ce genre de chemin me ramène doucement au présent. Et au final, si je suis revenue en arrière, ce n'est pas plus mal, je ne devrais pas me plaindre, au contraire ! Je souris toute seule en sortant de l'allée de graviers.

Une fois au rayon « carnets » de la papeterie, je me penche sur les différents modèles. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je sens qu'il faut bien choisir, je sens que ce carnet a de la valeur. Je sélectionne après plusieurs longues minutes de réflexion un simple, noir avec une reliure couleur cuivre et un motif mandala. Il ne comporte pas beaucoup de pages, mais je n'en ai pas besoin de plus. Je passe à la caisse et je rentre chez moi. C'est aussi simple que cela.

Une fois assise à mon bureau, ça se complique légèrement. Par où commencer ? Après deux minutes de réflexions qui ne mènent à rien, je décide de ne pas me poser de questions, je trace d'une main tremblante la première phrase. J'enchaîne immédiatement avec la deuxième et ainsi de suite, comme un moteur qu'on démarre mais qu'on ne peut plus arrêter. Je gratte le papier, jusqu'à noircir la page de texte. Jusqu'à ce que les mots dansent devant mes yeux et les lettres se mélangent dans ma tête. Pourtant je ne faiblis pas. J'écris encore, encore...et encore.

Mes parents m'appellent pour le repas mais je ne leur réponds pas, la lumière baisse dans la chambre au fur et à mesure que le soleil descend dans le ciel.

« Et c'est ainsi que je mourus. » inscrivé-je en dernier. Je m'adosse à ma chaise essoufflée, comme si je venais de courir un marathon. Ça y est, j'ai retranscrit tout ce dont je me souviens dans ce carnet. Et maintenant ? Maintenant je me sens bizarre. Mais bizarre dans le bon sens du terme. Je me sens...libre. Oui c'est ça, libre ! Sans le vouloir, j'éclate de rire. Je suis plus légère ! Incroyablement plus légère !

Je fourre mon carnet dans un tiroir et je sors de ma chambre. Il est déjà vingt-trois heures et mes parents regardent un épisode de leur série en bas. Je me dirige vers la cuisine et j'attrape un bout de pain. C'est comme si à chaque bouchée j'oubliais et je sortais un peu plus de ma tête tout cette affaire. J'ai l'impression que je pourrais sauter plus haut que la tour Eiffel tellement mon cœur s'est vidé de cette pression et de ce poids indescriptible.

- Lisa ? s'étonne maman en remontant. Tu ne dors pas déjà ?

Je fais non de la tête.

- Et ça va mieux ?

Haussement d'épaules. Elle semble renoncer à me bombarder de questions comme habituellement et me recommande simplement de ne pas éteindre trop tard. Ses yeux sont cernés et elle semble juste épuisée. La culpabilité me serre le ventre. C'est ma faute.

- File te coucher fillette, tout ce qu'il te faut, c'est du repos, renchérit papa en passant. Et à partir de maintenant, tu iras voir un psychologue tous les trois jours.

Je ne proteste pas, je sais que c'est peine perdue.

Dans le silence de la maison, je me sers un yaourt dans le frigo. Je me sens complètement décalée et visiblement, ce n'est pas qu'une impression.

* * *

Qui a inventé les réveils ? Dites-moi son nom que j'aille lui fracasser le crâne.

- Mais c'est beaucoup trop tôt, grogné-je au bout du troisième snooze.

- Lisa, debout ! Tu as cours dans dix-sept minutes ! crie maman à l'autre bout de la maison.

Sa phrase me fait l'effet d'une décharge électrique. J'assimile peu à peu les informations. Debout. Cours. Dix-sept minutes. Je bondis hors de mon lit.

- Je peux t'emmener avant de partir si tu veux, propose papa.

- Non !

J'ai presque crié. Papa semble interloqué.

- C'est...heu...c'est juste que je préfère y aller à pied.

- Bon, comme tu veux.

J'acquiesce vaguement en ouvrant mon placard. J'attrape le premier jean et le premier tee-shirt qui me tombe sous la main et je les enfile à la va vite.

Mes cheveux mériteraient un coup de brosse mais faute de temps, je les rassemble en chignon. Je cours dans l'entrée et j'enfile mes chaussures en remerciant maman qui me tend une barre de céréales. Au moment où je m'apprête à sortir, j'ai une révélation : mon sac ! Mon sac ! Je ne sais même pas où il est et encore moins s'il y a du matériel à l'intérieur. Je finis par le dénicher sous mon lit. J'y fourre tous les stylos, feuilles et cahiers qui sont à portée de main et je le ferme comme je peux. La semaine n'aurait pas pu plus mal démarrer.

- Prends ton téléphone aussi, me dit maman quand je franchis la porte.

Hésitante, je finis par attraper le portable et le glisser dans ma poche.

- Bonne journée !

Je grommelle une vague réponse et je m'engage au pas de course dans l'allée.

Dans la rue loin devant moi, je distingue la silhouette de Jade. Jade ! Elle ne m'a pas attendue, mais je ne peux lui en vouloir, ça va faire une semaine que je ne vais plus en cours et par-dessus le marché je ne lui ai pas donné une seule nouvelle. Je sors mon téléphone de ma poche.

19 appels manqués de Jade

26 messages non lus de Jade

8 messages non lus de Julien

Je me mords la lèvre, honteuse. Voudra-t-elle me reparler ? J'hésite à lui courir après. Que fera-t-elle ? J'accélère le pas. Je n'ose pas crier son nom. Je finis par attraper mon téléphone pour composer son numéro. Je le connais toujours par cœur.

- Allo ? répond sa voix chantante.

- Je suis derrière toi, marmonné-je.

Elle raccroche immédiatement. Déçue, je sens les larmes me piquer les yeux mais soudain des bras m'enserrent et son odeur m'envahit les narines. Elle m'avait manquée !

- Tu... tu es très belle, dis-je.

- On dirait que tu ne m'as pas vue depuis un siècle ! s'esclaffe-t-elle. Ça fait juste une semaine cocotte !

Je ris nerveusement. L'avoir à mes côtés est tellement étrange et en même temps, si normal.

- Ta mère m'a dit que tu étais malade, et que tu avais eu comme une hallucination.

Je hoche distraitement la tête.

- Tu sais j'ai...

Et là, j'hésite à tout déballer. Comment le prendrait-elle ?

- Heu Lisa, ça peut attendre ce que tu vas me dire ?

J'acquiesce.

- Parce qu'il va falloir courir ! Je déjà deux billets de retard et au troisième c'est une heure de colle.

Elle s'élance aussitôt et je n'ai d'autres choix que de la suivre.

Ses cheveux sombres tressés se balancent devant moi avec ses mèches violettes. Nous étions allées chez le coiffeur nous teindre ensemble. Elle s'est dit que le violet s'assortirait mieux avec sa peau presque noire. Nous sommes si différentes physiquement. Certains nous surnomment le Yin et le yang. Jade aime dire que nous sommes sœur jumelles de l'intérieur et opposées de l'extérieur.

Tandis qu'on cavale, j'essaie de me sortir de la tête, mes pensées et souvenirs qui dérivent vers le carnet. Mais je ressens le besoin de lui dire. Et si ça se reproduisait ? Et si ce n'était pas un rêve et qu'elle mourait à nouveau ?

Je lui expliquerai tout à la récréation.


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